On commence à prendre peur: depuis quelques années, on assiste à une montée de l'autoritarisme politique dans l'ensemble du monde. Les valeurs occidentales, celles de la démocratie, on les conteste et, même, on les passe par dessus bord.
Un grand bloc anti-occidental vient de se constituer rassemblant la Chine, la Russie, l'Inde, l'Iran, la Turquie. Ils n'ont pas d'autre programme que la haine mais, à eux seuls, ils représentent tout de même près de 40% de la population mondiale. Heureusement, ils sont eux-mêmes fragiles, des cocottes minutes sous pression.
Mais les pays occidentaux, eux-mêmes, commencent à vaciller. Les valeurs démocratiques, on prétend les démasquer comme une hypocrisie impérialiste. On est alors tous sommés de se sentir coupables et de faire repentance. Quant à l'économie, le laisser-faire, c'est ce qui est détesté à gauche comme à droite. Le libéralisme, c'est présenté comme l'horreur absolue. On réclame un interventionnisme accru de l'Etat.
Et surtout, il y a, en leur sein, une forte demande d'ordre et de retour aux valeurs morales. Ca explique largement la résurrection de l'extrême-droite dans toute l'Europe (France, Allemagne, Italie, Portugal, Hongrie, Slovaquie). Ce qui était impensable il y a peu, la conquête du pouvoir, apparaît crédible aujourd'hui.
Et ça concerne même des pays que l'on croyait immunisés en la matière: la Suède, le Danemark. Et que dire surtout du retour, que l'on pensait impossible, de l'affreuse bête immonde, Donald Trump ?
On évoque aussi le traditionnel conflit entre les générations, entre les plus et les moins de 50 ans, entre ceux qu'on appelle "les boomers" et les autres. Mais curieusement, par un étrange retournement, ce ne sont pas aujourd'hui les plus âgés qui sont les plus frileux et les plus conservateurs.
Il se révèle, en fait, que la guerre intra-sociale, elle est, depuis quelques années, beaucoup moins entre les générations qu'entre les sexes. Plus précisément, les jeunes femmes sont de plus en plus progressistes et libérales, tandis que les hommes du même âge se révèlent de plus en plus conservateurs et dogmatiques. Il s'agit d'un phénomène récent et inédit révélé par la presse anglo-saxonne.
Une étude récente du "Financial Times" révèle ainsi que "les Américaines de 18 à 30 ans sont de 30 points plus libérales que leurs homologues masculins. Il y a six ans, cet écart tant culturel que politique n'existait pas. Il est de 30 points également en Allemagne et de 25 points au Royaume-Uni. Il n'a pas d'équivalent chez les plus âgés et n'est pas propre aux Occidentaux: il est aussi prégnant en Corée du Sud, en Chine, ou en Tunisie".
On s'était habitués à considérer les femmes comme plus conservatrices que les hommes. On assiste à un brusque et complet changement de décor. Les jeunes filles sont maintenant plus modernes et éprises, avant tout, d' émancipation, tandis que les garçons se crispent et se raidissent.
Partout dans le monde, se creuse, en fait, un fossé inquiétant, potentiellement explosif, entre les jeunes femmes et les jeunes hommes. La guerre des sexes vient d'être rallumée mais l'initiative appartient cette fois ci aux plus faibles.
La Révolution, elle vient maintenant des jeunes femmes : elle a été initiée par les "Femen" en Ukraine, prolongée par les "Pussy Riot" en Russie, puis par "Me Too" aux USA. La forme la plus achevée, celle qui était la plus impensable, c'est maintenant le mouvement "Femme, Vie, Liberté" en Iran. Tous ces mouvements ont libéré la parole des femmes, les ont incitées à dénoncer les rapports de domination et, surtout, légitimé leur sentiment d'injustice.
Et bien sûr, ça fait beaucoup de dégâts cette Révolution féministe. Ca inquiète même franchement les hommes. Ils avaient commencé par en rigoler, en ricaner, demeurer fiers de leur assurance. Mais ils sentent maintenant que le Pouvoir risque de leur échapper.
