L'identité, c'est devenu un grand questionnement. On voudrait savoir qui l'on est vraiment. Ça rejoint la grande idéologie contemporaine de la transparence.
Pour ça, on se met en quête de ses origines, de ses racines. On scrute sa généalogie, on recompose la vie de ses ancêtres, de ses parents, on débusque les "secrets de famille". Bien sûr, on se découvre presque toujours des ascendants prestigieux mais aussi quelques histoires sombres, transmises de génération en génération, qui expliqueraient notre malaise actuel. "Aïe, mes aïeux !", c'est le titre du livre à succès d'Anne Ancelin Schützenberg.
Les secrets de famille, ça plaît beaucoup aujourd'hui et on adore, de plus en plus, s'épancher sur la vie de ses parents et de ses proches. Parce que, bien sûr, c'est ça qui rendrait compte de votre personnalité.
C'est une attitude à la quelle je me sens, personnellement, complètement étrangère. Je ne me suis jamais intéressée à mes ancêtres, probablement de pauvres gens mais avec les quels je pense avoir bien peu d'affinités, tellement le temps, l'histoire, ont fait leur oeuvre.Quant à la vie personnelle de mes parents, je n'en sais rien et n'en veux rien savoir. Je me sentirais d'ailleurs bien incapable d'exprimer un jugement sur leurs actes, leurs lâchetés, leurs trahisons, leur manque de compassion. Je crois qu'ils ont été plutôt meilleurs que d'autres mais je n'ai pas, non plus, eu une enfance heureuse, sans que ce soit, forcément, de leur faute. La violence, je l'ai plutôt perçue du côté des institutions: l'école et tous les suppôts de la société disciplinaire, petits boutiquiers, forces de police et employés de l'administration.
Il y a, pour moi, une affreuse obscénité dans la quête effrénée des origines. Et puis reporter le poids de la faute sur les autres, c'est vraiment s'exonérer à bon compte. Et je ne pense pas, non plus, que l'on reproduise, forcément, la vie de ses parents ou de ses ancêtres.
Surtout, ça m'apparaît complètement régressif. Essayer de se construire par rapport au passé, c'est se condamner à tourner en rond, à ruminer à l'infini. Ce n'est pas comme ça qu'on va se débarrasser de ses problèmes. Ce qui est important, c'est l'avenir et c'est nous seuls qui en détenons les clés.
Il n'est pas vrai que l'on soit mécaniquement déterminé par les événements de la vie. Bien sûr, il y a les traumatismes, la souffrance. Mais on n'est pas, non plus, toujours complètement passifs.
Plus importante, apparaît la résistance, la rébellion que l'on sait opposer. Le traumatisme ne vous détruit pas automatiquement. On n'est pas les simples réceptacles du chagrin, on se construit surtout dans la lutte et l'affrontement. Etre heureux ou malheureux, ça dépend beaucoup moins de ses ancêtres que de sa capacité de révolte.
Tableaux de Paul JENKINS (1923-2012), peintre abstractionniste américain. Il était, notamment, grand ami de Paul Veyne.