Parmi mes bizarreries, il y a sans doute mes horaires "décalés". Je suis souvent à pied d'œuvre dès 3 heures du matin et je me mets aussitôt à fureter, m'activer. Et 3 heures, c'est le début de la vraie nuit: si l'on sort dans la ville, on est à peu près sûrs de ne croiser absolument personne. Ca explique probablement que je n'ai pas encore pu trouver d'âme compatible. Mais c'est un mode de vie auquel je tiens absolument: "mes nuits sont plus belles que vos jours" dit-on.
Notre rapport au sommeil, ça dit, en fait, beaucoup de nous-mêmes. Je trouve ainsi significatif que, dans la littérature contemporaine, absolument plus personne n'ose évoquer ses rêves ou son sommeil. Un écrivain peut d'ailleurs être sûr que s'il fait cela, son lecteur va se dépêcher d'en sauter le récit. On ne connaît plus que la vie éveillée aujourd'hui.
Et puis, il y a évidemment Freud dont le livre fondateur ( paru significativement en 1900, année charnière) est "L'interprétation du rêve".
Le rêve est l'une des productions les plus signifiantes de nos vies, souligne Freud. Il est même "la voie d'accès royale à l'inconscient". La vulgate affirme que nos rêves sont l'expression de nos désirs profonds. Ils seraient donc généralement de "beaux rêves" aimables et plaisants. C'est, en fait, plus compliqué et moins agréable : les rêves sont à l'image de la condition humaine, ils ne sont pas heureux. Ils sont même "torturants" et pleins d'angoisse car ils traduisent surtout le sentiment de culpabilité que nous éprouvons vis-à-vis de nos impulsions et désirs.
On ne se sent jamais bien après un rêve, presque déchirés par le sentiment de faute qu'il charrie. On n'est pas des gens simples en fait. On n'a pas une personnalité monobloc. On est toujours tiraillés par des exigences contradictoires, on vit un conflit intérieur permanent. Notre identité, elle est toujours double et duplice.
Mais la modernité n'admet pas du tout ça. La modernité, c'est "la transparence" et les choses univoques. Les états d'âme, la vie nocturne et ses tourments, ça n'est donc pas une préoccupation. On a ainsi évacué tous les problèmes du sommeil. Ou plutôt, on les a simplifiés. Bien dormir, ça relèverait d'abord d'une bonne hygiène de vie. Mais ça se révèle, bien sûr, une thérapie inefficace. Et d'ailleurs, un Français sur trois dit mal dormir et 10 millions d'entre eux ont recours aux somnifères.
A travers l'insomnie, on cherche bien à échapper à quelque chose. Mais ce quelque chose, qui nous tourmente et nous empêche de dormir, il est devenu quasiment impossible d'en parler aux autres, de l'exprimer.
Alors, on préfère s'abrutir de somnifères et rejeter le sommeil comme un élément perturbateur et secondaire de nos vies. On adopte le train-train de la vie laborieuse, celle qui ne connaît que la vie diurne et valorise les individus francs et directs, tous ceux qui n'ont que de bonnes pensées. Le repoussoir, ce sont les gens "pas clairs", "pas nets", tous ceux qui ne savent pas ce qu'ils veulent ni qui ils sont.
Je rentre évidemment dans cette dernière catégorie. Je préfère l'ombre et le flou à la transparence. La nuit au jour. Et je ne suis d'ailleurs pas une insomniaque même si je dors peu. Parce que j'ai su affronter les monstres qui m'ont rendu visite durant mon sommeil, je m'éveille toujours avec les idées claires et je carbure aussitôt à plein.
J'en tire deux enseignements :
- d'abord que l'on n'éprouve jamais d'amour parfaitement normal. Un amour normal, ce serait celui où le courant tendre, affectueux, romantique, coïnciderait avec le courant sensuel, érotique. Mais ça ne se présente, en fait, jamais comme ça, ça ne colle jamais complétement. En réalité, on est presque tous incapables d'aimer parce qu'on est enfermés dans une terrible contradiction: là où on aime, on ne désire pas et là où on désire, on n'aime pas (Freud, "L'homme aux loups").
On ne se sent excités que par des personnes que l'on n'aime pas. Probablement parce que pour désirer, il faut en même temps haïr et qu'en général, on ne hait point ceux que l'on aime. C'est cela qui ressurgit dans nos rêves. Le Grand Amour, ça n'est d'ailleurs qu'une projection sur l'autre de notre propre idéal narcissique. C'est nous-mêmes, en mieux, que l'on croit percevoir chez l'autre. Et ça explique que, dans cet amour que l'on croit partagé, chaque satisfaction érotique est suivie d'une diminution de l'idéalisation de l'autre. La tendresse initiale, elle a vite fait de disparaître. C'est pourquoi, on dit que la chair est triste. C'est pourquoi aussi, il vaut peut-être mieux ne pas avoir de relations sexuelles avec les personnes que l'on aime. Les plus beaux amours, ce sont les amours distants.
- en second lieu, nos rêves nous font éprouver notre part d'immortalité. Immortalité, en ce sens que le passé n'est jamais définitivement séparé, expurgé de nous, et qu'on peut le retrouver.
On a tendance à croire, en effet, que l'on vit simplement dans le présent, dans l'ici et le maintenant. Et que tout s'efface, au fur et à mesure de nos vies. Ce sont les sentiments d'irréversible et de nostalgie.
Mais on découvre que tout ce que nous avons vécu émotionnellement, même et surtout dans notre petite enfance, n'est jamais entièrement perdu. C'est au point que Freud affirme que "l'inconscient ignore le temps" et que rien ne s'y efface jamais. De notre passé, nous conservons ainsi une multitude d'"impressions", de traces sensorielles qui viennent frapper au seuil de notre conscience: le chant de la pluie, l'intensité des couleurs, la première illusion d'un regard.
Les Impressionnistes ont bien traduit cela. Et Marcel Proust a décrit cette effraction du passé sous le registre de la joie. Sigmund Freud l'a plutôt associée à une angoisse originaire. Mais ce qui est important, c'est cette imbrication étroite du passé et du présent dans nos vies. Sans cesse, le passé, tout mon passé, s'invite à la table de ma vie quotidienne et colore celle-ci d'une étrange tonalité, affective, sensuelle. Il nous appartient de lui faire bon accueil. C'est cela qui est à l'origine de l'Art et fait la beauté de la vie.
