samedi 30 mars 2019

Permis/Interdit - Le voyeurisme


L'actualité politique, c'est vraiment bizarre !

Au mois d'août dernier, la France se passionnait pour l'insignifiante affaire Benalla. Elle venait probablement de trouver un nouvel exutoire de haine après l'affaire Johnny.

Mais qui dans, le même temps, s'est vraiment préoccupé du vote par le Parlement d'un texte prévoyant la création d'un délit de "captation d'images impudiques" (article 222-32-1 du Code Pénal) ? Je n'ai pas l'impression qu'on en ait dit un seul mot aux informations télévisées, que ça ait fait l'objet d'un seul débat. Des "experts" ont réglé la question sans mot dire.

Ce sont pourtant des dispositions régulant le "vivre ensemble". Elles marquent surtout un premier pas inquiétant dans la répression du voyeurisme; elles peuvent, à terme, créer un délit du regard. "J'aime regarder les filles" dit la chanson. On peut espérer que ça demeurera toujours possible mais c'est sûr qu'il faudra se montrer de plus en plus prudent.



Jusqu'alors, il faut le préciser, la Loi ne s'occupait guère du voyeurisme. Il ne constituait pas un délit en tant que tel et n'était répréhensible qu'au regard de certaines "circonstances particulières": violation de domicile, corruption de mineurs, atteinte à la vie privée.

Jusqu'alors, donc, les "petits mateurs" des cabines d'essayage dans les magasins, des bas d'escaliers dans les couloirs du métro, des fenêtres aériennes la nuit, des vestiaires des salles de sport, voire des toilettes publiques, pouvaient se rincer l’œil tranquillement. On ne disposait pas de qualification pénale adéquate.


Et bien, tout ça c'est terminé depuis l'automne dernier (mais qui le sait vraiment en France ? Les Lois ont souvent pour caractéristique première d'être complétement ignorées, Kafka a tout dit là-dessus).

Ça s'est fait progressivement. Les mouvements féministes se sont d'abord émus de la pratique de plus en plus répandue en Europe de l'"upskirting". Une vraie mode même grâce au smartphone: des malotrus rivalisent à prendre en photo le dessous des jupes des filles. C'est ensuite balancé sur Internet.


Le nouvel article du Code Pénal règle d'abord ce problème avec le délit de "captation d'images impudiques". Mais les choses vont bien au-delà. On n'entend pas réprimer uniquement les "pervers pépères" qui reluquent et photographient les "dessous" des femmes, mais, plus largement, de multiples formes de voyeurisme. Il s'agit ainsi de pénaliser «le fait d’user de tout moyen afin d’apercevoir les parties intimes d’une personne que celle-ci, du fait de son habillement ou de sa présence dans un lieu clos, a cachées à la vue d’un tiers». Le tout, bien sûr, sans le consentement de la personne, ou à son insu.


A partir de là, ça ne rigole vraiment plus !

Ce qu'encourent désormais les petits voyeurs ? Un an de prison, et 15 000 euros d’amende, voire le double en cas de circonstances aggravantes. Ainsi, si l’auteur filme ou prend des photos de sa victime, ou si cette dernière est mineure, handicapée ou enceinte, le voyeur s’expose à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. Idem s’il sévit dans les transports en commun.

C'est pareil en Belgique (depuis 2014) et encore mieux au Canada (5 ans). Partout en Europe et en Asie (20 000 manifestantes en Corée du Sud), on réfléchit et met en place des disposition réprimant le voyeurisme, même en Grande-Bretagne (qui a pourtant d'autres chats à fouetter en ce moment) et en  Russie (vidéo "virale" d'Anna Dovgalyuk).

On vous explique doctement, bien sûr, qu'il s'agit quasiment d'un crime, que le voyeur réduit la femme à une dimension d'objet et porte gravement atteinte à sa dignité. C'est une humiliation et un traumatisme qu'elle portera toute sa vie.



Je trouve qu'on vit une époque de dingues. Ça pourrait être risible si ça n'avait pas, éventuellement, de telles conséquences. 

Je m'imagine bien, par exemple, faire scandale dans un magasin à chaussures parce que le jeune vendeur, tout rougissant, aurait regardé sous ma jupe au moment de l'essayage. Je tairais, bien sûr, que ça m'aurait, peut-être, fait plaisir mais j'irais porter plainte. Ensuite, je serais toute contente quand j'apprendrais, quelques mois plus tard, que le jeune vendeur a été condamné à un an de prison pour son regard libidineux. J'aurais obtenu "juste réparation" de mon traumatisme.


