Régulièrement (toutes les 6 semaines environ), nous nous réunissons entre collègues financiers de l'ensemble de la France. On est un groupe de 30 environ.
On discutaille alors d'évolution de la réglementation, de problèmes de gestion ou de montages financiers. Ca dure un ou deux jours.
Evidemment, c'est un peu particulier et il y aurait beaucoup à dire sur la petite assemblée que l'on constitue. D'abord, on est tous un peu déguisés, on s'affiche comme des personnes "chics" avec un dress code rigoureux.
Surtout, il y a une espèce de solidarité absolue entre nous qui se conforte par le carnet d'adresses. On est "du même monde" et il y a ainsi des "spécialistes" qui connaissent par cœur les annuaires des différentes promotions et les parcours de chacun. C'est cet esprit de corps si souvent dénoncé et qui serait "très français".
Je veille à ne pas être à ce point monocentrée, à ne pas me laisser entièrement absorber. Parce qu'on s'expose alors à beaucoup de désillusions. Le monde du travail demeure, en effet, impitoyable et, qui que l'on soit, on a vite fait de se faire éjecter. Je dois bien ainsi constater qu'à chaque nouvelle réunion, un ou deux anciens collègues ont disparu, remplacés par un(e) autre, plus jeune, plus dynamique. Bientôt, je vais faire figure d'ancienne.
Mais au total, j'aime quand même bien ces réunions et séminaires. J'y scrute, étudie, les attitudes, le comportement de mes collègues. C'est un lieu privilégié d'observation de la grande "comédie humaine".
Il ne viendrait à l'idée de personne d'aller passer des vacances en Mayenne et il est vrai qu'on n'y trouve aucune ville, aucun monument, aucun site naturel absolument remarquables. C'est joli, agréable, voire mignon, mais de là à déplacer les foules...
La Mayenne, ça passe, en fait, pour un département absolument paysan, absolument plouc. Et les Mayennais eux-mêmes aiment en rajouter en la matière. Non sans humour, ils précisent ainsi qu'ils sont l'un des départements les moins peuplés de France (307 000 habitants) et qu'il y a presque deux fois plus de vaches (580 000) et de cochons (463 000) que d'habitants. C'est, paraît-il, une situation absolument unique.
La Mayenne, c'est donc un peu le territoire inconnu, celui du "nulle part", du "nowhere". Mais les quelques "locaux" que j'ai interrogés à ce sujet m'ont tout de suite répondu: "Mais c'est tant mieux qu'on ne nous connaisse pas. Il vaut mieux que ça reste ainsi".
La Mayenne, ça passe, en fait, pour un département absolument paysan, absolument plouc. Et les Mayennais eux-mêmes aiment en rajouter en la matière. Non sans humour, ils précisent ainsi qu'ils sont l'un des départements les moins peuplés de France (307 000 habitants) et qu'il y a presque deux fois plus de vaches (580 000) et de cochons (463 000) que d'habitants. C'est, paraît-il, une situation absolument unique.
On n'imagine vraiment pas qu'on soit très actif et dynamique en Mayenne. On croit plutôt qu'on y végète sur un lopin familial. Et pourtant, c'est l'exact contraire !
Un véritable "miracle économique" si l'on songe qu'à l'orée des années 80, le territoire était considéré comme plutôt pauvre et condamné au sous-développement. Tous les vents semblaient contraires.
Mais la Mayenne, ça ne se limite pas à une agriculture très technicisée. C'est, en fait, l'industrie qui est le premier secteur pourvoyeur d'emplois (39 %, soit un taux très supérieur à la moyenne nationale) avec une flopée de petites entreprises développées dans chaque village. On connaît bien ainsi à Paris les "Toiles de Mayenne" et on a peut-être remarqué que la plupart de nos bouquins sont imprimés à Mayenne. Ca s'étend même aujourd'hui aux nouvelles technologies et aux recherches sur la réalité virtuelle (middleVR).
