samedi 27 juin 2020

Le temps perdu



J'ai l'impression que coexistent sans cesse en nous deux formes du temps.

D'abord, une forme abstraite, celle du temps que l'on mesure, qui rythme notre vie sociale, assujettit notre vie aux exigences d'un monde laborieux et contraint. C'est le temps linéaire, dont l'écoulement est définitif, sans possibilité de retour en arrière. Le temps du "tout s'en va" et du "nevermore",  dont on est plus ou moins les prisonniers ou les esclaves. C'est ce temps dont la force implacable rythme l'angoisse humaine.


J'avoue être très sensible à ce temps abstrait au point qu'il imprime la "cadence" de ma vie. Je suis très organisée, j'ai toujours un "emploi du temps" dans la tête. Pas question de faire la "grasse matinée", d'être en retard, de laisser s'éterniser une rencontre ou des réunions, de ne rien fiche de toute une journée. Je consulte sans cesse l'heure et d'ailleurs j'aime beaucoup les montres et j'en ai un grand nombre dont plusieurs avec des affichages singuliers (une mono aiguille et une "régulateur" même si c'est déroutant à lire).


Les mesures, les chiffrages, du temps, de l'espace, ces tentatives de discipliner ce qui fait le cadre de notre expérience, ce sont des questions qui m'intéressent beaucoup. Ça a été une grande préoccupation de la Révolution Française et c'est vrai que l'ordre social dépend beaucoup, sans qu'on s'en rende forcément compte, de ces mesures.


De même, je crois que je me suis prise de passion pour la course à pied, parce que c'est un sport où on lutte contre le temps. Courir, c'est courir contre le temps et on se chronomètre donc sans cesse : quel temps on fait sur 1 500 mètres, 5 000 mètres, 10 000 mètres, marathon ? On a plein de chiffres dans la tête et on s'évalue et s'estime sur ces bases là. Il s'agit toujours de "battre son temps".


En bref et au total, je crois que le temps, sous sa forme abstraite et irréversible, ça m'angoisse vraiment. Ce qui est irrémédiablement perdu, sur lequel on ne pourra jamais revenir, quelle horreur !


Mais je crois aussi que l'on peut faire d'autres expériences du temps. Celles qui sont vouées à une sensibilité pure, aux quelles on prête de moins en moins d'attention dans la société industrieuse. Ce sont des moments fugitifs, voués à l'effacement, purement subjectifs. Ce sont des chances d'aventure émotive, intellectuelle. Ces "instants" coexistent avec les grands événements de l'Histoire (les élections présidentielles, les guerres, les attentats, la crise économique) mais ils ne sont peut-être pas moins importants pour nous.


On peut les éprouver dans un moment de "vacance de l'esprit", à la terrasse d'un café, par exemple, en observant le flot des passants d'où émerge, tout à coup une silhouette, la découpe d'un visage. C'est aussi la conversation qu'on entame parfois avec un commerçant ou un chauffeur de taxi ou bien les regards que l'on échange dans un métro. Ou encore, la chanson, la mélodie perçue dans une rue ou bien un poème griffonné sur un mur. Ça peut aussi être simplement une couleur, un reflet, un goût, un parfum, un ciel délavé, le moiré d'une étoffe, le pétale d'une fleur. De multiples petites sensations qui provoquent, tout à coup, une commotion de notre être. Des passants, des rencontres, des images, des incidents ....


Il y a, à cet égard, un film exemplaire. Il s'agit de "Paterson" (2016) de Jim Jarmusch. Son héros est un conducteur de bus dans une sinistre ville américaine, comme il y en a tant, dans le New Jersey. Sa vie dans la ville de Paterson est apparemment "nulle de chez Nul": d'une régularité complète, partagée entre son boulot d'employé municipal et son pavillon de banlieue.  Et pourtant, elle est illuminée de moments de grâce, de fulgurances émotionnelles. Ce qui la transfigure : d'une part, son épouse (Golshifteh Farahani), fantasque et aérienne, d'autre part, la poésie, grâce à tous les petits textes qu'il rédige et dont il parsème son quotidien. C'est ce qui le sauve de sa grisaille ordinaire et porte sa vie à un niveau d'intensité sans égal. "Paterson" démontre ainsi qu'on peut avoir une vie nulle et magnifique tout à la fois.