Rêve-t-on vraiment d'une pareille société opposant, sans cesse, des agresseurs et des victimes ? 

Être moderne aujourd'hui, ça n'est plus être responsable, c'est porter plainte pour tout et pour rien.

L'expérience belge démontrerait heureusement que ces dispositions répressives sont quasi inapplicables du fait de l'impossibilité de réunir, la plupart du temps, des preuves matérielles flagrantes.


En fait, sur le voyeurisme, on est d'une hypocrisie totale, la plus grande, peut-être, de toutes celles qui touchent aux questions sexuelles. On déclare tous, bien sûr, qu'on ne s'y adonne aucunement mais on se repaît continuellement de ça. Si on était sûrs d'une totale invisibilité et impunité (c'est ce que démontrent les quelques enquêtes effectuées), on passerait son temps à aller fureter chez ses voisins, son patron, ses copains, copines, tous ceux que l'on admire ou qui nous insupportent. On prolonge indéfiniment, en fait, ses premières explorations infantiles: qu'est-ce qu'il en est de la jouissance des autres, quelle est la vérité de leur désir ?


Et d'ailleurs, on vit dans des sociétés de voyeurisme généralisé. C'est le triomphe de l'image et de l'apparence: le pouvoir politique, les relations sociales, la conquête amoureuse et sexuelle, le spectacle de la rue, les villes muséifiées. 

Et on se donne d'abord à voir : Facebook, Instagram, Snapchat. Quelle gloire ! Big Brother non seulement ne fait plus peur mais on aspire à toujours plus. 

C’est aussi le triomphe de l’œil avec ses appareils sophistiqués et ses satanés smartphones et autres bidules. Un déluge de couleurs, formes, anecdotes triviales. Tout se vaut, tout est équivalent, l'insignifiant comme le sublime. Nous voulions voir et être vus, nous devenons "omnivoyeurs".


On a en fait découvert quelque chose d'important au siècle dernier : la distinction de la vision et du regard. La vision, c'est celle des objets communs. Le regard, lui, il n'a trop que faire d'objectivité. Il est enveloppé de désir, il en est même la cause. La psychanalyse et Jacques Lacan ont déliré à l'infini sur ce sujet.

Le regard, il est déstabilisant parce que, fondamentalement, on est d'abord des êtres regardés. On dit que notre subjectivité se construit par rapport au regard de l'autre. Notre corps perçoit même physiquement le regard. Un instant d'accroche: angoisse ou coup de foudre.

Ça explique qu'on éprouve toujours une grande gêne et souvent même une espèce d'hostilité quand on se sent regardés  parce que le regard de l'autre est appropriateur comme s'il cherchait à nous vider de notre substance, à nous voler notre individualité.


Notre rapport au regard, finalement, il façonne souvent celui ou celle que l'on est. Il explique ainsi l'émergence de trois figures majeures de la modernité :

- l'hystérique: ce sont surtout des femmes, de moins en moins nombreuses en réalité. C'est beaucoup mon portrait, je l'ai déjà dit. L'hystérique cherche à capter le regard. Pour cela, elle a un comportement de séduction plus ou moins adapté, plus ou moins habile. Et puis, elle sait très bien donner l'impression d'être à l'unisson de sa victime. 

- le paranoïaque: il a évidemment le sentiment que des millions de regards sont posés sur lui.

- le névrosé obsessionnel: c'est la catégorie de gens que je déteste le plus. Ceux qui veulent tout maîtriser, tout contrôler, qui n'admettent pas le hasard, les aléas, qui sont incapables de risquer leur peau. Avares et rigides, ce sont eux, souvent, qui épient les autres, écoutent aux portes, les observent à la jumelle. Leur vie est tellement blindée qu'ils ne croient pas au vacillement du désir et à la mort.

Tableaux de Balthus (1908-2001): "Thérèse rêvant" et Marcel Duchamp (1887-1968): "Étant donnés".

Il est à noter que le tableau de Balthus a récemment (fin 2017) fait l'objet d'une mobilisation et d'une pétition de New-Yorkais pour qu'il soit retiré du Museum of Modern Art (MOMA). Il inciterait au voyeurisme et à la pédophilie. A vous de juger mais ne me demandez pas de le retirer de mon post.

Photographies de Roger SCHALL (1904-1995), Petra SEDLACZEK, Gail Albert HALABAN, l'une allemande, l'autre américaine mais ayant beaucoup vécu, toutes les deux, à Paris.

