Dans ma vie, il y a une tendance très forte en moi : toujours en faire trop.
Je suis excessive en tout. Quand j'entreprends quelque chose, je n'arrive pas à m'arrêter. Je pourrais me contenter d'objectifs simples mais j'en rajoute toujours.
Quand je fais des courses, je ne me limite pas au juste nécessaire. J'achète plus qu'il ne faut de peur, sans doute, de manquer ou d'avoir un soudain désir (un poisson, un fruit, un dessert). Quant à mon habillement, mes placards craquent, je ne suis pas capable de me limiter à quelques chaussures, chemisiers, culottes, jupes. Ou bien, si je craque un jour pour un bijou, une montre, quelques semaines après, j'en acquiers un second, puis un troisième. Ou alors, je ne m'achète jamais un seul livre mais, toujours, plusieurs à la fois.
Je ne peux pas me contenter d'un objet unique parce que dès que je l'ai acheté, je me mets à me torturer et à douter de mon choix. Alors, un nouvel achat me permet de sortir de mon embarras. Mon hésitation perpétuelle, elle traduit bien sans doute que je ne sais pas ce que je désire.
Et c'est pareil dans ma vie intellectuelle. J'aurais pu me contenter de mes chiffres, de mes bilans, de ma comptabilité. Mais non ! Il a fallu que je me disperse, au risque d'être une moins bonne professionnelle, dans une foultitude d'autres disciplines que je maîtrise forcément plus ou moins.
Evidemment, mes fièvres d'achats me posent vite des problèmes, d'abord physiques et matériels. Parce que je ne vis qu'en appartement et que les surfaces sont limitées. Je suis heureusement parfois prise de rages dévastatrices mais, sur le moment, c'est déchirant. Le plus difficile, c'est de me débarrasser de mes bouquins. Après, je me sens mieux, apaisée, rassérénée, parce je déteste, malgré tout, le foutoir.
Ca, c'est pour les objets concrets. Mais que dire de mes activités ? Quand j'ai une tocade, quand je me lance dans un truc, il n'y a pas moyen de m'arrêter. Je ne fais pas du sport de temps en temps, mais absolument tous les jours, sinon je culpabilise. Choisir une destination de voyage, c'est une longue torture parce que je voudrais tout visiter.
Finalement, je ne me décide qu'au dernier moment. Et je ne me déplace pas pour me bronzer au bord d'une plage mais pour du culturel, de l'ennuyeux: des musées, des villes, des châteaux. Et il est vrai que les paysages, la nature, ça ne me touche pas plus que ça. Quant à mes lectures ou au cinéma, je ne choisis rien de distrayant mais que du sérieux. L'expression française que je déteste le plus tant elle est ressassée c'est : "en profiter".
En profiter, je ne suis justement pas capable de ça. La simplicité, la décontraction, le cool, ce n'est vraiment pas mon mode de fonctionnement. Je préfère le torturé, le tarabiscoté. Disons que j'ai l'art de me compliquer la vie et que je suis, moi-même, très compliquée et très sérieuse. Ca rejaillit évidement sur ma relation avec les autres parce que je les trouve trop simples, trop évidents, et que j'ai tendance à avoir les mêmes exigences envers eux qu'envers moi. Ca explique sans doute que je fasse vite fuir les mecs.
Compliquée et pas drôle, c'est donc moi. C'est à ma manière sans doute mais ça n'est, probablement, pas non plus si original que ça. C'est même le cas de beaucoup de gens. Je crois qu'il y a une tendance très forte de l'esprit humain à préférer la complexité à la simplicité. Et c'est ce qui nous rend, le plus souvent, malheureux. Notre incapacité à lâcher prise, à se laisser porter, à en revenir à des choses simples et immédiates.
On préfère généralement le trop au pas assez, la saturation au manque. On a souvent cette illusion que l'abondance, le surplus, c'est mieux que l'ascèse et l'économie.
C'est le travers dans le quel tombent les apprentis écrivains. Ils veulent, sans cesse, en rajouter, ils veulent tout dire. Ils oublient que les vrais écrivains ne cessent d'élaguer, simplifier.
Ca se traduit aussi dans l'esprit bureaucratique. On multiplie les réglementations, les pare feux. On voudrait un monde sans failles, sans imprévu. Ou bien, sur un plan plus personnel, on bétonne son agenda, on s'interdit tout temps libre, tout moment passé à simplement rêver.
