Chypre, c'est d'abord pour moi un souvenir d'enfance-adolescence. Quand on faisait les voyages entre l'Europe et l'Iran, ma famille et moi, on prenait la British Airways (l'une des rares compagnies à desservir alors Téhéran) qui faisait escale à Larnaca. C'était très curieux, presque drôle, parce qu'à bord de l'avion, il n'y avait pas plus dissemblables que les touristes en goguette qui partaient bronzer sur les plages chypriotes et les quelques voyageurs iraniens, dont certaines femmes voilées, habillés de manière sinistre. Larnaca, c'était alors pour moi, le dernier (ou le premier) regard sur cet Occident haï/adoré.
Je voulais donc absolument découvrir, un jour, le pays. C'est maintenant chose faite. J'ai pris prétexte de l'intérêt que je portais aux pays qui avaient connu un "miracle économique". C'est une question qui, effectivement, me passionne : comment des pays, autrefois pauvres et déshérités, sans ressources naturelles, comme la Suisse, l'Islande, l'Irlande, le Japon et même le Liban, ont pu devenir riches ?
Chypre est du nombre : malgré une faible population (1,2 million d'habitants), une absence d'agriculture (en raison d'une sécheresse continuelle), une industrie inexistante (compte tenu de son isolement géographique) et, surtout, les ravages de l'occupation militaire turque, les habitants chypriotes bénéficient d'un niveau de vie dans la moyenne de la Communauté Européenne. C'est une performance remarquable compte tenu des handicaps subis.
Certes, il s'agit d'une richesse fragile (mais pas forcément non plus), largement dépendante de la sphère financière et notamment des investisseurs russes, mais il y a quand même plein de leçons à tirer de cette expérience, en particulier en France, où les candidats à la proche élection présidentielle rivalisent, en ce moment, d'âneries économiques. Aux innombrables zélateurs de Piketty, on peut ainsi rappeler que c'est essentiellement la quantité de capital et d'épargne disponibles qui détermine la richesse des nations.
Mais j'avoue que j'ai quand même été très surprise en débarquant à Chypre. Partout des Russes ! Dans les rues, sur les plages, dans les commerces, les hôtels, les restaurants, une vraie colonie. Et puis toute l'Europe Centrale, en premier lieu des Polonais mais aussi des Baltes, des Hongrois, des Bulgares. Peu d'Européens de l'Ouest (Français, Allemands, Italiens etc...) en revanche.
Qu'est-ce que c'était étrange pour moi d'être directement interpellée (parce qu'on s'identifie immédiatement, entre nous, à l'apparence physique) par un sonore "diévouchka" ou un murmurant "prosze Pani" ! J'avais l'impression de me retrouver à Lviv mais un Lviv tout à coup écrasé de lumière et de chaleur, partagé entre la mer et la montagne. Du coup, à ma grande honte, je n'ai pas appris un seul mot de Grec, je me suis juste exercée à lire l'alphabet.
Mais Chypre recèle bien sûr de multiples autres centres d'intérêt. Si vous commencez à me connaître, vous devez savoir que la cuisine et la plage, ce ne sont vraiment pas mes trucs. J'ai quand même nagé un peu dans une eau à 26 ° (ce qui est, pour moi, le minimum acceptable) mais la mer et la piscine, ce n'est vraiment pas pareil. J'y perds mes repères, ma technique, je m'ennuie.

Je me suis donc rabattue sur du "culturel". Chypre, c'est d'abord un grand morceau de Grèce Antique. C'est dans ses montagnes que se trouve un deuxième "Mont des dieux", le "Mont Olympe de Chypre" (1 952 mètres). Surtout, Chypre, c'est le lieu de naissance de la déesse Aphrodite qui apparut, un jour, sur la plage de Petra Tou Romiou. De magnifiques mosaïques et des sanctuaires ont été consacrés, en bord de mer, à la déesse de l'Amour. Tout un périple érotique à effectuer.

