Ce sont, aujourd'hui, les élections, à la Diète et au Sénat, en Pologne. Même si je ne suis pas Polonaise, je suis ça avec attention (j'essaie de lire, tous les jours, "Gazeta Wyborcza") parce que ça me dépayse et qu'il y a plein de candidats frappadingues, inconcevables partout ailleurs, comiques et sinistres à la fois. Il y aurait matière à réaliser un film, surréaliste et délirant, sur les élections là-bas; malheureusement, il y aurait, aussi, des problèmes, quasi insurmontables, de traduction.
Les élections polonaises, ça n'intéresse, bien sûr, personne en France. La Pologne, on ne sait pas ce que c'est, on ne sait même pas si ça existe, c'est "nulle part", comme le disait, si bien, Alfred Jarry.
Peu importe si le pays va, probablement, se retrouver, demain, sous la coupe d'obscurantistes religieux (on dit, en polonais, qu'on va se réveiller, demain, avec le doigt dans le pot de chambre) mais, à vrai dire, est-ce que c'est si grave ?
Le poids de l'Eglise, même si ça évolue beaucoup, demeure, en effet, très fort, dans toute l'Europe Centrale et pas seulement en Pologne. A première vue, c'est, évidemment, un symptôme d'arriération. On parle même d'un nécessaire renouveau moral. Et c'est sûr qu'il y a de grands tabous: le catholicisme, la nation (la Pologne, l'Ukraine) et puis des questions hyper-sensibles: Smolensk, la Russie, l'avortement, les gays, les trans.On peut, éventuellement, s'assassiner, les uns les autres, là dessus. Etrangement, ce ne sont pas, non plus, des pays de répression intégrale: j'éprouve même une étrange sensation de liberté en Pologne ou en Ukraine.
Moi, j'ai évidemment en horreur les religieux. Mais je constate, quand même, une chose: les religieux sont, en Europe Centrale, plus bêtes que méchants et on s'est malgré tout extirpés, grâce à eux, du communisme et on a échappé à l'extrême droite.
En France, la vie politique, c'est complètement différent. On est beaucoup plus intelligents, plus éclairés. La religion, on sait que c'est une rigolade. On est beaucoup moins bêtes mais aussi beaucoup plus méchants, tellement on est pleins de certitudes.
Mais c'est comme ça aussi que le populisme fonctionne à plein avec des affreux, des super-méchants, des grandes gueules, suffisants et insuffisants : Dufflot, Montebourg, Le Pen, Mélenchon. Des populos-démagos qui me glacent. Des religieux bornés eux aussi, avec, simplement, un autre masque.
Ce qui m'étonne comme ça, en France, c'est qu'on est tous absolument anti-capitalistes et tous les partis, de droite comme de gauche, se rejoignent là-dessus. Le capitalisme, ce serait l'horreur absolue; la mondialisation libérale, ce serait une catastrophe totale, la misère, les inégalités, l'essentiel de la richesse accaparé par quelques individus. De plus, le capitalisme serait le responsable pas seulement de la misère économique mais aussi de tous nos maux, psychologiques, amoureux. Toutes nos déprimes, tous nos chagrins, il en serait également comptable.
C'est vrai que c'est rassurant de pouvoir désigner un grand Autre, l'ultra-libéralisme, les marchés financiers, à qui imputer tous nos malheurs.On est exonérés de toute responsabilité, on n'est que les pauvres victimes d'un hyper-capitalisme dominé par quelques grands prédateurs. Il est d'ailleurs significatif qu'en France, pays pourtant fortement laïcisé, on semble adorer le Pape François, ce super démago, "apôtre infatigable et ultramédiatisé de l'antilibéralisme et de la décroissance". Comme l'écrit férocement, mais avec justesse, l'économiste Pierre-Antoine Delhommais, le Pape François est "tellement ami des pauvres qu'il préfère visiblement les voir rester dans leur situation misérable pour pouvoir continuer à leur apporter son précieux soutien moral."
Evidemment, défendre le capitalisme et le libéralisme, ça n'est pas facile en France. On risque de se faire lyncher par une meute d'altermondialistes et on ne peut même pas dialoguer: essayer d'apporter des arguments rationnels (que la pauvreté et les inégalités ont, par exemple, considérablement diminué dans le monde au cours de ces 25 dernières années et que le mouvement devrait se poursuivre) est à peu près stérile.
Néanmoins, j'ai confiance. Ce n'est pas encore demain que l'on parviendra à abattre le capitalisme. Comme l'avait bien vu Marx et comme l'a génialement développé Gilles Deleuze ("Capitalisme et schizophrénie"), le capitalisme a une extraordinaire puissance révolutionnaire propre, capable de balayer tous les archaïsmes. Il a toujours un temps d'avance sur les réactionnaires et les passéistes.
Tableaux de Maksymilian Nowak-Zemplinski né en 1974 à Varsovie