Dans ma vie, il y a une tendance très forte en moi : toujours en faire trop.
Je suis excessive en tout. Quand j'entreprends quelque chose, je n'arrive pas à m'arrêter. Je pourrais me contenter d'objectifs simples mais j'en rajoute toujours.
Quand je fais des courses, je ne me limite pas au juste nécessaire. J'achète plus qu'il ne faut de peur, sans doute, de manquer ou d'avoir un soudain désir (un poisson, un fruit, un dessert). Quant à mon habillement, mes placards craquent, je ne suis pas capable de me limiter à quelques chaussures, chemisiers, culottes, jupes. Ou bien, si je craque un jour pour un bijou, une montre, quelques semaines après, j'en acquiers un second, puis un troisième. Ou alors, je ne m'achète jamais un seul livre mais, toujours, plusieurs à la fois.
Je ne peux pas me contenter d'un objet unique parce que dès que je l'ai acheté, je me mets à me torturer et à douter de mon choix. Alors, un nouvel achat me permet de sortir de mon embarras. Mon hésitation perpétuelle, elle traduit bien sans doute que je ne sais pas ce que je désire.
Et c'est pareil dans ma vie intellectuelle. J'aurais pu me contenter de mes chiffres, de mes bilans, de ma comptabilité. Mais non ! Il a fallu que je me disperse, au risque d'être une moins bonne professionnelle, dans une foultitude d'autres disciplines que je maîtrise forcément plus ou moins.
Evidemment, mes fièvres d'achats me posent vite des problèmes, d'abord physiques et matériels. Parce que je ne vis qu'en appartement et que les surfaces sont limitées. Je suis heureusement parfois prise de rages dévastatrices mais, sur le moment, c'est déchirant. Le plus difficile, c'est de me débarrasser de mes bouquins. Après, je me sens mieux, apaisée, rassérénée, parce je déteste, malgré tout, le foutoir.
Ca, c'est pour les objets concrets. Mais que dire de mes activités ? Quand j'ai une tocade, quand je me lance dans un truc, il n'y a pas moyen de m'arrêter. Je ne fais pas du sport de temps en temps, mais absolument tous les jours, sinon je culpabilise. Choisir une destination de voyage, c'est une longue torture parce que je voudrais tout visiter.
Finalement, je ne me décide qu'au dernier moment. Et je ne me déplace pas pour me bronzer au bord d'une plage mais pour du culturel, de l'ennuyeux: des musées, des villes, des châteaux. Et il est vrai que les paysages, la nature, ça ne me touche pas plus que ça. Quant à mes lectures ou au cinéma, je ne choisis rien de distrayant mais que du sérieux. L'expression française que je déteste le plus tant elle est ressassée c'est : "en profiter".
En profiter, je ne suis justement pas capable de ça. La simplicité, la décontraction, le cool, ce n'est vraiment pas mon mode de fonctionnement. Je préfère le torturé, le tarabiscoté. Disons que j'ai l'art de me compliquer la vie et que je suis, moi-même, très compliquée et très sérieuse. Ca rejaillit évidement sur ma relation avec les autres parce que je les trouve trop simples, trop évidents, et que j'ai tendance à avoir les mêmes exigences envers eux qu'envers moi. Ca explique sans doute que je fasse vite fuir les mecs.
Compliquée et pas drôle, c'est donc moi. C'est à ma manière sans doute mais ça n'est, probablement, pas non plus si original que ça. C'est même le cas de beaucoup de gens. Je crois qu'il y a une tendance très forte de l'esprit humain à préférer la complexité à la simplicité. Et c'est ce qui nous rend, le plus souvent, malheureux. Notre incapacité à lâcher prise, à se laisser porter, à en revenir à des choses simples et immédiates.
On préfère généralement le trop au pas assez, la saturation au manque. On a souvent cette illusion que l'abondance, le surplus, c'est mieux que l'ascèse et l'économie.
C'est le travers dans le quel tombent les apprentis écrivains. Ils veulent, sans cesse, en rajouter, ils veulent tout dire. Ils oublient que les vrais écrivains ne cessent d'élaguer, simplifier.
Ca se traduit aussi dans l'esprit bureaucratique. On multiplie les réglementations, les pare feux. On voudrait un monde sans failles, sans imprévu. Ou bien, sur un plan plus personnel, on bétonne son agenda, on s'interdit tout temps libre, tout moment passé à simplement rêver.
On est affectés par une sorte de biais cognitif. Le manque, l'insuffisance, c'est ce qu'on cherche à tout prix à combler. Ca relève, peut-être, d'une angoisse originelle. Et ça correspond d'ailleurs à la logique marchande du capitalisme: nous abreuver, nous gaver, de biens et marchandises.
Pouvoir faire un peu de vide autour de soi et en soi-même. Je suis sûre qu'on y gagne en sérénité. J'y réfléchis sans cesse. Mais de l'intention à sa concrétisation, il y a souvent un gouffre.
Images de Remedios Varo, Sam Szafran, Axel Krause, Kristina Daniunaite, Afifa Aleiby, John Tarahteef
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- Fabienne Verdier : "Passagère du silence". Une artiste peintre qui a vécu 10 ans d'initiation en Chine. Elle y a appris l'épure, la simplicité, le trait. Un bouquin hors du commun qui nous en apprende autant sur la Chine que sur l'Art.
- le dernier numéro de la revue "Philosophie Magazine" : "Pourquoi se complique-t-on la vie ?"