D'un séjour à l'étranger, je n'attends surtout pas le calme et le repos.
Je souhaite plutôt qu'il m'arrache la peau, me remette en cause, bouleverse mes certitudes.
D'abord un temps de cochon avec une pluie glaciale continuelle et des températures souvent négatives. Comme je n'avais apporté qu'une garde-robe de printemps, j'ai commencé par crever de froid. Ironiquement, il s'est mis à faire très beau durant les deux derniers jours.
Surtout, il y a le changement de langue. Le polonais, c'est bien sûr une langue slave très proche du russe et de l'ukrainien mais, à l'écoute, c'est d'une étrangeté totale: un chuchotement continuel fait de ch, chtch, j, dj. On croit entendre un véritable pépiement d'oiseau ou le murmure de conspirateurs. Et que dire de l'orthographe affolante ? On dirait qu'il n'y a que des consonnes. Les Polonais eux-mêmes s'amusent à se réciter entre eux leurs mots les plus imprononçables. La phrase: « W Szczebrzeszynie chrząszcz brzmi w trzcinie » (« À Szczebrzeszyn, un coléoptère chante sur un roseau » ) passe pour la plus difficile à lire au monde.
Mais j'ai honte, me sens un peu mal à l'aise, parce que mon polonais, principalement appris à la maison, dans la rue et en lisant les journaux, est, forcément, celui d'une personne peu éduquée, qui n'a pas été scolarisée. Un roman polonais, il faut, pour moi, qu'il ne soit surtout pas compliqué. J'ai aussi un accent qui m'identifie tout de suite; néanmoins on me comprend bien et ne me fait jamais répéter.
C'est au point que je suis sans doute davantage adaptée à la Pologne qu'à la France. J'ai l'impression de mieux y comprendre les choses et les gens. Tout m'y apparaît beaucoup moins compliqué, moins énigmatique. J'y devine mieux la psychologie de mes interlocuteurs, leurs réactions possibles.
Ce qui me plaît d'abord en Pologne, c'est qu'on y est matinaux. On commence souvent à travailler dès 7 heures et on se lève, bien sûr, en conséquence. Ca me convient mieux que les matinées paresseuses de l'Hexagone.
Et puis, dans la journée, je peux manger tout ce je veux, à n'importe quelle heure. Si j'ai envie d'une saucisse ou d'un hareng à 9 heures du matin, pas de problème, ça me sera tout de suite servi. Pas besoin d'attendre midi ou 20 heures avec tout le cérémonial du restaurant français.
Et aussi, je retrouve tout ce que j'ai l'habitude de manger. Evidemment, ça n'est sans doute pas très raffiné mais ça me convient et ça évite les effroyables pertes de temps de la cuisine française.
Mais le plus important, ce sont les relations humaines et sociales. Ce qui est étonnant dans les pays slaves, c'est la facilité à nouer contact et à développer une conversation dans un lieu public. On ne vous envoie jamais promener et on prend même plaisir à raconter tout de suite sa vie. On l'enjolive ou la dramatise au point qu'on a vite fait de s'égarer complétement.
On est évidemment à mille lieux du comportement français. Mais cet exhibitionnisme slave a aussi vite fait de me fatiguer car j'ai malgré tout adopté la réserve française.
Et puis, il y a les relations entre les sexes. J'ai remarqué que les Polonaises étaient maintenant habillées "normalement", sans le kitsch vulgaire des Russes.
Certes, on a, en France, une image horrible de la Pologne, même si on sait à peine la situer : un pays rétrograde, arriéré, antisémite.
Quant à l'accusation d'antisémitisme, j'y vois un retournement déculpabilisant: les victimes sont désignées agresseurs. N'oublions pas que l'ancienne Pologne (celle de la République des deux Nations) a été le Paradis des Juifs, le pays qui les a accueillis massivement, en leur accordant de pleins droits, alors qu'ils étaient persécutés partout ailleurs. Le drame de ces Juifs, ça a été le partage de la Pologne et leur transfert sous la férule de la Tsarine Catherine qui les a assignés dans des zones de résidence.
