
samedi 28 août 2021
Pays incertains

samedi 21 août 2021
L'heure bleue
samedi 14 août 2021
Folle de sport
Les Jeux de Tokyo, je n'ai pas pu beaucoup les regarder compte tenu du décalage horaire. J'ai quand même essayé pour la course à pied, plus précisément la course de fond, le seul sport que je comprenne vraiment. Ça a ravivé tous mes souvenirs d'adolescente, d'étudiante et des débuts de ma vie professionnelle, cette époque où j'espérais devenir une championne. J'ai vraiment été une folle de sport.
Mes espoirs sont maintenant enterrés, d'abord parce qu'il m'a toujours manqué un petit quelque chose : à peu près 2 ou 3 minutes sur 10 kms, 15 minutes sur marathon. C'est peu et c'est énorme, ça ne fait de vous qu'une bonne régionale. Surtout, j'ai aujourd'hui un genou récalcitrant et la compétition, c'est donc terminé. Ça me met en rage parce que j'ai l'impression d'avoir encore tout mon potentiel.
J'ai bien conscience que mes ambitions d'autrefois peuvent apparaître complétement stupides à la plupart. A quoi ça rime de cavaler comme une idiote pendant des heures et surtout de faire de la compétition ? D'autant qu'on n'y gagne pas un clou. Et puis, normalement, une fille, ça fait plutôt du piano et de la danse.
Mais c'est justement parce que ça m'est apparu transgressif que je me suis lancée là-dedans. Certes, énormément de Françaises pratiquent aujourd'hui le jogging; j'ai même l'impression qu'elles sont maintenant bien plus nombreuses que les hommes et surtout que partout ailleurs dans le monde. Je trouve ça très bien, c'est vraiment le signe d'une énorme évolution des mentalités même si c'est, sans doute, largement lié à des préoccupations esthétiques : la préservation de la ligne. En Russie, pays qui se prétend sportif, des joggeuses ou des cyclistes, vous n'en croiserez quasiment pas. Je n'oserais jamais y courir dans les rues d'une ville de province comme je le fais tranquillement en France. Mais des médaillées d'or en athlétisme, la Russie en produit des pelletées, ce qui n'est pas le cas de la France. C'est la différence entre sport d'élite et sport de masse.
En fait, la compétition, c'est autre chose. Ça suppose sans doute d'abord une certaine mentalité, certaines dispositions psychologiques. Il faut probablement avoir quelque chose à prouver moins aux autres qu'à soi-même. Pouvoir se dire qu'on n'est pas si nul(le) que ça.
Et pas si nulle, ça se rapporte aussi bien au mental qu'au physique.
Le mental parce qu'il faut tout de même être ultra persévérant pour parvenir à aligner imperturbablement, pendant des années et quelle que soit la météo, 100 à 130 kilomètres d'entraînement hebdomadaire.
Le physique parce qu'il faut s'imposer un régime alimentaire draconien ( le poids étant un facteur clé de la performance) et aussi parce qu'on en bave tout de même durant les épreuves (même si ça n'est pas le calvaire qu'on se plaît à imaginer parce qu'en fait, on "déroule" la plupart du temps en se contentant d'accélérer à la fin).
Mais malgré tout, la souffrance et son dépassement dans le sport, ça n'a jamais été mon truc, je n'ai jamais ainsi vécu les choses. Comme s'il fallait se punir, expier quelque chose. C'est de jouissance qu'il s'agit plutôt pour moi, celle de se sentir complétement libre, délivrée de la pesanteur d'un corps.
Et puis, je ne pense pas tellement non plus que ce soit le besoin de reconnaissance qui m'ait poussé à faire de la course à pied. De la confiance en moi, j'en ai peut-être même eu trop. Et puis j'avais des côtés précieux et éthérés qui finissaient par m'irriter moi-même. C'est alors plutôt pour ça que j'ai cherché à casser l'image de la fille intello et prétentieuse que je pouvais donner. Je ne voulais pas qu'on me réduise à ça.