On est affectés par une sorte de biais cognitif. Le manque, l'insuffisance, c'est ce qu'on cherche à tout prix à combler. Ca relève, peut-être, d'une angoisse originelle. Et ça correspond d'ailleurs à la logique marchande du capitalisme: nous abreuver, nous gaver, de biens et marchandises.
Pouvoir faire un peu de vide autour de soi et en soi-même. Je suis sûre qu'on y gagne en sérénité. J'y réfléchis sans cesse. Mais de l'intention à sa concrétisation, il y a souvent un gouffre.
Images de Remedios Varo, Sam Szafran, Axel Krause, Kristina Daniunaite, Afifa Aleiby, John Tarahteef
Je recommande :
- Fabienne Verdier : "Passagère du silence". Une artiste peintre qui a vécu 10 ans d'initiation en Chine. Elle y a appris l'épure, la simplicité, le trait. Un bouquin hors du commun qui nous en apprende autant sur la Chine que sur l'Art.
- le dernier numéro de la revue "Philosophie Magazine" : "Pourquoi se complique-t-on la vie ?"
Bonjour Carmilla
RépondreSupprimerSi je vous ai bien lu et bien compris, nous faisons partie, pour reprendre un vocable que vous avez déjà utilisé à mon endroit, des forcenés. Par contre je suis tout le contraire de vous, je porte toujours de vieux vêtements que j’use à la corde, je ne chausse pas autre chose que des bottines de travail ou de marche. Je suis un très mauvais capitaliste et encore un plus mauvais acheteur ; je suis capable de me priver de beaucoup de choses, qui en fait, m’apparaissent comme des inutilités. Je suis une bonne fourchette, mais je puis jeûner longtemps. J’aime les foules, mais je me méfie des marchands. Je ne fais pas de sport, mais des activités qui exigent de dépenser beaucoup d’énergie, qui forme un tout avec mon existence, bûcher en forêt, passer des journées complètes à la chasse, admirer les arbres, grimper sur une colline ou sur une montagne pour regarder le monde de haut. Lire tous les livres qui me tombent sous la main, entreprendre de longues discussions contradictoires. Vivre sous la tente, posséder peu, espérer beaucoup, pour toujours arriver à : Le détachement confère un pouvoir infini. Là, où on ne peut pas perdre ce qu’on ne possède pas. J’ai une passion pour l’abnégation. Je ne fais pas de quartier dans le renoncement. Je peux aller très loin dans ces états d’esprits, ce qui répugne à la majorité des gens sur cette terre. J’en deviens impossible à vivre. Lorsqu’on dit de moi que j’exagère, je m’empresse d’en rajouter une couche. J’entends encore l’expression de ma mère : « Ha ! L’animal, il exagère encore. », Mes parents étaient sévères, sans doute, parce que j’étais difficile à éduquer. Je ne compte pas le nombre d’accrochages dans mon existence, au propre comme au figuré, autant avec mon entourage qu’avec des étrangers. Ce qui m’intéresse le plus, se sont les idées, les réflexions, les pensées, les histoires, se sont des domaines illimités pour moi, de véritables passions. Ce qui a créé autour de moi, dans mon existence, une espèce de vide, qui bien sûr, j’entretiens. On ne m’aborde pas, c’est moi qui aborde les autres. J’aime bien disséquer les humains afin d’essayer de les comprendre. Si je m’intéresse à un domaine, vous pouvez être sûr que je vais aller au bout de l’affaire. Je reconnais que politiquement ce n’est pas très correcte. Ce qui m’a fait comprendre qu’il vaut mieux être bien détesté ; qu’être mal aimé. Vous faites fuir les hommes, moi je ne suis pas en reste, je fais fuir les femmes ; et tout est très bien ainsi… ainsi soit-il ! L’important, ce n’est pas de demander, ni d’exiger : c’est d’avoir la capacité de ne pas demander. De voler au-dessus des nuages. D’être libre !
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Richard,
RépondreSupprimerNous sommes bien sûr différents tout simplement parce que nous n'avons pas la même histoire.
Et c'est l'histoire individuelle qui forge le caractère, la personnalité (et non l'inverse comme on le croit trop souvent).
Et à ce propos, même si je n'ai pas ici évoqué ça parce que c'est lassant, j'ai tout de même la mentalité d'une migrante taraudée par l'angoisse économique. Si je ne suis pas cool, c'est tout de même parce que je porte en moi cette peur primaire (même si elle est, aujourd'hui, devenue irrationnelle) d'être, un jour, sans ressources, à la rue. J'ai donc besoin d'une assurance matérielle.
