samedi 7 juin 2025

Effet Trump en Pologne


Très mauvaise nouvelle cette semaine. Alors qu'on avait assisté, il y a 15 jours, à un sursaut démocratique en Roumanie, l'élection présidentielle en Pologne a porté au pouvoir, avec une marge infime, un abruti trumpiste ouvertement soutenu par les USA. C'est un véritable coup de tonnerre en Europe et une source d'inquiétude supplémentaire pour l'Ukraine.


Je vais me permettre d'en parler aujourd'hui parce que je connais tout de même la Pologne: j'en parle pas trop mal la langue comme beaucoup de gens de Lviv (même si c'est un polonais vieillot et avec un accent) et j'y ai séjourné maintes et maintes fois. Et puis, contrairement à ce qu'on raconte, l'Ukraine a, dans son histoire, davantage été polonaise que russe. 


L'élection polonaise de dimanche dernier, ça me fait donc frémir. L'ancien Président, Andrzej Duda, était un catho conservateur, un peu bêta mais pas méchant et, surtout, poli et éduqué. Et puis, il affichait un soutien inconditionnel à l'Ukraine. Duda, il était surtout le représentant d'un catholicisme rétrograde, celui des campagnes et de l'Est du pays, effrayé par les évolutions sociétales (mouvement LGBT, mariage pour tous, avortement, invasion islamique).


A titre d'illustration, je me souviens d'une conversation avec un chauffeur de taxi de Varsovie l'an dernier. Apprenant que je venais de Paris, il m'a aussitôt plainte: une ville qui lui avait fait peur, un Enfer submergé de Musulmans qui entretiennent désordre et insécurité. L'Islam, c'est ce qui semble faire, unanimement, peur aux Polonais, comme s'il fallait rejouer la victoire de Jan Sobieski sur les Turcs devant Vienne (en 1629).


Mais ça n'est qu'une opinion banalement réac, provinciale, comme on en entend souvent en France même. Avec le nouveau Président, Karol Nawrocki (prononcer navrotski en accentuant sur le o), on passe vraiment à autre chose. Il est d'abord, comme son mentor Donald Trump, bête et méchant. 

Etonnamment même, dans ce pays affichant un rigorisme moral, c'est quelqu'un de très peu recommandable, voire un véritable bandit. Le journal "Le Monde", qui affabule tout de même rarement, rappelle ainsi son enfance pauvre à la J.D. Vance et son passé de hooligan avec sa passion pour la boxe et la bagarre ("un combat noble et viril"). Il aurait aussi participé à un trafic de prostitution dans un grand hôtel de Sopot (la grande station balnéaire de Pologne).

 Ces dernières semaines, une sordide affaire d'escroquerie portant sur l'appartement d'une personne âgée et handicapée aurait normalement dû le disqualifier dans la course à la présidentielle. Mais il n'en a visiblement rien été et, comme Trump, ces scandales l'ont plutôt conforté.


Pour donner une idée de la subtilité de Nawrocki, il pratique d'abord, comme Trump, l'insulte et la querelle. Il a déjà déclaré de Zelenski qu'il était "insolent" et ne "savait pas remercier". 


Il faudrait remercier de quoi ? De recevoir un minimum d'équipements militaires de survie tout en se se faisant écraser sous les bombes ? Et plutôt qu'être insolent, il faudrait avoir l'humilité de reconnaître qu'on l'avait bien cherché ? C'est un peu comme si on demandait aux Polonais de continuer de remercier l'Armée Rouge de les avoir "libérés" alors même que, comme l'a précisé Vladimir Poutine, ils avaient provoqué  l'Allemagne (l'incident de "Gleiwitz") ? Attention à ne pas réécrire l'histoire.

Avec un zèbre du calibre de Nawrocki, l'Ukraine n'a pas fini d'avoir des ennuis. Il s'est déjà engagé à ne pas accepter son adhésion à l'UE. S'il est pourtant un pays dont on devrait suspendre la participation à l'Union Européenne, c'est bien la Pologne qui ne respecte pas l'Etat de Droit et l'esprit européen. 