Tableaux de Rafal OLBINSKI, Marc CHAGALL, Odilon REDON, Yves KLEIN, Paul KLEE
Je recommande:
- Jean-Yves TADIE: "Le lac inconnu - Entre Proust et Freud". Innombrables sont les points de rencontre entre Proust et Freud: le rêve, les signes du corps, la mémoire, le temps, la mort, la jalousie. Un bref essai par le grand spécialiste de Proust.
- Mircea CARTARESCU: "Solénoïde". Une brique de 800 pages parue en 2019. Un livre monstre du grand écrivain roumain (nobélisable). Un long, très long, rêve-cauchemar. Un bouquin monumental dans l'ombre de Kafka et de Borges. Mais je reconnais qu'il faut vraiment s'accrocher pour parvenir à aller jusqu'au bout de ce bouquin ultra-déprimant.
- Lola GRUBER: "Horn venait la nuit". L'un des grands livres de ce début d'année. Comment nous sommes hantés par l'histoire, la vie de nos familles, de tous ceux qui nous sont, à la fois, si proches et si lointains. Le réel se tisse sans cesse du souvenir et de ses marques. Un bouquin qui se passe en Moravie (République tchèque), en Slovaquie et en Hongrie.
Au cinéma, je recommande, sur ces thèmes de la nuit, du rêve et du temps : "La bête" de Bertrand Bonello (Le grand film de ces derniers mois) et "Vampire humaniste cherche suicidaire consentant" de la cinéaste québécoise Ariane Louis-Seize (incroyable de s'appeler comme ça). Ce dernier film (qui n'est pas un film d'horreur) est vraiment original et pose plein de questions essentielles notamment celle-ci: toutes les sociétés reposent sur le crime.
Ma chère Carmilla, je vous hais bien :)
RépondreSupprimerC'est étrange, je suis en train de lire Consuelo en ce moment, et l'ambiance de ce roman colle à l'esprit de votre post. Merci, comme toujours vos écrits donnent matière à réfléchir.
Bon weekend pascal, belle immortelle :)
Merci Julie,
RépondreSupprimer"Consuelo", c'est très flatteur.
J'avoue n'en avoir que des souvenirs lointains mais c'est vrai que ça me correspond largement.
Même si je n'ai aucune prétention littéraire, il est vrai que j'ai été très influencée par le roman gothique et le roman noir du 19 ème siècle. C'est surtout britannique et allemand mais beaucoup d'écrivains français s'y sont essayés, dont Georges Sand.
Et ça se passe souvent en Europe Centrale, terre de mystères et de brumes.
Si on retrouve donc, toutes proportions gardées, un peu de cette ambiance dans mon blog, ça me fait plaisir.
Joyeuses Pâques à vous également, Julie.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
RépondreSupprimerLe songe et l’émerveillement.
Vous abordez un merveilleux sujet, qui chez moi, est double, mes rêves diurnes les yeux ouverts, et mes les songes nocturnes les yeux fermés. Ce qui fait de moi un grand rêveur. Mes rêves diurnes ont le connaît, je n’ai pas besoin d’élaborer sur le sujet. Par contre mon univers nocturne il est à mes yeux grandiose.
C’est un lieu hors du temps et de l’espace; un véritable lieu et état de pleine liberté. Dans cet état, je n’ai pas besoin de décider, juste à me laisser aller, où je me sens très vivant mais d’une façon très particulière, où tout tourne en impression. Mon univers de nuit, c’est un univers impressionniste, meublé de sensations diverses, comme le confort, la douceur, l’engourdissement, le tout par petites touches, où des personnes passent dans mon entourage sans s’arrêter, où une femme apparaît derrière un jour de souffrance, pour traverser un rideau de brouillard, sans s’occuper de ma personne. Un temps infini qui ne se mesure pas, où les couleurs sont très belles, où les formes sont inconnus dans ma réalité, un univers que je n’ai pas envie de quitter. J’ignore combien de temps ce genre de songe se prolonge; mais je voudrais que jamais il ne cesse. Ça part dans toutes les directions où je vole sans effort comme un pygargue, où je nage avec des dauphins en riant.
Le corps sombre dans le sommeil et j’ai ce sommeil particulièrement lourd surtout après une journée de durs travaux physiques; mais l’esprit ne se repose jamais, il fonctionne jour et nuit, sans doute pas de la même manière, mais il fonctionne. Le cerveau ne dort jamais, quelques fois il rapaille des événements de la journées, me ramène à une souvenir que j’avais oublié, ou que je pensais avoir oublié, d’autres fois c’est une rencontre avec un inconnu, nous parlons mais je ne vois que ses lèvres bouger, aucun son ne me parvient, pourtant nous avons l’air de nous comprendre. Je fais plus de rencontre dans mes rêves que dans ma réalité qui n’est pourtant pas banale. J’ai toutes une galerie de personnages, et j’en invente encore. Nous sommes assis sur la plus belle galerie au monde, entrain d’échanger devant une grand verre de scotch à la main, et cigare au bec. La belle vie, où je suis loin de cauchemars impossibles à comprendre. Sans oublier que mon cerveau dissèque mes rêves, en tranches, en morceaux, en pâte, où je marche dans une forêt, et soudain j’ai très soif, alors je me réveille, je rempli un verre d’eau que j’avale; puis je me recouche pour continuer le même rêve. Se sont mes rêves étranges. Et puis j’apparais en songe à des personnages historiques pour finalement au fil de notre discussion partager un grand repas.
Dès que mon corps touche la paillasse ou le matelas, ou même la solidité du plancher, je sais que cela va être confortable et agréable, dormir pour moi, c’est vivre un bon moment, parce qu’on a beau dormir, perdre conscience, un autre univers s’ouvre, celui des songes. Ne dit-on pas quelque part : qu’un ange lui est apparu en songe! J’ai rêvé beaucoup dans ma vie, mais je n’ai jamais rencontré dans mes songes, un ange, un extra-terrestre, une déité, une Vénus, ou bien un collecteur d’impôt.
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Richard,
RépondreSupprimerQue vous dormiez bien laisse supposer que vous n'êtes pas de tempérament anxieux, angoissé. Ce qui est, dans une certaine mesure, plutôt positif. Peut-être que votre goût pour la lecture permet justement d'apaiser, en partie, vos angoisses, votre inassouvissement. Comme le rêve, le livre est un support d'expression de ses désirs; il remplit souvent une fonction thérapeutique, cathartique.