Et puis, j'évite absolument de m'emporter, de me mettre en colère, d'agresser les autres. Mais je me rends compte que mon calme en toute circonstance est également déstabilisant. On me juge insensible.
Peut-être, mais c'est aussi parce que je me sens "extérieure" au monde dans le quel je vis, un peu comme une observatrice. Et cela aussi, c'est le symptôme de "l'étrangère". Je suis très "construite" et je m'y applique. Les passions, les états d'âme, je les vois comme quelque chose d'extérieur à moi-même.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
RépondreSupprimer« Extérieur monde. ». J’aime cette expression, en dehors de, avec passion, quelque chose dans l’extrême, deux êtres ultimes, des forcenés de la vie. Malgré nos origines si différentes, nous parvenons à établir un dialogue intéressant et stimulant tout en sachant et surtout, en ne perdant pas de vu cette différence. Nous savons que ces genres d’échanges ne se limitent pas à nos simples personnes. Je dirais que dans le genre, que ce sont des échanges universels. Nous ne voulons pas nous conformer à la routine du quotidien parce que nous sommes toujours dans le dépassement. Ce qui me rappelle, une petite phrase que je me suis répétée pendant toute mon enfance, lorsque je regardais les gens autour de moi : « Je ne veux pas vivre ainsi. » Je savais ce que je ne voulais pas ; mais j’ignorais ce que je voulais. Finalement, se sont les épreuves qui m’ont façonnées. Je reconnais que ce ne fut pas toujours agréable. Mais, j’y suis arrivé. Je n’ai pas vécu comme tous ceux de mon entourage, je me suis senti unique. Les gens oublient que nous sommes tous uniques. Qu’il faut débroussailler nos désirs, parvenir à savoir ce que nous voulons, et pas seulement du bout des lèvres, mais garder le cap malgré les contre-temps. Ce qui n’est pas toujours agréable, mais en retour, c’est très formateur. C’est comme se présenter à un examen important lorsque tu rentres au travail à chaque jour. Prendre des décisions impopulaires, difficiles, voir cruelles. Moi aussi, dans toutes mes migrations, il m’est arrivé de me sentir étranger, vivre avec les indiens, c’est un autre univers, une autre culture où j’ai été accueilli et surtout accepté. Vivre à Senneterre en Abitibi, ce n’est pas comme vivre à Sept-Îles sur les rives du grand golfe. Si bien, que j’étais devenu un genre de nomade, et je ne manquais jamais d’en redemander dans ce genre d’existence. Je vivais dans un mélange d’épinettes noires, d’eau salée, d’eau douce, de montagnes et plaines, de lacs innombrables. Rares sont les québécois qui ont fait le tour de la Province de Québec, privilégié, je suis de ceux-là, qui ne se demandait jamais où il allait coucher au soir venu, s’il y aurait quelque chose à me mettre sous la dent. Où pendant combien de temps, un contrat allait se prolonger dans un univers perdu au loin, sans limite ? Le plus beau de l’affaire, c’est que j’en redemandais. C’était un genre de grand cirque personnel. J’étais dans mon élément et je pensais souvent à Érik Tabarly ; lui c’était la mer, moi c’était le ciel du nord. J’aurais pu me complaire dans cette situation, jusqu’à la fin de ma vie active, ou bien, jusqu’à ce que je me crash quelque part. J’allais remettre cela, en rachetant la ferme familiale que j’allais remettre en production à partir de presque rien, surtout avec acharnement. C’était un autre défi !
