D'un séjour à l'étranger, je n'attends surtout pas le calme et le repos.
Je souhaite plutôt qu'il m'arrache la peau, me remette en cause, bouleverse mes certitudes.
D'abord un temps de cochon avec une pluie glaciale continuelle et des températures souvent négatives. Comme je n'avais apporté qu'une garde-robe de printemps, j'ai commencé par crever de froid. Ironiquement, il s'est mis à faire très beau durant les deux derniers jours.
Surtout, il y a le changement de langue. Le polonais, c'est bien sûr une langue slave très proche du russe et de l'ukrainien mais, à l'écoute, c'est d'une étrangeté totale: un chuchotement continuel fait de ch, chtch, j, dj. On croit entendre un véritable pépiement d'oiseau ou le murmure de conspirateurs. Et que dire de l'orthographe affolante ? On dirait qu'il n'y a que des consonnes. Les Polonais eux-mêmes s'amusent à se réciter entre eux leurs mots les plus imprononçables. La phrase: « W Szczebrzeszynie chrząszcz brzmi w trzcinie » (« À Szczebrzeszyn, un coléoptère chante sur un roseau » ) passe pour la plus difficile à lire au monde.
Mais j'ai honte, me sens un peu mal à l'aise, parce que mon polonais, principalement appris à la maison, dans la rue et en lisant les journaux, est, forcément, celui d'une personne peu éduquée, qui n'a pas été scolarisée. Un roman polonais, il faut, pour moi, qu'il ne soit surtout pas compliqué. J'ai aussi un accent qui m'identifie tout de suite; néanmoins on me comprend bien et ne me fait jamais répéter.
C'est au point que je suis sans doute davantage adaptée à la Pologne qu'à la France. J'ai l'impression de mieux y comprendre les choses et les gens. Tout m'y apparaît beaucoup moins compliqué, moins énigmatique. J'y devine mieux la psychologie de mes interlocuteurs, leurs réactions possibles.
Ce qui me plaît d'abord en Pologne, c'est qu'on y est matinaux. On commence souvent à travailler dès 7 heures et on se lève, bien sûr, en conséquence. Ca me convient mieux que les matinées paresseuses de l'Hexagone.
Et puis, dans la journée, je peux manger tout ce je veux, à n'importe quelle heure. Si j'ai envie d'une saucisse ou d'un hareng à 9 heures du matin, pas de problème, ça me sera tout de suite servi. Pas besoin d'attendre midi ou 20 heures avec tout le cérémonial du restaurant français.
Et aussi, je retrouve tout ce que j'ai l'habitude de manger. Evidemment, ça n'est sans doute pas très raffiné mais ça me convient et ça évite les effroyables pertes de temps de la cuisine française.
Mais le plus important, ce sont les relations humaines et sociales. Ce qui est étonnant dans les pays slaves, c'est la facilité à nouer contact et à développer une conversation dans un lieu public. On ne vous envoie jamais promener et on prend même plaisir à raconter tout de suite sa vie. On l'enjolive ou la dramatise au point qu'on a vite fait de s'égarer complétement.
On est évidemment à mille lieux du comportement français. Mais cet exhibitionnisme slave a aussi vite fait de me fatiguer car j'ai malgré tout adopté la réserve française.
Et puis, il y a les relations entre les sexes. J'ai remarqué que les Polonaises étaient maintenant habillées "normalement", sans le kitsch vulgaire des Russes.
Certes, on a, en France, une image horrible de la Pologne, même si on sait à peine la situer : un pays rétrograde, arriéré, antisémite.
Quant à l'accusation d'antisémitisme, j'y vois un retournement déculpabilisant: les victimes sont désignées agresseurs. N'oublions pas que l'ancienne Pologne (celle de la République des deux Nations) a été le Paradis des Juifs, le pays qui les a accueillis massivement, en leur accordant de pleins droits, alors qu'ils étaient persécutés partout ailleurs. Le drame de ces Juifs, ça a été le partage de la Pologne et leur transfert sous la férule de la Tsarine Catherine qui les a assignés dans des zones de résidence.
La Pologne actuelle n'a donc plus grand chose à voir avec ce qu'elle était par le passé. Son territoire, sa composition ethnique, ne sont plus du tout les mêmes. Curieusement, je n'ai jamais entendu quelqu'un revendiquer les anciens territoires perdus (principalement de grands morceaux d'Ukraine et de Biélorussie).
Il reste que la Pologne revit aujourd'hui et redevient cosmopolite. Dans les grandes villes, je rencontre sans cesse des Ukrainiens et des Biélorusses. Bizarrement, je suis même experte pour les identifier à de tout petits détails. Mais il est vrai qu'on m'identifie tout de suite aussi et évidemment pas comme une Française.
Mais c'est vrai que c'est quasiment la seule immigration, même si elle est importante. Des Arabes, des Africains, vous n'en rencontrez presque jamais. Sur ce point, l'évolution des mentalités est loin d'être faite. Pourquoi, me dit-on, devrait-on supporter les conséquences des colonialismes de certains pays d'Europe ? Ce n'est pas nous qui sommes allés en Afrique ou au Moyen-Orient. Inutile de répondre que cette problématique est dépassée depuis plus de 60 ans.
Cette émancipation, elle concerne aussi le mouvement Gay. A Varsovie, j'ai ainsi été surprise par le grand nombre de drapeaux LGBT affichés aux fenêtres.
Evidemment, ça ne concerne que les grandes villes et la libéralisation des mœurs n'a pas encore atteint les campagnes reculées.
Il n'empêche, l'évolution semble irréversible: un retour en arrière, une reconquête du pouvoir par les anciens caciques, n'apparaissent guère concevables. La Pologne est, probablement, définitivement et pleinement européenne.
La 2nde partie de mes photos est bien sûr consacrée à Varsovie.
Si vous souhaitez vous initier à la littérature polonaise, je me permettrai de vous recommander 4 livres vraiment troublants:
- Bruno SCHULZ: "Les boutiques de cannelle"
- Witold GOMBROWICZ: "Les envoûtés"
- Isaac Bashevis SINGER: "Keila, la rouge"
- Olga TOKARCZUK: "Le banquet des Empouses "