samedi 5 juillet 2025

De la décadence

 

Dans mes lectures, j'ai des périodes de "tocades".

En ce moment, j'avale des bouquins sur la chute de Rome.

Je me plonge là-dedans parce que, pour moi, c'est très lié à "l'ambiance" politique mondiale, à l'effet Trump et à la nouvelle coalition des trois empires facho-réacs (Etats-Unis, Russie, Chine) qui prétendent, maintenant, se partager le monde. 

Leur point commun à tous les trois: une même détestation de l'Europe et de sa démocratie. Et ils ont deux abominations principales : 

- l'Etat de Droit qui n'est pour eux qu'une bureaucratie absurde et paralysante; 

- une nouvelle bien-pensance, le "wokisme", qui promeut, paradoxalement, une immoralité générale (l'effacement de la différence des sexes et le "métissage" ethnique et culturel).

A leurs yeux, l'Europe, c'est fini, elle est condamnée à la relégation dans le grand concert des nations. Paralysée par ses réglementations ubuesques et ayant perdu son âme à force de se vautrer dans la débauche.

Et le parallèle est tout de suite établi avec la Chute de Rome, cette chute qui est sans doute l'événement le plus important de l'histoire universelle. Comment l'incroyable, l'impossible, a-t-il pu se produire ?

Et aujourd'hui, l'opinion la plus commune, c'est que la décadence a emporté Rome. Et à Moscou comme à Washington, on ne se prive pas de marteler cette analyse en l'appliquant à l'Europe. Il est vraiment dommage, à ce propos, qu'on ne rediffuse pas les informations russes sur l'Europe. Leur mépris est vraiment édifiant.

Quant à Rome, la décadence y aurait été avant tout morale avec une sexualité débridée incarnée par des personnages comme Héliogabale, Messaline, Néron etc... Et à force de ne plus songer qu'au plaisir, tout le reste, les affaires courantes, la justice, l'activité économique, l'armée, tout cela se serait progressivement délité et parti à vau l'eau jusqu'à la chute finale en 476 (destitution du dernier Empereur romain d'Occident).

Rome est donc brandi comme exemple: voilà ce qui arrive quand on ne cherche qu'à jouir et à se mélanger. On a tous en tête le titre du bouquin de l'historien anglais Edward Gibbon: "Histoire de la décadence de l'Empire romain".

Et c'est vrai qu'on trouve aujourd'hui une énorme littérature sur la question avec une foultitude d'approches et de théories. Mais cette multiplication des théories, depuis deux siècles,  sur la fin de l'Empire d'Occident reflète surtout l'angoisse des peuples face à leur propre disparition.

Et puis ces analyses sont biaisées parce qu'elles reflètent, généralement, les préoccupations de l'époque au cours de laquelle elles ont été élaborées. 

* Tordons d'abord le cou à à l'idée reçue de la grande débauche romaine qui aurait entraîné la chute. C'est un peu "Le Satyricon" de Fellini. Mais les Romains, dans l'ensemble de la population, étaient tout sauf des jouisseurs. Loin de l'érotisme débridé des Grecs, ils portaient plutôt sur la sexualité un regard angoissé, puritain. C'était le sexe et l'effroi, la naissance de cette culpabilité qui continue de nous ronger. La "bagatelle", ça n'était pas l'obsession première.

* Quant aux autres analyses, on a d'abord dit que l'avènement du Christianisme aurait scellé la fin de Rome (Voltaire, Gibbon, Renan). C'est oublier que l'église s'est d'emblée fortement structurée, institutionnalisée, en reprenant l'architecture administrative romaine. Et du reste, Byzance a survécu plus d'un millénaire.

* On a également développé, "dans l'air du temps", une approche écologique, celle du Britannique Kyle Harper. Un petit âge glaciaire et les épidémies de peste auraient précipité la Chute de Rome. C'est tellement réducteur que c'est anodin.

