Ces derniers mois, j'ai lu, relu, beaucoup de bouquins ayant trait à la psychanalyse.
La psychanalyse, ça m'accompagne depuis toujours, ça façonne, dirige, mes petites idées.
C'est vrai que je n'ai jamais suivi d'analyse, n'en ayant jamais éprouvé le besoin (mon boulot étant peut-être l'équivalent d'une véritable analyse en ce qu'il me confronte sans cesse à moi-même). Mais j'ai quand même étudié sérieusement la psychanalyse, notamment, et ça étonnera peut-être, à l'Université: la psychanalyse, ça peut aussi être un dérivatif à la finance.
D'abord, je considère Sigmund Freud comme un véritable modèle intellectuel et humain: sa maîtrise de lui-même, son attention aux autres, le courage et l'audace de sa pensée.
Tous les lieux de sa géographie personnelle me sont, en outre, familiers: son père Jakob est né et a vécu à Tysmienica et à Buczacz (Ukraine), sa mère, Amalia, est née à Brody (Ukraine) et a vécu à Odessa. Sigmund Freud, lui-même,est né et a vécu à Freiberg (Pribor) en République Tchèque puis à Vienne et enfin à Londres. Freud, c'est vraiment la culture de l'Autriche-Hongrie et il est vraiment intéressant de visiter ses domiciles : la maison de Pribor, celle de Maresfields Gardens à Londres et l'appartement du 19 Berggasse à Vienne. J'ai beaucoup rêvé dans tous ces endroits.
On a tendance à considérer, aujourd'hui, que la psychanalyse, c'est obsolète, c'est dépassé. C'est vrai qu'il y a sans doute de mauvais analystes et que les résultats thérapeutiques ne sont pas évidents. Et puis, il y a cette vulgate un peu bêtasse qui réduit la psychanalyse à une affaire de symboles sexuels, de névrose et de complexe d’œdipe.
On lui substitue aujourd'hui la psychologie positive et les thérapies du bonheur (le yoga, la méditation etc..., bref, tout ce qui fait du bien...). C'est nul de chez nul, c'est du niveau de la Méthode Coué ou de l'injonction "quand on veut, on peut", mais ça submerge tous les médias, pas seulement féminins, et toutes les librairies.
Toutes ces bêtises, ça a surtout pour but de nous anesthésier, chloroformer, de nous enfermer dans la béatitude des bonnes pensées et le contentement de soi. Il faudrait s'adapter au monde. C'est sûr qu'avec ces méthodes, on ne risque pas de bouger, de sortir de sa coquille, de faire sa révolution personnelle.
La psychanalyse, au contraire, refuse cette tactique de l'évitement. Il s'agit, cette fois, d'affronter la vie dans sa dimension tragique, dans toute son horreur et sa cruauté. Il s'agit aussi de comprendre la logique de nos comportements. Pour cela, il faut repérer ce qui se répète, inexorablement, en nous: dans nos attitudes, nos choix, nos inclinations. Identifier cette grammaire de nos vies, c'est ouvrir la possibilité de s'affranchir de tout ce qui tord et contraint notre vouloir.
Surtout, la psychanalyse, quand on en vient à explorer les soubassements de sa conscience, est une extraordinaire leçon d'humilité.
Menteurs et criminels
On découvre d'abord qu'on n'est pas des gens si bien que ça. En général, on a tendance à considérer qu'on est exemplaires, vertueux, altruistes, sincères. Cette conviction rencontre d'ailleurs la grande idéologie contemporaine de transparence intégrale: ne rien avoir à cacher. La psychanalyse nous apprend, au contraire, qu'il y a une duplicité essentielle de la personnalité humaine: on s'affiche d'autant plus sympathiques qu'on est, en notre for intérieur, de sinistres crapules. Le Mal est en nous, sur ce point la psychanalyse rejoint le christianisme. La haine, la cruauté, le mensonge, la jalousie, l'hostilité à l'autre, nous habitent. C'est un constat terrible que l'on rejette le plus souvent avec force; on dégringole vraiment de notre piédestal.
Cependant, je suis convaincue qu'il faut avoir la lucidité de l'admettre. Ça a transformé ma propre vie quand j'ai réussi à effectuer ce pas. Du reste, j'éprouve une très grande méfiance envers tous ceux qui se présentent comme de petits saints, parés de toutes les qualités. Je préfère mille fois ceux qui se savent faillibles.
Mon moi, c'est l'autre
On apprend aussi, avec la psychanalyse, que notre personnalité, c'est bidon et qu'on n'est que des esclaves, ce qui n'est, bien sûr, pas très réjouissant. On a tendance, là encore, à penser qu'on est uniques, exceptionnels et qu'on se construit par nous-mêmes. Mais, là encore, il faut déchanter: la psychanalyse nous dit qu'il n'y a rien en fait qui nous soit propre, qui nous appartienne absolument, qui signe notre incontestable individualité. Le moi humain, il ne se constitue pas de lui-même mais il se construit dans un rapport de dépendance et d'aliénation originaires. On est d'emblée asservis à l'autre et à son image, on est d'emblée son esclave et c'est tellement prégnant que l'on peut dire que le moi humain, ce n'est pas notre brillante petite individualité, mais c'est l'autre, l'image que l'on en a et qui nous façonne en cherchant à nous y conformer. L'autre, c'est d'abord notre mère dont on guette éperdument un signe d'amour mais que l'on cherche aussi à séduire et sur laquelle on projette notre hostilité. Et ça devient le vecteur de notre existence: on va vivre continuellement sous le regard des autres, en être les esclaves, on va sans cesse chercher à les séduire ou à les détruire.