Que vos rêves soient hors du temps et de l'espace, j'en conviens aussi. C'est même leur caractéristique première. On sait d'ailleurs aujourd'hui, que ce ne sont pas des données absolues de l'expérience humaine.
Mais que vos rêves s'apparentent au merveilleux, à l'aimable, au chatoyant, je l'admets mais ça n'est sans doute pas que cela.
Vous employez avec justesse le terme d'"impressions" pour caractériser un rêve. C'est bien cela mais ces impressions sont chargées d'intensité affective. Et cette affectivité, elle est généralement pleine d'angoisse.
Je crois plutôt qu'un rêve est toujours dérangeant, perturbant. Et c'est pour cette raison qu'on se dépêche de l'oublier, de le refouler. Un rêve nous dit quelque chose de nous-mêmes que nous n'osons pas nous avouer. C'est pourquoi, il nous met mal à l'aise durablement. Il n'a, en fait, généralement rien d'aimable et de récréatif.
Mais c'est cela qui est justement intéressant. Le rêve permet de comprendre qu'on n'est peut-être pas des gens si bien que ça. Qu'on est plutôt dévorés d'impulsions hostiles et destructrices. Ce que Freud appelait la pulsion de Mort.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
RépondreSupprimerEst-ce que l’amour est un sentiment normal? Mais qu’est-ce qu’un amour normal? J’ai bien du mal à y voir clair. Puis, s’il y a des amours normaux, il y a forcément des amours anormaux. Mais n’oublions pas aussi, qu’il n’y a pas d’amour. Le vide amoureux ça existe. Il est vrai que je me méfie de ce thème: normalité. Au fait, l’amour serait normal ou anormal? Je ne sais pas.
Par contre je suis en accord avec vos deux enseignements :
Là où on aime on ne désire pas, et quelques fois se sont des amours très puissants. Et, d’autre part, là où l’on désir on n’aime pas. Le désir ne devient même pas accessoire. Peut-être que nos sociétés se sont cantonnées dans le désir parce que c’est plus simple que les amours puissants?
Le deuxième enseignement est tout aussi particulier. Vous avez raison, lorsque vous évoquez qu’après chaque relation sexuelle, le degré d’intensité diminue, le réservoir des sentiments se vide, la panne sèche vous guette. Et, un jour vous tombez en panne de sentiment. Tout dépend comment vous aller gérer votre atterrissage forcé. Chauffer la chaudière pour maintenir la pression des passions érotiques, ce n’est pas une mince tâche, on ne fait pas monter la pression avec un feu de paille. C’est une tâche de tous les instants qui vous use rapidement. Il appert, que les relations amoureuses peuvent très bien se passer d’érotisme. Tout comme ce n’est pas une obligation d’aimer dans sa vie, on peut très bien s’en passer; on peut aimer de loin sans se toucher. C’est une manière d’éviter les déceptions.
Je sens que vous avez vécu ces genres d’expériences, ça fait partie de la vie, et ce n’est pas une obligation d’en rester là, et encore pire de répéter ces genres d’expériences. Vaut mieux ouvrir d’autres champs d’intérêts. Vaut mieux abandonner ses amours rouillés dans le champ du ferrailleur. Peut-être que nous avons trop idéalisé les sentiments amoureux? L’amour c’est comme l’enfer ce n’est pas fait pour tout le monde.
Être ou ne pas être, ou bien, aimer ou ne pas aimer? Voilà de grandes questions existentielles, celles auxquelles j’aime me frotter. C’est une manière de tordre le bras du destin. Au contraire ce ne fut pas des expériences désagréables, je n’ai jamais pris de pilule pour dormir, avec la vie que j’ai mené l’angoisse n’avait pas sa place.
Au cours de cet hiver qui vient de se terminer, j’ai fais des nombreuses lectures, et une en autre, une difficile : Les mirages de la certitude, par Siri Hustvedt, qui explore le rapport entre corps/esprit, mais qui touche de multiples domaines, comme l’intelligence artificielle, l’apprentissage, les sentiments, la compréhension, c’est un livre comme grand tour d’humanité. Madame Hustvedt est bien plus qu’une simple romancière, c’est une redoutable essayiste. À la fin de son chapitre intitulé : Un mariage d’esprits : la psychologie de l’évolution, elle pose une question que je ne cesse de me poser depuis longtemps : Comment l’être humaine est-il devenu ce qu’il est? Je suis loin d’avoir trouvé la réponse, mais cette question me passionne. Ce qui ressemble un peu à la question de Leibniz : Pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien? Ainsi, j’ai édifié ma vie sur un tas de questions semblables. Je viens juste de commencer la lecture de : Sept jours dans la vie de Leibniz par Michael Kempe. Ça me semble prometteur. J’y reviendrai…
Bonne fin de journée Carmilla et merci pour votre texte
Richard St-Laurent
Merci Richard,
RépondreSupprimerIl n'y a en effet aucune normalité en amour.
Et quand ça se produit, ça n'est jamais la félicité complète et c'est plutôt même la déception.
Il y a presque toujours, en effet, un décalage, entre le sentiment amoureux éprouvé et l'attrait érotique de la personne concernée. Il est bien connu que beaucoup de gens font l'amour en fantasmant sur une autre personne que leur partenaire. On connaît bien l'attrait des criminels sur les femmes et des femmes de mauvaise vie ou réputées légères sur les hommes. Et l'attrait érotique de la personne aimée décline progressivement.
La condition humaine est celle de l'insatisfaction, de l'inassouvissement. On n'est jamais pleinement contents mais c'est aussi cela qui nous fait progresser, avancer.
Siri Hustvedt, je la préfère en romancière. Comme théoricienne, je la trouve un peu laborieuse.
Quant au bouquin, "Sept jours dans la vie de Leibniz", il est tout à fait remarquable. C'est une démarche qui permet de comprendre, me semble-t-il, un penseur. A contre courant de l'opinion commune, je pense en effet que pour commencer à comprendre un philosophe, vous devez d'abord connaître sa vie personnelle et son contexte historique. Si vous ouvrez un bouquin de Kant ou de Leibniz sans vous préoccuper de cela, je crois que vous ne pouvez absolument rien y comprendre. C'est tout de suite beaucoup plus clair si vous parvenez à rattacher cela à un contexte historique et personnel.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
RépondreSupprimerSiri Hustvedt, peut-être laborieuse, mais certes pas ennuyante.