* Ou alors, il n'y aurait tout simplement pas eu de "grande catastrophe" avec une fin brutale de la "romanitude". Le Moyen-Age n'en aurait été qu'un prolongement avec des barbares romanisés et un maintien des principales institutions romaines (Peter Brown).Un point de vue intéressant mais, sans doute, idéologique: il est fait, cette fois ci, l'éloge du multi-culturalisme avec la volonté de proclamer l'équivalence des cultures et les bienfaits qu'apporteraient les Barbares aux "civilisés" grâce à un fructueux métissage. 

Toutes ces visions "modernes" de "la Chute" reposant sur un grand facteur explicatif ne sont finalement que des approches biaisées, détournées. On préférer s'empêtrer et s'embrouiller dans les théories et on a du mal à considérer la réalité brute des choses.

C'est peut-être trop simple, mais la réalité, la vérité, c'est que l'Empire d'Occident a été, brutalement, vaincu militairement par les Barbares. Et ces Barbares, c'étaient les peuples germaniques et plus encore les Huns qui venaient de révolutionner l'Art de la Guerre avec leur extrême mobilité face à des légions statiques. Il est venu un moment (en 410 avec le sac de Rome) où l'Empire a été submergé et n'a plus été en mesure de défendre ses frontières. La pression était devenue trop forte et l'assimilation des Barbares impossible. 

Et c'est vrai que la Chute de Rome était inéluctable. Parce que, comme le souligne bien l'historien Michel de Jaeghere, "il est illusoire de prétendre faire subsister une zone de civilisation entourée d'une périphérie livrée à l'anarchie et à la misère. Parce que la prospérité attirera toujours irrésistiblement vers elle les populations qui en ont connaissance". Et puis, il y a aussi la séduction exercée par le mode de vie des femmes.


Les Barbares veulent alors "s'emparer des richesses produites par la civilisation, faute d'avoir été capables d'adopter les disciplines qui en avaient permis la production". Et il ne faut pas enjoliver les choses, ne pas se détourner des faits parce qu'il y a effectivement eu, après la chute de Rome, un véritable effondrement politique économique, culturel: disparition des villes, de l'agriculture, des arts, de la culture littéraire, de la Paix et de la sécurité. On réhabilite aujourd'hui le Moyen-Age, ça n'était effectivement pas la grande obscurité mais il faut aussi relativiser.

La chute de Rome, ça a bien été, quelles que soient les théories développées, un véritable drame dans l'Histoire de l'humanité. Il y a tout de même bien, en effet, des degrés d'avancement dans la civilisation (tant pis si vous trouvez mes propos d'esprit colonialiste). On prétend aujourd'hui que toutes les civilisations se valent. Oui ! Mais il y a des nuances à apporter. L'Europe, c'est peut-être, en effet, comme le voient les Russes et les Américains, une Rome décadente. Mais ils oublient qu'ils sont, en l'occurrence, les Barbares, ceux qui n'ont pas d'autre argument que la haine généralisée et la menace des armes.



L'Europe, la culture et la démocratie européennes, contre les barbaries russe et américaine. Ca a aussi une implication sexuelle parce qu'il s'agit aussi d'un combat du féminisme contre le virilisme et le machisme. 

On dira sans doute que j'exagère, que je force le trait. Mais face à une grande "internationale des brutes" qui la méprise, l'Europe est en train de devenir absolument minoritaire et déchirée, gagnée, elle-même, par les nationalismes, les conflits internes et la beaufitude.

Les premières images sont des peintres pompiers, très prisé à la fin du 19ème siècle, Jean-Noël Sylvestre et Jean-Léon Gerome.

Je recommande:

- Peter HEATHER: "Rome et les Barbares". J'ai été passionnée et convaincue par ce gros bouquin (800 pages). Il m'a surtout permis de découvrir qui étaient "les Barbares". C'était très confus pour moi. Sa publication en Grande-Bretagne remonte à 2005 mais il n'est sorti que récemment en France, en septembre 2024. 

- Michel de JAEGHERE: "Les derniers jours, la fin de l'Empire romain d'Occident". Un livre très intelligent dans le prolongement de Peter Heather.

Et puis, il y a tous les livres de Paul Veyne (notamment "Sexe et pouvoir à Rome") et tous ceux de Lucien Jerphagnon.


