Je me rends compte que je n’évoque presque jamais l’Iran dans mon blog alors que c’est l’un des pays que je connais le mieux et avec le quel je continue d’entretenir le plus de contacts.
Il y a urgence à ce que j’aille me rebalader dans le pays pour vous en parler. C’est en projet pour cette année mais il faut que j’arrive à me dégager quinze jours de vacances.
Quelquefois quand même, ça me revient et la nostalgie me submerge.
Mardi dernier par exemple, le jour même du printemps, c’était le Nouvel An iranien, le Norouz. C’est la plus grande fête en Iran et même les mollahs les plus fanatiques la célèbrent alors qu’elle n’a rien à voir avec l’Islam.
Elle se prolonge 2 semaines durant, avec une tradition principale, celle des Haft Sîn, ou sept « S » : on décore une table avec 7 objets dont le nom commence par la lettre S (sîn en persan). On ajoute aussi, le plus souvent, un miroir, un livre et un bocal avec des poissons rouges. Durant toute cette période, on échange des cadeaux et se rend visite.
Le 13 ème jour, il y a obligation de quitter son domicile ou d’entreprendre un voyage ; on se contente, le plus souvent d’aller pique-niquer dans la nature en famille.
Cette fête de Norouz est enracinée parmi les rituels et les traditions du Zoroastrisme. Le Zoroastrisme, c’est l’ancienne religion de la Perse sassanide jusqu’à la conquête musulmane en 652.
C’est tout de même l’une des plus anciennes religions du monde puisque Zarathoustra aurait vécu aux alentours du 7 ème siècle avant JC et surtout, c’est l’un des premiers monothéismes.
Pourtant, aujourd’hui, en dépit des parrainages prestigieux mais équivoques de Nietzsche et de Richard Strauss, presque personne ne s’intéresse au Zoroastrisme. C’est une religion qui semble en voie d’extinction et on ne compterait, mais ça me semble quand même exagéré, guère plus de 300 000 Zoroastriens dans le monde. Le Zoroastrien contemporain le plus célèbre est Freddy Mercury.
Moi, je porte le Zoroastrisme dans mon cœur. C’est même très concret puisque, lorsque je vivais à Téhéran, j’ai eu la chance extraordinaire (même si je ne m’en rendais pas compte à ce moment), d’habiter chez des Zoroastriens, au rez-de-chaussée de leur grande maison, de plain-pied avec un magnifique jardin.
"Persépolis sous la neige", ce qui est exceptionnel
Le Zoroastrisme, c’est donc pour moi du vécu quotidien et ça continue de m’imprégner parce qu’à chaque fois que je vais en Iran, je me rends sur ses hauts lieux : les villes de Yazd et de Kerman ; le village d’Abianeh, le site de Chak-Chak. Il faut vraiment aller là-bas pour retrouver des fragments d’un monde écroulé mais très proche de nous.
Je crois qu’on a tendance à penser, ici, que le zoroastrisme, c’est une religion complètement archaïque avec des mages, des devins, des faux magiciens, et aussi plein de rites compliqués avec des sacrifices.
D’ailleurs, les images les plus communes concernant les Zoroastriens, c’est qu’ils sont adorateurs du feu et qu’ils exposent leurs morts au sommet de tours du silence pour qu’ils soient dévorés par les vautours.
Ce qu’on ne sait pas en revanche, c’est que le Diable, les anges, la vie éternelle, le jugement dernier, tout ça, ça vient non pas du christianisme mais du Zoroastrisme.
En tous cas, cette image d'une religion obscurantiste est complètement erronée.
Moi, ce qui m’a toujours impressionnée chez les Zoroastriens, c’est leur extrême modernité.
Je n’ai pas envie de faire un cours de religion. Je préfère parler de mon expérience concrète. Voilà ce qui m’a émue dans le zoroastrisme :
- L’amour des jardins et des fleurs. Et aussi, d’une manière générale, le souci de vivre dans un environnement gai et coloré.
- L’amour des animaux. Tuer un animal constitue un crime (le sacrifice est proscrit). Le chien en particulier est, à l’exact contraire de l’Islam, un animal noble et protégé. Le végétarisme est recommandé mais non imposé.
- L’absolue égalité des femmes et des hommes. Inconcevable qu’une Zoroastrienne soit voilée, qu’elle ne fasse pas d’études, ne prenne pas une part active à la vie sociale.
- L’hymne à la vie (c’est le côté nietzschéen du Zoroastrisme). La vie est une élection divine et elle revêt donc un caractère sacré. Cet amour de la vie à un pendant : l’horreur de la mort et de toutes ses formes : la pourriture, le déchet.
- La légèreté des rites (rien n’est absolument imposé), l’absence de clergé, le refus des idoles, la condamnation de la magie, bref le goût de la pensée rationnelle et scientifique et le rejet de tout ce qui joue de l’ignorance des peuples. Le seul symbole de Dieu accepté, c’est le feu.
- La confiance dans l’homme et son libre arbitre. Le Zoroastrisme propose de s'adonner à la bonté, de toujours faire le bien et cela s"exerce par une constante dialectique avec le mal. Mais c'est l'homme qui choisit ; il n'y a pas d'obligation et chacun assume la pleine responsabilité de ses actes envers les autres.
Voilà ! Est-ce que ce n’est pas une religion absolument moderne ? Je m’étonne qu’à une époque de redécouverte des grandes religions orientales, le bouddhisme et le shintoïsme en particulier, on ait complètement négligé le Zoroastrisme.
C’est vrai que le Zoroastrisme a largement programmé sa propre extinction en pratiquant pendant longtemps une stricte endogamie. Aujourd’hui, les conversions sont très rares parce que l’apostasie est un crime en Iran.
Moi-même, j’ai été tentée mais je suis trop rationaliste. Et puis, il y a un aspect du Zoroastrisme qui me rebute : c’est la pensée manichéenne. Pourtant, le Manichéisme, c’est très moderne, mais ça l’est justement trop pour moi.
Le Manichéisme, ça consiste à écarter sans cesse le mal, à l’expurger, et à se vouloir pur, de corps et d’esprit. A être finalement quelqu’un d’absolument sain, de parfait.
Le Manichéisme s’est introduit en Europe au Moyen Age, via la Bulgarie et la Bosnie avec la secte des Bogomiles. Il a aussi influencé le mouvement cathare dont les membres se prénommaient eux-mêmes « les Parfaits ».
Le Manichéisme, c’est la structure des idéologies mystiques mais aussi des projets politiques, surtout dans leurs formes les plus effrayantes et les plus totalitaires.
Aujourd’hui, nous qui sommes tellement modernes, on est tous un peu manichéens, il faut le reconnaître. On se prétend tous purs, sans tâches, exemplaires par opposition aux corrompus et aux pervers. C’est sans doute pour ça qu’on accepte si docilement la banalisation et le conformisme de la pensée.
Pas facile en effet d’admettre qu’on est des pêcheurs nés.
Tableau du peintre russe Nicolas Roerich.
Choix de photographies sur l’Iran, principalement de Abbas Kiarostami (le cinéaste) et de Shirin Neshat.
Avec ce post, j’espère surtout réhabiliter le Zoroastrisme et vous inciter à partir en vacances en Iran.
Contrairement à ce qu’on vous raconte, c’est très facile et sans risques de voyager au pays des ayatollahs.