Au cinéma, de nombreux films abordent le thème du voyeurisme. Voici mes trois préférés:

- "Brève histoire d'amour" de Krzysztof Kieslowski
- "Malveillance" de Jaume Balaguero
- "Monsieur Hire" de Patrice Leconte

En littérature, je conseille un livre dérangeant: "Le motel du voyeur: une enquête" de Gay Talese. Prix Sade 2017. Il est en poche et facile à trouver.

samedi 23 mars 2019

Permis/Interdit - La pornographie


La question sur la quelle règne la plus grande hypocrisie, sur la quelle tout le monde ment, c'est la pornographie.

Si vous interrogez votre entourage, vous pouvez être sûrs que personne n'avouera qu'il regarde de la pornographie. Tout au plus, concèdera-t-on "une fois ou deux, juste pour voir".

Si on est un patron, un puissant, la plus grande terreur c'est qu'on ne fasse courir la rumeur que vous aimez bien le porno et que vous passez beaucoup de temps sur les sites  pendant vos heures de bureau. Rien de plus efficace aujourd'hui pour discréditer quelqu'un que de raconter, en dépit d'une tolérance universelle affichée, qu'il est un "pervers".



Pourtant, certaines enquêtes récentes font apparaître qu'en France, une femme sur cinq et un homme sur deux en visionneraient souvent et régulièrement. Ces chiffres sont d'ailleurs probablement sous-estimés.

D'ailleurs le porno a très mauvaise presse, surtout à l'époque d'une montée du mouvement féministe. Le porno conforterait les rapports de pouvoir et de domination (du masculin sur le féminin), figerait les stéréotypes de genre, normaliserait les apparences physiques (la bimbo blonde à gros seins et le macho au physique de joueur de rugby).



Et puis, ceux qui regardent du porno seraient forcément des frustrés. Bref, c'est des pauvres types qui, en plus, deviendraient rapidement addicts; ça les conduirait à rechercher toujours plus de "hard", toujours plus de violence. Quant à envisager que des enfants, des adolescents puissent regarder du porno, là ce serait carrément la catastrophe, une abomination, il faut absolument les protéger, ces pauvres petits !


Pourtant, dans l'immense majorité des pays démocratiques, la pornographie pour les adultes est légale et on a le droit de produire, consommer, diffuser des ouvrages obscènes et des images pornographiques (y compris dans les très catholiques Pologne et Irlande). Quelques exceptions notables : l'Ukraine où elle est prohibée de même qu'en Chine, en Turquie et aussi en Biélorussie et Lituanie. Il y a aussi des pays où elle est très contrôlée comme la Russie (il faut s'identifier avant d'accéder à YouPorn), la Roumanie et la Bulgarie.  Quant au Japon, il abrite une des plus importantes industries pornographiques au monde mais la Loi impose une pixellisation des parties génitales dans un film pornographique. C'est évidemment dans les pays musulmans qu'il est le plus dangereux d'être un "pornocrate" puisque tout "producteur" s'expose carrément à la peine de mort.



En France, disons qu'il y a une véritable tolérance concernant la pornographie. Elle existe en droit français depuis 1994, date de la suppression par le Code Pénal du délit d'outrage aux bonnes mœurs. Mais attention, cette tolérance ne s'exerce qu'à l'égard des adultes !

 La pornographie est bien autorisée pour les majeurs, avec certaines restrictions toutefois, mais elle est rigoureusement interdite pour les mineurs qu'ils soient acteurs ou spectateurs. Les peines encourues sont même très lourdes :

- 75 000 euros et 5 ans de prison pour la réalisation d'images pornographiques d'enfants mineurs de moins de 15 ans. Si les mineurs (civils) ont entre 15 et 18 ans, la question est de savoir si ces images ont été ou non réalisées en vue d'une diffusion commerciale. Attention donc si vous prenez, sur une plage, une "jeune fille" de 17 ans avec votre smartphone. Ça peut vous coûter 5 ans de cabane si vous diffusez l'image !


- la peine est même portée à 7 ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende, si l'image est diffusée sans "public déterminé", c''est à dire en utilisant un réseau de "communications électroniques".

 - si vous êtes simple "consommateur", ne croyez pas non plus que vous êtes tranquille. Le Code Pénal (article 227-23) punit de 2 ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende "le fait de consulter habituellement ou en contrepartie d'un paiement un service de communication au public" ou même simplement de "détenir" une image pornographique d'enfant mineur. De quoi vous refroidir sérieusement, n'est-ce pas ? Question: est-ce qu'il n'est pas prudent de se dépêcher de balancer les images de David Hamilton ou d'Irina Ionesco que l'on a laissé traîner dans son ordinateur ?


