En Iran, la prostitution est, pour celles qui s'y adonnent, punie de la peine de mort.
C'est évidemment dissuasif. Mais pour tenir compte des réalités, la République Islamique autorise, dans sa grande bienveillance, une solution unique au monde: "le Sighé" ou mariage temporaire. C'est une pratique que la religion chiite a conservée au fil des siècles et que le régime actuel favorise. Ce mariage permet de légaliser les relations sexuelles entre les deux sexes: un contrat de mariage est établi, le plus souvent devant un mollah, autorisant l'homme à coucher avec une femme mais aussi à se séparer d'elle à l'échéance fixée. Ce contrat peut durer de 15 minutes à 99 ans ! Il va de soi qu'il est assorti d'une compensation financière (dissimulée bien sûr) ce qui l'assimile à une prostitution légalisée.

Quand j'ai parlé du "sighé" à ma copine Daria, elle s'est montrée enthousiaste. "C'est formidable", qu'elle m'a dit, "comme c'est dommage que ça n'existe pas en Europe !". "Ça en éviterait des embêtements: tous ces amants éconduits qui vous pourrissent la vie en vous relançant sans cesse; toutes ces procédures sordides de divorce où l'on est prêts à s'assassiner pour 3 sous"; toutes ces accusations de viol".
C'est vrai qu'on hésite de plus en plus, aujourd'hui, à entamer une aventure amoureuse. Ça fait vraiment réfléchir quand il faut gérer l'"après": quand ça foire et qu'on se déchire dans de véritables crises d'hystérie, quand on n'arrive plus à se débarrasser de l'autre et qu'on reste finalement avec lui par pitié.
Avec le "sighé" iranien, au moins les choses sont claires: le contrat est-il ou non toujours valide ? Décide-ton ou non de le prolonger ?
Est-ce qu'on ne devrait pas largement diffuser en Europe ce type de contrats ?
J'imagine que beaucoup d'entre vous jugent mes propos insensés et purement provocateurs.
Peut-être, mais je veux surtout appeler l'attention sur la totale hypocrisie entretenue en Europe, et surtout en France, concernant la prostitution. Il y a un grand paradoxe: jamais on n'a autant affirmé la liberté sexuelle et sentimentale de chacun et jamais on n'a autant condamné la prostitution.
Il y a quelque chose qui semble devenu intolérable dans la prostitution et c'est un rejet qui est somme toute assez récent. Il y a peu de temps en France, on s'accommodait fort bien des maisons closes, elles pullulaient. Ce n'était pas que des lieux d'abattage, c'était aussi des lieux d'échange et de convivialité sensuelle et esthétique.
Et puis, la prostitution est devenue, au milieu du 20 ème siècle, l'ennemie publique numéro 1. Ça s'est d'abord concrétisé par la fermeture des maisons de "tolérance" en 1946 avec une pénalisation des proxénètes et surtout des prostituées avec le délit de "racolage".
Progressivement, toutefois, la condamnation des seules prostituées est apparue inique alors qu'il fallait plutôt les considérer comme des victimes. C'est pourquoi la France a décidé de rejoindre le camps des pays puritains et abolitionnistes (Suède, Norvège, Islande) en pénalisant non plus la prostituée mais son client et les proxénètes (Loi du 13 avril 2016).
Finalement en Europe aujourd'hui, il y a 4 régimes réglementant la prostitution:
1/ Les pays abolitionnistes (France, Islande, Norvège, Suède) où le client est pénalisé,
2/
Les pays où la prostitution est légale et non encadrée (Pologne,
Espagne, Italie, Portugal, Belgique, Bulgarie, Royaume-Uni, République
Tchèque, Slovaquie, Danemark, Finlande, Estonie, Slovénie),
3/ Les pays où elle est légale et réglementée (Allemagne, Autriche, Hollande, Suisse, Turquie, Grèce, Lettonie, Hongrie)
4/
Les pays où elle est entièrement illégale (pénalisation du client et de
la prostituée): Ukraine, Russie, Roumanie, Lituanie, Biélorussie,
Serbie, Croatie, Bosnie, Albanie, Macédoine, Moldavie.