Le vote polonais est d'autant plus incompréhensible qu'à la différence du reste de l'Europe, le pays bénéficie d'une forte croissance économique. Il a donc besoin d'une main d'œuvre étrangère, une main d'œuvre que lui fournissent, justement, les Ukrainiens. C'est vrai qu'ils sont très nombreux mais je crois qu'ils passent complétement inaperçus tant les modes de vie et les langues sont proches. Ils ne vivent même pas au crochet des systèmes sociaux puisqu'il n'y a quasiment aucun chômage en Pologne.

Tout cela est consternant et j'ai vraiment la Rage. C'est étrange, on assiste à un bouleversement des perceptions politiques pas seulement en Pologne mais dans l'ensemble du monde occidental. D'abord, les électeurs choisissent de ne pas entendre les informations sordides sur les malversations de leur candidat. Ils les imputent simplement à la malveillance et crient au complot. 

En second lieu, enfreindre la Loi semble valoir aujourd'hui brevet de courage. C'est presque le héros qui se dresse contre "le système" qui nous accable, brime nos libertés. Ce que l'on déteste avant tout maintenant, c'est le Droit et les réglementations. L'abomination absolue, c'est devenu Bruxelles et ses technocrates hors sol dont le passe-temps favori est de nous embêter.

La grande gueule qui tape du poing, le hooligan anti système qui prend des décisions brutales et imprévisibles, sur une impulsion, c'est maintenant, dans le sillage de Trump, la figure du héros politique moderne.

J'essaie de me consoler en me disant que ça ne pourra pas durer longtemps en Pologne. La société y est, en effet, profondément divisée, à 50/50. Et les deux camps se détestent absolument. Ca va d'abord chauffer avec de multiples manifestations et contre-manifestations. Les jeunes femmes, en particulier, sont violemment remontées. Et puis, je ne parviens pas à croire que les cathos traditionnels polonais se reconnaissent vraiment dans cette brute de Nawrocki. Comme celui-ci est violent et outrancier, ça risque donc d'exploser rapidement.

Quelques images de l'Art de l'affiche en Pologne: Franciszek Starowiejsky, Wiktor Sadowski et Wieslaw Walkuski. J'en suis une grande fan et j'ai eu la chance de pouvoir en acheter à l'occasion de mes différents séjours.

En littérature, je rappelle que les deux grands écrivains polonais de dimension internationale sont Olga Tokarczuk et Andrzej Stasiuk. Leurs deux derniers bouquins : "Le banquet des Empouses" et "Le passage".

Et aux très initiés, je recommande deux parutions récentes:

- Tomasz ROZYCKI: "Les voleurs d'ampoules". La vie dans une barre d'immeubles à l'époque communiste. Toute une vie sociale s'y jouait. Les voisins se rendaient visite, de manière impromptue, les uns les autres. Problème: on n'y voyait rien dans les couloirs parce qu'en raison de la pénurie générale, les ampoules étaient systématiquement volées.

- Hubert KLIMKO: "Les voleurs de sureaux". L'histoire, pleine d'humour, d'une famille de paysans polonais de la région de Lviv, depuis les années 30 jusqu'au transfert, après la guerre, en Silésie.




13 commentaires:

  1. J'ai été aussi désagréablement surpris par la victoire, de justesse (50,9 % contre 49,1 %) de Nawrocki. Une vieille amie polonaise, laïque et plutôt progressiste, est également atterrée. C'est triste que Trzaskowski ait perdu de justesse, deux fois de suite.

    En Pologne, le président n'a que peu de pouvoir exécutif, mais il a tout de même un pouvoir exorbitant via le droit de veto pour les lois votées par la Diète. C'est un vrai pouvoir de nuisance qui est aux mains de Nawrocki, ce qui risque de gêner encore plus la politique du gouvernement Tusk, dont beaucoup de réformes prévues n'ont pas été mises en oeuvre (dépénalisation de l'avortement, notamment).