La pénalisation de la pornographie avec les mineurs, ça ne rigole donc vraiment pas ! Mais même la pornographie adulte est réglementée: elle est d'abord soumise à des taxes, elle est même susceptible d'être frappée d'interdiction. Cela concerne notamment les créations artistiques : le film "Baise moi" de Virginie Despentes et le livre "Rose bonbon" de Nicolas Jones-Gorlin (2002).

De plus en plus, en fait, la tolérance envers la pornographie fait  l’objet d’un débat animé entre ceux qui la critiquent au nom de la dignité humaine et ceux qui la défendent au nom de la liberté d’expression.

Face à un tel dilemme, le Droit s’efforce, tant bien que mal, de concilier ces impératifs contradictoires. Mais on peut craindre, au vu du puritanisme croissant de nos sociétés, une évolution répressive. Par exemple, un pays jusqu'alors très libéral comme l'Islande s'engagerait, en ce moment, dans la voie de l'interdiction de la pornographie au nom du traitement dégradant infligé aux femmes. Les Ligues de la vertu et de la dignité sont, chaque année, plus fortes.


De prime abord, c'est vrai que le porno, ça apparaît d'abord un peu sinistre. On y apprend ainsi (rapport annuel de Porn Hub) que les Anglais et les Américains recherchent des « lesbiennes », tandis que les Canadiens, les Allemands et les Argentins veulent voir des « ados ». Les Italiens veulent voir des « milfs » (pour « mothers I’d like to fuck », des femmes d’âge mûr) et les Russes de la sodomie (« anal »). Quant aux Français, ils se singularisent parce qu'ils veulent voir des « Beurettes ». Ça en dit plus que mille analyses politiques laborieuses sur les rapports des Français à l'Islam.


C'est tellement nul qu'on se dit qu'on pourrait très bien s'en passer. Je crois pourtant que ce serait regrettable et, personnellement, je défendrai toujours la libre diffusion de la pornographie pour au moins deux raisons :

- Les pays sans pornographie sont des pays sinistres. En Union Soviétique, par exemple, la population a été privée pendant près de 70 ans de tout imaginaire érotique et bien sûr de toute pornographie. C'est un aspect qui n'a jamais été ni mentionné ni étudié mais dont l'importance m'apparaît considérable. Il faut ainsi rappeler qu'il n'y avait pas de littérature érotique, pas d’œuvres d'art un peu sensuelles, aucune scène osée au cinéma, ne serait-ce qu'un baiser, pas de bandes dessinées et, d'une manière générale, très peu d'images, rien que des vêtements affreux et surtout pas de lingerie fine. Pour une jeune femme, les seuls modèles virils de son éducation sexuelle étaient la statue de Lénine sur la place du village et les fresques d'ouvriers stakhanovistes. Le summum du porno, c'étaient les magazines féminins occidentaux (Elle, Marie-Claire, Cosmopolitan) mais c'était introuvable et, si l'on était possesseur de l'un d'eux par un heureux concours de circonstances, c'était aussi précieux qu'un incunable. Je suis convaincue que cette privation générale a exercé des ravages psychologiques considérables et a rendu les gens complétement dingues: alcooliques, suicidaires, agressifs. Avoir accès au porno était devenu un rêve fou dans les années qui ont précédé la chute du mur. Aujourd'hui encore, la naïveté et la candeur de la population sont immenses à tel point que lorsque je me rends en Ukraine plein de filles viennent me solliciter pour avoir des conseils. Venant de France, elles me croient très experte.

- La pornographie enrichit, en fait, notre vie et élargit notre esprit. D'abord, je le souligne, indépendamment de la consultation de sites spécialisés, on a tous un vécu pornographique qui n'appartient qu'à nous-mêmes et sur le quel on entretient le plus grand secret. On est sans cesse parcourus, submergés, d'images qui nous attrapent à la gorge, de fantasmes érotiques qui expriment notre rapport au monde et traduisent la grammaire de notre désir. C'est notre vie parallèle, sombre et incommunicable.

Ce vécu pornographique, il n'a à peu près rien à voir avec la vraie vie, la vie concrète avec des gens réels, des amants en chair et en os. C'est à tel point que je dirais qu'on passe sans cesse d'un registre à l'autre, qu'on a tous finalement une double vie, une vie pornographique et une vie sexuelle normale, de concert ou dissociée.