J’ai retenu ce petit bout de texte pour vous, parce qu’il vous ressemble :
« Je suis très attachée au roman, une forme d’une flexibilité quasi enchanteresse. Je crois en elle et, contrairement à beaucoup de monde, je pense que la lecture de romans accroît le savoir humain. Je pense aussi que c’est pour les idées un véhicule extraordinaire. Je gagne ma vie en écrivant des romans. L’attrait qu’exercent sur moi la phénoménologie et la psychanalyse, qui, l’une et l’autre, explorent l’expérience vécue, fait bon ménage avec mon intérêt pour la littérature. Le roman est une forme qui aborde d’une manière ou d’une autre les particularités de l’expérience humaine. »
Siri Hustvedt
Les mirages de la certitude
Page 349
C’est très proches de vos pensées Carmilla, j’affirmerais que vous être pratiquement de la même famille. Vous ne craignez pas le débat!
D’autre part elle ajoute :
« Ce que je sais, c’est que pour penser avec subtilité il est nécessaires d’accepter l’ambiguïté, d’admettre des failles dans le savoir et de poser des questions qui ne sont pas des réponse toutes faites. »
Sire Hustvedt
Les mirages de la certitude
Page 304
Les sentiments ne se contentent jamais de réponses toute faite. Elle aborde le sujet scientifique de la construction d’un cerveau artificiel qui auraient des sentiments, et cela ne date pas d’hier. Comment peut-on imaginer qu’un jour un robot aura des sentiments? Le sentiment avec sa part d’improvisations, de ressentis, d’errances et de doutes. Comment bâtir le doute dans un cerveau artificiel? Je me demande comment les scientifiques se sentent devant la grande fille des plaines, qui vient troubler leurs certitudes?
Cette lecture ne fut pas facile, je suis revenu sur certaines phrases, j’ai relu certains chapitres, j’ai délaissé le livre pour le reprendre, mais au final, cette lecture en valait la peine.
Après une telle lecture passionnante, il ne faut jamais hésiter, pour se lancer dans une autre aventure. Hier soir j’ai lu une centaine de pages de : Sept jours dans la vie de Leibniz. Encore une fois le ravissement opère en moi. Nous pensons souvent que ceux qui sont intelligents vivent une vie de facilités. Ce qui n’est pas généralement le cas, eux aussi ont leurs problèmes, leurs déceptions, leurs épreuves, à l’automne 1675, Leibniz se retrouve à Paris, pauvre comme la gale, vivotant de petits travaux alimentaires. Ça donne à réfléchir!
Je suis comblé d’être entouré de tels auteurs par les livres, et, j’en redemande encore.
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Richard,
RépondreSupprimerEtablir un rapprochement entre moi et Siri Hustvedt, c'est gentil et flatteur mais ça m'apparaît quand même franchement excessif. Je ne suis vraiment pas de même niveau.
Disons que je suis sensible à son sentiment d'exil, à son aspiration constante à un ailleurs favorisée par son multilinguisme. Son espèce de spleen continuel qui en découle. J'aime bien aussi sa vision du féminisme. Il lui arrive même d'évoquer la sexualité de manière franchement audacieuse mais c'est rare.
Oui, elle s'intéresse aussi à la psychanalyse pour insister sur la complexité des comportements humains. Mais ce qui me gêne aujourd'hui, c'est qu'elle s'est lancée dans la neurologie et, là vraiment, j'ai du mal à la suivre. On ne s'improvise pas en la matière.
C'est le problème de beaucoup d'écrivains. Ils se font bouffer par la théorie et leurs bouquins deviennent pesants, de longs raisonnements. Mais le roman, ça n'est pas ça. Ce n'est pas une démonstration. C'est une divagation-création.
S'agissant de Leibniz, je me permets de vous signaler que je lui ai consacré un petit post le 28 mars 2020 (en début de confinement). C'est, bien sûr, quelque chose de minime.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
RépondreSupprimerLa lecture de : Sept jours dans la vie de Leibniz, demeure un ouvrage qui se savoure. C’est agréable d’explorer la vie de cet esprit universel. Une seule passion : la connaissance, pour connaître et expliquer ce qui nous entoure. Toute son existence aura été consacrée à ses recherches, ses inventions, son énorme correspondance, sans oublier ses pensées philosophiques. Ce fut le fondement de sa vie, d’une telle puissance, qu’il n’avait pas beaucoup de temps pour les mondanités et encore moins pour la bagatelle. Il était si occupé qu’il en était dispersé. Il n’arrivait pas à tout réaliser ses pensées qui émanaient de son cerveau volcanique. C’était un être, qui s’accordait parfaitement bien avec ma devise : Solitaire mais libre. Ce qui me plaît chez lui, c’est qu’il ne se s’est jamais soumis à aucune autorité, ce qui était rare à l’époque. On le respectait parce qu’on redoutait son savoir. Alors, on le laissait à sa solitude, par contre il communiquait avec le monde entier par courrier. Qui plus est, il avait la bougeotte, il était toujours en déplacement, ce qui n’était pas une mince affaire que de se déplacer à son époque. J’ai particulièrement aimé lorsqu’il s’est fait construire selon ses directives, une calèche spéciale, doté d’une suspension qui lui permettait d’écrire et de lire pendant qu’il se déplaçait. Nous pouvons examiner le dessin dans les pages du livre de Kempe. En examinant ses dessins j’ai fait le lien avec les dessins de Léonard De Vinci, un autre esprit universel. Certes, Leibniz n’était pas aussi doué en dessin que De Vinci, mais il était très habile dans ses conceptions. Il faut regarder à la page 93, son système énergétique et installation technologique : projet de circuit hydraulique avec éoliennes, et ce ne fut qu’une de ses nombreuses inventions. On n’a qu’à penser à sa machine à calculer, qui n’a pas abouti totalement, mais c’était plus qu’un début, et que dire des mathématiques binaires! Ce qui m’a fasciné aussi chez lui, s’est son écriture, sa calligraphie, comment peut-on arriver à lire ses gribouillis? Pour le dire autrement, il n’avait pas une belle main! Peut-être que sa main n’arrivait pas à suivre ses pensées? Comment font les chercheurs aujourd’hui, pour s’y retrouver dans les fouillis de Leibniz? Puis, comment passer sous silence ses réflexions philosophiques? Le bien a besoin du mal pour devenir le bien. Si Adam n’avait pas croqué la pomme, il aurait été quelqu’un d’autre. Nous sommes dans le meilleur des mondes possibles, mais ce n’est pas le seul monde possible. Nous pourrions être différents de ce que nous sommes devenus. Peut-il y avoir un commencement? Il s’est interrogé sur l’âge de la terre, et il a émit à ce sujet que la terre était beaucoup plus vieille que ne l’indiquait La Bible. Peut-être même des millions d’années, pensées qui s’apparentent à celle de Darwin sur l’évolution nos seulement du vivant, mais de la terre elle-même. Comment ne pas penser à Pierre Teilhard de Chardin dans sa vision du passé : Caractère critique du Phénomène Humain? Bien avant Teilhard de Chardin, Leibniz jouait déjà dans ces eaux-là! Ce qui l’avait amené à poser cette question toute simple, mais rudement déstabilisante, voir stimulante : « Pourquoi y a-t-il un monde plutôt qu’aucun? » Pourquoi existe-t-il quelque chose, au lieu de rien? Michael Kempe, et je présume, qu’il l’a fait volontairement avec cette question, l‘insérant, trois pages avant le fin de son ouvrage. Nous pouvons nous interroger sur toute une vie pour en arriver à ce genre d’interrogation. Je savais que Kempe ne pouvais passer à côté de cette question, page après page je l’attendais, je la souhaitais cette question, et j’y suis arrivé. Et après? Après, il y a toujours un après, parce que s’il n’y a plus d’après, il n’y a plus de vie, il n’y a plus rien! Je sais je n’ai pas répondu à la question, mais ce n’est pas une raison pour ne pas s’y intéresser!