    Il y a ici de belles cartes du second tour :

    https://wbdata.pl/wybory-prezydenta-2025-druga-tura-mapy-wyborcze/


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  2. Merci Nuages,

    Trzaskowski est, en effet, quelqu'un de très bien: polyglotte, artiste (son père était un grand jazzman), libéral. Mais peut-être justement trop moderne, ne pouvant que heurter la Pologne conservatrice.

    Et Nawrocki va au-delà des aspirations de cet électoral conservateur. Il y a, chez lui, une surenchère nationaliste, celle de la polonitude.

    Que peut-il se passer maintenant ? En théorie, l'actuel gouvernement perdure. Mais il n'est pas sûr que la coalition sur la quelle il repose se maintienne. Un vote de confiance devrait, bientôt, intervenir.

    On a du mal à comprendre la situation politique polonaise parce que l'économie y marche à plein. En réalité, on y constate deux grandes et absurdes peurs: le mouvement LGBT et l'Islam.

    Mais ce sont deux peurs qui dominent aussi le débat politique en France.

    Quant à vos cartes, elles sont, en effet, intéressantes. Nawrocki ne l'a emporté, en fait, que dans 4 régions défavorisées à l'Est. Même dans sa ville de Gdansk, il a été largement battu. Dans les milieux urbains et à l'Ouest, il est systématiquement défait.

    Le niveau de diplôme est, également, déterminant. Et puis, il se révèle aussi que les jeunes garçons, sans doute apeurés par le féminisme, votent Nawrocki.

    Bien à vous,

    Carmilla



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  3. Bonjour Carmilla
    Enfin la beauté s’installe sur le pays. Le printemps dévoile sa véritable nature après un retard de plusieurs semaines. Ce qui n’empêche pas les mauvaises nouvelles de s’étirer dans le temps comme si ces situations prendraient les chemins des mauvaises habitudes, masquant la beauté du monde. Je le savais que le sujet de cette semaine serait les élections en Pologne, il ne fallait pas être grand devin pour ce faire, connaissant votre attachement pour cette région du monde, et surtout pour La Pologne. Encore une fois, ce qui a été révélé, c’est la division ; nous sommes divisés et nous allons le rester si nous demeurons incapables de lucidité et surtout de nous imposer au niveau international. Plus nous serons divisés, plus nous serons faibles. Nous pensons qu’à l’intérieur de nos petites régions, nous sommes en sécurités, que nous sommes hors d’atteinte, que le reste du monde peut errer, et que nous n’en n’avons rien à branler. La devise, serait : Ne rien faire, pour ne pas empirer la situation. Mais cette situation se détériore quotidiennement, pendant que nous errons comme des aveugles volontaires. Les marges s’amenuisent à chaque mauvaises nouvelles, les différences minimes au niveau politique s’incrustent dans nos mauvaises habitudes, au point de ne plus savoir où nous en sommes. Comment ne pas être sidéré lorsque les voix s’éteignent, lorsque les idées disparaissent dans le brouillard des informations qui nous étouffent, au pire dans nos indifférences crasses ? Qu’est-ce que les gens comprennent de ce monde ? Qu’est-ce qu’ils comprennent d’eux-mêmes ? Sommes-nous entrés dans une civilisation de l’impuissance ? Je croyais que les polonais étaient plus solides que cela. On se réveille pour constater qu’ils sont aussi vulnérables que les autres nations. Quelles sortes de secousses faudra-t-il pour que sonne le réveil ? Pour l’heure l’économie résiste, alors, pendant combien de temps résistera-t-elle ? Nous sentons qu’il y a des ratés. Il est peut-être temps de chercher un aéroport de dégagement, autrement on risque l’atterrissage forcé, entre les politiques économiques franchement mauvaises de politiciens incompétents, et des craintes qui nous détournent notre attention dans le but de nous égarer. Ce qui risque de se poursuivre encore pendant un certain temps dans une remarquable baisse de niveau. Qui plus est, ils peuvent même se payer le luxe de se disputer entre eux, ce que j’avais signalé dans certains de mes commentaires précédents, dans trois hommes de trop dans un boghei. C’était juste une question de temps avant que ça ne se produise, où nos génies de l’IA ont l’air stupide !
    Bonne fin de journée
    Richard St-Laurent