J'ai ainsi des aventures amoureuses réelles, d'un soir ou de quelques jours, mais à côté, en même temps ou pas, j'ai un vécu mental pornographique et celui-ci est souvent plus excitant que faire banalement l'amour. Mon porno intérieur, il est constitué d'images, de mots, de visages, de morceaux de corps, de situations, de scénarios entiers qui me procurent une émotion folle lorsqu'il se mettent à tourner dans ma tête.


Enfant déjà, j'ai glané plein d'images fortes dans des livres d'Art: Artemisia Gentileschi, Gustave Moreau, Leonor Fini, ça me retournait bizarrement d'un trouble que je ne savais pas encore identifier. Et puis, à l'adolescence, il y a eu les bandes dessinées de Guido Crepax puis de Milo Manara. C'est avec elles que j'ai commencé à éprouver le miracle et la tempête de l'orgasme.



En même temps, je m'habillais de façon provocante et je piquais de jolis dessous dans les grands magasins. Et je ne parle pas de ma lecture précoce des auteurs érotiques du 18 ème siècle.

C'est à partir de là, de l'adolescence, que notre vécu pornographique, on le tient bien caché et il faut reconnaître qu'il n'a rien de glorieux ni de distingué.

Chez moi, la jouissance passe par des sentiments mêlés de honte et de triomphe.

- j'ai comme ça des fantasmes très forts d'humiliation, soumission: je rêve ainsi que des hommes vulgaires, parfois des grosses brutes ou des vieux ou des Blacks ou des Arabes, m'agressent et me violentent, me demandent de cesser de faire "ma mijaurée", m'en font voir de toutes les couleurs avant, finalement, de m'abandonner toute nue dans une rue. Ou alors des filles de banlieue me séquestrent, me forcent à vivre comme elles, à m'habiller comme elles, à sortir en boîte le week-end pour y effectuer un numéro de strip-tease et terminer par une partouze lesbienne. Ça doit être parce que j'ai un côté "princesse hautaine".

- ou bien, j'ai des rêves exhibitionnistes. J'aime me sentir matée, déshabillée aussi bien par des hommes que par des femmes, j'aime que l'on cherche à surprendre un éclair de ma peau, de mes seins, de mes dessous. Faire l'amour dans un train, un avion, un ascenseur, ça m'excite à proportion du risque d'être surpris.


Je me construis là-dessus plein d'histoires, la nuit, mais ça ne veut pas dire que je mets ça, un jour, à exécution. Je baise d'un côté, je rêve de l'autre mais ça n'a pas grand rapport. Simplement, tout se passe comme si les fantasmes recelaient une vérité plus forte que celle des relations tissées avec des personnes réelles.

Évidemment, ça pose plein de questions désagréables: ton porno, c'est vraiment du mainstream, c'est horrible, c'est sexiste, raciste, ça conforte tous les rapports de domination sociale. Comment tu peux rêver qu'on te traite comme une pute, que tu te fasses prendre contre ton gré ? Tu soutiens la culture du viol, c'est l'aliénation totale. Où sont tes convictions féministes ?

 

C'est sûr que je ne suis pas fière de mes fantasmes (plus stéréotypé, il n'y a pas), mais ça ne se contrôle pas.  Le porno féministe, j'aimerais bien mais rien à faire, ça ne me branche pas.

De toute manière, le porno, c'est la transgression. Alors un porno en accord avec nos convictions, ça ne peut pas du tout nous exciter. Donc mes fantasmes de soumission, ça ne veut pas forcément dire que je suis une bourgeoise docile.

Le porno, il me permet en réalité de comprendre comment je fonctionne, il trace mes "chemins de désirs", l'enchaînement des images qui va me faire chavirer. Ces chemins ne sont certes pas bien jolis mais il y a, malgré tout, du jeu dans nos fantasmes et pouvoir élaborer des récits autour de ces fantasmes permet de comprendre de quels rapports de pouvoir je suis constituée. C'est un regard critique et ça me permet alors, éventuellement, de les réécrire, de les décaler.


En ce sens, en permettant d'explorer différentes voies, le porno participe de la construction de soi. Ça permet de repenser son corps, sa signification, son expression; de s'ouvrir à des perceptions, des sensations; de se laisser absorber par certaines images mais aussi d'en fermer d'autres et d'essayer de réorganiser tout ça dans un nouveau schéma de vie.

Et puis, il faut maintenant compter avec l'explosion du porno en ligne, sur Internet et sur mon smartphone. Le porno s'intègre maintenant dans la routine quotidienne. Surtout, avec les tags, il n'est plus cantonné dans la répétition des mêmes schémas, il ouvre, au contraire, de nouveaux horizons sexuels, il sert à découvrir de nouvelles pratiques. Si je tape par exemple "femme soumise", je trouve tout de suite des déclinaisons infinies, de nouvelles constellations, des dimensions différentes.