Tous ces petits moments privilégiés, et souvent fulgurants, Marcel Proust les a bien sûr décrits (à l'infini...est-on tentés de dire). C'est la madeleine mais c'est aussi une multitude de sensations qui, tout à coup, font signe (la petite phrase de Vinteuil, les clochers de Martinville). On les déprécie généralement et on les efface vite mais ils tissent notre véritable quotidien, ils participent de sa tonalité et lui procurent son relief et son acuité. Il y a en eux quelque chose de véritablement déchirant, quelque chose qui "force à penser".


Au regard du temps administré, du temps social, il ne s'agit, bien sûr, que de temps vraiment perdu : pas seulement de temps passé, de temps révolu, mais de temps perdu à ne tout simplement rien faire. Est-il pour autant moins précieux ? Est-ce qu'il ne faut pas justement apprendre à perdre son temps ou du moins à savoir le perdre. Apprendre à trouver une certaine qualité de vibration, savoir s'adonner à une forme d'insouciance, ça peut également être très instructif, apprendre beaucoup de choses, pas seulement sur ce qui nous entoure immédiatement mais sur la vie elle-même : ses métamorphoses, sa plastique, son esthétique.


On n'est pas seulement réductibles à des données sociologiques et abstraites. Chacun porte en soi une "crypte intérieure" au sein de la quelle s'agitent images et émotions.  Toutes ces images qui s'offrent à notre attention distraite, elles nous font signe. Il nous appartient ou bien de les délaisser (attitude la plus commune), ou bien, au contraire, de nous y abandonner et, éventuellement, de les analyser, les interpréter.


Tous ces signes font en effet souvent ressurgir des fragments, des lambeaux inconscients, de notre passé. L'illumination de leur reconnaissance conduit alors à ressouder, dans une synthèse magnifique, le passé et l'instant présent  C'est le "temps retrouvé", le temps réconcilié entre hier et aujourd'hui, celui qui a perdu son caractère irréversible et perpétuellement antinomique. Ce temps retrouvé qui impulse une nouvelle force en nous, pourvu que nous sachions l'accueillir, nous y abandonner. Le plaisir de l'innocence, celle du temps réconcilié.
Images du photographe d'origine russe Gueorgui PINKHASSOV (1952).

Je renvoie par ailleurs à l'excellent dernier livre de Chantal Thomas : "Café vivre" qui a inspiré certains éléments de ce post.

samedi 20 juin 2020

"Loin de moi"



De la période de confinement, j'ai l'impression de n'avoir rien retiré de positif.

Rien qu'un sentiment de glaciation et l'empreinte d'un effroi : celle que l'on éprouve face au triomphe du totalitarisme, de la pensée et des conduites. Celui de tous les puritains qui en appellent à la pénitence et considèrent que face à Mère-Nature, le problème, le virus, c'est l'homme. Peu de gens s'avisent qu'on a déjà entendu ça, certes sous une forme plus ciblée, au cours de décennies pas si lointaines du 20 ème siècle.


Certes, il y a eu plein de beaux esprits pour considérer que cette pause était une opportunité pour faire le point sur soi-même, pour méditer, pour découvrir son moi profond et authentique, pour trouver son épanouissement personnel.


Foutaises !  On n'en peut plus de toutes ces introspections narcissiques qui inondent la littérature et les échanges intimes; on n'en peut plus de toute cette sentimentalité dégoulinante et obscène. Il faut bien le dire : cette intention affichée de mieux se connaître n'est que l'expression déguisée du désir d'être vu et du narcissisme.


Et puis qu'est-ce que ça veut dire cette confrontation de soi avec soi-même, cette vision masturbatoire, solipsiste, de la vie ? J'ai aimé les récents propos de Bernard-Henri Lévy qui a d'abord rappelé le propos sans fard de Pascal : "Le Moi est haïssable". Et il a enfoncé le clou avec pertinence en soulignant que l'Enfer, ce n'était pas les autres mais le Moi. Cet enfermement dans sa petite cage égocentrique dont on fait tant la promotion aujourd'hui avec les thérapies du bonheur et de l'harmonie, du "feel good".