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  4. J’ai retrouvé un bout de texte d’Albert Camus comme une autre manière de dire.

    "À partir du moment où l'homme ne croit ni en Dieu ni dans la vie immortelle, il devient « responsable de toute vie, car tout ce qui, né de la souffrance, est condamné à souffrir de la vie ». C'est lui, et lui seul, qui doit découvrir l'ordre public. Puis commence le temps de l'exil, la recherche sans fin de la justification, la nostalgie sans but, « la question la plus douloureuse, la plus déchirante, celle du cœur qui se pose : où puis-je me sentir chez moi ?"
    Albert Camus
    Voilà qui laisse songeur
    Richard St-Laurent

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  5. Merci Richard,

    Il faut souligner que le résultat de ces élections en Pologne a été une absolue surprise.

    Jusqu'à la veille du 1er tour, tous les sondages étaient en faveur du camp démocrate. L'assurance était d'autant plus grande que le candidat conservateur traînait de plus en plus de casseroles et apparaissait de moins en moins recommandable.

    Et puis, il faut souligner que la situation économique du pays est excellente. Le vote sanction en la matière a donc été marginal.

    Comment comprendre ? D'autant plus que les femmes (à qui est refusé le droit à l'avortement) sont, très majoritairement, hostiles aux conservateurs.

    Il est vrai que l'esprit Trump (qui est intervenu directement dans la campagne électorale) fait aujourd'hui des ravages. On apprécie sa vision simple et manichéenne du monde, son iconoclasme, son côté anti-système, sa brutalité destructrice. Et surtout sa haine des élites, des gens éduqués et cultivés. La ligne de partage s'est située là en Pologne: le niveau de diplôme a déterminé le vote.

    Bien à vous,

    Carmilla

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  6. Bonjour Carmilla
    Nous assistons à des regrettables transformations de nos sociétés, que nous pouvons qualifier de régressions, comme si nous étions en train de préparer une énorme guerre civile universelle par le refus d’évoluer, en s’attaquant au savoir, à la connaissance, à l’émerveillement, qui nourrissent nos libertés, que nous sommes en train de perdre. Que se soit en Roumanie, en Pologne, au Canada ou aux États-Unis, c’est la même situation, où tout se joue sur quelques pourcentages de votes, sur le fil du rasoir, tout en recherchant des ennemis potentiels afin d’occuper nos sentiments qui tournent à la haine. Ne manquerait plus qu’un pacte de non-agression entre la Russie et La Pologne. C’est du déjà vu !
    Vanessa Springora dans son dernier ouvrage : Patronyme, l’a très bien résumé.
    « Qu’avons-nous appris, qu’avons-nous retenu du passé ? Partout dans le monde, les forces rétrogrades gagnent du terrain. La tyrannie prospère et fait rêver. La tentation fasciste renaît de ses cendres. Les adeptes de la haine se rapprochent un peu plus du pouvoir. Et tandis que le monde devient incertain, que les équilibres anciens commencent à vaciller, notre seule réponse serait : Trouvons des boucs émissaires et fabriquons des soldats ? » Patronyme, page -344-
    Il est bon de refermer ce livre afin de sentir que nous ne sommes pas seuls, que d’autres humains partagent nos pensées, que les expériences de l’existence finissent par se ressembler, que nous n’avons pas le droit de reculer devant la bêtise, qu’on n’a pas besoin d’être appelé pour être élu.
    Le destin va peut-être nous sauter dessus à l’image du grand-père de Springora, qui a passé une partie de sa vie à se cacher, à mentir, afin de survivre.
    À chaque année, je me livre à cet exercice. Je réunis quelques ouvrages sur un sujet que je choisis et en ce printemps, pour ne pas dire, en cette époque troublée, je suis en train de relire en parallèle : Le Lambeau de Philippe Lançon et le Couteau de Salman Rushdie, qui ont survécu à leur agression. Il en faut si peu pour que la vie bascule. Peut-être que nous sommes rendus là ?
    Bonne fin de journée
    Richard St-Laurent