Parce que la course à pied, ce n'est pas le tennis ou même la natation. C'est quand même plutôt populaire. Mais ça m'a justement permis de connaître plein de gens et d'autres milieux. Évidemment, je ne peux pas dire qu'on avait toujours des conversations de haut niveau. En fait, les propos échangés entre coureurs à pied tournent, pour l'essentiel, autour de 3 ou 4 sujets : le programme d'entraînement, le régime alimentaire, les temps et les résultats, le programme des compétitions, les chaussures.
C'est évidemment restreint mais j'ai surtout apprécié les relations interpersonnelles dans le milieu de l'athlétisme. A la différence, peut-être, d'autres sports, personne ne se déteste, ne se méprise, il n'y a pas de rivalités. Peut-être parce qu'il n'y a quasiment pas d'argent en jeu et que les hiérarchies y sont incontestables. Si l'on est battu, c'est tout simplement parce que l'on n'a pas le même niveau et dans ce contexte, il n'y a ni vainqueur, ni vaincu.
Et puis la course à pied me fascine aussi pour des raisons plus personnelles, plus intimes.
D'abord parce que ça correspond à mon esthétique du corps. J'ai toujours été habitée par un idéal de minceur et de légèreté. Le surpoids, la graisse, ça me révulse. J'assimile ça à un relâchement, à un manque de volonté personnelle. Je veux dominer mon corps et non qu'il me domine. C'est ce qui me fait carburer, c'est mon fantasme de toute-puissance.
Et puis, la pratique intensive du sport et, spécialement, de la course à pied, c'est un extraordinaire moyen de conjurer l'angoisse de la mort. Chaque marathonien est ainsi convaincu qu'il est en bien meilleure santé que le reste de la population, qu'il est quasiment indestructible. Être immortel, c'est le fantasme profond du sportif et du coureur à pied. Pour ça, on n'hésite pas à torturer son corps.
Tableaux (à l'exception d'une photo du stade Panathenaïque) de Joseph SIMA (1891-1971), peintre d'origine tchèque. Rien à voir avec le sport bien sûr mais il faut reconnaître que celui-ci n'a guère inspiré les artistes.
De bons livres sur la course à pied, il n'y en a pas beaucoup. Généralement, on présente les sportifs comme des héros, des modèles édifiants, ce qui n'est pas très intéressant.
Voici ma liste qui s'écarte de ces leçons de morale :
- Jean Echenoz : "Courir". Une biographie romancée consacrée au coureur tchèque Emil Zatopek.
- Jean-Louis Ezine: "Les taiseux". L'un des piliers du "Masque et la Plume", sur France Inter, fut un coureur à pied de niveau honorable.
-Haruki Murakami : "Autoportrait de l'auteur en coureur de fond". A rebours de nombre d'écrivains américains (Fitzgerald, Bukowski, Ellis etc...) Murakami affirme qu'un écrivain, un artiste, "n'a pas besoin d'une vie déréglée pour pouvoir créer". A méditer.
J'espère vous avoir convaincu de faire un peu de sport. Mais attention, ne vous dépêchez pas d'aller courir comme un dératé dès dimanche prochain. Ça risque de vous dégoûter et même d'être nocif. Courir, cela s'apprend et réclame de la méthode et de la patience. Si j'avais un seul conseil à donner, ce serait cette recommandation paradoxale : pour parvenir à courir vite, il faut s'entraîner lentement et très régulièrement.
samedi 7 août 2021
Apocalypse de l'esprit
J'ai profité du confinement pour remettre à niveau toutes mes "babioles électroniques". Pour essayer, en fait, d'apparaître à la pointe de la modernité et surtout, ne pas apparaître ringarde et dépassée. Mais il est évident qu'on a quand même toujours un temps de retard quelque part.
Mais bon, ça y est ! Je suis maintenant pourvue d'un ordinateur avec un processeur Intel Core i7, d'un téléviseur LG Oled 4k nouvelle génération et d'un smartphone 5 G. Pour éviter de me perdre dans le choix infini des "bonnes affaires", j'applique le précepte slave de mon père qu'il nous ressassait continuellement : "Les choses chères sont les choses bon marché et les choses bon marché sont les choses chères".