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Et pourquoi pas…?
RépondreSupprimer« Pour rendre acceptable le Phénomène humain, et lui permettre de manifester sa fécondité scientifique, la première condition est de ne pas biaiser avec lui, ni de le minimiser. L’Homme n’est aussi troublant pour la science que parce que celle-ci hésite à l’accepter avec la plénitude de sa signification, c’est-à-dire comme l’apparition, au terme d’une transformation continue d’un état de la Vie absolument nouveau. Reconnaissons franchement, une bonne fois, L’évènement du pouvoir de penser est un événement aussi réel, aussi spécifique et aussi grand que la première condensation de la Matière ou la première apparition de la vie : et nous verrons peut-être, au lieu d’un désordre redouté, une harmonie plus parfaite s’étendre sur nos représentations de l’Univers. »
Pierre Teilhard de Chardin
tiré du : Phénomène humain
page 234
Caractère critique du
Phénomène humain.
Pour en revenir à Leibniz, sans doute qu’il était en harmonie avec sa représentation de l’Univers, mais je doute qu’il ait été en harmonie avec les humains de son époque.
Un sentiment étrange m’habite sur le retour des propos de Teilhard de Chardin.
Merci Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Richard,
RépondreSupprimerLa vie de Leibniz est en effet fascinante. Presque comique à certains égards. Sa graphomanie était ahurissante. Il prenait sans cesse des notes avec des commentaires à chaque fois qu'il lisait quelque chose ou avait une idée. Et comme il travaillait sans cesse..., on dispose aujourd'hui d'une masse monstrueuse de documents de sa part (plus de 100 000 pages dit-on) que l'on n'a toujours pas fini d'exploiter.
Par contraste, ses écrits philosophiques ("La Monadologie" notamment) sont très brefs et très concis. Ce qui ne signifie pas qu'ils sont immédiatement compréhensibles.
Il était aussi un grand polyglotte et il a été l'un des premiers penseurs à s'intéresser à la Chine.
Quant à ses amours, on n'en sait à peu près rien. On sait simplement qu'il a été très impressionné par Anne-Sophie de Hanovre, une femme remarquable, la grand-mère de Frédéric Le Grand. C'est le tout début de l'inattendue puissance de la Prusse.
Pour autant qu'on puisse juger, Leibniz était quelqu'un de très sociable même si sa conversation n'était pas forcément brillante ou séductrice.
Quant à Teilhard de Chardin, j'avoue n'avoir absolument rien lu de lui. J'ai l'impression qu'il est un peu passé aux oubliettes en France. Je ne sais donc vraiment pas s'il a un quelconque rapport avec Leibniz.
J'ai plutôt tendance à penser que chaque système philosophique est autonome et qu'il n'y a pas de dialogue entre l'un et l'autre.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
RépondreSupprimerEt oui, pourquoi pas…
Le songe et le mirage.