Pourquoi ? Parce que les femmes, et notamment les Européennes, sont aujourd'hui plus éduquées et plus diplômées que les hommes: 46 % des Européennes de 25 à 34 ans sont aujourd'hui titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur. Cette proportion n'est que de 35 % pour les hommes. On peut en déduire que les femmes sont, mécaniquement, appelées à prendre le pouvoir dans les sociétés occidentales. Leur sort devient, globalement et à certains égards, plus enviable que celui des hommes.
Mais il n'est, malheureusement, pas sûr qu'elles parviennent jusque là. Parce que ce mouvement de bascule suscite beaucoup d'angoisse, surtout chez les jeunes mecs plutôt déshérités qui pouvaient au moins se reposer sur la certitude de leur supériorité virile. Même ça, ça fiche le camp aujourd'hui, se disent-ils. Ils se sentent donc doublement déclassés: économiquement et symboliquement.
On assiste donc à un retour de bâton, à un "backlash". Il est manié par tous ceux qui se sentent mal à l'aise avec cette émancipation en cours des femmes. Ce sont les "jeunes hommes en colère" qui se manifestent maintenant: ruraux, banlieusards, étudiants ratés. La haine des jeunes femmes, ça fait même le ciment des gouvernements autoritaires dans le monde (Russie, Chine, Iran, Inde, Turquie).
C'est cela qui alimente principalement, me semble-t-il, la recomposition de l'échiquier politique mondial et la progression des mouvements autoritaires. En France même, les militants Le Pen ou Mélenchon sont en effet, avant tout, de jeunes hommes un peu paumés qui ont besoin de revanche.
C'est inquiétant même si je me dis qu'il faut bien en passer par là avant d'envisager une victoire du féminisme. Ce qui me désole surtout, c'est que de l'Europe, de ses valeurs, on s'en fiche complétement et qu'on s'apprête à émettre, en juin prochain, un vote protestataire massif faisant la part belle aux extrêmes. On veut bien profiter du système mais pas le défendre. Voila qui va réjouir le bloc des affreux (Russie, Chine, Iran, Turquie, Inde). On est incapables de penser l'Europe comme puissance, ce qu'elle est pourtant. Pas seulement sur le plan économique mais aussi et surtout culturel.
Je le répète: pour le reste du monde, l'Europe, c'est ce qu'il y a de plus enviable et de plus détestable à la fois. La liberté des mœurs et de pensée y est, en particulier, considérée avec fascination/répulsion. Et cette liberté, elle concerne d'abord la condition des femmes.
Il faut bien avoir cela à l'esprit. Voilà pourquoi voter contre l'Europe, pour un Parti Autoritaire, c'est aussi voter contre soi-même, contre les femmes.
Images de Paul DELVAUX, Ferdinando SCIANNA, Paolo ROVERSI, Fernand HODLER, Rainer FASSBINDER, Nick ALM, Jules TOULOT, Shae De TAR, Severino MACCHIATTI, Thomas Hart BENTON, Lucien CLERGUE, William MORTENSEN, Edmund KETING, Apolonia SOKOL
Je recommande:
- Jean-François COLOSIMO: "Occident, ennemi mondial n°1".
- le film documentaire "Apolonia, Apolonia" de Léa Glob. Apolonia Sokol (dernière image de ce blog) est l'une des nouvelles stars de la peinture contemporaine. Elle est à la fois danoise, polonaise (son nom veut dire "faucon") et française. Elle a été liée au mouvement des Femen. Elle incarne bien, me semble-t-il, cette nouvelle génération qui émerge: celle de jeunes femmes sans concession, plutôt rugueuses.
Je signale enfin que je m'envole, mardi prochain, pour une mission en Pologne. Je dois y rester au moins 15 jours avec deux points d'attache: Varsovie et Olsztyn (ancienne Prusse-Orientale). Il y aura donc une petite pause dans mes posts mais on peut toujours m'écrire (je ne garantis pas une réponse le jour même).