4 commentaires:

  1. Bonjour Carmilla
    Fabuleuses tocades, des analyses intéressantes, des histoires et des politiques qui ressemblent à ce que nous vivons présentement et qu’on n’aurait jamais pensée possible, et pourtant, cela est en train de se produire dans nos sociétés, l’Europe, comme la société romaine, qui se croyait invulnérable, est en train de découvrir sa vulnérabilité, pour s’y complaire d’une manière inélégante. Pendant qu’elle discute, les autres agissent, même au prix de nombreuses vies humaines. En un mot, l’Europe craint l’effort, et surtout la prise de décision, dans une frousse de douleurs annoncées, mais qui demeure aléatoire, tellement que nous baignons dans l’incertitude.

    Ça débute toujours un peu de la même manière. Afin de provoquer la bagarre rien de tel, que de fermer le commerce aux frontières, d’imposer des tarifs douaniers, des taxes à l’importation, de répande des rumeurs de pénuries, de crises économiques, des justifications de protections de marchés intérieurs ; surtout lorsque tu te sens dans ton droit avec une grosse armée, pour assurer le droit de faire ce que tu désires, aux mépris de toutes les ententes, les traités, et les diverses politiques internationales.

    L’économie en est un excellent exemple. Un jour tu conquières des terres, des peuples, pour les soumettent afin d’agrandir ton territoire pour le transformer en empire, afin de pouvoir écouler tes produits sur le marché international, surtout avec les colonies que tu as fondées. Mais les autochtones ne sont pas des imbéciles. Si les Romains sont capables de produire du vin et du blé et de nous les vendre ; pourquoi nous ne produirions pas notre propre vin, blé, et autres denrées ? C’est ainsi, que le vin d’Espagne et du sud de la France ont pénétré le marché romain, et pour beaucoup moins cher que pour les vins locaux de la métropole. Pendant que les romains s’occupaient de leurs conquêtes, les colonisés s’occupaient de leur commerce. Il en fut aussi avec le blé, et la fameuse huile d’olive. Les colonies produisaient en quantité et en qualité et inondaient ainsi les marchés romains en coupant les prix.

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  2. Comment contrer ce problème ? Qui est tout sauf nouveau, ce qui fut les cas après la Deuxième Guerre mondiale. Les américains avaient développés des méthodes de productions avec la capacité d’inonder tous les marchés mondiaux. Comme la demande était grande et qu’on pensait à tort sans fin, alors ils ont diminué leurs productions militaires pour se reconvertir dans le civil. Ce fut les trente glorieuses, l’ouverture des marchés, avec l’idée, qu’une fois la paix revenue, il n’y aurait plus de limite dans tous les domaines. Même le ciel n’avait plus de limite. On s’est même payé le luxe d’un plan Marshall pour rebâtir l’Europe. Alors que les russes avec leur complexe d’infériorité en bavaient d’envie derrière leur mur, tout en prenant conscience que leur régime les menait à la ruine.

    Puis, on s’est installé confortablement dans la guerre froide, avec quelques agressions mineures. Mais l’affaire tenait le coup, il n’y avait pas à s’en faire, nous pouvions laisser le communisme aux russes, et s’occuper de nos petites affaires. Un peu à la manière des romains qui allaient dans leurs colonies pour rétablir l’ordre, ce qui n’était pas toujours justifié. C’était sans compter qu’ils y avaient des autochtones qui rêvaient de puissance, de pouvoir, et même de surpasser les maîtres. C’était une réplique du modèle de base. Cela a joué longtemps dans l’histoire romaine, avec toutes sortes de variantes comme une pièce de musique.

    Nous pouvons prendre un autre exemple. Comment les américains se sont affranchis de la Grande-Bretagne ? La mère patrie s’imaginait qu’on pouvait ouvrir des colonies en Amériques et qu’on allait les transformer en consommateurs. Mais, un jour, ce fut l’Amérique qui a inondé de ses produits l’Angleterre, tabac, coton, maïs, blé, etc. Encore une fois l’élève avait dépassé le maître. C’est le propre des élèves que de dépasser leurs professeurs.