Le songe et le mirage partage une qualité, ils sont éphémères. Est-ce qu’on pourrait en dire autant entre le bien et le mal? Je présume que Leibniz est parvenu à ses brillantes démonstrations, à la fois par le songe, qui s’est ensuite, prolongé dans la réflexion. Il a peut-être aussi été visité par quelques mirages. Son discours sur le bien et le mal demeure une brillante démonstration, et nous pouvons comprendre que Voltaire en a éprouvé un certain dérangement. Il n’en fallait pas beaucoup pour faire sortir Voltaire de ses gonds. C’est quand même fascinant, un monde créé par un être parfait, où nous retrouvons le bien et le mal, la joie et la souffrance, la paix et la guerre, la santé et la maladie. Comment l’expliquer? Ce qui me rappelle certains débats tumultueux que j’avais eu avec des professeurs religieux alors que je fréquentais le collège. J’avais déjà ces genres d’idées, même si je ne connaissais pas Leibniz, et un peu voltaire. Ce qui n’était pas bien vu dans ce genre d’établissement catholique. Mais, c’était dans l’ordre des idées, j’ai pris conscience que je pouvais avoir des idées, que je pouvais en débattre, eu que je pouvais au cours d’un débat rouler un croyant dans la farine. La suite des événements allait poser une question autrement plus dérangeante, entre moi et moi : Comment une idée, une théorie, une vue de l’esprit, peut naître dans le cerveau d’un être humain? Aujourd’hui, nous pouvons nous demander, comment Leibniz est arrivé à cette élaboration de cette hypothèse qui allait se confirmer par la suite sur l’évolution? Voilà une pensée élaborée. Mais comment Leibniz y est-il arrivé? On avait trouvé par accident dans le nord de l’Allemagne, des ossements, qui n’avaient rien à voir avec ceux d’une vache ou d’un cheval. Ce qui a vivement intéressé Leibniz, donc le monde n’avait pas été créé tel qu’on le voyait, cela supposait une évolution, ce qui ne concordait pas avec les écrits de La Bible. C’était rudement dérangeant. On ne sait pas trop si Leibniz était croyant, chose certaine, ce n’était pas une grand pratiquant. Ce qui n’était pas mal vu dans l’Allemagne de son époque. Il a imaginé l’évolution sur des millions d’années avec des êtres qui évoluaient, qui se transformaient, qui pouvaient même évoluer vers d’autres espèces. Il avait imaginé cela avec des moyens très rudimentaires. Mais comme beaucoup de penseurs à cette époque, il n’en parlait pas à tout le monde, car cela aurait pu lui vouloir des représailles. Ce qui ressemblait étrangement à Spinoza. Pour résumer la formule : on ne disait pas n’importe quoi à n’importe qui. Même dans ses correspondances il était prudent sur ce sujet en particulier. Même au XIXe, il en fut longtemps ainsi pour Darwin, qui a attendu longtemps avant de publier les résultats de ses observations, sachant que cela allait bousculer les pensées, les manières de penser et les convictions. Ce que n’a pas fait Teilhard de Chardin, qui avait une longue expérience de vie, il était sorti de ses études, de ses livres, des théorises scientifiques, pour devenir brancardier lors de la première guerre mondiale. Ce qui fut un épisode très formatrice de son existence, qui plus est, c’était un Jésuite, et l’Église Catholique s’est toujours méfié des Jésuites. En tant que paléontologue, on ne passe pas une bonne partie de son existence à creuser le sol à la recherche d’os, sans se poser des questions. Le genre : Comment les pensées naissent-elles?
Richard St-Laurent
Et, pourquoi pas se frotter aux grandes questions existentielles? Je reconnais que je suis très confortables dans ces genres d’univers. Je ne pouvais m’empêcher de marier le songe avec le mirage. Comment sortons-nous de ce puits profond? Comment un type comme moi est arrivé à lire le Phénomène Humains de Teilhard de Chardin? Dans ce collège, il y avait un bibliothèque, la plus grande section était ouvert aux étudiants, les classiques de la littérature française, bien sûr épurés. Il n’était pas question de lire le Marquis de Sade, mais on a finit par apprendre que Hugo pouvait être plus révolutionnaire que Sade, pour le dire autrement plus républicain. Et puis, il y avait un petit meuble vitré, toujours fermé à clé, et le préposé de la bibliothèque qui était un religieux, nous avait dit, que personne ne pouvait toucher aux livres contenus dans ce meuble sans son consentement. Il nous avait servi un argument que j’avais trouvé bidon, qu’on n’était pas capable de lire Teilhard de Chardin, et que même nos professeurs ne comprenaient pas cet auteur. Genres de propos à ne pas déverser dans mon oreille. On m’interdisait de puiser dans l’arbre de la science du bien et du mal. Je ne voulais pas seulement avoir le fuit de la connaissance, je désirais bien sûr le fruit, mais aussi tout l’arbre, tous les fruits, et la terre qui va avec. Rien de moins. Quelques années plus tard, J’ai demandé à ma sœur qui travaillait dans une libraire à Montréal de me trouver tous les volumes qui composaient le Phénomène Humain. Elle a finit par mettre la main sur toutes la collections. C’était des vieux volumes genre 1950, publié chez Flammarion, sur du mauvais papier, qu’il fallait découper pour les lire à l’aide d’un canif ou d’un coupe papier. C’est ainsi que je suis entré chez Teilhard de Chardin et je dois vous dire que ce fut une révélation. Non seulement par sa magnifique écriture, Teilhard de Chardin possédait une belle plume qui était au niveau des questions et réflexions existentielles, qu’ils se posaient. Tout en lisant, je me rappelais des propos du préposé de la bibliothèque scolaire de jadis. Je ne voulais pas savoir ce qu’il savait; mais je voulait savoir ce qu’il me cachait intentionnellement. Même aujourd’hui, les rumeurs courent, que l’Église Catholique à mis la main sur certain écrits de Teilhard, pour les enfouir dans la poussière des caves du Vatican. Je savais que les propos évolutionnistes de Teilhard de Chardin dérangeaient l’Église. Mais on n’arrête pas cette soif de connaissances chez les humains, si on agit ainsi, c’est qu’on connaît mal les fondements de l’esprit humain. L’humain veut savoir, il veut connaître, il désire expliquer, pour se projeter encore plus loin, et Leibniz en est un généreux témoignage et il n’est pas le seul. Voilà comment, je suis parvenu à Teilhard de Chardin et ce fut un grand passage. Si un désir de connaissance te tenaille, n’hésite pas, vas-y plonge. De-là, ma méfiance entre la foi et la connaissance, et pourquoi pas? Parce que c’est à nous tous les humains d’essayer de faire la part des chose, de ne jamais faire taire notre esprit critique, et que peut-être, la prochaine question qui sortira de ton esprit occupera le restant de tes jours sans trouver de réponse satisfaisante, et pourquoi pas? J’avoue que dans cette aventure j’ai eu beaucoup de chance, me buter aux propos d’un préposé qui avait sans doute lu Teilhard de Chardin en se bouchant le nez, une longue recherche qui a trouvé sa conclusion dans les démarches de ma sœur, quelques rencontres que le hasard avait mis sur ma route, des discussions à plus finir avec des géologues très loin dans le nord, qui portaient sur l’évolution de notre planète, sans oublier mon obstination et ma patience légendaire. Je reconnais que j’ai ce côté opiniâtre un peu rugueux.
RépondreSupprimerBonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Richard,
RépondreSupprimerJe crois vraiment que Leibniz se situe à mille lieux du christianisme traditionnel.
L'origine du monde, il s'en fiche bien. Ce qui est plus important, c'est de comprendre les lois de fonctionnement de celui-ci.
A cet égard, Leibniz découvre avant tout que le monde est entièrement mathématisable et que tous ses éléments, ses "monades", sont liés, interconnectés entre eux.