Je suis donc maintenant provisoirement "au Top" et c'est vrai que tous ces joujoux ont quelque chose de bluffant. Surtout pour moi qui ai été entretenue dans le souvenir des déboires de la technologie soviétique : les téléviseurs qui explosaient inopinément et qui réclamaient beaucoup d'imagination pour identifier des personnages au sein de tâches grisâtres; les téléphones très rares et dans les quels il fallait hurler quand on parvenait miraculeusement à obtenir une communication. Quant aux ordinateurs, leur utilisation par des particuliers relevait de la science-fiction.
Je pourrais donc être contente, frimer avec ça, mais le problème, c'est que je ne sais trop à quoi employer tout ce bazar. Ça me rend aussi perplexe qu'une poule devant un couteau.
Le pire, c'est le smartphone. Toutes mes copines me disent que c'est génial et qu'elles font tout avec ça. Et puis, quand je suis dans le métro ou dans un train, je suis stupéfaite de constater qu'absolument tout le monde tue le temps ou s'occupe aujourd'hui en bidouillant sur son truc. C'est vraiment un formidable aspirateur d'attention et cette aspiration, elle se fait au détriment de tout le reste, pas seulement de la lecture d'un journal ou d'un roman mais de la simple attention à son environnement immédiat, naturel et humain. C'est tout en consultant son smartphone qu'on visite maintenant les Grandes Pyramides, fait le tour du Mont Blanc ou participe à un repas familial. La plus grande détresse éprouvée, c'est quand on a perdu, pendant un ou deux jours, son joujou. Heureusement, on peut, aujourd'hui, s'en procurer un nouveau quasi immédiatement.
Je me dis souvent que je suis précocement ringarde ou pas "normale" parce que je suis complétement hermétique à ça. Je refuse, en fait, de sombrer dans cette addiction parce que j'aurais l'impression que je ne pourrais plus tout dominer et que je ne serais plus moi-même : je me transformerais en un stupide poisson rouge qui se précipite sur l'appât que lui tend un pêcheur pour l'hameçonner.
Sur un smartphone, hormis le téléphone, tout le reste m'apparaît, en fait, à peu près superflu. Photographier, filmer avec un smartphone, ça m'apparaît miteux et presque grotesque, comme si un duplicata de sa vie parvenait à l'arracher à sa médiocrité. Les réseaux sociaux, Facebook, Instagram, Tik Tok, Twitter, je pense que ça convient surtout à des ados rageurs, en quête de reconnaissance. Les sites de rencontre, je n'ai pas encore besoin de ça, il m'est plus simple de m'asseoir à la terrasse d'un café chic.
Quant aux multiples applications, aux aides à la décision, je ne veux surtout pas de ça : c'est à force de tout déléguer à des prothèses électroniques qu'on perd ses capacités de mémoire et de réflexion. A contrecourant de la modernité, je continue ainsi de pratiquer le calcul mental et d'essayer d'"avoir tout dans la tête", agendas, rapports, compte rendus de réunions. Même la fonction GPS du smartphone, je ne la consulte qu'en dernier ressort. Suivre bêtement une flèche, très peu pour moi. Je préfère être d'abord imprégnée d'une carte géographique.
Tous ces objets sont pourtant révolutionnaires, je le reconnais volontiers, et ont profondément bouleversé nos relations sociales. En théorie, ce sont des outils fabuleux qui devraient nous permettre d'avoir accès à une immense partie des connaissances humaines. On pouvait espérer qu'avec eux, la science et la technologie allaient libérer l'humanité, la rendre plus tolérante et éclairée.
On sait bien qu'il n'en est rien et que le niveau culturel des populations n'a guère progressé avec leur introduction massive. On voit même souvent en eux un instrument d'abrutissement des masses qui nous rendrait bêtes et nous ferait subir un lavage de cerveau. La doxa considère même qu'ils s'agit d'excroissances du capitalisme, d'une grande manipulation mondiale visant à asservir les masses. C'est cette idée, quasi généralisée, d'une grande décision concertée cherchant à organiser la misère intellectuelle des masses. C'est finalement cette vision un peu rousseauiste d'un homme naturellement bon qui serait perverti, manipulé, par la société.