Ce goût pour l'introspection, c'est devenu une manie occidentale. C'est en fait un "passe-temps" de pays libre et pacifié. Ça contraste fortement avec les temps de guerre durant lesquels les "pathologies mentales" trouvaient, paraît-il, une résolution spontanée. Ou bien, dans les camps, où les suicides étaient rarissimes. Ou alors, dans les pays-dictatures, comme on me l'a raconté à propos des "temps soviétiques". L'intérêt pour la psychologie, la psychanalyse, l'exploration du moi, y était alors très peu développé. Comme si la pression politique favorisait une certaine robustesse mentale. Comme si le monopole de la peur et de la terreur par l’État faisait que d'autres domaines lui échappaient. Comme si les "hommes nouveaux" soviétiques étaient confrontés à "trop de réel", à leur simple survie matérielle, pour avoir le loisir annexe d'être troublé par ses propres fantasmes.

Mais aujourd'hui, partout dans le monde, on psychologise à outrance. Et on ne craint pas d'employer les catégories et les classifications les plus grossières et les plus caricaturales, d'assommer les autres sous un diagnostic péremptoire. C'est d'ailleurs efficace parce qu'un "patient", un interlocuteur, est suffisamment troublé pour admettre généralement le diagnostic énoncé et s'y conformer.  

L'illusion la plus pernicieuse, c'est en fait de croire que, sous le vernis social, on aurait une identité personnelle, unique, authentique et intangible. Que chacun de nous serait quelqu'un de formidable, incomparable, ou bien, au contraire, une crapule irrécupérable.


La réalité est plus prosaïque, moins valorisante. Il n'y a pas grand chose d'authentique et d'original en nous. De personnalité véritable, on n'en a guère. En réalité, on n'est faits, comme le précisait Montaigne, que de pièces rapportées et on passe plutôt son temps à copier.  Même nos désirs les plus forts, ils n'ont rien de spontané et d'inexplicable. On a toujours besoin, en réalité, d'un "médiateur" parce qu'on ne désire, en fait, que ce que nous désigne "un autre" prestigieux. On ne désire donc que ce que désire un "intermédiaire", un autre, et il n'y a aucune autonomie personnelle là-dedans.


On dit souvent ainsi : "Qui se ressemble s'assemble". C'est sans doute complétement faux en réalité. L'intimité amoureuse, affective, ne se fonde pas sur les affinités éprouvées. L'un des deux partenaires est subjugué par l'autre qui se fait alors un plaisir de le manipuler. Une relation de domination, éventuellement réversible, telle est la vérité de l'amour. Donc : qui se ressemble ne s'assemble pas


C'est pareil pour notre soi-disant identité. Rien d'authentique non plus, on est tous complétement aliénés. Notre "moi" se construit "par étayage" avec l'appui d'un tuteur parental ou assimilé. On lui emprunte des images, des émotions, des attitudes, suivant une mécanique et une machinerie souvent compliquées. On n'est qu'un agrégat aléatoire de qualités et d'états auxquels on s'est raccrochés. On est donc toujours tributaires d'un autre, on vit toujours en état de dépendance. Au total, notre personnalité n'est qu'une création des autres, c'est le propre de la condition humaine.


En fait, on n'a aucune identité autonome, on n'a qu'une identité d'emprunt. C'est pour ça que l'introspection, la recherche d'une connaissance de soi-même, ça m'apparaît une démarche vaine et sans intérêt. On peut même dire que les questions traditionnelles, "Qui suis-je ?" ou "Qu'est-ce que je fais là ?" "Où vais-je ?", soit la tarte à la crème d'une philosophie pour débutants, constituent de puissants freins dans l'accomplissement d'une vie. Elles sont en effet inhibantes et empêchent la personnalité d'évoluer. Parce qu'heureusement, même si on est aliénés, on change, on bouge, tout au long de notre vie. On n'est pas des idiots une fois pour toutes. Plutôt que de se contempler narcissiquement, il vaut peut-être mieux s'adonner à une relative insouciance, inconscience. A trop s'examiner, on n'avance en rien dans la connaissance de soi-même. Finalement, moins on se connaît, mieux on se porte.