Pour comprendre le monde, inutile de se perdre dans des divagations fumeuses. Il faut plutôt le calculer parce que le réel est mathématique et que tout peut être transcrit en chiffes et en symboles. Et pour le calculer, Leibniz a développé la logique binaire, celle-là même qu'utilise l'informatique moderne. Le monde a, en fait, commencé quand on s'est mis à calculer, à distinguer le zéro et le un. C'est d'une actualité sidérante.
Notre tâche principale, à nous humains, c'est de comprendre ces Lois, ces algorithmes, qui gouvernent le monde. C'est comme ça qu'on peut espérer le rendre meilleur.
J'ai donc quand même l'impression que Leibniz se situe très loin de toute théorie de l'évolution et donc de Teilhard de Chardin. Ce n'est pas sa préoccupation, il a la spéculation en aversion. Il ne voit le monde qu'à travers le prisme des mathématiques.
Que nous vivions, selon lui, dans le meilleur des mondes possibles, ça ne veut pas dire le meilleur dans l'absolu mais le moins mauvais. Et surtout, nous disposons de notre pensée rationnelle et de notre libre arbitre pour corriger le Mal.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
RépondreSupprimerCertes Leibniz était éloigné des institutions religieuses, mais dans ses réflexions, il argumentait à l’endroit de cet être créateur.
Leibniz s’est intéressé à l’origine de la terre :
« Le monde est mortel, mais ancien. »
Leibniz
On retrouve cette phrase à la page 289 du livre de Kempe.
« Des restes pétrifiés ou traces d’animaux et de plantes suggèrent selon lui l’existence d’une durée de l’histoire de la Terre bien plus longue que ne le produit l’interprétation courante de la chronologie biblique. »
Sept jours dans la vie de Leibniz, page 289
Peut-on remettre en question les affirmations de Kempe?
Et la réflexion de Leibniz va dans le même sens que Teilhard de Chardin, qui ne l’oublions pas était un scientifique, et une sommité dans son domaine. C’est peut-être pour la majorité des hommes une perspective dérangeante, mais véridique. Un jugement sans appel.
« Il semble qu’une trop grande commodité n’est pas bonne dans la mesure où elle fait que les hommes perdent sans s’en rendre compte leur vie en même temps que leur temps, et qu’il n’en font pas plus un usage sobre qu’ils ne la ressentent. » Excellente réflexion de Leibniz, j’aime bien. Page 159.
« La place de l’autre, telle est la vraie perspective ». C’est ainsi que Leibniz l’a formulé un jour pour la morale et la politique. Page 193
Mais le débat le plus acharné fut autour : Des Positivations du mal. C’est une réflexion audacieuse. Je souligne que : Essais de Théodicée fut sa seule ouvre philosophique publiée de son vivant. Leibniz, ce n’est pas juste des mathématiques. C’est beaucoup plus vaste qu’on pourrait le croire. Sans le mal, le bien ne peut pas exister. Je ne suis pas sûr que nous allons trouver toutes les solutions à nos problèmes avec nos algorithmes. Nous les humains, nous avons cette tendance à inventer des outils, et les mathématiques c’est une des inventions de tous nos outils; nous sommes fiers de nos découvertes; les problèmes arrivent après l’usage, lorsqu’on essaie d’accorder nos techniques avec nos morales, nos philosophies, nos pensées. Alors on oscille entre le meilleur des mondes possibles, ou selon, le moins mauvais. Je remarque qu’on emploi le pluriel pour, (le meilleur des mondes possibles), et le singulier pour (le monde le moins pire). Donc il y aurait une infinité de mondes meilleures; mais il n’y aurait qu’un seul monde moins pire? Et, le moins pire serait finalement le seul possible?
Voilà qui me donne une féroce envie de lire : Essais de Théodicée
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Richard,
RépondreSupprimerJe ne suis, bien sûr, pas une grande spécialiste de Leibniz mais, d'après ce que j'en ai compris, il me semble tout de même :
- que comme Spinoza, dont il partage l'extrême rationalisme, il évoque sans cesse Dieu. Mais c'est bien sûr pour ne pas trop effrayer ses censeurs religieux. Parce que le Dieu de Leibniz, (comme celui de Spinoza), n'a absolument rien à voir avec le Dieu chrétien qui se situe en dehors du monde terrestre et qui est un "esprit", un interlocuteur de l'homme, qui nous juge et auquel on rend compte de nos fautes et péchés.
Avec Leibniz, rien de tout cela: Dieu, ça n'est, en quelques sorte, que le grand logiciel interne du monde qui maintient interconnectés tous ses éléments.
Comme chez Spinoza, il n'y a aucune transcendance chez Leibniz. On en reste au monde terrestre, à l'immanence, et on essaie d'en comprendre les lois et règles de fonctionnement. C'est en cela que son approche, comme celle de Spinoza est révolutionnaire. Elle est en fait complétement athée voire "matérialiste" comme disent les marxistes.
- et le grand logiciel du monde, Leibniz a cette intuition fondamentale qu'il repose sur un fonctionnement binaire. Ca se traduit non seulement dans l'opposition du un et du zéro en mathématiques mais dans les couples d'oppositions généralisés à toute la culture humaine.
Ca peut apparaître abstrait et ça n'est vraiment compris qu'aujourd'hui (avec les progrès de l'anthropologie et de la linguistique). En effet: parler, voir, penser, entendre, ça repose fondamentalement sur de simples opérations de classement et d'opposition. Nos processus mentaux ne reposent que sur un simple jeu d'oppositions, distinctions, qui permettent de découper et de clarifier le réel. La pensée humaine, elle-même, repose, même dans ses formes les plus sophistiquées, sur ce fonctionnement binaire. Tant pis pour l'estime que nous avons de nous-mêmes mais on ne fonctionne que sur la base d'un grand logiciel.
- de ce point de vue, l'histoire de l'homme, elle est relativement simple. Elle n'a pas grand chose à voir avec la biologie et l'évolution des qualités physiques. Elle a vraiment commencé avec le surgissement et la mise en place de ces grandes distinctions et catégories. En un mot, avec l'avènement du langage.
D'histoire progressive de l'évolution, il n'y en a donc pas vraiment. C'est plutôt un bing-bang cognitif qui s'est un jour produit. Pour changer vraiment, il faudrait changer de logiciel mais ça, c'est une toute autre histoire.
Notre système actuel ne fonctionne tout de même pas si mal que ça. Certes, le Mal existe mais le Mal est également nécessaire parce qu'il permet au monde de bouger, d'évoluer, de progresser. Notre grande tâche, c'est, en fait, de corriger, d'améliorer le grand logiciel.
