Je le dirai tout net: la "rentrée littéraire" française d'automne, celle qui fait les prix, m'a déçue. Habituellement, il émerge trois ou quatre très bons bouquins, de ceux qui feront plus ou moins date.
Mais cette année, c'est vraiment moyen, moyen. Il est vrai que je ne pas lu Philippe Lançon (par lassitude de l'évocation des attentats en France) qui semble rallier tous les suffrages. Et puis, je me suis endormie sur le Jérôme Ferrari ("A son image"), en dépit de son analyse intelligente de la photographie et j'ai carrément détesté "Désintégration" d'Emmanuelle Richard même si son écriture est superbe; mais plus pleurnichard, plus aigre, plus misérabiliste, il n'y a pas.
Alors, je me suis rabattue sur la littérature étrangère. Mais je ne suis quand même pas allée bien loin parce que trois chefs d’œuvre, qui marqueront la littérature mondiale, ont récemment été publiés mais je n'ai pas eu le courage de m'y attaquer (plus de 1 000 pages, denses, pour deux d'entre eux et plus de 600 pages pour le plus léger). Il s'agit de Paul Auster ("4 3 2 1"), Ludmila Oulitskaïa ("L'échelle de Jacob") et Olga Tokarczuk ("Les livres de Jakob"). Si quelqu'un, parmi vous, est venu à bout de l'un de ces bouquins, ça me ferait plaisir qu'il m'en donne des nouvelles.
Hormis ces trois grands livres, voici donc ma petite liste de recommandations automnales :
- Lisa HALLIDAY: "Asymétrie". Il est rare que je lise de la littérature américaine mais, là, j'ai vraiment été conquise, emballée. Un bouquin étonnant en trois parties complétement distinctes, sans lien apparent : le récit de la liaison entre l'auteur et le grand écrivain, Philip ROTH, de près de 40 ans son aîné; les tribulations d'un jeune irakien; l'interview imaginaire de Philip ROTH. C'est piquant, drôle, transgressif.
- Elena TCHIJOVA: "La planète des champignons". Avec Sentchine et Bouïda, Tchijova est au nombre de mes écrivains contemporains russes favoris. C'est ici le récit de la confrontation de deux voisins de datchas à la campagne: une businesswoman indépendante et un traducteur de seconde zone enlisé dans ses habitudes. Si on ne connaît pas la Russie d'aujourd'hui, on apprend plein de choses, si on connaît, c'est plus vrai que nature.
- Nancy HUSTON: "Lèvres de pierre". J'adore la franco-canadienne Nancy HUSTON avec la quelle je me sens en complète affinité intellectuelle. Je n'ai pas été déçue par "Lèvres de pierre". C'est un livre un peu bizarre, mi-roman, mi-essai, dans le quel Nancy Huston établit des correspondances étonnantes entre elle-même et le monstre sanguinaire, Pol Pot. Déconcertant mais très fort: une réflexion sur le mal qui habite en chacun de nous.
- Vanessa SCHNEIDER: "Tu t'appelais Maria Schneider". Un portrait fulgurant de l'actrice du "Dernier Tango à Paris" par sa proche cousine, journaliste au "Monde" et fille du célèbre psychanalyste Michel Schneider. La vie tragique, rongée par l'alcool, le tabac, la drogue mais la vie intense, flamboyante, de la fascinante actrice. C'est à ce bouquin que j'accorderais, sans hésitation, un prix littéraire d'automne.
- Christophe DONNER: "Au clair de la lune". Un livre très différent de la production littéraire habituelle de Christophe Donner plutôt consacrée au déchirement sexuel et existentiel. Il relate ici la vie et le parcours de Nicéphore Niepce et d'Edouard-Léon Scott de Martinville, inventeurs de la photographie et de la phonographie, qui ont, littéralement, changé le monde. Leurs travaux ont pourtant été pillés par Daguerre et Edison, les privant de la gloire qui leur était normalement destinée. Ce roman, qui nous apprend plein de choses, dévoile le mystère de cette dépossession, caché dans leurs vies intimes.
Paolo RUMIZ: "Comme des chevaux qui dorment debout". J'aime beaucoup l'écrivain-voyageur italien Paolo Rumiz. En plus, il parle principalement ici de mon pays natal, la Galicie. Mais j'ai quand même été un peu déçue. Le propos est alourdi, obscurci, par la recherche des traces des militaires italiens (de Trieste) enrôlés dans l'armé austro-hongroise au cours de la première guerre mondiale et envoyés en Galicie. C'est intéressant,bien sûr, mais ça aboutit à une vision un peu étrange et réductrice de la Galicie.
- Abnousse SHALMANI: "Les exilés meurent aussi d'amour". La description d'une communauté iranienne à Paris, fantasque et cocasse, de réfugiés communistes. C'est drôle, magique, peuplé de personnages déconcertants. Je vous conseille néanmoins de lire d'abord: "Khomeiny, Sade et moi", épatant et percutant.
- Agnès DESARTHE: "La chance de leur vie". Une famille française envoyée dans une université américaine en Caroline du Nord. La France et les Etats-Unis vus à distance. Les tourments des cœurs et des corps, le besoin d'imprimer une direction à son existence mais le constat, finalement, que l'on demeure étranger à son destin.
Je clos, enfin, ma liste en mentionnant le livre de Richard H. THALER : "Misbehaving Les découvertes de l'économie comportementale". Richard H.THALER a été Prix Nobel d'économie 2017. Je lis en effet, également, beaucoup de livres de finance, économie. Normal, c'est tout de même en rapport avec mon boulot. De toute manière, ça me passionne. Ce livre de Thaler est facile à lire. Il démontre que, contrairement aux analyses classiques, l'homme n'a pas un comportement économique rationnel. C'est novateur et j'ai été intéressée. Un reproche toutefois: l'auteur n'a vraiment pas l'esprit de synthèse. Son bouquin fait plus de 500 pages alors que 100 pages auraient largement suffi.
Photographies de Tim PARCHIKOV né à Moscou en 1983; photographe russe dont les œuvres commencent à être bien cotées.
Enfin, je vous conseille au cinéma: "Cold War" de Pawel PAWLIKOWSKI.