Mes désirs, c'est aussi l'autre
C'est à tel point qu'on ne désire rien par nous mêmes. On est tellement aliénés que notre désir n'est que désir de l'autre, c'est à dire que nos objets de désir ne sont que ceux qui nous sont désignés comme tels: on ne désire que par conformisme, mimétisme. Et c'est ce rapport de dépendance qui explique que l'objet de désir, une fois conquis, ne donne jamais satisfaction. Jamais le réel ne se conforme, ne s'emboîte, à notre désir, jamais les amants ne se rencontrent. La plénitude, on ne connaît pas, on est pris dans une fuite, une recherche éperdues.
La vie comme théâtre de l'entre-déchirement des êtres
Ce sont ces idées là qui me fascinent dans la psychanalyse. Je m'y reconnais entièrement: je sais bien que je suis une séductrice effrénée, que je guette l'approbation des autres et que je fonctionne à l'amour-haine. Et puis la volonté de puissance, c'est très fort chez moi. Ça n'est sans doute pas très beau mais j'ai du moins l'honnêteté de le reconnaître. Et puis, je répugne à rendre les autres responsables de mes malheurs: si je rencontre quelqu'un d'odieux, un sale type, c'est peut-être que je fais aussi partie du jeu. Les relations entre individus ne sont jamais à sens unique, il n'y a jamais simplement un salaud confronté à un cœur pur. Le plus souvent, en fait, ce sont deux salauds qui se déchirent.
Mais je vais cesser de vous embêter avec mes élucubrations théoriques. Si j'ai tout de même réussi à vous convaincre de l'intérêt de la psychanalyse, voilà les bouquins ou les sites que je vous conseille de lire ou de consulter en initiation :
- Sarah CHICHE: "Une histoire érotique de la psychanalyse - De la nourrice de Freud aux amants d'aujourd'hui". Ça vient de sortir, c'est plein d'histoires extraordinaires, c'est passionnant de bout en bout et c'est facile à lire.
- Lydia FLEM: "La vie quotidienne de Freud et de ses patients". Lydia Flem est également un grand écrivain belge et ce livre a aussi de grandes qualités littéraires.
- Elisabeth ROUDINESCO: il faut lire tous ses bouquins (notamment son dernier: "Dictionnaire amoureux de la psychanalyse"), tous des modèles de clarté et de précision.
- Elsa CAYAT: "Un homme + Une femme = Quoi ?" et "Noël, ça fait vraiment chier". Elsa Cayat était la psy de Charlie Hebdo.
- Anne DUFOURMANTELLE: "Eloge du risque", "Se trouver", "Défense du secret". Des livres pleins d'humanité. Anne Dufourmantelle est décédée tragiquement (noyade) l'an dernier.
- Catherine MILLOT: "La vie avec Lacan". C'est d'une formidable liberté.
Je vous conseille également sur YouTube: "Mardi Noir" d'Emmanuelle Laurent. C'est trash et hilarant (des leçons couplées de maquillage et de psychanalyse) mais cette jeune psychologue parvient à initier brillamment à la psychanalyse. C'est très pédagogique et jamais ennuyeux.
Vous pouvez aussi écouter, via Internet, "Transfert" le podcast de Charlotte Pudlowski. Plein d'histoires singulières à connotation psychanalytique. Ça devient vite addictif.
Enfin, il y a en ce moment (jusqu'au 10 février) une très bonne exposition consacrée à Freud au musée d'art et d'histoire du judaïsme (71, rue du Temple).
Et puis, il y a aussi les romans même si leurs auteurs ne se réclament pas de la psychanalyse, voire la dédaignent :
- Vladimir NABOKOV: "Lolita". C'est le bouquin qu'on connaît tous, qu'on a souvent dans sa bibliothèque mais qu'on ne lit pas. C'est pourtant renversant, fulgurant, d'une audace incroyable, surtout aujourd'hui.
- Yukio MISHIMA: "Le pavillon d'or". Portrait d'un jeune bonze en pervers.
- Anaïs NIN: son journal absolument indicible et scandaleux.
- Camilla GREBE: "Un cri sous la glace". Un polar suédois récemment édité en poche. Ça parle magistralement de l'érotomanie. C'est à rapprocher du bouquin de Ian Mc Ewan: "Délire d'amour".
Images du mouvement surréaliste: Wolfgang PAALEN, Félix LABISSE, Max ERNST, Valentine HUGO, Giorgio de CHIRICO, Victor, BRAUNER, Horace ARMISTEAD, Judit REIGL, Jacques HEROLD, Max Valter SVANBERG.
Ce post est sans doute infiniment trop long mais j'ai quelquefois envie de me convertir en enseignante.