    Qu’est-ce qui s’est produit dans la décennie 90 ? Le mur venait de tomber, le communisme allait suivre, et nous avons commis l’erreur nous les occidentaux, qu’il n’y aurait plus de problème, que l’avenir était radieux, qu’on allait ouvrir les frontières, que la richesse allait couler à flot, et qu’on n’aurait plus besoin ni de la politique ni de la diplomatie avec l’ouverture des marchés.

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  3. Dès le début des années 2000, ça commençait à flotter tout croche, et pour les plus allumés nous nous sommes aperçus que la barque prenait l’eau. On venait d’embarquer les Chinois dans le commerce international en pensant qu’on pouvait transformer ces commerçants dans l’âme en consommateurs. Et qu’est-ce qui s’est produit ? Ce sont eux les chinois qui nous ont inondé de leurs produits. Pour les chinois, l’ouverture des marchés ce n’était pas une brèche, c’était la grande ouverture. Facile de monter en puissance lorsque la main d’œuvre est bon marché et surtout soumise. Cependant, le peuple chinois, lui aussi désire sa pointe de gâteau !

    Ainsi, nous sommes entrés dans l’époque des grands médiocres, le plus bel exemple dont nous venons d’en être témoin, avec ce merveilleux budget de 900 pages que célèbre le Traître Taco après s’être fait humilier par le Cousin de Moscou au sujet de l’Ukraine, qui le lendemain a bombardé copieusement l’Ukraine, le Traître célèbre sa puissance. Au cours de sa campagne électorale et immédiatement après son assermentation, il fallait l’entendre, que l’Amérique devrait travailler plus fort afin de payer ses dettes, c’est à ce prix que l’Amérique serait de nouveau grande et toute puissante. Alors on a coupé partout en instrumentalisant Musk, qui a fini par être congédié. D’une certaine manière les USA se sont coupés du monde.

    Tout cela fait partie d’une seule et unique chose : l’évolution. Nous pensons, (toujours à tort), qu’une situation favorable et agréable va perdurer dans le temps, qu’on n’aura plus besoin de mélanger dangereusement la politique et l’économie qui doivent être manipulées avec prudence. Ce qui est tout le contraire, surtout lorsqu’un gouvernement augmente drastiquement les budgets militaires, et pour se faire coupe dans les programmes sociaux. Une odeur de poudre traîne dans l’air. Lorsqu’on réarme, c’est peut-être parce qu’on songe sérieusement à utiliser la force dans une atmosphère d’inquiétude délétère.

    Merci pour votre texte inspirant, il y a de quoi réfléchir.

    Bonne fin de journée

    Richard St-Laurent

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  4. Merci Richard,

    On avait cru, en effet, au lendemain de la Chute de l'URSS, au triomphe de l'Europe ou plutôt de l'esprit européen (la démocratie, le libéralisme).

    On découvre aujourd'hui qu'une foule de pays émergents nous détestent et nous considèrent comme des débauchés, des décadents, des colonisateurs. Et pire encore, que le pays que l'on croyait un flambeau de la Liberté, les USA, change de camp et se rallie aux Brutes et aux tyrans qui ne connaissent que le chantage et la force.

    Et la gangrène est générale. En Europe même, l'extrême-droite atteint des scores invraisemblables au point qu'elle va sans doute prendre le pouvoir à peu près partout.

    Tout cela est très inquiétant d'autant qu'on est trop éduqués, trop policés, pour répondre efficacement à des Brutes. On donne finalement l'impression d'être faibles, de se plier.

    C'est au point qu'il faut, effectivement, souhaiter un échec énorme des politiques étrangères et économiques de Trump. Mais il n'est pas sûr que ça suffise à tourner la page. Parce qu'il est remarquable que les plus grands scandales, les affaires les plus sordides, ne l'atteignent nullement et même, au contraire, le renforcent.

    Alors oui, l'esprit européen, démocratique et libéral, est effectivement, aujourd'hui, en grand péril et je ne sais pas si on parviendra à redresser la barre.

    Bien à vous,

    Carmilla

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