Kharkiv, je connais bien. J'y avais des amis aux quels je rendais fréquemment visite. Ca semble complétement perdu sur la carte de l'Europe. Je ne vais pas raconter que c'est beau. La ville s'enorgueillit de posséder la plus grande place d'Europe. Elle est grande, c'est vrai, mais quant à dire qu'elle est belle... Kharkiv est globalement plutôt moche mais disons qu'il y a une ambiance. Et puis, on peut y voir quelques immeubles constructivistes (un mouvement architectural novateur des années post-Révolution bolchévique).
Et le célèbre peintre ukrainien, Ilya Repine, est né et a vécu dans un petit village tout proche de Kharkiv. C'est d'ailleurs cette campagne proche de Kharkiv qui est admirable avec une végétation exubérante et des petites bourgades de rêve: tout le monde s'y connaît et bavasse dans des rues, pas toujours asphaltées, animées par de multiples marchés et une foule d'animaux. La vraie vie à la campagne, avec ses aspects merveilleux, je l'ai découverte près de Kharkiv.
Et il faut reconnaître que la plus grande réussite de cette propagande, c'est d'avoir réussi à convaincre le monde entier qu'il existait bien une âme russe. Une âme russe faite d'une plus grande sensibilité, d'une sentimentalité exacerbée et de grands tourments intimes. Et à l'âme russe, s'associe évidemment l'idée d'un grand territoire russe (quasiment toute l'Ukraine, sauf la Galicie, et surtout Kharkiv et Odessa).
Et puis, il y a l'influence des écrivains Tolstoï et Dostoïevsky. Tout le monde les a lus et ils demeurent des références fortes. Moi-même, j'ai été et je demeure (mais de manière moins inconditionnelle) une dostoïevskienne.
L'un et l'autre sont bien différents et leurs points de vue sont, certes, très éloignés mais ils se rejoignent néanmoins sur cette idée d'un grand messianisme russe. Un messianisme qui nous permettrait d'échapper à la déchéance, à la mercantilisation générale du monde et à ses dérives morales. Un messianisme russe qui sauverait toute l'humanité slave de la décadence occidentale.
C'est cela la grande bizarrerie de tous les Messianismes. On a pour horizon un au-delà de l'Histoire. On vit dans l'attente d'un Sauveur qui viendra affranchir les hommes du péché et établir le Royaume de Dieu sur terre. C'est ce qui cimente la plupart des grandes religions: le christianisme, le judaïsme, le chiisme (l'imam caché).
On croit aujourd'hui qu'on en a fini avec les grandes religions, qu'elles se sont largement rationalisées. Mais on ne perçoit pas que se manifestent maintenant des formes plus laïques et plus vulgaires du Messianisme. Le Soviétisme était déjà une forme de Messianisme. De même, le Nazisme. Un catéchisme dans les deux cas, avec tout un fatras idéologique reposant sur la promesse d'un avenir radieux.
Et pourquoi les jeunes occidentaux, surtout des étudiants (?), se mobilisent-ils en masse en faveur des Palestiniens mais se fichent à peu près des Ukrainiens ? Il me semble pourtant qu'il y a un camp qui combat davantage pour la Liberté que l'autre. Mais non, soutenir les Palestiniens, c'est d'abord une manière de désigner, en toute bonne conscience, ce que l'on hait et veut voir éradiqué du monde: les Juifs et le Capitalisme.
Delphine Horvilleur a ainsi bien souligné qu'il existait un Messianisme de vie et un Messianisme de Mort.
L'opinion occidentale est ainsi généralement effrayée par la cruauté et la violence impitoyable de la soldatesque russe. La pitié lui est étrangère et les exactions commises (vol, viol, torture) font partie du cours normal des choses. Comment est-ce possible dans un pays si religieux, qui affiche sans cesse sa culture supérieure ?
A ce sujet, je me permettrais de rappeler la commisération, voire la sympathie, de la religion orthodoxe envers les pêcheurs et les criminels. C'est un thème largement développé par Dostoïevsky. Le Pêcheur est, en quelque sorte, plus proche de Dieu que le Saint. Et commettre un crime, voire les multiplier, c'est une manière de trouver rédemption et de se rapprocher de Dieu.
Le chant "L'internationale" le proclame avec justesse: "Il n'est pas de Sauveurs suprêmes, ni Dieu ni César, ni Tribun. Libérons nous, nous-mêmes". Assumer seul son Destin, trouver soi-même les voies de son émancipation... En nos temps modernes, férus d'Apocalypse, cela a été complétement oublié.
Images d'Ilya Glazunov, le peintre contemporain controversé mais préféré de Poutine. Images également d'Ilya Répine, Vladimir Minaev, Vladimir Kush, Komar et Melamid, Igor Vasnetsov.
Mes recommandations de lecture:
- Michel Eltchaninoff: "Dans la tête de Vladimir Poutine". Un livre pas tout récent mais plus que jamais d'actualité. Poutine n'est évidemment pas un intellectuel mais il se pique de spiritualité.
- Jean-François COLOSIMO : "La crucifixion de l'Ukraine". Le grand connaisseur de l'histoire politico-religieuse.
- Delphine Horvilleur: "Comment ça va pas". Etrange à quel point on adhère à chaque fois à ses idées.
- Abnousse SHALMANI: "Laïcité, j'écris ton nom". Ca vient de sortir et c'est toujours aussi percutant.
- Paolo NORI: "Ca saigne encore - L'incroyable vie de Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski". Un livre lui-même incroyable par un Italien passionné par la culture russe. Il renouvelle complétement notre point de vue sur l'écrivain et le rend très humain. Je recommande vivement ce bouquin.