
J’ai longtemps été hantée par l’anorexie. Physiquement on en échappe un jour, on en meurt rarement. Psychologiquement, on porte en soi, définitivement, les traits de la lutte anorexique : une force absolue, l’orgueil, l’indifférence aux contingences matérielles. Une incapacité à l’amour.
L’anorexie, ça débute, à l’âge de 15-16 ans, avec la découverte du caractère torturant, obsédant de la sexualité, impossible à satisfaire. Misérables apparaissent les petits flirts, les petites amours en regard de l’attrait mortel de la déflagration, du bouleversement complet de l’identité.
La découverte aussi, à l’adolescence, d’un insupportable assujettissement au corps, à la nature, aux lois de la reproduction. Cette horrible idée que la biologie déterminerait notre destin, serait la justification ultime de l’ordre familial. Pas d’autre horizon que le mariage et la maternité.
Ne plus être soumise au corps, à la nature. Tel fut mon rêve.
Je l’ai déjà dit, on ne devient pas anorexique par imitation, pour se conformer à un modèle, pour jouir de la taille filiforme d’un mannequin.
C’est au contraire parce que l’on refuse tous les modèles.

On devient anorexique par révolte : je n’appartiens pas à ce monde, j’en récuse l’horreur, les sujétions, je suis différente… Je suis plus forte que la nature. Orgueil immense qui se paie d’une effroyable culpabilité.
Monde éthéré, monde de pierre, monde de glace, délivré du carcan des corps…
Mais pas monde atone : la brûlure de la glace…

Après, après, … on sort de l’anorexie en empruntant les voies de l’ascèse ou de la débauche.
Mais tout cela est indifférent. On alterne en fait l’une ou l’autre période… peu importe, il n’y a de toute manière jamais d’amour.
J’illustre ce post avec les photos d’une très jeune photographe américaine, d’origine ukrainienne et passionnée par le Japon (!!!), Jessica Walker.

Jessica Walker