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  7. Je m’en voudrais de passer sous silence, le décès de Victor-Levy Beaulieu qui est survenu hier. Un de nos grands auteurs québécois. Depuis un certain temps, je le trouvais très silencieux !
    Richard St-Laurent

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  8. Merci Richard,

    Il y a, hélas, une progression, dans le monde entier, de la pensée réactionnaire.

    Et ce qui est troublant et rageant, c'est que l'extrême droite a de la chance: partout, ça se joue à un cheveu mais, au final, ce sont bien eux qui gagnent. En Pologne, on a ainsi, par deux fois (il y a 5 ans puis cette année), d'abord annoncé la victoire du camp progressiste avant de devoir apporter une correction deux heures plus tard. Deux grandes douches froides !

    Un Pacte de non-agression entre la Russie et la Pologne ? Ca, je peux assurer qu'on ne verra jamais ça. La Pologne a trop de bonnes raisons de détester la Russie. Elle a subi son joug pendant 2 siècles et les souvenirs en sont encore récents.

    Et, de leur côté, les Russes détestent pareillement les Polonais au point que Poutine a réintroduit, le 4 novembre, la fête de la Fédération de Russie qui commémore le départ de Moscou de l'armée polono-lituanienne en 1612 ! 4 siècles plus tard, on célèbre la victoire sur les envahisseurs polonais !

    Le nom de famille, le patronyme, c'est, en effet, important. Ca vous façonne plus ou moins. Vanessa Springora s'est bien exprimée à ce sujet. Je suppose que vous êtes fier de votre nom. Quant à moi, j'ai évidemment un nom impossible en France. J'essaie de glisser très vite à ce sujet pour ne pas avoir à résumer ma vie. Mais j'avoue que je ne m'intéresse pas beaucoup à mes ancêtres. Et d'ailleurs, effectuer des recherches à ce sujet est quasi impossible. Les registres d'état-civil conservés sur plusieurs siècles, voire plusieurs décennies, ça n'existe que dans un petit nombre de pays.

    On a mentionné, en France, la mort de Victor Levy Beaulieu. Son oeuvre énorme, sa passion pour la littérature. Des fous littéraires comme lui, il y en a de moins en moins.

