Dans ma nouvelle boîte, je vais bientôt avoir un "coach".
Ou là, là ! Est-ce que j'ai une tête à avoir un coach ? que j'ai dit.
Ça concerne toute l'équipe de direction... qu'on m'a répondu.
Ça devrait m'aider à être plus stratège, à savoir décider, à avoir une vie professionnelle harmonieuse dans laquelle mes objectifs individuels et ceux de l'entreprise se rencontreront.
Ça me laisse rêveuse ! Jusqu'où va-t-on aller ?
Et puis, autour de moi, il y a toutes ces copines qui font du yoga, de la réflexologie, de la sophrologie ou de la méditation alors que, moi, je me contente d'aller, bêtement, à la piscine ou de courir dans le Parc Monceau. Elles me conseillent aussi de parfois "lâcher prise" (?) . Leurs trucs, ça m'apparaît mystico-fumeux mais elles en retireraient, paraît-il, un bien fou.
On est maintenant envahis de "professionnels" du développement personnel. Toutes les librairies sont encombrées de bouquins insipides et simplistes consacrés au bien-être, au bonheur en 20 leçons, à l'épanouissement personnel. A la radio, dans tous les médias, il y a plein de bons docteurs qui nous encouragent.
Dans son boulot et sa vie professionnelle, on ne se sentirait jamais assez bien dans sa tête et dans sa peau. Heureusement qu'il y a tous ces spécialistes qui viennent nous aider à nous découvrir nous-mêmes.
On vit maintenant sous l'injonction du bonheur obligatoire, de la "vie réussie". C'est le triomphe de la psychologie positive. On aurait tous un sacré potentiel. Simplement, il faudrait vouloir.
Il faudrait arriver à s'aimer soi-même, avoir davantage d'estime de soi. Il faudrait positiver: se répéter, par exemple, chaque jour, qu'à tous points de vue, on va de mieux en mieux.
Il faudrait faire preuve de force de caractère pour réaliser ses aspirations, devenir ce que l'on est.
"Si on veut, on peut", comme disent tous les imbéciles.
Ça vise bien sûr à renforcer le contrôle social, à nous rendre dociles et disciplinés, des gens productifs et responsables, ayant complètement intégré les exigences de la vie professionnelle et de sa réussite.
Mais ça vise également à évacuer nos folies privée, à faire le silence sur ce qu'il y a de plus irréductible en nous, ce dont on ne veut absolument pas entendre parler: le chaos de nos vies, l'angoisse, la haine qui nous menacent sans cesse; tout ce qui fait que rien dans notre psychologie n'est correct.
Nos sourires affichés, notre volontarisme bêta, ne sont que l'envers de notre détresse, de notre ambivalence essentielle. Mais cela, il faut le cacher à tout prix.
Tableaux d'Ornela VORPSI, romancière et plasticienne née en 1968 à Tirana. Il est à noter qu'Ornela Vorpsi s'exprime en albanais, en italien et en français. Elle vient de publier: "L'été d'Olta".