Le Printemps arrive ! Pour moi, qui n'aime que le froid, l'obscurité et la neige, qui ai en horreur la lumière et la chaleur, c'est très triste. Tant pis! Il va falloir, maintenant, que je tienne 7 à 8 mois. Je vais essayer de m'adapter, essayer d'attendre jusqu'au 1er novembre..
En attendant, je récapitule, ci-dessous, les bouquins que j'ai aimés durant cet hiver. Bizarrement,il s'agit surtout d'essais, presque pas de romans. Des romans, j'en ai jetés plein (Serge Joncour, Luc Lang, Cédric Gras), incapable de les lire jusqu'au bout. Ils étaient peut-être bien mais vraiment pas dans mon univers. Mais ça n'a aucune importance !
Donc, un peu de lumière, un peu de gaieté !
Luc BOLTANSKI, Arnaud ESQUERRE: "Enrichissement, une critique de la marchandise". Depuis une trentaine d'années, le capitalisme subit une profonde mutation à peine remarquée. La production de masse n'est plus la finalité première des "pays développés". S'y substitue une économie de l'enrichissement, encore plus discriminante et inégalitaire. Elle ne produit à peu près rien, elle transforme, métamorphose, la valeur des biens en réhabilitant surtout le passé. La richesse devient patrimoniale, elle croise les arts, la culture, les musées, le tourisme, l'industrie du luxe. La connivence de l'Art et de la culture avec l'argent, la finance, ça peut, bien sûr, choquer mais le point de vue de Boltanski et Esquerre est totalement novateur et fécond. Un livre qui, sûrement, fera date.

Florence BURGAT: "L'humanité carnivore". Un autre livre appelé à faire date. Quoi qu'on en pense, quoiqu'on en dise, on mange de plus en plus de viande, les végétariens sont ultra-minoritaires. Et il y a le tabou de l'incroyable violence exercée envers les animaux. C'est renforcé par l'abstraction accrue de la viande: comment reconnaître un bœuf, un porc dans un burger ? Mais en fait, nous n'ignorons rien de cette violence et rien ne justifie que notre alimentation soit carnée. Et d'ailleurs, à l'heure du triomphe de la pensée écologiste, la mesure de sauvegarde de la planète la plus efficace, la plus urgente, serait que nous devenions végétariens. Alors pourquoi mangeons-nous des animaux ? Florence Burgat répond que c'est quasiment métaphysique, identitaire, que ça répond à un désir très profond de l'humanité. C'est une manière d'affirmer une coupure radicale entre l'humain et le non-humain. C'est à rapprocher du cannibalisme et de son horreur: l'anéantissement complet d'autrui. Un livre très puissant et même bouleversant.

Gillen D'Arcy Wood: "L'année sans été Tambor, 1816 Le volcan qui a changé le cours de l'histoire". Un livre fascinant qui relit l'histoire du monde à la lumière d'un bouleversement climatologique aujourd'hui oublié. En 1815, au lendemain de la chute de Napoléon, une éruption volcanique monstrueuse, celle du Tambora en Indonésie, a provoqué une chute des températures de 2 à 3 degrés sur l'ensemble de la planète durant une période de trois ans. S'en sont suivis des phénomènes météorologiques extrêmes avec famines, mouvements politiques, maladies (le choléra). Cela a même eu une incidence littéraire: "Frankenstein" et "le dernier homme" de Mary Shelley sont directement liés à cet événement. Cela concerne aussi tout le mouvement romantique, notamment anglais. Un livre d'histoire totale qui bouleverse les perspectives.

Fabrice HOUZE: "La facture des idées reçues". Un bouquin salubre à un moment où on nous abreuve, avec la campagne électorale, d'âneries en matière économique. Les idées reçues, c'est le très grand problème des politiques économiques. Elles ont surtout un coût et elles expliquent, intégralement, les difficultés d'un pays comme la France où on a vraiment tout essayé (pour paraphraser Mitterrand), avec grand succès, pour... accroître le chômage, la précarité et la baisse du niveau de vie. Je recommande absolument ce livre même si vous n'êtes pas économiste. Il est facile, pédagogue et plaisant à lire. A lire avant de voter !

Louis-Bernard ROBITAILLE: "Bouffées d'Ostalgie"- Fragments d'un continent disparu". Qui se souvient encore du monde soviétique ? Robitaille est un journaliste canadien. Il évoque, dans ce petit livre, ses voyages, effectués dans les années 70, à Berlin-Est, en Pologne, à Prague, à Moscou, à Tbilissi. C'est très juste, très pertinent. Un monde absurde combinant la répression et une étrange liberté, c'était bien ça. Très vrai !
Georges Matoré: "Mes prisons en Lituanie". C'est la réédition d'un livre publié, une première fois, en 1992. Georges Matoré, grand linguiste, était professeur de français en Lituanie au moment de la 2nde guerre. Il a connu les occupations soviétiques et allemandes et a été jeté dans les prisons du KGB. Un témoignage extraordinaire, bien écrit, étonnamment distancé et même plein d'humour et de regard critique.
Marina ANCA: "Quand la chenille devient papillon ou la dictature roumaine vue par une adolescente libre". Ça n'est pas un grand livre, d'un point de vue strictement littéraire, mais ça décrit très bien ce qu'était la vie, dans les années 80, en Roumanie: la pénurie, la répression, normalisation, banalisation. Pire, sans doute, que dans tous les autres pays communistes mais ça n'empêchait pas, non plus, les moments de bonheur.

Olivier ROLIN: "Baïkal Amour". On croit qu'il n'existe qu'une ligne du Transsibérien. Il y en a une autre, construite sous Brejnev qui part du Baïkal et côtoie l'île de Sakhaline et le détroit de Tartarie. Olivier Rolin m'étonne. Il avoue ne pas être russophone mais, malgré tout, ce qu'il écrit sur la Russie m'apparaît très juste (la désespérance et la magie) et je m'y retrouve complètement: un très bon livre ! Merveilleux! Je signale, par ailleurs, qu'il n'y a qu'en français que le nom du fleuve Amour signifie "Love". Ailleurs, ça ne signifie rien sauf, paraît-il, "boueux" en bouriate.

Elisabeth BADINTER: "Le pouvoir au féminin - Marie-Thérèse d'Autriche". Bizarre: Marie-Thérèse d'Autriche est quasiment inconnue en France et moi-même, en dépit de mes origines, je n'en connaissais à peu près rien: la honte totale ! J'ai maintenant comblé une partie de mes lacunes grâce à ce livre qui retrace une période essentielle de l'histoire européenne. Une question: pourquoi ignore-t-on tellement l'Europe Centrale en France ?
Claude QUETEL: "Le chien des Boches". Claude Quetel est surtout célèbre pour son "Histoire de la Folie" qui renverse, de manière très convaincante, le bouquin de Michel Foucault. Il relate, ici, son enfance en Basse-Normandie, près de Caen à Lyon-sur-mer, dans les années 40-50 et donc principalement durant l'Occupation allemande. A tous ceux qui regrettent "le bon vieux temps", qui pensent que "c'était mieux avant", je recommande la lecture de ce livre: un monde cruel, pauvre, ignare, intolérant. Vive demain !
Tableaux de Ting WALASSE, peintre sino-américain (1929-2010).