Les médias font leurs choux gras d'une montée de la violence et de la criminalité dans les sociétés occidentales.
C'est leur fonds de commerce et peu importe que les données chiffrées et leur évolution dans le temps (Steven Pinker: "La part d'ange en nous") indiquent exactement le contraire. On vit, en fait, dans des sociétés de plus en plus sécurisées et sécuritaires.
Et puis, on omet toujours complétement que l'exercice de la violence, il est quasiment le monopole d'un seul sexe, le masculin.
Quant aux types de crimes et délits, les femmes ne sont quasiment jamais mises en cause pour des cambriolages ou vols avec violence (7%), pour des vols de voitures (5%), pour des affaires de stupéfiants (9%), pour des destructions et dégradations (12 %), pour des violences physiques sur personnes de plus de 15 ans (15%).
Ce qui est même étonnant, voire problématique, c'est qu'elles semblent n'être pratiquement pas concernées par les infractions de caractère sexuel (3%). Au regard du Droit pénal, les femmes sont ainsi, en matière sexuelle, généralement présupposées innocentes: des victimes mais pas des porteuses de vices. C'est bien sur un progrès par rapport à l'image moyenâgeuse de la sorcière dévorée par sa lubricité. Mais on enferme aujourd'hui les femmes dans une vision angélique, une image presque infantile.
Elles ne sont pourtant pas moins fascinées que les hommes par l'interdit sexuel. Mais elles continuent, à l'inverse des hommes, de bénéficier d'une relative compréhension en la matière. Le très récent film "May, December" de Todd Haynes, qui remporte un grand succès, relate ainsi tout de même la séduction et l'emprise d'une femme mûre sur un jeune garçon. La description d'une relation inverse est devenue inimaginable. Mais le film a le courage de n'émettre aucune condamnation et se montre très nuancé, se gardant bien de juger. Si aberrant soit-il, on ne peut pas comprendre un amour, énonce-t-il. Je suis bien d'accord mais ça ne reflète vraiment pas, aujourd'hui, l'opinion de la rue.
Pour simplifier, on peut dire que les hommes "exportent" plutôt leur violence à l'extérieur de leur domicile et environnement, tandis que le crime féminin relève surtout de la sphère intime et se passe, principalement, en famille. Quant une femme tue, c'est un parent, un mari, un amant ou un enfant. La tueuse en série qui assassine au hasard les hommes rencontrés ou bien les copines qui effectuent une grande cavale meurtrière, ça n'existe pas. Mais c'est quand même un puissant fantasme ainsi qu'en témoigne l'énorme succès de "Under the skin" de Jonathan Glazer et de "Thelma et Louise" de Ridley Scott qui sont devenus des films cultes du féminisme.
Probablement parce que cette idée du meurtre d'un homme par une femme procure une satisfaction aux deux sexes: aux femmes d'abord bien sûr mais aussi aux hommes pour qui l'idée d'être tué par une femme plutôt que par un homme est probablement plus acceptable et moins terrifiante. Parce que dans l'inconscient, la femme est bien sûr celle qui donne la vie mais, en même temps, celle qui donne la mort. L'un des tableaux les plus bouleversants de l'histoire de la peinture, c'est ainsi Judith massacrant Holopherne. On est tous hantés par cette image.
Néanmoins, ce qui est absolument incontesté par tous les criminologues, c'est qu'il y a un immense écart de la criminalité entre les sexes. Et que l'on vive dans un pays réputé calme comme la Suède ou un pays réputé violent comme les Etats-Unis, les hommes sont, partout, responsables d'au moins 90 % des homicides et féminicides.
Et cette proportion demeure constante, dans le temps et dans l'espace. Il n'y a pas, dans le monde ou certains des pays qui le composent, d'émergence d'une "nouvelle femme criminelle".
On avait pu craindre, en effet, que la plus grande égalité des sexes et l'accès généralisé à toutes les professions (armée, police) et à toutes les disciplines sportives(même la lutte et la boxe) conduiraient un nombre croissant de femmes à rejoindre le monde du crime. Et qu'un jour, peut-être, il y aurait une répartition 50/50 des crimes.
Et bien non, pas du tout ! C'est inchangé. Les femmes ne deviennent pas de vrais mecs. Leur nouvelle éducation "moderne" n'y change à peu près rien. Et si on peut constater parfois un rétrécissement des proportions criminelles, masculines et féminines, c'est simplement parce que les hommes, à l'inverse, se civilisent et deviennent moins violents. Les jeunes garçons considèrent différemment, aujourd'hui, la masculinité et ses conduites associées et ils s'éloignent ainsi, progressivement, de la délinquance.
