Le triomphe de l'esprit victimaire et les jérémiades continuelles en viennent à occulter cette réalité première : quoi qu'on en dise ( et tant pis si je risque de me faire assassiner pour oser dire ça), c'est quand même mieux d'être née femme. C'est généralement plus agréable et d'ailleurs beaucoup d'hommes rêvent d'être des femmes. Mais des femmes qui rêvent d'être des hommes (des transsexuelles "F to M"), c'est rarissime.
L'avantage principal, ce n'est même pas une espérance de vie plus importante (6 ans tout de même dans presque tous les pays), c'est d'être le point de focalisation des désirs et de l'attention. On en retire un pouvoir exorbitant, un pouvoir essentiellement issu du corps et de son expression. Le pouvoir, la puissance féminine, c'est un thème curieusement occulté tellement on s'obstine à voir dans les femmes de pauvres petites créatures sans défense. C'est pourtant à cause de ça que je me sens des ailes de vampire. C'est le désir des autres qui, tout à coup, nous fait exister plus fort. Nier cette réalité, c'est se condamner à une vie grise et morne.
Je commencerai par quelques éléments très triviaux que personne, à commencer par les féministes, n'ose évoquer. Moi, j'aime bien quand on m'aide à passer mon manteau (cette règle de politesse des pays du Nord quasi-inconnue en France). La politesse, d'une manière générale, depuis les portes qu'on retient et jusqu'au baise-main (qui est encore couramment pratiqué en Pologne), ça ne me déplaît pas. Quand je mets une nouvelle robe ou étrenne un manteau, je me sens mortifiée si je ne reçois aucun compliment. Ce que j'aime aussi, c'est que quand je me rends dans un café, un restaurant, je n'attends pas, les serveurs se précipitent, on me sert tout de suite. Ou alors, quand je dépose ma voiture ou sollicite un quelconque service, on se décarcasse et on consacre du temps à tout m'expliquer.(du moins si j'ai affaire à des hommes). J'irai plus loin : si je m'ennuie parfois, je n'ai pas beaucoup d'efforts à faire pour combler ma solitude, je n'ai qu'à puiser dans la meute de tous ceux qui n'attendent que de me sauter dessus. Je n'ai jamais à m'épuiser en recherches, il me suffit même de m'asseoir sur un banc du Parc Monceau. Ce sont plutôt des crétins qui m'abordent mais pas toujours. Et enfin scandale absolu : j'oserais même dire qu'être une fille m'a sans doute valu quelques points supplémentaires dans les épreuves orales des concours.
Il y a en revanche, une règle personnelle avec la quelle je ne transige pas : c'est toujours moi qui paie, non seulement ma part propre mais aussi, si possible, celle de l'autre. Ce n'est même pas de la relation débiteur-créancier, l'équilibre bourgeois des bons comptes qui feraient de bons amis, c'est plutôt du "potlach", du défi, et ça change tout dans l'esquisse d'une relation. Il est certes plus facile de se soumettre que de dominer mais je suis convaincue que le Pouvoir doit être exercé sinon il vous fait basculer dans la faiblesse et la sujétion.
Certes, dans l'espace public, on me siffle, on m'insulte, on me pelote aussi. Mais j'ai le cuir épais. Je me dis que ma vie est malgré tout plus facile. L'embêtant dans la condition féminine, c'est surtout les règles et les mammographies (mais ça vaut peut-être mieux que les problèmes de prostate). Et puis je crois qu'il faut surtout échapper aux pièges de la conjugalité, du couple installé. Rien de plus anti-rêve, et donc de plus anti-féminin, que des gosses. Rien non plus, de plus abrutissant, normalisateur. On y perd tout esprit d'entreprise et de séduction.
T'es vraiment une pov'connasse, vous allez me dire. Tu vois pas que tu reproduis, en t'y conformant, tous les schémas de la domination masculine. Tu ne te rends pas compte que tous les "égards" dont tu crois aujourd'hui bénéficier, ils disparaîtront dès que tu seras une vieille peau. T'as une vision ultra-stéréotypée des relations entre les sexes.