J’en connais des personnes comme vous, surtout à cette époque, où il ne se passe pas une journée sans que la question de l’immigration ne soit évoquée. Il nous arrive par convois illégales, comme la semaine dernière, où on a trouvé 44 immigrants enfermé dans une genre de prison roulante, à Stanstead, petit village collé sur la frontière, juste au sud d’ici. Tous des Haïtiens, qui ont fuit la misère pour venir se refaire une vie au Québec, parce qu’ils sont pauvres comme la gale. Vous avez été chanceuse Carmilla d’être parvenu en France, et surtout de pouvoir vous construire une vie. Cependant, je comprends, cette peur perpétuelle qu’éprouve ceux qui quittent leur pays pour l’inconnu, surtout lorsqu’ils se font faire les poches par des passeurs. Je me demande même si cette peur de manquer de moyens, en vous considérant toujours comme une migrante perpétuelle, sera votre lot jusqu’à la fin de vos jours. En fin de compte, je sens que vous n’êtes nulle part chez-vous. Ce qui à la longue devient déstabilisant, toujours cette petite lumière rouge dans un coin de votre cerveau. Je comprends aussi cette crainte de la perte des moyens matériels ; mais à ce chapitre nous en sommes tous au même point. L’exemple qui me vient à l’esprit en cette époque tumultueuse d’une grande crise économique, qui est toujours possible. Nous sommes tous dans l’attente de l’incertitude présentement. Et, personne n’arrive à prédire ce qui va arriver. Je me demande souvent, lorsque vous évoquez, que vous ne vous mettez jamais en colère, si vous ne masquez pas cette colère dans votre insensibilité ? La colère cachée du juste, n’est-elle pas un refuge ? C’est ainsi, et ce n’est pas la seule façon d’être extérieur au monde, ce que nous partageons tous les deux à des degrés divers. Il m’arrive souvent de me sentir hors du monde comme un observateur, tout comme vous. Je dirais même que c’est une qualité, hors du monde qui nous passionne, parce que l’on ne s’arrête pas de s’interroger sur ce monde. Je dirais même que nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Sur le fond, c’est peut-être une crainte salutaire. Ce que je considère comme une autre grande qualité. Lorsque vous écrivez : Les passions, les états d'âme, je les vois comme quelque chose d'extérieur à moi-même. Je pense, que pour vous c’est un choix délibéré, on ne devient pas ainsi, sans faire des choix. Dans votre cas, je pense même que c’est une belle histoire, qui vous transportera dans un autre état. Est-ce que cela se raconte? Rester l’éternelle migrante au plus profond de votre être.
RépondreSupprimerBonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Pour en rajouter une couche!
RépondreSupprimer« La permanence de la jouissance due à la production continue et infatigable des connaissances, supplante la brève intensité du plaisir du corps. »
Thomas Hobbes
Léviathan
Page -132-
Je suis en train de lire le Léviathan, je trouve que c’est une belle découverte.
En même temps, j’ai lu : Le désir de nouveautés, L’obsolescence au cœur du capitalisme, de XV au XXI siècle. Lecture très intéressante, ça fait le tout de la question.
À part Hobbes, je suis en train de lire : La source par James A. Michener, une histoire universelle de l’archéologie. C’est un roman plein de surprises.
Une relecture : Dette 5,000 ans d’histoire de David Graeber. Histoire qui nous ramène à aujourd’hui, le voyage en vaut toujours la peine.
Pour finir, une analyse de : Sujet es-tu là? Par Lionel Naccache. Phrase par phrase, mot par mot, réflexion par réflexion, ce qui touche ce que nous sommes et qui dépasse les maladies dégénératives du cerveau. Une source d’inspiration interminable, sur l’humain. C’est un exercice auquel je me livre, lorsqu’une lecture me passionne.
S’il me reste du temps, je le passe dans la rivière, ou bien, je roule dans mon Jeep au travers des collines.
Voilà pour quelques suggestions de lectures.
Richard St-Laurent
Bien sûr Richard,
RépondreSupprimerNos parcours sont bien différents.
Mais c'est peut-être cela, justement, qui favorise l'échange. Si on était tous semblables, avec une même vie et une même éducation, on n'aurait rien à se dire.
Et puis, je ne veux pas laisser entendre que j'ai été malheureuse. Jamais, en France, je ne me suis sentie discriminée. Et je crois même que, sur certains points, je suis plus Française qu'une Française. Simplement, je n'arrive pas toujours à m'identifier complétement et je me sens toujours une observatrice, presque une ethnographe. Mais je suis quand même toujours en Europe. L'Amérique du Nord, je ne sais pas si je me serais pareillement adaptée à son mode de vie qui m'apparaît très prosaïque.
Mon passé n'a rien eu de bien terrible et malheureux. Je n'ai vraiment pas souffert et je ne l'échangerais pour rien au monde. Il a simplement été soumis à de multiples aléas, hasards et revirements. Mais est-ce que ça n'est pas le lot de chacun ? L'héroïsme des migrants, il est aussi à relativiser. J'ai simplement davantage changé de cadres de vie et ça m'a été très bénéfique. Où serais-je sinon aujourd'hui ? A crever d'ennui ou de peur dans une sinistre banlieue post-soviétique ? Le nomadisme, la déterritorialisation, c'est aussi une richesse. Et il n'y a pas grand héroïsme là-dedans.
Quant à l'histoire présente du monde, c'est sûr qu'elle devient anxiogène avec la montée des populismes et de l'extrême droite. Mais j'ai peine à croire que le mouvement soit durable. La démocratie redeviendra sans doute le moteur de l'Histoire.