Voici donc, rapidement résumée, ma vision de l'œuvre de Leibniz. Elle demeure d'une absolue actualité pour comprendre le monde moderne.
Bien à vous,
Carmilla
Bonsoir Carmilla,
RépondreSupprimerC'est un texte où vous excellez à nous présenter que l'inconscient ignore le temps : c'est ainsi que j'ai repéré quelques altérités dans l'autre, mais c'est très rare il faut une ou un spécimen dont la perception du temps est erronée ou vague ou plantée dans l'étant, c'est-à-dire une personne dont l'affleurement de l'inconscient est apparent (ah non je ne fais pas d'hypnose) et non, ça ne vous concerne pas - pas parce que vous seriez active par phases nocturnes - je parle de cas psychiatrique. Mon conseil de film si vous voulez "Freud: The Secret Passion" de John Huston (1962), qui porte le même intérêt à votre remarque sur le temps, et au petit Freud, en noir et blanc. J'aurais dû être en mesure de retrouver une ou deux études sur le sommeil comparé à d'anciens temps (jusqu'au moyen âge et dans tous les milieux), mais vous devez connaître ou en avez-vous tout au moins décrit l'intuition : on dormait différemment avant on dormait comme vous dormez, cela répond (peut-être, je n'ai pas lu encore) à l'un de vos textes récents. Pensées entrecoupées.. à la limite du compréhensible.. bon écoutez, ça m'a fait plaisir de vous écrire parce que je vis un bouleversement dantesque dans ma vie - d'une trivialité toutefois qui n'appelle pas de questions.
Bonne soirée à vous
Merci,
RépondreSupprimerJe vous écris d'un trou perdu de Pologne près de la frontière russe: Elblag (prononcer Elblong). Ca favorise peut-être la méditation.
Je ne crois pas aux esprits et aux fantômes, bien sûr. Mais je pense néanmoins que le réel est hanté, qu'on ne vit pas simplement dans l'ici et le maintenant. Tout notre passé affleure sans cesse, me semble-t-il, à la surface du miroir de notre conscience.
Proust a parlé de ça, bien sûr, mais s'est peut-être contenté d'impressions sensorielles. Pour moi, ce sont surtout des souvenirs affectifs, bien sûr fragmentaires, qui émergent continuellement. Toutes les personnes que j'ai croisées, fréquentées, même brièvement, viennent se manifester, de manière souvent inexplicable.
Je vous remercie pour votre référence à John Huston. J'ai entendu parler de ce film mais ne l'ai pas vu.
Je vous recommanderai peut-être, pour ma part: "Oslo, de mémoire" de Didier Blonde (Gallimard). C'est tout récent. Il est certes un auteur mineur mais il pose ici très bien cette question du temps et de son effacement.
Et quant au réel hanté, bien sûr le livre d'Olga Tokarczuk: "Le banquet des Empouses".
Quant à votre bouleversement dantesque, j'espère qu'il n'est, du moins, pas tragique.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour,
RépondreSupprimerJ'ai attendu votre livraison du samedi pour vous répondre. Je vais me procurer ce roman traduit du polonais par Maryla Laurent. Au xxie s, plus que jamais, on doit faire cet effort de toujours indiquer la traductrice, le traducteur ! Merci à vous pour l'aiguillage. Et voici comment je devrais vous répondre
I. Un premier transfuge de classe fasciné par les sorcières : Francisco de Goya
Cette partie développerait les soutainements intimes à l'œuvre dans l'altérité, ça parlerait d'Annie Ernaux aussi, mais du pouvoir des images fortes, elle-même est fascinée par la peinture "Birthday" (bon j'ai oublié le nom de l'autrice), composée de portes en arrière-plan.
II La méprise misogyne : cet amour courtois
À la boulangerie une femme mûre ostensiblement chic me voit arriver avec mon vélo crissant du frein, elle s'amuse de me dire très près de moi qu'il faut y mettre de l'huile, je lui dis que non : il faut changer les patins. Elle éclate de rire, un homme vient de lui échapper. Sur ce, le pionnier le conquistador en prend un coup, la femme n'a jamais été ce territoire à conquérir, non la poésie n'est pas née pour elle : mais personne ne comprend mieux qu'elle la poésie, aucun homme n'a conscience de ce que peut comprendre la femme, par extension, aucun être face à l'être. Beaucoup de cinéma dans cette partie..
III Les hantises de Kafka à Cukor (Gaslighting) : une traduction au désir d'Europe
Ici vous avez occupé ma réflexion avec la suggestion de ce roman polonais. C'est une partie extrêmement dense voire bordélique, où je n'y vois pas encore clair. Ça cause murs et miroirs par exemple
Je vous souhaite une bonne journée peut-être un bon retour ou un bon voyage, qu'importe, vous semblez là pour vos lectrices et lecteurs.
À bientôt
Merci Paul,
RépondreSupprimerMaryla Laurent, c'est, en effet, une grande traductrice. Traduire, c'est d'autant plus compliqué quand la syntaxe d'une langue (en l'occurrence une langue slave) n'a à peu près rien à voir avec celle du français.
L'altérité, je crois aussi qu'on cherche, à tout prix, à l'effacer dans l'idéologie moderne. C'est le fantasme de notre toute puissance. Les frontières entre l'homme et l'animal, l'homme et la femme et même la vie et la mort, on prétend pouvoir les abattre.
Mais ce n'est pas si simple parce que la mort continue de rôder. Et puis un monde sans altérité, dans lequel tout est possible, ça devient vite ennuyeux.
Votre petite histoire de vélo ne manque pas de punch. Exactement ce que je suis incapable d'écrire parce que je suis trop encombrée de théorie. A partir d'éléments triviaux (huile ou patins), vous soulevez plein d'interrogations sur la relation, toujours discordante, entre l'homme et la femme. Poursuivez en ce sens.
Sur cette question (la guerre des sexes), la relation ahurissante de Kafka avec les femmes est, effectivement, instructive. Ce différend demeure au coeur de la littérature d'Europe Centrale. En France, le tant décrié Philippe Sollers a tout de même écrit, sur ce point, des choses justes qui sortent des lieux communs. Il y a aussi Chantal Thomas, passionnée par le 18ème siècle, qui parvient à échapper au radotage victimaire.
Bien à vous,
Carmilla