Images de W. Heath Robinson (1872-1944); Leon Wyczolkowski (1852-1936); John Galliano; Josef Czapski (1896-1993); Sada Yacco (1871-1946); Yoshistoshi (1839-1892); Arnold Genthe ((1869-1942).

Le titre de ce post est emprunté à un petit livre de Clément Rosset dont je conseille vivement la lecture. Quant à certains de mes développements, dont on excusera je l'espère la cuistrerie, ils ne sont pas non plus originaux et sont largement inspirés de René Girard et de la pensée psychanalytique (Jacques Lacan bien sûr). 

samedi 13 juin 2020

Jalousie

 

Ce qui empoisonne le plus ma vie, personnelle, intime, sociale, c'est la jalousie.

La jalousie dont on dit qu'elle est la passion la mieux partagée. Qui n'a connu la jalousie s'il a un jour aimé ? On n'aime pas si on n'est pas jaloux, dit-on.


Mais est-elle d'ailleurs une passion ou l'ombre sinistre qui s'attache à toute passion ?

Ce qui est sûr, c'est que c'est une passion triste. Le jaloux cherche à contrôler l'autre, à se sentir en complète communion avec lui, mais dès qu'il sent qu'il lui échappe, c'en est fini de la paix et du partage.


La jalousie, ça devient la guerre et la guerre, ça peut aller jusqu'au meurtre de l'autre : l'aimé (e), le (la) rival (e).

C'est ça qui me terrifie, m'épuise, dans la jalousie. Souvent, je rêve d'un monde dans le quel la jalousie serait absente. Je me souviens de mes dernières vacances l'an dernier en Ukraine. Je m'y suis sentie légère. D'abord vis-à-vis des hommes, parce que là-bas, je passe tout de même beaucoup plus inaperçue. Ensuite, socialement, économiquement, parce qu'on a du mal à me situer. On suppose qu'à l'Ouest, je m'en sors mais c'est tout.


En France, ça n'est pas pareil. Je sens que les types sont gênés par ma retenue, mon ambiguïté. Je ne suis pas du genre à me livrer. Et puis mon pluriculturalisme est un problème : c'est sans doute plus difficile de me décrypter (qu'est-ce qui relève de ma dinguerie propre et de mon origine nationale ?) ; alors on fait semblant de s'y intéresser ou alors, plus généralement, c'est occulté complétement. Quant à ma situation professionnelle, mes revenus, j'ai l'impression que c'est toujours jugé illégitime, c'est attribué à la chance dans le meilleur des cas, à l'imposture le plus souvent.


La grande force des jaloux, c'est en effet qu'ils parviennent souvent à instiller le doute en vous-même. Petit à petit, vous vous interrogez, vous commencez à leur donner raison et à vous sentir coupable. C'est vrai que je m'habille de manière trop voyante, presque aguicheuse. Et puis, mon petit air de supériorité, mon arrogance d'autant plus insupportable qu'elle est soigneusement dissimulée. Pas étonnant que je me prenne régulièrement un boomerang dans la figure. Je vis ça régulièrement avec mes amants, au boulot et même sur mon blog où je reçois régulièrement des messages anonymes d'insultes (que je me refuse à publier).


Je me dis ainsi parfois que j'ai tout pour susciter la jalousie : pas trop moche, pas trop bête, pas trop fauchée. Rien pour susciter la compassion, pour éveiller un sentiment protecteur à mon égard, pour trouver prétexte à me placer sous tutelle, en dépendance.


Mais pourquoi me plaindre ? On est généralement avenant, attentionné et souvent séducteur, avec moi. Mais j'ai aussi le sentiment d'une insincérité, d'une espèce de servilité qui recouvre, en réalité, une espèce de haine sourde, inexprimée, dissimulée. Je pense alors qu'il doit bien y avoir une raison objective, que j'en suis largement responsable. Peut-être que si je me faisais passer pour une fille un peu paumée, je susciterais davantage de sympathie.


