On connaît tous de multiples gens souffreteux, se plaignant toujours, évoquant sans cesse leurs maladies, pour qui la vie est une vallée de larmes. Ils sont exaspérants, horripilants, on se dépêche généralement de les fuir, de les rejeter.
On ne se rend pas compte que leur vie est devenue si médiocre, si misérable à leurs yeux, que le seul moyen qu'ils entrevoient de susciter l'attention des autres est d'évoquer leurs maladies réelles ou supposées. C'est en fait très triste, effrayant. C'est la gloire du malade.
La belle société ripolinée, du "feel-good", de la jeunesse et du dynamisme, a aussi son envers peu reluisant : celui d'un mal être d'une grande partie de la population qui ne parvient pas à s'exprimer. Cet univers scintillant, trop lisse, trop harmonieux, devient en fait insupportable à beaucoup. On se sent trop décalés, pas à la hauteur.
La seule solution, c'est alors d'en rajouter dans la souffrance pour attirer l'attention, la compassion des autres. A cette fin, il n'est pas rare que des personnes s'inventent des maladies. Cette tactique se déploie ainsi assez fréquemment dans le cadre d'une rencontre amoureuse. L'un des partenaires confie être atteint d'un mal profond ou porter en lui de multiples facteurs de risques. Cela augmente, lui semble-t-il, son aura et sa séduction. Le roman récent de Philippe Vilain, " La fille à la voiture rouge", développe bien cette thématique.
Aussi aberrants qu'ils nous apparaissent, ces comportements sont, en fait, assez, banals. On se sent en effet tout de suite plus intéressant quand on se déclare malade. Vis à vis de ces personnes, essayons de nous montrer indulgents, même si leur fabulation est inadmissible : c'est aussi l'expression d'une détresse affective.
Mais parfois, les choses virent à la pathologie complète. Il s'agit alors de personnes qui choisissent délibérément une maladie et se mettent à l'incarner en en simulant tous les symptômes. Elles font cela avec une telle perfection qu'elles parviennent à tromper même le corps médical. Avec une délectation morbide, elles suivent alors des traitements lourds et subissent même, éventuellement, des interventions chirurgicales.
C'est la première forme d'une pathologie mentale dénommée le "syndrome de Münchhausen". Münchhausen, c'est le nom d'un baron allemand (1720-1797). Le récit de ses aventures extraordinaires, complétement invraisemblables et fictives, est très populaire en Allemagne.
Les personnes qui souffrent du syndrome de Münchhausen sont bien différentes des hypocondriaques. L'hypocondriaque est anxieux pour lui-même, pour sa propre personne. Le "Münchhhausen" lui, est dans la quête désespérée d'une reconnaissance. Il veut avoir le sentiment d'exister pour autrui et pour cela il se créée, il simule, une maladie.
Il existe une seconde forme, difficilement détectable, de cette maladie : la procuration. Ce sont des personnes, généralement des femmes, qui, avec une dissimulation prodigieuse, blessent, rendent malades, ou exercent des sévices sur une personne de leur entourage dont elles ont la charge ou la responsabilité. La forme la plus extrême et la plus effrayante, c'est la mère qui rend délibérément malade son enfant et l'entretient continuellement entre la vie et la mort (en l'empoisonnant à petites doses ou en organisant des accidents domestiques). Ces effroyables criminelles, souvent très habiles et très usées, n'ont en fait qu'un but : obtenir pour elles-mêmes attention et compassion, être admirées pour leur abnégation totale et considérées comme des personnes exemplaires, voire comme des saintes.
Étrangement, le syndrome de Münchhausen est peu connu par le grand public alors que l'époque est friande de psychologie (cf. le succès des pervers narcissiques, des bipolaires et des "Asperger). Mais il est vrai que les femmes Münchhausen dépassent l'entendement, transcendent toute qualification, tout jugement (moral en particulier). Elles remettent complétement en question les ressorts de l'amour maternel tellement sacralisé aujourd'hui. On se situe vraiment avec elles par delà le Bien et le Mal.
J'avoue être épouvantée et fascinée par le Münchhausen. Le Mal dans toute sa perversité, le comble du monstrueux. Mais on ne peut pas non plus condamner, sans se poser de multiples questions, ces femmes qui assassinent méthodiquement leurs enfants. Elles perpètrent leurs crimes sur le fond d'une détresse immense.
Assassiner leurs propres enfants, elles ne le font pas par pur sadisme, elles le font simplement pour parvenir à se faire entendre, à recueillir un peu d'attention.
Ça interroge d'abord l'indifférence générale immense d'une société.
Ces criminelles sont aussi l'illustration la plus blessante et bouleversante de la condition humaine : sa solitude extrême et son besoin éperdu de reconnaissance.
Images de Aubrey Beardsley (1872-1898), Alfons Mucha (1860-1939), Gustav Klimt ("les Gorgones"). Il y a en sus deux images du Baron de Münchhausen (de Gustave Doré).
Sur cette pathologie du syndrome de Münchhausen, il y a d'abord un livre, un roman policier récent, de la suédoise Camilla GREBE : "L'ombre de la baleine" (j'avais déjà appelé l'attention sur son premier livre en français : "Un cri sous la glace"). Ce bouquin, facile à trouver en poche, est vraiment extraordinaire, bouleversant. Il pose plein de questions sur l'humanité, la jeunesse, la parenté. Un vrai bouquin de philosophie dans un polar (pourtant, je ne raffole pas du genre).
Ce post déconcertera peut-être. Pourquoi, je parle de ça ? En fait, je parle ici, indirectement, de moi-même. Je ne suis bien sûr pas une "Münchhausen" mais j'ai tendance à être une hypocondriaque. Je m'invente parfois des maladies graves et je me convaincs d'en présenter tous les symptômes. C'est alors une période de sombre et irrépressible rumination mais mon but n'est pas d'attirer l'attention sur moi-même. Je ne crois pas que je veuille faire mon intéressante, c'est de l'angoisse pure auto-centrée. Je sors aujourd'hui de l'une de ces périodes obsédantes. D'où ce post.