Il y a donc eu un grand tremblement de terre, hier, en Ukraine.
Je ne l’attendais pas, je n’y croyais pas et la joie est donc d‘autant plus
grande.
Je l’avoue, je n’ai jamais pensé que le
mouvement de la Maïdan Niézalejnochtchi pourrait aboutir; j’admire d’autant
plus tous ces gens qui ont mené, durant trois mois, une guérilla contre le
pouvoir au péril de leur vie.
Quel soulagement le départ du criminel
Iannoukovitch, ce sinistre apparatchik comme savait en produire, en grandes
quantités, l’Union Soviétique.
C’est bien sûr d’abord une victoire de l’esprit
démocratique et non pas, comme on le présente trop souvent, une victoire de l’Europe
sur la Russie. L’esprit démocratique, c’est d’ailleurs bien ça qui est le
moteur de l’Histoire avec un grand H, comme l’a démontré Tocqueville.
C’est aussi une reconnaissance internationale
de l’Ukraine. C’est important car il y a chez les Ukrainiens un complexe :
personne ne les connaît et ne s’intéresse à eux en Europe de l’Ouest. Sur ce
point, je crois qu’ils n’ont effectivement pas tout à fait tort.
Mais ça change et, depuis quelques semaines, l’Ukraine n’est
plus ce pays brumeux et lointain qu’on ne connaissait guère qu’à travers
quelques figures féminines : Inna Shevtchenko (chef de file des Femen et
modèle de la Marianne du timbre officiel), Olga Kurylenko (la grande actrice) et
Ioulia Timochenko (chef de file de l’opposition démocrate qui vient d’être
libérée).
C’est étrange, on n‘a jamais su quelle place donner à ce nouveau
pays qui est tout de même l’un des plus importants d’Europe. Finalement, on l’a
complètement ignoré et on lui a refusé tout accès à l’Union Européenne. J’ai eu
moi-même, comme ça, un coup de blues lors de mes dernières vacances en Ukraine,
en août dernier. C’est vrai que j’ai surtout visité de petites villes mais tout
de même : je n’ai rencontré, durant trois semaines, aucun Européen de
l’Ouest, aucun Français, aucun Allemand, aucun Anglais, aucun Italien.
L’Ukraine, c’est vraiment la « Terra Incognita ».
Un grand espoir vient donc de se lever.
Mais il faut reconnaître aussi qu’on est aujourd’hui dans une complète incertitude.
L’ancien pouvoir est bien sûr honni mais les
chefs de l’opposition sont médiocres En outre, l’opposition n’est pas
constituée que de démocrates, elle comprend aussi d’inquiétants mouvements ultra-nationalistes. De
plus, la population qui se sent exclusivement russe et qui vit à l’Est du
Dniepr va défendre chèrement ses positions.
A supposer donc que Ioulia Timochenko (la seule
personnalité éclairée et d’envergure) remporte les élections présidentielles
(ce qui n’est pas sûr), elle aura sans doute les plus grandes difficultés à composer
un gouvernement. C’est comme ça que la Révolution Orange de 2004 s’était
rapidement enlisée.
Passée la période d’enthousiasme, on ne peut
donc pas exclure un scénario du pire, celui de l’implosion et de la scission
entre l’Est et l’Ouest.
C’est peu dire en effet que l’Ukraine est profondément
divisée avec des barrières religieuses, linguistiques, culturelles.
On a trop ressassé dans les medias français un
cliché en vigueur : l’Ukraine serait le berceau de la culture russe et
appartiendrait, presque naturellement, à la Russie. C’est à nuancer fortement
parce que, culturellement et historiquement, l’Ukraine est largement aussi influencée
par la Pologne que par la Russie. Ca n’est d’ailleurs pas un hasard si la Pologne
est le premier pays européen à soutenir l’Ukraine.
Faut-il le rappeler ? La Pologne
s’étendait jusqu’aux abords de Kiev, il n’y a pas si longtemps. D’ailleurs,
l’architecture et la culture des villes de tout l’Ouest de l’Ukraine (jusqu’au
Dniepr) sont polonaises et
austro-hongroises : des cafés, des boulevards (des mails), des
restaurants, un opéra. Quant à la langue ukrainienne, elle est un étonnant
mélange de polonais et de russe. On se comprend d’ailleurs quasi directement à
partir de l’une ou l’autre langue.
Je ne vais pas dire que l’Ukraine, c’est le
lieu de l’affrontement séculaire entre la Pologne et la Russie mais c’est quand
même bien le théâtre du combat entre la modernité et l’archaïsme ou plutôt de
la lutte entre la démocratie et la dictature.
Ce n’est pas encore gagné aujourd’hui et c’est
en frémissant que j’ai lu cette conclusion, hélas pertinente, d’un article du journal « Le Monde » : « la
flambée de violence menace de faire de l’Ukraine, pays de 45 millions
d’habitants à la charnière de deux mondes – européen et post-soviétique -, une
nouvelle Yougoslavie au cœur du Vieux Continent. »
Tableaux d’Ilya Repin (1844-1930), célébrissime
peintre russe né à Tchougouyev près de Kharkov en Ukraine. La plupart des tableaux de Repin sont au Musée Russe de Saint Pétersbourg. Ils sont commentés longuement à tous les écoliers.