L'une des choses les plus extraordinaires qui me soient arrivées dans ma vie, c'est d'avoir vécu aux côtés de Zoroastriens. Mais à l'époque, ça ne m'étonnait pas, je considérais ça comme normal.
Le zoroastrisme, c'est évidemment la religion de la Perse pré-islamique avec un Dieu, Ahura Mazda, et un prophète Zarathoustra. L'un des premiers monothéismes qui est aussi un manichéisme: le moteur de l'existence, c'est la lutte entre le Bien et le Mal, entre la lumière et les ténèbres.
Nous vivions en effet dans une maison persane classique, un rez-de-chaussée donnant sur un magnifique jardin, tandis que nos propriétaires zoroastriens habitaient le 1er étage. Nous partagions donc largement leur vie quotidienne.
D'emblée, tout me plaisait chez les Zoroastriens: leur distinction, leur raffinement, leur extrême gentillesse.
Et puis leur amour de la Nature: d'abord les fleurs et les jardins (dont ils sont les inventeurs méconnus et qui préfigurent le Paradis) et aussi les animaux (les chiens notamment (celui de Zarathoustra en particulier), ce qui est l'exact contraire de la religion musulmane, mais aussi les chevaux et certains animaux fantastiques, tels ceux de Persépolis),
Leur refus de toute violence et des sacrifices en particulier avec l'affirmation du caractère sacré de la vie,
La stricte égalité prônée entre les hommes et les femmes,
La priorité accordée au savoir et à l'éducation.
Et puis leurs fêtes et leurs rites magiques, merveilleux, dont beaucoup subsistent aujourd'hui encore en Iran: la fête du Feu, la Fête de Norouz (le nouvel an célébré à l'équinoxe du printemps), le culte de la flamme sacrée, les temples du Feu, les Tours du Silence...
Une religion qui a aussi inventé les Mages, l'astrologie, les anges, le Paradis, l'Enfer (à titre provisoire), la vie éternelle. Ça fait beaucoup rêver surtout quand on est très jeune.
Je ne vais pas m'étendre là-dessus parce que j'ai déjà rédigé un post sur le Zoroastrisme ( 24 mars 2012) au quel vous pouvez vous reporter, si vous en avez le courage : je n'ai rien à y ajouter. Mais c'est vrai que tout ça m'impressionnait, me fascinait beaucoup !
C'est ainsi que je voulais devenir Zoroastrienne même si une conversion était quasi impossible (il faut normalement, obligatoirement, un père zoroastrien). C'était bien sûr en partie pour embêter mes parents mais c'était aussi et surtout parce que ça m'apparaissait une religion extrêmement moderne.
Et puis j'étais fascinée par leur culte du Feu et leur rapport horrifié à la mort et à la pourriture corporelle: les cadavres zoroastriens étaient, jusqu'à une époque récente, exposés au sommet de Tours du Silence (photos 14, 15, 16, 17) pour qu'ils soient dévorés par les vautours. J'étais obsédée par mon apparence physique et la peur de la mort et de la déchéance, ça me travaillait donc beaucoup; mais ça me rassurait de savoir que de grands oiseaux viendraient s'occuper de mon corps plutôt que de disparaître enfouie sous la terre ou incinérée.
Je n'arrêtais donc pas de ressasser les préceptes du Zoroastrisme : "Bien penser, Bien parler, Bien agir". Je devais être particulièrement insupportable à me vouloir toujours parfaite et à faire sans cesse la morale aux autres.
Et puis, cette grande ferveur religieuse m'a tout à coup abandonnée. Ça s'est fait avec les premiers émois de l'adolescence et la découverte que j'étais envahie de mauvaises pensées, de pensées "impures", que je rêvais de choses pas très nettes, que j'aspirais à faire plein de trucs interdits, bref que je n'avais pas du tout envie de devenir une "Parfaite".
J'avais plutôt envie de boire, de fumer, de séduire des mecs, de faire la fête. Du coup, le Zoroastrime m'est apparu une véritable imposture.
C'est en effet une religion obsédée par la pureté matérielle et spirituelle :
- celle des éléments d'abord, l'eau, le feu, la terre, l'air qui ne doivent à aucun prix être souillés,
- celle de l'âme (encore une invention zoroastrienne) ensuite dans un combat incessant du Bien contre le Mal pour devenir des "Purs", des "Parfaits".
La pureté, c'est très bien. Ça a un côté romantique, une quête d'absolu; ça a notamment guidé les Bogomiles en Bulgarie et en Bosnie et les Cathares en France. C'est inspirant quand on est très jeune mais, transposé dans une organisation sociale ou religieuse, ça devient vite la matrice de la Terreur, la terreur du Bien et du Bon.
La contrainte de prendre parti, le militantisme spirituel, ça donne en effet vite lieu à des dérives incontrôlables au nom du Bien. Le Djihadisme actuel, le Salafisme ne sont peut-être ainsi que des variantes ou des caricatures de l'engagement spirituel de l'ancien Iran.
Me consacrer au Bien, ça ne me disait donc tout à coup plus rien et ça me faisait même peur. Le péché me semblait infiniment plus intéressant.
Mais je continue, malgré tout, à porter cette religion dans mon cœur. Lorsque je reviens ainsi en Iran, je ne manque pas de rendre visite à quelques hauts lieux du Zoroastrisme et à d'anciens amis. J'y retrouve une émotion, des souvenirs affectifs et une magie, une esthétique.