C'est peut-être vrai, c'est probablement la conduite à adopter, mais c'est tout de même se plier à la tyrannie de l'autre qui, lui, ne se remet surtout pas en question, qui est persuadé d'avoir raison et qui refuse absolument votre volonté d'autonomie.  Ce qui semble en fait évident, c'est que la jalousie est sans fin, elle ne s'éteint jamais. On peut même dire que le jaloux préfère à tout, au calme, à l'amour confiant, la persécution mortelle qu'il inflige, à lui-même et à l'autre, l'aimé (e) soupçonné(e). Le jaloux aime la guerre et ne recherche surtout pas la concorde et la paix. Le jaloux étend le règne de l'Enfer et de la mort dans l'amour, c'est ce qui le fait vivre.


La revendication de vérité du jaloux n'est qu'un masque. Tout se joue pour lui dans le rêve et le fantasme, il revit la faille identitaire, l'incertitude sur soi-même éprouvée dans son passé avec cette question : quelle est ma place dans l'existence, ma place d'abord vis à vis de ma mère puis de mon père et ensuite vis à vis de mon entourage, de tous les autres ?


 La jalousie lui permet alors de rejouer les expériences de rejet qu'il a vécues, cette expérience essentielle de la mort de l'amour (tellement redoutée de la part de la mère)  et des désirs de meurtre qui ont accompagné cette crainte. Le jaloux revit l'arrachement subi à sa mère et tous les doutes et toute la rage qui l'ont accompagné. Être jaloux, c'est alors chercher à conjurer et à se venger du traumatisme subi. Et tant pis si le jaloux perd à tous les coups parce que la jalousie, c'est une véritable passion de la perte, c'est même une érotisation de la mort et de la perte à tel point que le meurtre est ce qui la guide obscurément.


"On tue ce que l'on aime" écrit Oscar Wilde. Et on le tue, pour ne plus avoir à risquer de le perdre, pour être débarrassé de l'angoisse de sa fuite incontrôlable.

 Le jaloux, c'est finalement "un pauvre type", quelqu'un dont l'estime de soi est défaillante, qui éprouve des difficultés à trouver sa juste place par rapport aux autres. C'est pour ça qu'il cherche à tout contrôler, à exiger des autres une transparence complète. Ça ne tirerait pas à conséquence, s'il ne voulait se venger, s'il n'était plein de rage et de haine. La violence totale et la vengeance seraient les seules voies de résolution de la jalousie.


C'est ça qui me terrifie, qui me conduit à fuir le plus possible les jaloux. Mais il ne suffit pas de fuir les amants jaloux pour trouver la paix. Le pire, c'est que la jalousie est sans doute la matrice de la haine sociale et il faut bien reconnaître qu'on est rentrés dans le temps des jaloux et qu'on vit dans des sociétés d'exacerbation de la jalousie. Innombrables sont les frustrés et "les mal dans leur peau" qui en veulent à la terre entière, qui souhaitent que le monde entier s'écroule et disparaisse avec eux. L'esprit de vengeance n'a pas fini d'exercer ses ravages avec un déchaînement possible et incontrôlé de la violence.

Dans l'évolution du sujet, la haine précède l'amour, estimait Freud.  C'est peut-être la clé de compréhension de notre monde.

Tableaux d'Edvard Munch (1863-1944) . Tout le monde connaît "Le cri" mais sait-on que Munch a consacré une série de 11 peintures à la jalousie ? Gérard Garouste (1948), Rafal Olbinski (1943), Robert Lenkiewicz, Jean-Pierre Gibrat, Emile Bernard (1868-1941).

Sur le thème de la jalousie, je conseille vivement un livre complexe mais profond : "Jalousie" de Claude Rabant (paru en 2015). On pourra également se reporter à Marcianne Blévis : "La jalouise, délices et tourments".

Au cinéma, il y a bien sûr "L'enfer" de Claude Chabrol (avec Emmanuelle Béart) mais il y a surtout "L'enfer" de Georges Clouzot (malheureusement inachevé mais aujourd'hui diffusé) avec Romy Schneider. Une véritable révolution esthétique ! Il y a enfin le film de Pier Palo Pasolini : "Médée"

samedi 6 juin 2020

L'Est lointain


Quel soulagement d'entendre un peu moins parler du coronavirus aujourd'hui ! On a été tellement submergés d'analyses et de thèses plus ou moins farfelues venant d'épidémiologistes improvisés sur la base de chiffres affichés sans distance critique.