Je ne veux pas trop développer là-dessus au risque de vous ennuyer profondément mais la Mayenne se révèle, au total, un petit morceau de France presque idyllique: pas de chômage et un taux d'emploi, notamment féminin, élevé; des possibilités de logement abondantes et à prix modéré; une quasi absence de conflits et problèmes sociaux (la crise des banlieues, on ne connaît guère). Politiquement, on est d'ailleurs très modérés (plutôt centristes) et Mélenchon et Le Pen n'y ont pas bonne presse. En bref, la Mayenne, c'est un havre de paix et de quiétude.
Au total, on est très loin, en Mayenne, de cette France du bruit, de la fureur et du désespoir que présentent sans cesse les médias. D'où l'interrogation : comment un groupe de ploucs, une sorte de grand village gaulois, a-t-il pu construire tout seul dans son coin, sans rien demander à l'Etat et en dépit d'obstacles majeurs (une absence de grandes écoles), une société paisible et harmonieuse ? Et on sent, effectivement, que les gens semblent assez satisfaits. Dans les cafés, les restaurants, j'écoutais les conversations: je n'entendais personne râler ou se plaindre comme c'est toujours le cas à Paris.
Ca m'a fait pas mal réfléchir et ça a ressuscité une question qui, personnellement, me passionne. C'est aussi la question centrale de toute l'économie: comment un pays, une région, un territoire, deviennent-ils riches ?
On a trop tendance à croire, notamment en France, que ça repose largement sur les matières premières, le tourisme et, surtout, l'intervention publique. On est convaincus que l'Etat est principal créateur de richesses et on lui reproche sans cesse de ne pas suffisamment activer la Pompe à Phynances.
La Mayenne en est une démonstration et c'est, en cela, que son expérience, m'a beaucoup intéressée: est-ce qu'elle ne pourrait pas inspirer l'Ukraine ?
Parce qu'il faut bien dire que l'animation des villages en Mayenne, elle est voisine de zéro. Elle est limitée aux cafés et aux restaurants (excellents au demeurant). Le reste, tous les petits commerces divers des centres-villes, ils ont disparu. Ils se sont déportés dans les grands centres commerciaux avec leur bimbeloterie standardisée et leurs produits alimentaires tous les mêmes et plus ou moins insipides. Si on veut faire des courses, on est donc priés de prendre son véhicule. Si on n'en a pas, je ne sais pas comment on peut survivre.
Et enfin, je n'ai pas complétement compris la clé du développement économique de la Mayenne. L'esprit d'entreprise, Max Weber (dans son "Ethique protestante et l'esprit du capitalisme") a beaucoup brodé là-dessus. Mais ses thèses ont été largement réfutées. Je n'y crois pas non plus et je ne sais pas ce que ça signifie. En Mayenne, on y a ainsi visiblement l'amour du travail bien fait et on se sentirait déshonoré si le client n'était pas satisfait. Mais on sait aussi que cette "éthique du travail" ne suffit pas. La preuve, les pays dans lesquels on travaille le plus, ce sont les pays pauvres. Pour devenir riche, il faut, en fait, d'abord parvenir à mobiliser de l'épargne et du Capital puis parvenir à s'intégrer à un vaste cercle d'échanges. Mais ça, c'est une autre paire de manches.
La très grande majorité de mes photos a été prise dans deux petites localités mayennaises: Sainte-Suzanne (1 300 habitants) et Lassay-les-Chateaux (2 300 habitants). Deux bleds absolus mais admirables, encore façonnés par le Moyen-Age. J'ai ajouté, à la fin, des images du château de Carrouges, tout proche mais situé dans l'Orne.
Deux artistes célèbres sont originaires de la Mayenne : le peintre, le Douanier Rousseau (dernière image) et l'écrivain Alfred Jarry.
Il faut absolument avoir lu Alfred Jarry, à commencer par "Ubu Roi". C'est d'une acuité politique extraordinaire. Un texte prophétique qu'il serait bon de diffuser, de toute urgence, notamment en Russie.
Et la vie d'Alfred Jarry est, elle-même, terrible, effroyable. Sur ce point, je recommande une remarquable Bande Dessinée (mais oui, j'en lis) :