J'aborde des îles mystérieuses, d'une perversité sans nom, qui dessinent une nouvelle carte du monde.


Photographies de l'artiste chinois REN HANG, né en 1987 et suicidé par défenestration en 2017. Une très belle exposition lui est actuellement consacrée à la Maison Européenne de la Photograhie, rue de Fourcy, 75004.

Ce post s'inscrit dans le prolongement direct du récent livre, percutant et dérangeant, de Claire Richard: "Les chemins de désir".

Autres livres dérangeants que j'aime bien, à lire ou à relire: Alain Roger: "Le misogyne", Elisabeth Barillé: "Corps de jeune fille" et "Exaucez-nous", Claire Legendre: "Viande" et puis bien sûr Georges Bataille: "Madame Edwarda", "Histoire de l'oeil", "Ma mère", "le Bleu du Ciel".

Je signale enfin le très bon livre de Colas DUFLO: "Philosophie des pornographes". Ça vient de paraître et c'est consacré à la littérature libertine du 18 ème siècle. 

samedi 16 mars 2019

Permis/Interdit - La zoophilie



Dans le registre de "l'horrible", de nos limites, je poursuis aujourd'hui avec la zoophilie. Tant pis si vous me considérez légèrement tapée ou obsédée. Je pense qu'on est, malgré tout, tous concernés.

La zoophilie, elle est peut-être, de toutes les "déviances", celle qui fait l'objet de la plus grande réprobation morale. Essayez donc de raconter, au cours d'une soirée entre copines, que vous aimez bien tripoter votre petit chien et qu'il dort dans le même lit que vous. Les sourires vont se figer et vous allez passer pour une grosse "dégueulasse".


Pourtant, on se montre, en l'occurrence, d'une hypocrisie totale.

D'abord parce qu'on a tous une relation complexe, jamais neutre voire trouble, avec les animaux. Ensuite, au regard du Droit, la zoophilie, dans presque tous les pays du monde, n'est pas considérée comme illégale. Sauf "sévices graves" vous n'encouriez même aucune peine, jusqu'à une époque très récente (2004 en France), si vous aviez des relations sexuelles avec votre chien, un âne, un porc. Vous étiez même libres de les vendre ou de les prostituer pour commerce sexuel, bref de créer un véritable bordel d'animaux.

Cet étonnant libéralisme était toutefois récent. Au Moyen-Age et sous l'Ancien Régime, si vous étiez  convaincu de zoophilie, la peine de mort sur un bûcher était le châtiment habituel. Mieux, l'animal lui-même était en même temps condamné, souvent à l'issue d'un "procès d'animaux". Aujourd'hui encore, toutes les religions monothéistes prohibent les relations sexuelles avec des animaux voire les punissent de prison ou de mort (Islam).

C'est la Révolution Française qui, on l'ignore généralement, a tout à coup mis fin à cette extrême sévérité à l'encontre d'un "crime contre nature". Le Code Pénal de 1791 a, en effet, aboli "les crimes de sodomie et de bestialité", c'est à dire a dépénalisé les comportements homosexuels et zoophiles. C'était d'une audace et d'un courage invraisemblables, l'affirmation la plus haute de la "liberté individuelle". C'était aussi en accord avec l'anthropocentrisme de la Philosophie des Lumières et la vision de l'animal machine de Descartes ou "bien meuble" du Code Napoléonien.


Bien sûr, on n'a aucune idée du nombre de personnes qui s'adonnent effectivement à la zoophilie. On va jusqu'à évoquer 3 % d'une population mais ça ferait tout de même près de 2 millions de Français ce qui semble peu crédible. Quoiqu'il en soit, cette grande liberté a perduré jusqu'au début du 21 ème siècle. A partir de là, les mentalités ont changé, évolué.

Sous la pression des mouvements antispécistes et de la Ligue pour la reconnaissance des "droits" de l'animal, on s'est mis à reconnaître les animaux comme des "êtres sensibles". Désormais, le Code Pénal explique que "le fait d'exercer, publiquement ou non, des sévices graves "ou de nature sexuelle" ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende". C'est un tournant important. Cela signifie désormais que,  si la zoophilie n'est pas condamnée en tant que telle, avoir des relations sexuelles avec des animaux ne peut plus s'exercer en toute liberté. Cela suppose que l'animal ne puisse être considéré comme violenté ce qui apparaît, bien entendu, impossible à établir. Au total, aujourd'hui, je peux caresser voluptueusement,en toute impunité, mon toutou mais le pénétrer ou le masturber m'expose à deux ans de cabane.