On pense alors que l'offre crée la demande et on refuse en fait, avec force, cette idée que l'offre médiatique s'ajusterait simplement à nos appétits les plus immédiats. On répugne à envisager que cette offre dévoile et révèle simplement nos appétences et désirs. On préfère se référer à une anthropologie naïve, celle d'un homme rationnel, bon et pacifique par nature.
Nul doute pourtant que si tout le monde était épris d'Art et de culture, l'offre médiatique s'adapterait immédiatement. En fait, la réalité de notre fonctionnement psychique est beaucoup moins reluisante que l'Homme ne l'affirme. Toutes les études effectuées mettent en effet en évidence notre goût immodéré pour la conflictualité, le raccourci intellectuel (le "buzz"), l'exhibition sociale, le sexe, l'humiliation de l'autre. A toutes ces passions souvent cruelles, les réseaux sociaux offrent un extraordinaire terrain de jeu.
Je me garderai bien de condamner ces passions au nom de la Morale. Je n'ai jamais cru en la sainteté de l'homme. Le premier problème, c'est que la violence peut maintenant s'exprimer en toute liberté et toute impunité. Mais ce n'est peut-être pas la chose la plus grave si ça permet, du moins, de fournir un exutoire et une compensation aux frustrations de ceux qui se jugent opprimés.
Le plus inquiétant peut-être, c'est qu'aujourd'hui le marché de l'offre médiatique est entièrement dérégulé, sans limites. Surtout, cette offre est en train d'aspirer, de siphonner, la quasi totalité de nos disponibilités mentales en exerçant une irrésistible attraction sur nos pulsions primaires. Il s'agit d'un véritable hold-up, une captation, un détournement généralisés de notre attention et de nos facultés intellectuelles. Et on consent bien volontiers à cette nouvelle servitude à tel point qu'on y consacre maintenant presque tous nos loisirs, à pianoter frénétiquement, dans une folle addiction, sur nos smartphones. Tout notre "temps de cerveau disponible", il est aujourd'hui occupé, pillé, par les gadgets électroniques et les réseaux sociaux qui offrent, à bon compte, satisfaction à nos impulsions et affects.
Une grande civilisation de la culture, de l'esprit et de la "paix perpétuelle", ce n'est donc pas ce qui s'annonce aujourd'hui. On parle plutôt d'une véritable "apocalypse cognitive". Peut-être ! Ce qui est sûr, c'est qu'on vit une époque de tétanisation et de sidération mentale. On devient de plus en plus des "zombies" au comportement cruel et mécanique.
Peut-être finalement que notre époque est celle du mythe grec de Méduse, curieusement oublié. Les Méduses, c'étaient ces sœurs transformées par Athéna en monstres immobiles et à la chevelure formée de serpents. Il fallait surtout éviter d'en croiser le regard parce qu'il vous transformait instantanément en pierre. C'est bien cela notre époque : on est littéralement médusés, pétrifiés, face aux nouveau réseaux sociaux.
Quelques illustrations du mythe de Méduse par Rubens, Le Caravage, Arnold Böcklin, Fernand Khnopff, Jean Delville, Maximilian Pirner, Franz Von Stück, Laura Dreyfus Barney, Kotarbinsky,Wilhelm Trübner, Edward Burne-Jones
Ce post s'inscrit dans le prolongement de ma découverte récente des travaux de Gérald Bronner, sociologue dont les points de vue m'apparaissent radicalement novateurs. Il s'attache en particulier à l'analyse des mécanismes de l'esprit. C'est bien sûr critiquable mais ça se révèle fécond. C'est également à rapprocher des travaux de la "nouvelle économie comportementale" (Daniel Kahneman et Richard Thaler, prix Nobel d'économie en 2002 et 2017).
De Gérald Bronner, je recommande tout particulièrement :
- "Apocalypse cognitive", (PUF, janvier 2021)
- "Cabinet de curiosités sociales" (PUF 2018). Ce second livre, agréable et stimulant, constitue une excellente introduction à son œuvre.
On trouve, par ailleurs, en poche les livres de Daniel Kahneman ("Système 1 Système 2 Les deux vitesses de la pensée") et Richard Thaler ("Les découvertes de l'économie comportementale"). Cette insertion de la psychologie dans l'économie ne m'apparaît pas fondamentale mais c'est quand même intéressant.