    Bien à vous,

    Carmilla

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  9. Bonjour Carmilla
    Victor-Lévy Beaulieu, un autre personnage hors norme très dérangeant ; ce qui est pas mal pour un bouseux de fond de campagne, qui n’était en fin de compte pas promis à grand-chose. Nous partageons ce lien des bouseux, ceux qui n’avaient pas d’avenir, mais Victor-Lévy est sorti de sa condition de coupeur de souche, de récolteur de foin, de ramasseur de framboises sauvages, de vache à traire à la main, de peines et de misères, de pauvretés ; mais qui était capable de vous pondre une histoire truffée de mensonges, de rires et de larmes. À sa manière il embrassait toute l’humanité, pour quelques minutes plus tard, la critiquer sévèrement. Ce forcené de littérature est né dans un petit village du Bas Saint-Laurent, Saint-Paul-de-la-Croix, et cette croix, il allait la porter pendant toute son existence. Il n’a pas traversé des tempêtes ; il était la tempête, les basses pressions, il connaissait, le style du taureau indomptable s’appliquait à sa personne. Il était entier et vindicatif, baveux à outrance, fonceur, à l’image d’Yves Thériault avec lequel il a tissé des liens, pour finalement écrire une excellente biographie sur cet autre écrivain qui lui ressemblait sous certains aspects. Son destin s’est joué sur des nombreux déménagements pour finalement se retrouver à Montréal, parce que la vie était trop difficile à Saint-Paul-de la Croix pour une grande famille sur une petite terre. Il appert, comme tous les hasards de la vie qui nous bouleversent, il s’est échappé par la littérature, dans le genre émancipation à tout prix. Il se savait hors condition, qu’il était différent, et il a joué à fond de sa différence pour comprendre, que la pauvreté n’est pas toujours un obstacle, et que sa richesse, il la possédait entre ses deux oreilles. Pour la suite du monde, il n’a pas toujours été accepté dans l’univers littéraire à l’image d’Yves Thériault cet autre proscrit, ils ont fini par être reconnu, souvent du bout des lèvres avec une forte note de jalousie. Ils sortaient d’où ces huluberlus ? Ils sortaient de la terre, du travail épuisant, du rejet, du mépris ; mais c’étaient, des témoins d’une finesse inouïe, qui plus est, des fabuleux raconteurs. Ils pouvaient vous torcher une histoire assez rapidement. Dans le genre volcan, je pense qu’on ne pouvait pas faire mieux. Ce que j’ai aimé particulièrement chez Victor-Lévy Beaulieu, c’est qu’il était dérangeant. Il ne se cachait pas pour envoyer quelqu’un valser, il était direct, franc, sans compromis, tout d’une pièce. Il arrive des fois dans la vie, que nous rencontrons des gens de cette nature, et je vous assure, que c’est réconfortant !
    Bonne fin de journée Carmilla
    Richard St-Laurent

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  10. À souligner, pour se donner une petite idée, de l’être qu’était Victor-Lévy Beaulieu.

    « Il faudrait être sot pour croire que l’on meurt à cause d’une déficience qui nous est personnelle, ce sont les autres qui nous tuent par leur entêtement à vivre… »
    Victor-Lévy Beaulieu

    Ce qui s’apparente à :

    « Les désirs de l’homme sont insatiables ; il est dans la nature de vouloir et de pouvoir tout désirer ; il n’est pas à sa portée de tout acquérir. Il n’en résulte pour lui un mécontentement habituel de dégoût de ce qu’il possède ; ce qui lui fait blâmer le présent, louer le passé, désirer l’avenir, et tout cela sans motif raisonnable. »
    Machiavel

    Un titre de Beaulieu qui m’a particulièrement touché :

    James Joyce, l’Irlande, le Québec, les mots.

    Déroutant, déstabilisant, étrange, vaste et difficile, je vous souhaite de rencontrer ce livre un jour, parce que ça part dans toutes les directions.

    Richard St-Laurent

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  11. Merci Richard,

    Ce qui est fascinant chez Victor-Lévy Beaulieu, c'est l'immensité de sa production: journalistique, romancière, littéraire. Comment était ce possible ?

    Il devait, sans doute, rédiger sans cesse quelque chose. Il était continuellement débordé par le flux de ses pensées. L'écriture et la vie, ça se confondait absolument chez lui.

    Mais était-il un bouseux ? En apparence peut-être car il aimait jouer, comme beaucoup d'entre nous, un personnage. Pour surprendre, il faut, en effet, savoir cacher son jeu. Mais en réalité, il était très moderne dans sa pensée et son écriture.

    Et puis, il y avait son engagement politique très fort, presque radical, en faveur du Québec. Sur ce point, j'avoue que je manque d'éléments d'analyse.

    Merci d'avoir appelé mon attention sur ce grand homme.