Il
va de soi que le régime n°2, celui des pays où la prostitution est
légale et non encadrée (sans autorisation de proxénétisme et de maisons
closes toutefois), est le moins hypocrite et le plus libéral. Dans la pratique, en outre, tous les régimes d'interdiction sont aisément contournés par Internet et bénéficient de la plus ou moins grande bienveillance ou corruption de la police: il n'y a pas moins de prostituées en Russie et en Ukraine qu'ailleurs, tout s'y achète.
En France, cependant, il y a aujourd'hui un certain progrès: le racolage est, depuis plus de 3 ans, redevenu autorisé. Ce qui ne l'est plus en
revanche, c'est la transaction financière dont le client doit assumer
l'entière responsabilité.
Une prostituée n'encourt donc
plus de risques judiciaires en France sauf si elle ne déclare pas ses
revenus au fisc. Comment ne pas s'en féliciter même s'il n'est sûrement
pas facile de remplir les formulaires des impôts qui ne prévoient pas de
case "revenus issus de la prostitution" ?
En revanche, pour le client, ça craint ! L'amende encourue (1 500 € tout de même, voire 3 750 € en cas de récidive) est presque accessoire en regard du risque de voir sa vie privée étalée sur la place publique. Il est vraiment jeté sur le banc d'infamie, cloué au pilori. La peine est vraiment disproportionnée surtout si l'on sait que plus d'un homme sur trois a eu recours, dans sa vie, aux services d'une prostituée.
La conséquence paradoxale de cette Loi du 13 avril 2016, tout à la fois protectrice et vengeresse, est qu'elle a accru la précarité des prostituées. Dans la pratique en effet, les clients ont "pris leurs précautions" et la prostitution est devenue de plus en plus clandestine et cachée. Et clandestinité accrue implique forcément des conditions d'exercice plus sordides et plus dangereuses (violences et meurtres). Il faut vraiment être très courageuse ou désespérée pour exercer aujourd'hui, en France, la prostitution.
La solution de bon sens, ce serait bien sûr de dépénaliser le client mais ça va à l'encontre de l'image de la femme forcément victime d'un prédateur.
C'est à tel point qu'il est impossible d'avoir un débat dépassionné sur la prostitution. Parmi les féministes elles-mêmes, il y a celles, les plus audacieuses qui affirment le droit des femmes à se prostituer s'il s'agit d'un choix libre et consenti: la prostitution, c'est un travail qu'il faut sauvegarder.
Et puis, il y a les intransigeantes qui considèrent que la prostitution est, par nature, une exploitation du corps d'autrui et qu'il faut donc l'abolir complétement et de manière radicale. Ça ne pourrait pas être assimilé à un travail puisque c'est la misère et la précarité qui pousseraient les femmes à se prostituer.
Curieuse rhétorique parce que je n'ai vraiment pas l'impression que les femmes qui passent des journées entières dans un bureau à traiter des dossiers le font par simple passion esthétique et désintéressée. On en conviendra, l'immense majorité des gens qui travaillent le font parce qu'ils y sont économiquement contraints.
En fait, si on s'excite et s'échauffe tant sur la prostitution, si on est incapables d'en parler de manière pondérée, c'est qu'il existe, aujourd'hui, une volonté féroce de la punir et de la stigmatiser.
La prostitution dérange en effet et si elle dérange, c'est qu'elle énonce d'intolérables vérités en regard du modèle de l'amour aujourd'hui consacré dans nos sociétés.
On ne parle plus en effet que d'égalité et de parfaite symétrie entre les sexes, d'échange transparent entre citoyens libres et éclairés.
Mais est-ce vraiment si simple ? On sait bien, même si on se refuse à l'avouer, que les couples ne se forment pas sous les seuls auspices d'un amour pur et désintéressé mais aussi, et le plus souvent, sous ceux de la hiérarchie, de la domination et de l'inégalité. L'évolution récente toutefois, c'est que les hommes ne sont plus systématiquement dominateurs et que c'est souvent la femme qui occupe maintenant le dessus du panier.