Quant à vos conseils de lecture, j''avoue que j'ai du mal avec Davide Graeber. Je le trouve quand même souvent confus et idéologue.
Et le Léviathan, c'est en effet un grand bouquin qui a ensuite orienté la pensée politique des Lumières. Le marquis de Sade et Sigmund Freud s'y sont référés avec, bien sûr, des analyses très différentes.
Bien à vous
Carmilla
Bonjour Carmilla
RépondreSupprimerOui nos parcours sont bien différents, ce qui fait le charme et le mystère de nos échanges. Je me demande, comment deux êtres aussi différents, aux hasards de la vie, sont parvenus à ce niveau d’échange ? La vie est vraiment surprenante. Je n’ai jamais imaginé, qu’un jour une personne me parlerait de l’Iran et de l’Ukraine, qu’elle m’ouvrirait une porte sur ce que je connaissais très peu. En fin de compte, je vis pour cela, rencontrer des inconnus et me faire raconter des histoires. Exercice qui m’apporte beaucoup, ce qui dépasse tous les spectacles qu’on peut m’offrir. Ce qui demeure pour moi une substance incommensurable. La vie d’un être humain humble, que je replace dans la Grande Histoire, comme des morceaux sur un grand échiquier.
L’Amérique serait prosaïque ? Je dirais qu’elle est hyperréaliste, d’où les difficultés d’adaptations de ceux qui l’ont choisie, tellement qu’elle est différente comparé au reste du monde, et surtout à l’Europe. Je sais, tout le monde rêve de l’Amérique ; mais attention, l’Amérique ce n’est pas le paradis, surtout pas les États-Unis. On se rend à la messe ou à l’office le dimanche matin, c’est selon ses croyances ; et l’on passe ses dimanches après-midi à s’ennuyer. Pour ce faire, juste à traverser des petites villes et surtout des villages, pendant le jour du seigneur. Ce qui constitue une mosaïque difficile à comprendre. Dans cet état d’esprit, le Canada n’est pas en reste, surtout pour les anglophones, reste le Québec, si différent, avec sa fameuse société distincte. Pourtant beaucoup de personnes ne jurent que par l’Amérique. Les USA se veulent une terre de liberté, mais je rajoute, qu’elle est pleine de paradoxes. Oui à la liberté de culte ; mais toujours avec une arme à portée de la main.
Ce qui donne des penseurs comme Graeber, qui a écrit en fait, une histoire de la dette, où il pose la question fondamentale de : Comment nous avons inventé nos systèmes économiques ? Comment a-t-on inventé la dette ? Graeber est un anthropologue, et les anthropologues racontent des histoires. Il joue dans cet amour-haine du créancier qui a intérêt à prendre soin de son débiteur, s’il veut être remboursé un jour. Ce qui nous ramène à l’immense dette américaine, et nous pouvons comprendre, que mettre les USA en faillite, se serait en quelque sorte suicidaire économiquement pour tout le monde. Voilà la situation où nous pataugeons présentement. Et, ça les chinois l’on très bien compris. Ce qui ressemble aux menaces nucléaires du Cousin de Moscou. Pourtant, cela fait longtemps que nous fonctionnons à la dette, et il me semble que ce n’est pas près de s’arrêter.
Bonne fin de journée
Richard St-Laurent
Merci Richard,
RépondreSupprimerJe côtoie, rencontre, régulièrement beaucoup de gens mais il est bien rare que je puisse exprimer mes réelles préoccupations. Peut-être parce que l'on me réduit trop à ma seule activité professionnelle. On croit probablement que je n'ai que mes chiffres dans la tête.
Et puis ma difficulté à échanger, elle tient au fait que mes interlocuteurs sont trop enfermés dans leur cadre national. Ils n'imaginent pas que la France, c'est une perception du monde parmi d'autres.
Quant aux USA, je connais trop mal pour juger. Mais j'avoue qu'en dehors de New-York, dont j'ai trouvé le cosmopolitisme enthousiasmant, j'ai éprouvé un grand sentiment d'ennui. De banalité et de kitsch. Et avec la littérature américaine, j'ai les mêmes difficultés. Ca me tombe tout de suite des mains.
Et David Graeber, c'est pareil, il est bien américain. Il cherche à impressionner avec des pavés, confus et fouillis. Beaucoup de choses sont, certes, intéressantes. Mais sa visée est uniquement anthropologique et l'essentiel, le système bancaire et financier actuel, il ne l'aborde quasiment pas et d'ailleurs, il ne semble pas y avoir compris grand chose.