    Bien à vous,

    Carmilla

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  12. Bonjour Carmilla
    Les gens qui n’ont jamais pratiqué l’écriture se font de fausses idées au sujet des auteurs en pensant que se sont des paresseux, qu’ils s’isolent pendant deux semaines pour écrire un livre et se reposer le restant de l’année. L’écriture ça ne fonctionne pas de cette façon ; au contraire, les grands auteurs sont loin de l’anarchie, ils sont rudement disciplinés. Victor-Lévy Beaulieu se levait vers trois ou quatre heures du matin, et écrivait pendant tout l’avant-midi, le tout qui s’étirait sur de très longues périodes, sept jours sur sept. Je me demande si à ce niveau d’intensité nous pouvons évoquer l’inspiration ? Se serait plutôt, la maitrise d’un volcan, la canalisation des idées, une domestication des débordements sur des rivières tumultueuses. Ce qui relève d’un tour de force avec toute la finesse d’une maîtrise afin de ne pas être broyer par ses pensées, ses rêves, et sa curiosité. Ce qui explique que les véritables auteurs s’isolent souvent à la campagne, dans un coin reculé, où les distractions sont rares. Ils s’isolent du monde pour parler de la société. Ils se mettent à part. Ils détestent être dérangés. Ainsi, Victor-Lévy est revenu comme un revenant dans sa région, pour s’isoler à Trois-Pistoles, pour se consacrer à la seule chose qu’il voulait faire : écrire. Je dis bien qu’il voulait faire, pas, qu’il savait faire. Nuance importante. Son attachement à la terre en fait un grand bouseux, bien au-dessus du personnage, il fallait voir les jardins qu’il entretenait, les moutons et le chèvres qu’ils élevaient, sans oublier sa meute de chiens qui lui tournait autour pour quêter ses caresses. Nous pouvons sortir le bouseux de la campagne, mais on ne sort jamais la campagne du bouseux. Nos sentiments sont enracinés sur un vieux fond de terre, que personne ne peut nous arracher. Rendu à ce stade, nous pouvons congédier le (personnage), les bouseux sont peut-être menteurs, mais ils sont loin de la tromperie. Il était extrêmement conscient, de notre vulnérabilité comme peuple francophone en Amérique Du Nord, de la fragilité de notre société, dans cette sorte de lucidité douloureuse, qui par ses propos, il ne manquait jamais de souligner. Ce que beaucoup de québécois lui reprochaient. Il avait cette petite phrase lourde de sens : « Il ne peut pas y avoir de sol sans littérature, et de littérature sans sol. » Ce qui forme un tout dans un cercle, où la charrue rejoint la plume. Tout se tenait chez lui, autant la modernité, que le monde ancien, ce qui a fait la beauté de son esprit qu’il n’avait pas besoin de maquiller.
    Merci de votre lecture attentive Carmilla.
    Richard St-Laurent

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  13. Merci Richard,

    Ecrire, ça ne vient pas tout seul en effet et l'inspiration est plutôt secondaire, contrairement à ce que l'on pense en général.

    Il faut d'abord avoir assimilé une solide culture et s'être construit une vision du monde. La spontanéité, l'écriture au fil de la plume, ça ne donne pas grand chose.

    Et ensuite et surtout, c'est un énorme travail, un labeur incessant. A un premier jet succèdent les corrections, puis le remaniement, puis la simplification.

    J'ai d'autant plus conscience de ces exigences que je me sens incapable de m'y conformer.

    Qu'on ne sorte pas la campagne du bouseux, cela est également vrai. Mais la campagne, c'est notre histoire individuelle, le pays et les cultures dans les quels on a été immergés.

    Ma campagne, pour moi, c'est d'abord l'Europe Centrale. Et pour cette raison, je crois que je n'arriverai jamais à voir le monde comme une authentique Française. Je me sentirai toujours en décalage.

    Cela pour dire que le bon écrivain, c'est celui qui propose un autre regard, différent de celui qui nous est imposé.

    Bien à vous,

    Carmilla

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