Et puis, je trouve incompréhensible que cette religion soit aujourd'hui à ce point ignorée, méconnue.
Elle a pourtant été l'un des tous premiers monothéismes, elle a influencé tous les autres, elle a été pratiquée sur un territoire immense (de l'actuel Ouzbékistan au Golfe Persique en passant par l'Azerbaïdjan, le Turkménistan,l'Afghanistan), elle a été religion dominante puis officielle pendant plus de 1 000 ans (des Achéménides aux Sassanides, jusqu'à la conquête musulmane en 651). De tout cela, dans la mémoire collective du monde, il ne reste aujourd'hui à peu près rien, sauf quelques éléments folkloriques.
On se passionne aujourd'hui pour l’Égypte antique mais tout le monde se fiche éperdument des Sassanides. Je ne sais même pas si ça évoque quelque chose en France alors que c'est l'une des dynasties les plus brillantes d'Orient qui a tout de même régné pendant près de cinq siècles. Je trouve ça injuste. Si j'en avais le temps et les compétences, je consacrerais bien ma vie, à côté de mon élevage de perruches expertes en divination, à la promotion des Achéménides et Sassanides.
Cette année, je n'ai donc pas manqué une visite au Temple du Feu de
Téhéran (peu connu et d'accès restreint) et puis évidemment Persépolis
(honteusement détruit par Alexandre en - 331 av JC alors que ce n'était
pas une forteresse mais une ville-exposition), Pasargades,
Naqsh-e-Rostam, et la ville de Yezd avec son quartier Zoroastrien et ses
impressionnantes tours du silence.
Et puis, je n'ai pas manqué une halte auprès du cyprès d'Abarkouh . Il aurait été planté par Zarathoustra lui-même. Le cyprès est l'arbre-symbole du Zoroastrisme, un arbre de vie. Celui d'Abarkouh serait le 2 ème plus vieil arbre vivant et aurait près de 4 500 ans (cf. ma photo n°12).
Et aussi le petit village d'Abianeh qui m'émerveillait autrefois et qui ressuscitait, disait-on, l'atmosphère d'un village sassanide. Il n'a malheureusement plus rien d'authentique aujourd'hui.
Je me suis enfin bien renseignée auprès du Temple du Feu de Téhéran. Il est bien possible maintenant de se convertir au Zoroastrisme (sauf si on est Iranien musulman auquel cas on risque la mort pour crime d'apostasie). Ça commence même à attirer quelques Occidentaux. La difficulté, c'est tout de même d'être introduit dans le milieu zoroastrien et puis je perçois personnellement mal la portée de cet engagement si on n'a pas un lien profond avec l'Iran ou l'Inde.
Ces conversions étrangères permettront peut-être, néanmoins, d'éviter la
disparition complète d'une communauté très réduite dans le monde : on
parle de seulement 30 à 45 000 Zoroastriens en Iran mais j'ai quand même
l'impression qu'ils sont beaucoup plus nombreux. Et puis il faut
ajouter tous les Parsis hindous (200/300 000).
Il faut enfin rappeler que le Zoroastrien le plus célèbre est Freddy Mercury. J'ai remarqué qu'il est devenu un chanteur-culte parmi les jeunes en Iran. La bande-son du film "Bohemian Rhapsody" s'y arrache. Qu'un chanteur bisexuel, mort du Sida, drogué, alcoolique, extravagant, soit devenu une icône en République Islamique, ça en dit très long sur l'évolution sociale, et peut-être bientôt politique, du pays.
La dernière image est celle du temple du feu de Téhéran.
La photo n°9 est la tombe de Cyrus le Grand à Pasargades. La 15 ème photo est celle de l'emplacement où l'on déposait les cadavres des Zoroastriens au sommet d'une tour du silence. Ces tours figurent sur les photos 14, 16 et 17.
Les photos 23, 24 et 25 ont été réalisées dans le Temple du Feu de Yezd. On remarque la décoration d'une table zoroastrienne; Cette tradition s'est perpétuée dans l'Iran actuel.
Si vous cherchez à découvrir un peu le Zoroastrisme, je vous signale que l'on peut trouver l'Avesta (le livre sacré du Mazdéisme) sur Internet. Je vous conseille vivement d'y jeter un œil: c'est totalement dépaysant.
Vous pouvez aller aussi au Louvre où sont exposées les fouilles de Suse (époque achéménide).
Sinon, il n'y a vraiment pas grand chose: quelques sites Internet et un petit livre de Jean Varenne: "Zarathushtra et la tradition mazdéenne".
Je signale toutefois une bande dessinée intéressante: "Ainsi se tut Zarathoustra" de Nicolas WILD, un jeune auteur qui a déjà consacré des ouvrages à l'Afghanistan ("Kaboul Disco" et "Kaboul Requiem").
Il y a enfin le célèbre livre de Nietzsche: "Ainsi parlait (ou parla) Zarathoustra". Ça n'a qu'un petit peu à voir avec le zoroastrisme mais il y a tout de même beaucoup de points de rencontre et de choses troublantes: les animaux, le soleil, la question morale, etc... Qu'est-ce qui a conduit Nietzsche à s'intéresser un jour à l'Orient et qu'en a-t-il retenu ? J'ai noté que Carl Andreas Friedrich, l'époux de Lou Andreas Salomé ( la femme dont Nietzsche était devenu fou amoureux), était le grand spécialiste allemand de l'Iran. Qu'en conclure ?