Sans doute mais je crois à la "différence", à celle des sexes en particulier. Je veux d'ailleurs bien admettre que cette différence est avant tout "symbolique", qu'elle n'est pas fondée en "nature", par l'anatomie, mais ça ne change rien au problème. Je vois surtout, en effet, dans "l'indifférence" que l'on prône aujourd'hui, les filles qui seraient comme des garçons et inversement, une violence encore plus grande, un véritable retour de la barbarie.
Et puis, j'éprouve aussi une certaine compassion pour les types. J'ai l'impression que, dans leur majorité, ils souffrent d'une immense frustration. Une humeur sombre aujourd'hui les submerge. Parce que, quoi qu'on dise, on ne vit pas dans une société de la libération sexuelle mais dans une société de la compétition sexuelle. Et la compétition sexuelle, elle est aussi impitoyable que la compétition économique. C'est un nouveau monde, très cruel, au sein duquel il y en a quelques-uns qui s'en sortent (bien voire très bien), mais dont l'immense majorité est exclue, complétement hors-jeu.
Un type, on ne le regarde pas, à peu près tout le monde s'en fiche. S'il est beau, ce n'est même pas un atout, c'est éventuellement un handicap. Innombrables sont les hommes "transparents", les hommes "sans qualités", tellement gris qu'ils sont exclus de la compétition sexuelle.
Être transparent, jamais remarqué, regardé, au contraire moqué, ridiculisé; bien comprendre qu'on n'est pas dans la même catégorie et qu'on n'aura jamais accès au "marché" des jolis filles, ça doit être terrible. C'est peut-être à cause de ça qu'on devient, un jour, un tueur, un agresseur.
Je crois qu'aucune femme ne souffre d'un pareil rejet. Chacune, même la plus moche, parvient à se "modeler" sur le regard des autres, à y trouver un point d'appui dans le quel elle puise son assurance. Que les femmes soient narcissiques, c'est évident. Afficher sa séduction, même de façon presque imperceptible, c'est gratifiant. A la différence des hommes, l'accès au désir se fait presque sans tuteur, sans médiation. De sa propre apparence, on retire plaisir et réconfort. Une jolie coiffure, un maquillage réussi, une belle paire de pompes, ça vous remonte souvent largement le moral. A la limite, un partenaire se révèle presque inutile. A quoi bon d'ailleurs les hommes, leurs embêtements et leur terreur, si ce n'est pour enfanter ? C'est ce qui rend sans doute les femmes plus confiantes et plus heureuses et c'est ce qui explique, surtout, qu'elles se suffisent davantage à elles-mêmes.
Les femmes vivent finalement moins dans l'angoisse et la culpabilité. J'ai pu comprendre ça à la suite de la lecture d'un petit texte de Lou Andreas Salomé : " Ce qui découle du fait que ce n'est pas la femme qui a tué le père". Pour s'affirmer en société, les hommes sont en effet soumis à l'exigence de tuer leur père (la société repose sur un meurtre commis en commun, dit Freud) pour incarner à leur tour la Loi, l'ordre et sa violence légitime.
De cet impératif exorbitant, les femmes sont largement exemptées. Elles n'ont pas besoin d'assassiner leur mère pour pouvoir désirer un homme. Leur accès au père, mais aussi à la mère, est moins "barré", proscrit. Ce qui explique non seulement qu'elles soient moins violentes, moins criminelles, mais aussi que leur sexualité soit plus polymorphe, moins attachée à des normes, des stéréotypes. La sexualité féminine, c'est une exploration en toute "innocence", sans discrimination aucune, non seulement de son corps narcissique propre mais aussi de celui de tous les hommes (jeunes ou vieux, moches ou beaux) et même de toutes les femmes. Les femmes sont, au total, moins soumises aux interdits de la société et à ses idéaux normalisateurs d'accomplissement. L'allégement du sentiment de culpabilité, c'est la recette du bonheur d'être une femme et même du bonheur tout court.
Images de la jeune photographe russe Anka Zhuravleva
Des contraintes professionnelles m'ont conduit à différer mes congés. Ça devrait quand même pouvoir débuter à la fin de la semaine prochaine.