On parle beaucoup de la Catalogne en ce moment. Ce qui m'étonne, c'est qu'on est presque unanimes, en Europe de l'Ouest, à condamner la volonté d'indépendance de la région. Ce serait une catastrophe épouvantable, nous dit-on, et ça pourrait préfigurer un éclatement général de l'Europe.
Je ne connais rien au sujet, j'ai à peine visité l'Espagne et je n'ai jamais mis les pieds à Barcelone. Et puis, je n'aime pas du tout les nationalismes.
Mais l'inquiétude et la réprobation exprimées m'apparaissent aujourd'hui bien suspectes. D'abord, il faut rappeler qu'une large partie de l'Europe (en particulier l'Europe Centrale) a été remodelée, au lendemain des deux guerres, sur la base du principe des Etats-Nations. On ne voulait plus d'Empires, on les a détruits (l'Autriche-Hongrie). Place aux peuples, aux nations.
Et puis, je me souviens qu'il n'y a pas si longtemps, on avait accueilli avec plein d'enthousiasme et on avait favorisé la dislocation de la Yougoslavie. Ça ne posait vraiment aucun problème l'indépendance de tous ces charmants pays: la Slovénie, la Croatie, la Bosnie, la Macédoine, le Kosovo.
On peut être prompts, en fait, à soutenir les nationalismes. On est tous convaincus, par exemple, qu'il existe une entité palestinienne incontestable. Ou bien, pour s'en tenir simplement à la France, est-ce qu'on ne soutiendrait pas sans condition un projet d'indépendance du Québec ou une sécession de la Wallonie ?
En fait, on a une politique étrangère à géométrie variable, guidée par nos seuls intérêts propres.
On se donne ainsi bonne conscience en condamnant lourdement les pays d'Europe Centrale (Pologne, Hongrie, Slovaquie) qui ne veulent pas accueillir de migrants. Quels ingrats, quels égoïstes, même pas reconnaissants de l'aide et des subventions qu'on leur accorde !
Je ne veux, bien sûr, pas défendre ces pays mais l'indignation européenne m'apparaît d'une totale hypocrisie.
Là encore, il faut rappeler que ces pays se sont vidés de leur population depuis près de trente ans : la Pologne et la Roumanie ont, chacune, perdu plus de 2 millions d'habitants, la Bulgarie près de 1 million. Et c'est évidemment la population la plus diplômée et la plus dynamique qui est partie à l'Ouest. Alors remplacer ces départs par des migrants apparaît, aux habitants d'Europe Centrale, un véritable jeu de dupes. Cela suscite une angoisse identitaire et ils ont l'impression qu'on se moque d'eux. Ils n'arrivent pas à croire qu'ils pourront être gagnants avec l'immigration

Surtout, l'Europe de l'Ouest accuse sans cesse ces pays de concurrence économique déloyale et s'efforce de mettre en place des barrières et des mesures protectrices. On rabâche ainsi aux Français que si leurs usines et entreprises partent en Pologne, c'est parce que l'on pratique là-bas un dumping social avec de bas salaires. C'est sans doute une explication consolante mais elle n'est plus vraie. Il y a aussi de bonnes raisons objectives, beaucoup moins glorieuses, pour l'économie française.
Images de François SCHUITEN (né en 1956), le célèbre dessinateur belge de bande dessinée. Je trouve ça remarquable sur le plan pictural.