Tous les pays européens et américains ont désormais récemment adopté des législations comparables concernant la zoophilie. A ce jour, la Finlande, la Roumanie et la Hongrie demeureraient les derniers pays d'Europe où la zoophilie demeurerait légale sans restriction.

On peut évidemment penser qu'il s'agit là d'un progrès. Sauf qu'il faut bien voir, également, que le Droit établit ici une nouvelle frontière entre l'homme et l'animal en rendant celle-ci plus poreuse. L'animal devient presque mon frère, ma sœur en humanité. On fait sauter l'un des verrous assurant la prééminence de l'homme.

Du reste, la situation devient entièrement paradoxale. On combat la violence zoophile pour lui substituer, en quelque sorte, une zoophilie douce, compatissante, généralisée. On survalorise désormais les animaux, on les humanise, on leur reconnaît toutes les qualités, toutes les vertus d'intelligence et de tempérance.


J'en veux pour preuve l'extraordinaire croissance du nombre d'animaux domestiques et de compagnie.

La proportion de foyers possédant un animal domestique serait ainsi voisine de :
-  68 % aux États-Unis,
- 58 % aux Pays-Bas et au Danemark,
- 52 % en France,
- 50 % en Belgique, Irlande, Grande-Bretagne, Italie,
- 35 % en Allemagne,
- 28 % en Allemagne,

Ça aboutit à des chiffres énormes: 8 millions de chiens, 11 millions de chats en France par exemple.

Qu'est-ce que ça veut dire ? L'explication courante est qu'il s'agit d'un symptôme de la solitude dans les sociétés occidentales. L'animal domestique devient un quasi-membre de la famille. Tous les matins, en traversant de bonne heure le Parc Monceau, je croise ainsi une multitude de femmes qui viennent  faire prendre l'air à leur toutou. C'est évident, celui-ci est un substitut du mari ou de l'enfant même si  elles m'insulteraient si je leur disais ça.

L'animal-enfant ou l'animal-mari, c'est la nouvelle vision sociétale mais ça m'apparaît extraordinairement aliénant. Considérer l'animal comme un quasi-humain, c'est devenir un peu soi-même un quasi-animal, c'est faire la bête en se montrant bêta.


Que cela est triste et déprimant ! Vouloir à tout prix humaniser l'animal, c'est nier l'altérité radicale dont il est porteur. C'est refuser son étrangeté, sa part d'ombre, tout ce qu'il pourrait nous apprendre. Mais c'est aussi accroître sa propre solitude en reproduisant le modèle familial.

Personnellement, j'aime bien les animaux mais je me sentirais bien incapable d'assumer la responsabilité de la prise en charge de l'un d'eux. Je vivrais ça comme une privation de liberté, une normalisation, banalisation, complète de ma vie.


J'apprécie tout de même particulièrement certaines bêtes: les lapins et les vaches d'abord, des animaux d'une innocence totale, incapables de faire le moindre mal à qui que ce soit (a-t-on jamais entendu parler de tueurs chez des vaches et des lapins ?) mais que l'on extermine par millions en toute bonne conscience.

J'aime bien aussi les rats et les souris parce qu'ils sont des animaux-parias d'une intelligence étonnante. Mon petit jardin parisien est ainsi fréquenté, c'est inévitable dans une ville, par des souris et des mulots mais ça ne me gêne nullement, je veille simplement à ce qu'ils ne rentrent pas dans mon appartement par la terrasse.

Et puis, je prends plaisir à nourrir des couples d'oiseaux, des mésanges et des merles. C'est moins facile qu'on ne l'imagine parce qu'il faut arriver à sélectionner quelques habitués pour éviter d'être envahi.

Les animaux, je ne les considère pas comme nos semblables (des quasi-humains) et j'aime plutôt les considérer du côté de leur étrangeté. Toujours, lorsque j'échange un regard avec un chat, un chien, je me pose cette question: comment me perçoit-il, moi (amicale, hostile, effrayante, belle) ? Ça n'a certainement rien à voir avec nos propres grilles d'appréhension.

En fait, je crois qu'on éprouve tous pour les animaux des sentiments ambigus faits, à la fois, de fascination et de répulsion.