Ce qui m'a beaucoup énervée, c'est que dans les médias, on ne parlait que de la  France et un peu de l'Italie, de l'Espagne puis de la Grande-Bretagne et des États-Unis. L'évocation de ces 4 là, c'était sans doute pour montrer qu'il y avait pire que chez nous. On a quand même parlé de l'Allemagne dont on a chanté les louanges et qui a retrouvé une cohorte d'admirateurs. J'avoue que les adorateurs de l'Allemagne me rendent toujours un peu méfiante.


Les Allemands auraient ainsi, encore une fois, été plus efficaces, ils auraient mieux géré la crise, ils auraient un meilleur système de soins. On est mieux soignés en Allemagne, ai-je pu lire. Mais personne ne s'est avisé que l'espérance de vie des Allemands est sensiblement inférieure (1 bonne année d'écart pour les hommes comme pour les femmes) à celle des Français, des Italiens et des Espagnols et que la comptabilisation de leurs lits d'hôpitaux et de leurs décès COVID est avantageuse, voire fallacieuse, et ne recouvre pas les mêmes périmètres que ceux de la France.


Et puis en Europe, il y a tout de même de nombreux pays qui ont fait beaucoup mieux que les Allemands dans la lutte contre le COVID mais de ceux là, on ne parle absolument pas. Il est donc intéressant de ressortir quelques données chiffrées.



Nombre de décès pour 100 000 habitants (au 18 mai dernier) :


1/ Belgique : 79,02 ; 2/ Espagne : 56,3 ; 3/ Royaume-Uni : 53,6; 4 / Italie : 51,35; 5/ France : 41,89; 6/ Suède : 37,13; 7/ Pays-Bas : 33,44 ; 8/ Irlande : 30,79 ; 9/ États-Unis : 27,42 ; 10/ Suisse : 22,84 ; 11/ Canada : 16,57; 12 /Portugal : 11,36 ; 12/ Allemagne : 9,9; 13/ Danemark : 9,78 ; 14/ Iran : 8,6; 15/ Brésil : 7,78 ; 16/ Autriche : 7,18 ; 17/ Moldavie : 6,07 ; 18/ Finlande : 5,46 ; 19/ Slovénie : 5,27 ; 20/ Roumanie : 5,14 ; 21/Turquie : 5,12 ; 22/ Estonie : 5,11; 23/ Macédoine du Nord : 4,8 ; 24/ Hongrie : 4,69 ; 25/ Norvège : 4,38 ; 26/ Mexique : 4,16 ; 27/ Bosnie-Herzégovine : 3,45 ; 28/ Israël : 3,28 ; 29/ Serbie : 3,23 ; 30/ Islande : 2,94 ; 31/République tchèque : 2,79 ; 32/ Chili : 2,53 ; 33/  Pologne : 2,41; 34/Croatie : 2,2 ; 35/ Lituanie : 2,09 ; 36/ Arménie : 2 ; 37/ Russie : 1,91 ; 38/ Biélorussie : 1,79 ; 39/ Bulgarie : 1,55 ; 40/ Grèce : 1,51 ; 41/ Monténégro : 1,4 ; 42/ Ukraine : 1,21 ; 43/ Albanie : 1,02 ; 44/ Lettonie : 0,98 ; 45/ Japon : 0,59 ; 46/ Slovaquie : 0,51 ; 47/ Corée du Sud : 0,51 


Évidemment tous ces chiffres ont un peu évolué et sont, de plus, à prendre avec précaution. La Belgique n'est, par exemple, pas la grande marmite à Covid que l'on pourrait imaginer. C'est surtout une déformation statistique : elle enregistre tous les décès suspectés Covid (ce qui conduit à une surestimation) alors que l'Allemagne ne prend en compte que les dossiers qui ont été confirmés Covid par test laboratoire (ce qui conduit à une sous-estimation); c'est ainsi qu'on amplifie les écarts réels.  


Ils donnent quand même des ordres de grandeur et un constat simple s'impose : tous les pays de l'Est de l'Europe, et notamment tous les pays de l'ancien bloc communiste, enregistrent beaucoup moins de décès que l'Europe de l'Ouest. La Pologne fait par exemple 4 fois mieux que sa voisine l'Allemagne mais cela personne ne le relève. Plus troublant : au sein même de l'Allemagne, l'ancien territoire de la R.D.A. a été beaucoup moins touché que l'Allemagne de l'Ouest.