Il s'est fait connaître avec son bouquin "Bullshit Jobs" qui a eu un succès international. Mais développer cette idée que dans les entreprises, on entretient une foule de boulots inutiles et grassement payés au détriment de ceux qui travaillent réellement, démontre, à mes yeux, qu'il n'a jamais travaillé en entreprise. Il ne connaissait visiblement pas la pression qui y règne.
J'espère que mes propos n'apparaîtront pas trop prétentieux. Mais comme chacun, je parle depuis ma propre expérience.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
RépondreSupprimerJe n’y vois aucune prétention de votre part, au moins, vous êtes véridique, et à mes yeux c’est ce qui compte le plus. Vous ne cherchez pas à vous amalgamer à un groupe ou bien à une idéologie. Ce qui s’appelle l’indépendance, et c’est précieux, surtout à notre époque. Je dirais même que c’est réconfortant. Vous ne dérogez pas sur les grands principes, de liberté, de connaissance, et de vérité. Qui plus est, vous possédez une capacité de comprendre. Admirer sans jugement c’est facile ; mais comprendre une situation complexe c’est beaucoup plus difficile, ce qui exige des efforts, et même parfois haut niveau d’abnégation. Prime-à-bord, l’aventure commence lorsqu’on bute sur un problème, face à un sujet qui nous échappe, qu’on ne parvient pas à comprendre. Ce qui est très déstabilisant. Cela devient une question de persévérance. Nous nous demandons présentement : Pourquoi, les gens agissent ainsi ? Pourquoi cette recherche de la sécurité à tout prix ? Pourquoi ce conservatisme qui empoisonne notre quotidien ? J’avoue que je n’ai pas beaucoup de réponse. J’en réfère au chapitre 6, Jeux avec le sexe et la mort de Graeber : Dette 5,000 ans d’histoire, où il évoque avec de nombreux exemples comment la dette s’est insinuée dans des sociétés primitives à l’époque où l’esclavage s’installait dans l’ouest de l’Afrique au XVIe siècle. La situation était beaucoup plus complexe que seulement courir après des êtres humains pour les enchaîner. À chaque fois qu’une économie tribale était confrontée à des économies commerciales, cela tournait à la violence. Il en va toujours ainsi, et il évoque l’extermination des indiens en Amérique du Nord, qui ont été confronté exactement au même problème. On endettait les tribus, pour finalement les obliger, à vendre leurs femmes, leurs enfants, leurs serviteurs, et parfois même se vendre soi-même. C’est un chapitre vraiment intéressant. Ce qui a résulté à une violence sans limite. C’est ainsi que la dette est devenue synonyme d’asservissement. Des populations entières ont été exterminées dans le monde lorsqu’elles étaient confrontées à la dette. Est-ce qu’il faut se surprendre du climat délétère qui règne présentement dans le monde ? Graeber dans son écriture touffue souligne ces situations. Au final, nous n’avons pas tellement évolué. La violence en Afrique a des racines profondes, tout comme aux États-Unis, qui, disons-le, est et demeure une société violente. Nous avons été témoin d’un bel exemple hier, alors que le traître va utiliser la Garde-Nationale pour nettoyer les rues et les gazons de Washington de toutes sortes d’indésirables et de racailles. Au lieu de s’attaquer à la pauvreté, ils s’attaquent aux plus vulnérables d’une société. Il évoque qu’il va les envoyer ailleurs…peut-être dans un camp ? J’avoue que cela me laisse songeur.
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Richard,
RépondreSupprimerJe ne conteste pas, à vrai dire, l'intérêt des analyses de Graeber. Mais il est incroyablement touffu et manque vraiment d'esprit de synthèse.
Mais le plus frustrant pour moi, c'est qu'il en reste au passé, quelques siècles en arrière.
Pourquoi pas ? Mais ça n'explique pas grand chose, à mes yeux, du monde contemporain. La Dette ne fonctionne plus du tout de la même manière. Et de multiples techniques permettent de la rouler, reporter, convertir, sans que les particuliers en aient conscience. Aujourd'hui n'a pas grand chose à voir avec hier. Il y a une foule de nouvelles analyses à développer à ce sujet mais Graeber ne s'y est pas attaqué. C'est dommage.
Mais je partage aussi votre analyse. Simplement, la violence prend d'autres formes beaucoup plus policées, sophistiquées.
Bien à vous,
Carmilla