On a tous lu l'extraordinaire bouquin "Mars" de Fritz Zorn. La maladie comme révélation, transfiguration. Presque une épreuve nécessaire sans laquelle on ne connaîtrait à peu près rien de la vie.
C'est l'idéologie en vigueur, à la mode. La souffrance, la maladie auraient une vertu morale, une fonction de rédemption. En baver, ça vous serait bénéfique, ça vous conduirait à relativiser les choses, à devenir plus lucide, ça vous rendrait plus fort.
L'adage nietzschéen, "Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort", ça fait partie des propos les plus communs de la philosophie de bistrot.
La maladie aurait un sens, ce serait une épreuve héroïque qui permettrait de s'affirmer.
D'ailleurs, quand on est malade, il ne faudrait pas se laisser aller, il faudrait se battre et ce seraient les plus forts qui parviendraient à vaincre la maladie. Ce volontarisme de boy-scout, ça me révulse. C'est faux et abject !
On n'arrête pas d'enrober de morale la maladie. On en vient presque à considérer qu'elle aurait du bon parce que, dans une société obnubilée par la consommation et le plaisir immédiat, elle permettrait de retrouver les "vraies valeurs".
C'est, bien sûr, une idéologie ultra-réactionnaire et ça explique qu'en fait on prête bien peu attention à la souffrance de l'autre. La douleur, on proclame, bien sûr, qu'on fait tout pour la soulager mais, en fait, ça n'est pas notre préoccupation première. On s'attache, plutôt, à bien séparer, d'une frontière totalement étanche, le monde des bien portants de celui des malades.
La maladie, c'est aujourd'hui une incongruité insupportable (relire à ce propos l'extraordinaire moment de "la Recherche" où Swann annonce aux Guermantes qu'il va bientôt mourir) et c'est pour ça qu'on lui prête une vertu morale: c'est la manière la plus efficace de la rejeter, en la réintégrant dans nos catégories mentales.
On s'affiche plein de compassion mais on traite les malades, en toute bonne conscience, comme des parias, des rejets de la société: des asociaux, presque des délinquants
Il n'est qu'à fréquenter les hôpitaux. Moi-même, je les connais assez bien même si je n'ai encore jamais été gravement malade. Je ne me suis jamais sentie aussi désemparée, aussi seule qu'en pénétrant dans cet univers totalitaire, presque carcéral: la choséification (on porte un numéro), la privation complète de liberté (interdiction absolue de sortir), des horaires et une discipline de caserne. Et puis la terrible condescendance des personnels soignants qui vous écrasent de leur supposée compétence et qui font bien attention à vous faire sentir qu'ils n'appartiennent pas au même monde que vous.
De la maladie, de mes petites maladies, je n'ai personnellement rien retiré, rien appris. Je ne suis devenue ni meilleure, ni pire. Je me suis simplement sentie parcourue de rêves et d'angoisses atroces, de monstres affreux qui venaient me hanter. J'en ai été déprimée, attristée, épouvantée, rien de plus.
La maladie est un simple drame personnel, incommunicable, une froide épouvante. Elle n'a aucun sens, aucune signification profonde, juste une expérience personnelle. On ne parviendra peut-être à mieux la comprendre que lorsqu'on l'aura soustraite à tout point de vue moral.
Tableaux de deux grands peintres polonais: Jan LEBENSTEIN (1930-1999) et Zdzislaw BEKSINSKI (1929-2005).
Ce post m'a été inspiré par le livre bouleversant et terrifiant de Ruwen OGIEN: "Mes mille et une nuits. La maladie comme drame et comme comédie".
Ce post est, aussi et surtout, dédié à une amie, Anne, à la quelle je me sens incapable de parler, d'écrire. J'espère qu'elle me comprendra. Me pardonner est, bien sûr, impossible mais qu'elle sache, du moins, que je pense, sans cesse, à elle.
Enfin, l'hiver cède, hélas, du terrain ! Pour le prolonger, je vous conseille d'écouter "Froid" de Laura Cahen, chanson de son dernier album "Nord". Ça se trouve, bien sûr, sur You Tube.