Mais Aphrodite a, au fil du temps, été supplantée par la Vierge. Chypre est ainsi devenue l'un des hauts lieux de l'orthodoxie. On recense ainsi une dizaine de monastères et petites églises byzantines (la plupart du XI ème siècle) complétement perdues dans la montagne avec des fresques murales exceptionnelles.
Moins connu, Chypre, c'est aussi un morceau de France. Les Croisés ont utilisé l'île de Chypre comme base de conquête de Jérusalem et y ont construit de multiples remparts et forteresses. Le comble de la bizarrerie, c'est la cathédrale (aujourd'hui mosquée) Saint Nicolas à Famagouste. Elle est d'architecture gothique française (début du 14 ème siècle) et ressemble furieusement à la cathédrale de Reims (qui l'a inspirée) mais une cathédrale de Reims aujourd'hui flanquée d'un minaret. Il est bizarre qu'en France, on se désintéresse complétement de cette cathédrale.
Plus récemment, le poète Arthur Rimbaud a séjourné, à deux reprises (1878 et 1880), sur l'île de Chypre, dans les monts du Troodos, avant d'embarquer pour Aden. Il en vante, dans ses lettres, le climat sain. Je m'y suis rendue (dans le village de Platrès, précisément) mais vraiment, plus perdu, il n'y a pas. Comme l'écrit d'ailleurs Rimbaud, "il n'y a sur la montagne que des sapins et des fougères". Que pouvait-il donc bien y fiche ?

Je conclurai en précisant qu'un voyage, ça ne se déroule jamais de manière idyllique. Ca n'est pas toujours une partie de plaisir et il y a toujours les déceptions et les incidents. Le réel ne se conforme jamais à nos attentes. On peut donc toujours être tentés de râler, pleurnicher pour justifier sa décision de rester dorénavant chez soi.
Chypre n'est, ainsi, sûrement pas le plus beau pays que j'aie jamais visité. On peut trouver mieux en matière de paysages maritimes et montagnards, de sites archéologiques, d'architecture urbaine, d'Art byzantin, de forteresses médiévales, d'églises gothiques... Mais c'est justement la concentration de tout ça en un même lieu réduit qui fait l'intérêt du pays. Et puis, il y a la confrontation/juxtaposition des cultures grecque, turque et russe.
Quant aux incidents, anicroches, j'en ai eu plein mais ça fait partie de l'expérience du voyage.
D'abord, j'ai expérimenté pour la première fois la conduite à gauche. On y arrive bien sûr mais, au volant d'une voiture qu'on connaît mal, sur d'étroites routes de montagne ou dans les ruelles labyrinthiques des villes, on n'est jamais bien loin de la crise de nerfs.
Surtout, j'ai vécu une expérience humiliante. Moi qui ai franchi une multitude de frontières compliquées, j'ai été rejetée et renvoyée, comme une malpropre, par la police des frontières turque. On m'a invitée à aller me faire voir chez les Grecs, sous un motif complétement futile. Visiblement, ma tête ne leur revenait pas. J'étais folle furieuse.
Mais qu'importe ! La déception, les avanies, sont, finalement, plus instructives que le contentement. C'est finalement ça un voyage : s'enrichir des difficultés, comprendre les déceptions.
Quelques-unes de mes petites photos chypriotes (sauf celle de la cathédrale de Famagouste, du côté turc dont j'ai été expulsée).
Je n'ai pas de conseils de lecture directement liés à mon voyage parce que je n'ai pas vraiment identifié la littérature chypriote. Je peux simplement vous recommander les livres que j'avais emportés avec moi :
- William DARLYMPLE : "Anarchie - L'implacable ascension de l'East India Company". Le nouveau Darlymple, un livre magnifique croisant l'histoire et l'aventure. Un des grands bouquins de cette année.
- Jean-Marc DANIEL : "Histoire de l'économie mondiale - Des chasseurs-cueilleurs aux cybertravailleurs". Un livre agréable à lire, très pédagogique, s'adressant à tous (pas besoin d'avoir fait de hautes études économiques). On y apprend plein de choses et c'est plus pertinent qu'un indigeste Piketty.
- BALZAC : "Les illusions perdues". Je suis simplement en cours de lecture (c'est le plus gros livre de Balzac) mais j'en profite pour vous recommander les deux récents films actuellement sur les écrans : "Eugénie Grandet" de Marc Dugain et "Les illusions perdues" de Xavier Gianolli.
- Catherine CUSSET : "La définition du bonheur". Je lis régulièrement les livres de Catherine Cusset, toujours agréables et iconoclastes.
- Jakuta ALIKAVAZOVIC : "Comme un ciel en nous". Une nuit au Louvre pour redevenir la fille de son père, Serbe, arrivé en France dans les années 70.