Fascination parce que l'animalité a tout de même été la condition première dont on a du s'arracher. Et peut-être que dans notre rapport à l'animal aujourd'hui, on continue d'éprouver une espèce de nostalgie pour leur brutalité instinctuelle supposée plus libre que la sexualité humaine entravée par les interdits. On se prend à rêver d'une sexualité brute, de relations inconditionnelles sans les médiations compliquées du langage et des fantasmes. On ne se rend pas compte que les instincts animaux, ça n'est que la répétition infinie d'un même schéma comportemental et que ça n'aura jamais la richesse et la polymorphie des pulsions humaines.


Répulsion parce qu'il y a tout de même bien une césure profonde entre l'homme et l'animal. Il est important de rappeler cela aujourd'hui à l'heure où l'on cherche de plus en plus à effacer cette frontière. Vous ne parviendrez à me convaincre du contraire que lorsque vous m'aurez présenté un animal poète ou artiste. L'animal, c'est, incontestablement, la nuit de la conscience, la vie réduite à l'immédiateté. A nos cauchemars sont souvent associées des figures d'animaux : reptiles, rongeurs, grands carnivores qui nous dévorent.La terreur de la nuit animale !

Toutes les cultures se sont construites sur ce rapport ambigu à l'animal. Il y a même parfois un véritable retour de "refoulé". Le tableau que j'ai posté en exergue est ainsi célébrissime en Pologne ("Szal" de Podkowinski), il est presque un symbole national. De même, au Japon, tout le monde connaît et apprécie l'estampe d'Hokusai, "le rêve de la femme du pêcheur". Pourtant, ces deux œuvres sont pour le moins incorrectes, troublantes, et nous remuent aux tréfonds.


Plus trivialement, c'est la grande mode, aujourd'hui, pour une jeune fille russe ou ukrainienne de se faire photographier étreignant, dans ses bras, un animal sauvage, ours, loup, cerf. Quand je fais remarquer que ça fait "sexualité infantile", je me fais presque assassiner.

La sexualité animale, personnellement, elle ne me fait pas du tout rêver.

Mais je reconnais que, quand on est petite fille, on s'intéresse beaucoup aux animaux parce qu'ils sont une  occasion essentielle de s'initier à la sexualité. C'est tout de même l'une des premières sources d'information.

Et puis, les petites filles comprennent bien l'histoire du Petit Chaperon Rouge et elle nous terrorise toutes.

Plus tard, je m'étais prise de passion pour la nouvelle de Prosper Mérimée, "Lokis", qui se situe en Lituanie. C'est l'histoire d'une comtesse balte qui se fait violenter par un ours.


Du côté des hommes, je pense que c'est évidemment différent. Mais j'ai l'impression que leur rapport à l'animalité permet de comprendre certains de leurs comportements. On sait bien en effet que les hommes sont partagés entre deux types de femmes. D'un côté, les femmes classe et distinguées. De l'autre, les femmes moins favorisées, plus "nature" voire moches.

Souvent, contre toute attente, ce sont ces dernières qui tirent leur épingle du jeu et ce sont les trop belles qui sont délaissées.

Peut-être parce que les filles moches savent faire appel à des désirs plus brutaux, plus "animaux". C'est moins compliqué qu'avec une fille distinguée. C'est plus excitant: on peut dominer, donner quelque chose.

Tandis qu'à une fille belle, on ne peut rien donner, on est forcément dominé, vous pouvez juste prendre.

C'est tellement déroutant, angoissant, qu'on comprend que l'on rêve parfois d'une sexualité où on ne se prend pas la tête, d'une "sexualité animale".

Tableaux de Wladislaw PODKOWINSKI (1866-1895), MICHEL-ANGE ("Leda et le cygne": 1530), HOKUSAI ("Le rêve de la femme du pêcheur" 1804), Emil DOEPLER (1855-1922).

Images et affiches de "la Bête", "Metzengerstein (avec Jane Fonda), "Possession", "Lokis". Photographie d'Olga Barantseva.

Curieusement, alors que le genre littéraire est assez restreint (je conseille néanmoins vivement la nouvelle "Lokis" de Mérimée), les films évoquant la thématique de la zoophilie sont légion. Je conseille en particulier:

- "Porcherie" de Pier Paolo Pasolini (1969). Un Pasolini oublié mais très dérangeant
- "La bête" de Walerian Borowczyk (1975). Une esthétique splendide.
- "Metzengerstein" de Roger Vadim (1968)
- "Possession" d'Andrzej Zulawski (1981) avec Isabelle Adjani
- "Max mon amour" de Nagisa Hoshima (1986)

On peut trouver facilement tous ces films sur Internet.

Je recommande enfin un film très récent et sans aucun rapport:  "Marie Stuart, Reine d’Écosse" réalisé par Josie Rourke. C'est splendide et tout à fait d'actualité.