On sait bien aussi que le domaine amoureux n'échappe pas à la sphère de l'échange économique. L'échange sentimental et sexuel a une contrepartie financière même si celle-ci est déguisée. Oserais-je l'avouer ? J'aime bien Melania Trump; elle ose afficher, en toute franchise, la vérité et la vénalité du mariage moderne.
La liberté d'aimer est une fantastique supercherie. D'abord parce qu'on est très discriminants en matière sentimentale: on choisit généralement quelqu'un de la même classe sociale, de la même communauté, de la même origine. On n'est pas si démocrates et si anti-racistes que ça.
Et puis qu'est-ce que la liberté d'aimer de quelqu'un, homme ou femme, qui est moche, vieux, handicapé, immigré ? Tous ceux là, ils sont quotidiennement humiliés, rabroués, exclus de la compétition sexuelle. Même moi, j'évite d'avouer que je suis d'origine ukrainienne parce que je sais que ma séduction s'effondre alors subitement.
Derrière tous les beaux mots, derrière toutes les belles proclamations, se cache un marché qui ne dit pas son nom, cruel et inégalitaire. C'est celui de l'échange économico-sexuel dont tirent en premier lieu avantage les plus beaux et les plus riches. Les autres, ils doivent se reporter sur les derniers choix.
De ce marché, on ne veut rien savoir aujourd'hui pour préserver la fiction d'un amour libre et désintéressé. C'est pour ça qu'on promeut cet idéal niais et bêta du mariage pour tous comme accomplissement de toutes les sexualités.
C'est pour ça aussi qu'on dénonce et stigmatise avec tant de violence la prostitution. Ce n'est pas l'exploitation du corps humain qui dérange, c'est la transaction financière directe et explicite. Cette transaction, elle est devenue indirecte et dissimulée dans le mariage moderne mais cela n'abolit pas cette réalité incontournable: tout est échange, rien n'échappe, même les sentiments et les passions, à l'emprise des calculs et stratégies économiques.
Mariage pour tous, proclame-t-on aujourd'hui comme des moutons.
La réalité, elle est plutôt celle de la prostitution universelle, comme l'avait analysé au 19 ème siècle Charles Fourier.
Prendre acte de cette réalité, ça pourrait contribuer à beaucoup pacifier les relations entre les hommes et les femmes. On conclurait des contrats économico-sexuels, de durée variable, de quelques jours à plusieurs mois.
Moi, ça me conviendrait très bien. Le mariage et les enfants, je n'en ai rien à fiche et ça ne m'intéresse pas, ça m'angoisse même. Quant à la vraie prostitution, ça m'apparaît vraiment trop glauque et dangereux.
Mais être escort ou courtisane, dans le cadre d'un contrat à durée limitée et sans les inconvénients d'une relation sentimentale, je crois que ça me plairait assez. Et dans ce métier, j'ose penser que je n'aurais pas seulement les atouts de mon apparence. Celui qui louerait mes services en aurait pour son argent: look sexy + connaissance de nombreux pays + grandes capacités sportives + bonne culture générale + plusieurs langues parlées + experte en économie/finances, j'ai tout de même un bon C.V.. Mes défauts: je suis réservée et plutôt hautaine, mais ça plaît aussi.
Images du magazine allemand "Jugend" qui a beaucoup contribué à la diffusion de la sensibilité esthétique (notamment du Jugendstil) au début du 20 ème.
Tableaux également d'Adolf Münzer (1870-1953), Ernst Ludwig Kirchner (1880-1938), Jeanne Mammen(1890-1976) , Kees van Dongen (1877-1925), Paul Rieth (1871-1925).
Dans le prolongement de ce post, je renvoie également à l'excellent livre du philosophe François De Smet: "Eros Capital" qui n'hésite pas à bouleverser toutes les idées lénifiantes sur l'amour.