Au total, la disproportion criminelle ne bouge pas d'un pouce et il y a donc bien une énigme: celle d'une non-violence féminine fondamentale. Une non-violence qui semble presque "de nature"(une moindre force physique) combinée à une éducation sans doute plus conservatrice et inhibante.
Néanmoins, les femmes ne sont pas toujours des victimes. Quelques-unes se métamorphosent soudainement en bourreaux. Leur singularité, leur cruauté effraient alors d'autant plus.
Il y a d'abord toutes celles qui viennent d'un monde lointain: Médée, l'infanticide, Clytemnestre, la tueuse de mâles, les Danaïdes qui profitent de leur nuit de noces pour décapiter leur nouvel époux, les Ménades qui dépècent leur corps, Salomé et la tête de Saint Jean Baptiste et enfin Judith et Holopherne.
Plus près de nous, il y a la fameuse empoisonneuse, la Marquise de Brinvilliers (dont subsiste aujourd'hui, à Paris, l'Hôtel particulier, ci-dessous, au 12, rue Charles V). La mort de cette parricide (sous Louis XIV, le 17 juillet 1676) dans la plus grande dignité, malgré d'abominables tortures, impressionna à ce point la foule qu'elle fut, ensuite, selon le témoignage de Madame de Sévigné, considérée comme une sainte.
Mais aujourd'hui, parmi les grandes tueuses, quelques figures féminines émergent. Ce qui est intéressant, c'est qu'on éprouve aujourd'hui pour elles de la compassion, sans doute parce qu'elles mettent à jour les grandes hypocrisies de nos sociétés.
1) Il y a d'abord Violette Nozière, condamnée à mort en 1934 (peine ensuite commuée en prison à perpétuité). Une jolie fille élégante, séduisante. Bref le portrait de la jeune femme émancipée d'aujourd'hui. Dévergondée, dissolue, dirent les conservateurs. Violette Nozière empoisonnera ses parents. Le père succombera, la mère en réchappera. Elle a donc été une parricide, le crime social suprême. Mais elle a laissé entendre que son père avait, avec elle, des relations incestueuses. Les milieux artistiques et littéraires ont pris parti, avec véhémence, pour Violette Nozière tandis que les traditionnalistes ne voyaient en elle qu'une image de la jeunesse décadente.
2) Il y a ensuite les soeurs Papin, deux "domestiques" qui, dans la ville de province du Mans, ont, dans un déchaînement subit de fureur, assassiné, avec une effroyable cruauté, leur patronne et sa fille. Deux monstres qui, tout à coup se révoltent. Cela s'est passé en 1933 et Jacques Lacan a consacré une étude à leur sujet. Ce crime sidérant interroge, en fait, sur les rapports de classe et de sujétion. Sur la lutte à mort que se livrent, en fait toujours, maîtres et serviteurs, oppresseurs et opprimés (sans aller, bien sûr, jusqu'à de telles extrémités.
3) Une nouvelle figure est aujourd'hui réhabilitée. Celle de Pauline Dubuisson, "la petite femelle". Personnellement, j'adore cette femme, je me sens proche d'elle. A l'occasion de son procès, en 1953, pour le meurtre d'un ancien amant, elle fait mauvaise impression. On juge cette étudiante en médecine (ce qui était très rare à l'époque) hautaine, froide, orgueilleuse. Elle refusait de jouer le rôle de la faible femme, malmenée et manipulée par les hommes. Surtout, elle a été une dépravée, couchant avec des Allemands et, bien sûr, tondue à la Libération. Fière et intransigeante, elle a, inévitablement, été lourdement condamnée, échappant simplement de peu à la mort. Ca en dit long sur les metalités d'une époque pas si ancienne que ça.
4) Une plus récente affaire témoigne de l'évolution des mœurs en France. Cela s'est passé en 2006 et il s'agit de Véronique Courjault, une femme éduquée, sans problèmes de couple, bénéficiant d'un niveau de vie supérieur. Elle a pourtant assassiné, à la naissance, trois de ses enfants, en brûlant le premier dans la cheminée et en mettant les deux autres dans un congélateur à Séoul (c'est là que le mari découvrira, fortuitement, les corps). Un triple infanticide donc qui, en d'autres temps, eût été payé très cher. Mais Véronique Courjault n'a finalement été condamnée qu'à 8 ans de prison (n'en effectuant finalement que 4), un verdict jugé plutôt clément. Mais les avocats de la défense ont su mettre en avant les troubles, peu connus, de la dénégation et du déni de grossesse. Ca recadre en effet toutes nos idées sur la maternité forcément heureuse.