Pourtant, on prédisait à ces pays un véritable désastre sanitaire. On est effet convaincus qu'à l'Est,  la médecine et les hôpitaux, c'est lamentable. D'expérience, je peux affirmer le contraire tout simplement parce que les études universitaires y ont le même niveau d'exigence. On y donc est pareillement soignés, un médecin ukrainien ou polonais étant aussi qualifié qu'un français.La différence, c'est souvent l'équipement technique mais ça n'est pas non plus toujours le cas.


Je me souviens ainsi d'un article du journal "Le Monde" au mois de mars dernier qui soulignait qu'avec la guerre, l'Ukraine allait au devant d'une catastrophe. Résultat : moins de 800 morts à ce jour (à rapporter à une population de 47 millions d'habitants). Je n'ai pas lu, depuis, de nouvel article du "Monde" sur le coronavirus en Ukraine. 


Y a-t-il une explication ? Franchement, je ne le sais pas. On dira que c'est la chance mais ça concerne alors un bloc de population (hors Russie) de 160 M d'habitants et dans pareil ordre de grandeur, la chance se trouve complétement diluée. On a évoqué aussi le rôle protecteur du vaccin B.C.G. plus largement répandu à l'Est mais ce n'est pas vraiment convaincant. Seule donnée incontournable et désolante : en Russie et en Ukraine, la population masculine de plus de 65 ans (celle qui est principalement touchée par le coronavirus), est vraiment très limitée : ça demeure la conséquence de l'alimentation et de l'hygiène de vie soviétiques (avis à tous ceux qui prônent aujourd'hui la frugalité).

Mais ce qui me sidère, c'est que l'Europe de l'Ouest s'intéresse tellement peu à l'Est que quasiment personne n'a pris la peine de se pencher sur la question de leurs résultats sanitaires meilleurs qu'à l'Ouest. De toute manière, on les suspecte immédiatement de truquer leurs chiffres. Je veux bien l'admettre pour la Russie et la Biélorussie mais pas pour les autres pays qui sont tout de même devenus largement démocratiques. 


Pourtant, à l'heure où on recherche désespérément un moyen d'enrayer l'épidémie, ces pays offrent, me semble-t-il, matière à une réflexion générale pas plus absurde que beaucoup d'autres.

Je le répète, je n'ai pas de théorie. Je sais seulement qu'en Ukraine, le confinement a été bien plus strict qu'en France : suspension complète des liaisons par bus, métro ou train, interdiction de sortie pour les adultes de plus de 60 ans et les enfants de moins de 14 ans, fermeture des frontières, interdiction de se réunir et de se déplacer pour des groupes de plus de 2 personnes, port obligatoire du masque dans l'espace public. Un vrai confinement à la chinoise, inconcevable en France. 



Ce qui semble évident, c'est qu'il y a d'abord des explications économiques. Les "flux" sont tout de même plus réduits dans les pays de l'Est : moindre circulation des biens et des personnes (touristes, marchandises, travailleurs immigrés défavorisés).

Et ensuite, il y a des explications psychologiques, culturelles : une plus grande discipline sociale et une crainte qui perdure de l’État et de son autorité. C'est évidemment une survivance politique et ça n'est pas la face la plus gaie d'une longue histoire de répression.


Mais, de manière plus positive, j'y vois aussi une volonté farouche de survie envers et contre tout. L'esprit de débrouillardise, cet Art de savoir compter d'abord sur ses propres forces qui était tellement développé à l'ère communiste, a ainsi puissamment refait surface. Un petit exemple : alors qu'en France, tout le monde râlait, sans rien faire, face à la pénurie de masques, dans les pays de l'Est, personne ne se lamentait et chaque famille confectionnait ses propres masques.
 
Tableaux de Mikhaïl VROUBEL (1856-1910), l'un de mes peintres russes préférés.  Son nom signifie, bizarrement, "moineau".

J'ai également inséré, à la fin, 3 photos récentes : deux du Parc Monceau et une "vue de ma cuisine", avant-hier.