Est-ce qu'on peut encore parler de la séduction aujourd'hui, à l'heure de "Me Too" et "Balance ton porc" ?
On voudrait éradiquer absolument les rapports de pouvoir, la sujétion, la manipulation, la cruauté et même la différence des sexes. D'ailleurs, la séduction déborde le champ amoureux et envahit les rapports sociaux: elle touche à la corruption.
La séduction, j'en ai, pour ma part, toujours usé, abusé. Tant pis si vous me jugez retorse, perverse, superficielle. Mais la séduction, c'est l'arme maîtresse des femmes. C'est ce qui leur permet d'affirmer leur pouvoir et c'est bien pour ça que je m'appelle Carmilla. C'est aussi leur arme exclusive parce qu'à leur différence, les hommes sont, par essence, dépourvus de séduction.
La séduction, c'est d'abord le carburant de ma vie, un éclair dans un quotidien qui pourrait être gris et morne.
Il y a d'abord la fascination du mal, le goût de la transgression.
A l'école, j'aimais bien torturer psychologiquement certains de mes collègues, les moches et les "nerds", en les faisant rêver, en les laissant croire que ça pouvait être possible avec moi. Du coup, ils étaient prêts à tout pour moi, ils faisaient tout ce que je leur demandais.

Et puis, il y avait mes profs vis-à-vis des quels je ne voulais surtout pas passer pour une gamine, une meuf ricanante, toujours en train de bêtifier. Je cherchais toujours à paraître une vraie femme, élégante, hautaine, au-dessus de la mêlée. Ça marchait plutôt bien même si ça se traduisait plus par de bonnes notes que par des rendez-vous amoureux.
Ou alors, les amis de mon père. Je ne voulais me faire déflorer que par des hommes mûrs et même âgés.
Aujourd'hui, ce sont les maris de mes copines qui m'attirent. Et puis, dans ma boîte, ceux qui exercent le pouvoir ultime.
Mais quelquefois aussi, j'aime bien sortir avec un type nul, inculte et vulgaire. J'éprouve alors l'étrange plaisir de l'humiliation et de l'avilissement.
Je vous choque peut-être mais la séduction, c'est d'abord ça: le renversement des hiérarchies et de l'ordre existant à partir de la découverte du pouvoir qu'on peut avoir sur les autres.
Ce pouvoir, il ne faut pas hésiter à l'exercer. C'est à cette seule condition que les femmes peuvent conquérir leur indépendance et leur liberté. Ça n'est d'ailleurs pas toujours agréable car, pour maintenir son emprise sur l'autre, il faut aussi savoir être cruelle, indifférente.
C'est pour ça qu'avec moi, les histoires d'amour, ça ne dure jamais bien
longtemps: aussitôt conquis, aussitôt rejeté car ça ne m'intéresse
plus.
Surtout, la séduction nous dispense une leçon de vie essentielle. Il n'y a qu'une alternative: séduire ou être séduit. Il ne faut pas hésiter car la vie est éminemment réversible et on a tôt fait de s'abandonner à autrui, d'accepter, de plein gré (paresse, confort, faiblesse ?), la captivité.
Pourquoi désire-t-on parfois la servitude ? C'est une énigme de la condition humaine et, singulièrement, de la condition féminine. Je risquerais une hypothèse: on se laisse séduire, on se laisse ravir, parce qu'on se sent faible et coupable, parce qu'on a honte de ses vrais désirs. En s'abandonnant, on croit pouvoir taire les monstres et les fantômes qui nous habitent.
Images de Kansuke Yamamoto (1914-1987), photographe et poète japonais. Il a notamment introduit le surréalisme au Japon.
Au cinéma, je vous conseille: "Un couteau dans le cœur" par Yann Gonzalez avec Vanessa Paradis. Très étonnant, un OVNI !