
Bizarrement, l'actualité rapproche, aujourd'hui, deux personnalités : la Reine d'Angleterre et Vladimir Poutine. Presque tout semble, pourtant, les opposer.
La Reine, je ne m'y suis jamais intéressée et je ne comprends rien à la vénération dont elle fait maintenant l'objet. Elle m'apparaissait avoir une fonction purement décorative, une statue muette et figée, totalement dénuée d'expression, attifée de couleurs improbables; ne rien dire était pour elle une vertu, une attitude politique; elle m'évoquait un peu ces cocottes en porcelaine que l'on perchait autrefois au sommet des buffets.
Mais c'est peut-être plus complexe. Durant sa longue vie, la Reine a assisté à la décomposition de l'Empire britannique, un Empire qui gouvernait encore, en 1920, le quart de la population mondiale. Et puis, à partir de la seconde guerre mondiale, s'est amorcée la décolonisation dont le point culminant a été l'indépendance de l'Inde. Le processus s'est achevé à la fin des années 60 avec le repli du Royaume-Uni sur ses seules frontières insulaires avec une population limitée à 55 millions d'habitants en 1970.
Une sacrée dégringolade. Mais qui ne s'est pas traduite par un appauvrissement prononcé. Le Royaume-Uni demeure l'une des grandes puissances économiques de la planète et affiche surtout un dynamisme et un potentiel importants. Les migrants qui campent à ses frontières dans l'espoir d'y être accueillis ou même tous les jeunes Français qui viennent y chercher un job (tant pis pour la France des droits sociaux) le savent bien: c'est un pays qui offre aux audacieux des perspectives d'avenir.
Surtout, le Royaume-Uni est demeuré dans les meilleurs termes avec ses anciennes colonies et continue d'entretenir avec elles des relations pacifiques. C'est le Commonwealth qui consolide cette union qui va bien au-delà d'accords réciproques : l'Art de vivre britannique, y compris avec ses bizarreries, demeure partout une réalité.
Il est vrai que le caractère plutôt placide et popote de la Reine d'Angleterre, davantage éprise de ses chiens corgis et de ses canassons que de spéculations métaphysiques ou de stratégies militaires, ne la prédisposait sans doute pas à vouloir faire la guerre à ses "subordonnés". Et d'ailleurs, je ne crois pas qu'il existe beaucoup de Britanniques qui regrettent les splendeurs de l'Empire et aspirent à un retour en arrière. C'est la plus belle expression de l'esprit démocratique respectant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Et c'est sur ce point essentiel que la Russie et le Royaume-Uni diffèrent fondamentalement.
Depuis la "catastrophe" de la chute de l'URSS, on ne cesse, en Russie, de se lamenter et d'évoquer cette époque où on était puissants et faisait peur. On reconnaît, quand même, que la vie était nulle et lamentable, mais, au moins, "on nous respectait". Ce crétinisme, constamment affiché, me rend, à chaque fois, folle de rage.
Du coup, la Russie n'a de cesse de recoller les morceaux, d'essayer de reconstituer l'Empire. Et pour ça, on n'a pas d'autre politique que de faire peur. Faire peur aux autres parce qu'on sait bien qu'on n'arrivera pas à séduire par son modèle économique et culturel. Et d'ailleurs, tant pis si on demeure pauvres et sous-développés, l'essentiel, c'est la préservation de cette nébuleuse identité slave qu'on appelle l'âme russe.
C'est en fait cette terrifiante obsession de la puissance qui signe aujourd'hui l'identité russe. Être respecté à tout prix, fût-ce par la force et la brutalité.
Ça s'accompagne d'un discours inlassablement victimaire (on ne nous aime pas, l'Occident est méchant avec nous) et d'une rhétorique de la forteresse assiégée (on est seuls contre tous, nous le dernier flambeau de la moralité, nous qui, seuls, savons résister à la décadence LGBT et Me Too). C'est pour ça qu'on s'arroge le droit de disposer d'une sphère d'influence sur des pays "satellites". C'est pour se protéger, dit-on. Mais, paradoxalement, plus les territoires-tampons s'agrandissent, moins on se sent en sécurité.
C'est cela qui est effrayant dans la société russe d'aujourd'hui : son incapacité absolue à se remettre en cause, à avoir un regard critique sur elle-même. Et sur ce point l'opinion commune de la population rencontre bien les obsessions de Poutine. Il y a, en effet, un soutien populaire incontestable à son Président. On se croit effectivement engagés dans un combat civilisationnel pour la préservation de son identité. Nul ne s'avise que le conflit est plutôt politique : démocratie contre totalitarisme.
C'est pour cela que j'espère une défaite cuisante et retentissante de la Russie dans cette guerre. Qu'elle soit même contrainte à une capitulation, sans porte de sortie honorable. Un châtiment, c'est ce que réclame Volodymyr Zelensky. Pas par esprit de vengeance mais pour une juste prise de conscience, pour qu'elle puisse faire son auto-critique, qu'elle retrouve simplement le sens des réalités. Qu'elle sorte enfin de sa paranoïa et de ses délires mystiques.
L'Allemagne et le Japon ont été écrasés sans ménagement à l'issue de la seconde guerre mondiale. C'était sans doute impitoyable et effrayant. Mais c'est probablement ce qui a permis leur renaissance rapide. Une renaissance démocratique à la suite d'une remise en cause complète de leur Histoire et de leur modèle politique. Cela leur a permis de se réconcilier très rapidement avec les autres pays et de réintégrer le concert des grandes nations. C'est probablement la voie également à suivre par la Russie.
Tableaux d'Alexandre Benois, Vassily Sourikov, Mikhaïl Nesterov puis de différents peintres paysagistes contemporains et enfin de Damien Hirst, le grand artiste britannique. J'ai cherché à opposer l'imaginaire belliqueux russe à la sérénité européenne.
- Iegor GRAN : "Z comme zombie". On retrouve dans ce livre l'humour ravageur du fils de Siniavsky. Aucune complaisance, aucune excuse, envers la folie qui s'est emparée des Russes. Il s'agit d'en comprendre les rouages.
- Laura POGGIOLI : "Trois sœurs". On se situe sur un tout autre plan, celle de la violence domestique en Russie. Par une jeune Française qui a longuement vécu en Russie et lui porte amour. Un livre que j'ai trouvé très juste et qui explore bien le "façonnage" des mentalités, la violence cachée en Russie.