Chaque matin, c'est, pour moi, un grand problème: comment je m'habille et m'apprête aujourd'hui ?
Ca me prend beaucoup de temps, ce sont des réflexions torturantes. Il ne faut pas que ce soit comme hier mais pas non plus complétement différent. Et puis, il y a les tenues professionnelles et celles, plus audacieuses, du week-end. Et aussi, les carrément sportives. Et enfin, celle d'un dîner auquel on m'a invitée (on ne sait jamais comment il se terminera).
Même le choix d'une culotte ou d'un soutien-gorge, voire d'un maillot de bain, me pose problème: trop ou pas assez sexy. Et je ne parle pas de la coiffure ou du maquillage. Je ne sors jamais de chez moi, même si c'est pour descendre la poubelle, sans avoir "checké" mon apparence dans un grand miroir.
Tout ça, ce ne sont que des histoires de nanas, allez-vous ricaner. Oui, c'est vrai sauf que ces problèmes exclusifs de nanas sont très récents.
On l'a complétement oublié mais jusqu'à la Révolution Française, la préoccupation vestimentaire était aussi forte chez les hommes que chez les femmes. Du moins dans la noblesse et la bourgeoisie, parce que, dans la paysannerie, le vêtement servait simplement à se protéger des intempéries.
Jusqu'à la fin du 18ème siècle, hommes et femmes faisaient, en effet, assaut de dentelles, bas, rubans, chaussures à talons, tissus aux couleurs chatoyantes. L'apogée de cette rivalité vestimentaire, ça a été, évidemment, la cour de Louis XIV. C'était une manière d'exhiber sa distinction sociale, d'afficher le triomphe du bon goût français en Europe. Et à ce grand théâtre, les hommes participaient autant que les femmes et les égalaient même.
Mais il y a eu un brutal basculement avec la Révolution Française. Soudainement, à la fin du 18ème siècle, les hommes ont cessé de se préoccuper de chiffons. Ca a été le mouvement des "Sans-Culotte", celui de "la Grande renonciation" des hommes à l'ornementation de leur toilette: plus de bas, plus de perruques, plus de couleurs, plus de colifichets en tous genres. Rien qu'un pantalon et une veste de couleurs sombres.
Dès le début du 19ème siècle, le vêtement cesse d'être un instrument de séduction pour les hommes. C'est sa banalité qui est recherchée et tous, jusqu'à aujourd'hui, s'habillent, depuis cette date, de manière à peu près identique. L'important, c'est que ce soit discret, ne se fasse pas remarquer. La seule décoration tolérée, c'est la chemise. Même les ornements du chapeau ou de la cravate, sans doute trop connotés sexuellement, sont en voie de disparition. Et tous les hommes savent bien que ce n'est pas leur apparence vestimentaire qui va favoriser leurs conquêtes féminines.
Ca a été un énorme bouleversement mental qu'on a peu analysé. Désormais, depuis plus de deux siècles, vêtements féminins et masculins diffèrent profondément: à la sobriété et au pragmatisme masculins s'opposent l'esthétisme et l'artifice féminins.
Ca a complétement bouleversé la relation entre les sexes et c'est d'ailleurs au moment où se clôt la Révolution Française, au lendemain de la Terreur, que prend naissance la Mode féminine avec l'apparition soudaine des "Merveilleuses". On l'a effacé mais elles ont été les premières "Féministes", les grands-mères des "Femens" et "Pussy Riot".
Tout ce qui fait notre habillement, même sous sa forme la plus simple, nous le choisissons en fonction de sa charge érotique. Il y a toujours au moins un petit quelque chose, un petit détail, qui nous ramènent à la séduction et au désir et on ne peut pas s'abstraire de cela. Ca passe alors par un jeu de couleurs, une touche de maquillage, une coupe originale.
C'est ce qui fait l'apprentissage de la féminité et ça n'est pas toujours facile. On s'en accommode ou on se rebelle.
Moi, je me suis beaucoup bagarrée avec ma mère. Elle voulait d'abord nous habiller, ma sœur et moi, comme deux petites Ukrainiennes avec des tresses et des chemises brodées. Mais on a tout de suite râlé à ce sujet: "C'est la honte ! Tout le monde se moquera de nous! On va passer pour des paysannes !"
Et puis, elle voulait que je porte les anciens vêtements de ma sœur aînée. "Il n'en est absolument pas question", ai-je tout de suite rétorqué avec la violence d'une Furie.
Après, elle a dû supporter ma période gothique mais elle s'était résignée: "Tu fais peur, tu ne vas tout de même pas sortir habillée comme ça", se contentait-elle de me dire. Mais il est vrai que ma sœur l'avait peut-être déjà habituée à pire.
- J'aime changer de tenue, de style, d'apparence. Ca me donne le sentiment de changer d'identité et de pouvoir, même, les multiplier. Devenir une autre, tout à fait différente de mon déguisement social habituel, je trouve ça exaltant. C'est presque une délivrance. Ca n'est que provisoire, une journée, une soirée, mais c'est tout de même mieux que le pauvre garçon enfermé dans une apparence, un look définitifs.
Images de Wladislaw SLEWINSKI, John William GODWARD, Gustave CAILLEBOTTE, Berthe MORISOT, Nicolas CHARPENTIER, Francesco CURRADI, Jacques-Louis DAVID, Henri TOULOUSE-LAUTREC, collections Christian DIOR et John GALLIANO.
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