La Pologne actuelle n'a donc plus grand chose à voir avec ce qu'elle était par le passé. Son territoire, sa composition ethnique, ne sont plus du tout les mêmes. Curieusement, je n'ai jamais entendu quelqu'un revendiquer les anciens territoires perdus (principalement de grands morceaux d'Ukraine et de Biélorussie).
Il reste que la Pologne revit aujourd'hui et redevient cosmopolite. Dans les grandes villes, je rencontre sans cesse des Ukrainiens et des Biélorusses. Bizarrement, je suis même experte pour les identifier à de tout petits détails. Mais il est vrai qu'on m'identifie tout de suite aussi et évidemment pas comme une Française.
Mais c'est vrai que c'est quasiment la seule immigration, même si elle est importante. Des Arabes, des Africains, vous n'en rencontrez presque jamais. Sur ce point, l'évolution des mentalités est loin d'être faite. Pourquoi, me dit-on, devrait-on supporter les conséquences des colonialismes de certains pays d'Europe ? Ce n'est pas nous qui sommes allés en Afrique ou au Moyen-Orient. Inutile de répondre que cette problématique est dépassée depuis plus de 60 ans.
Cette émancipation, elle concerne aussi le mouvement Gay. A Varsovie, j'ai ainsi été surprise par le grand nombre de drapeaux LGBT affichés aux fenêtres.
Evidemment, ça ne concerne que les grandes villes et la libéralisation des mœurs n'a pas encore atteint les campagnes reculées.
Il n'empêche, l'évolution semble irréversible: un retour en arrière, une reconquête du pouvoir par les anciens caciques, n'apparaissent guère concevables. La Pologne est, probablement, définitivement et pleinement européenne.
La 2nde partie de mes photos est bien sûr consacrée à Varsovie.
Si vous souhaitez vous initier à la littérature polonaise, je me permettrai de vous recommander 4 livres vraiment troublants:
- Bruno SCHULZ: "Les boutiques de cannelle"
- Witold GOMBROWICZ: "Les envoûtés"
- Isaac Bashevis SINGER: "Keila, la rouge"
- Olga TOKARCZUK: "Le banquet des Empouses "
Bonjour Carmilla
RépondreSupprimerPourtant vous connaissez ce bout de terre depuis longtemps, et sans doute, ses sautes d’humeur météorologiques. En avril sous ces latitudes nous pouvons toujours nous attendre à des surprises. Pour vous consoler, je remarque que d’après vos photos, que les feuilles sont bien installées dans les arbres, ici c’est tout juste si le trembles, les peupliers et les bouleaux se sont parés d’une légère verdures, sans oublier les mélèzes. Je sais c’est très désagréable de voyager lorsqu’on a froid. Ça doit être la même situation en Ukraine tout à côté.
Est-ce que vous avez eu l’occasion de discuter avec des Ukrainiens? Comment cela se passe pour eux, même si l’économie fonctionne à plein? C’est quoi leur état d’esprit? Et, les Polonais eux, qu’est-ce qu’ils pensent sur cette guerre qui s’étire en longueur. Je sais qu’ils ont augmenté leurs dépenses militaires. Comment ne pas penser à leur histoire? À toutes les souffrances qu’ils ont endurées, parce qu’ils se sont fait passés deux fois dessus au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Mais toutes leurs souffrances ne se limitent pas seulement au XXe siècle, leurs souffrances remontent à loin dans le temps. Vous le soulignez avec la Tsarine Catherine. Dire que jadis ce pays a déjà été une puissance de l’Europe. Est-ce qu’il en sera ainsi avec l’Ukraine?
Pendant que vous étiez en Pologne, j’ai été plongé dans la souffrance par la lecture de deux ouvrages de Svetlana Alexievitch : La guerre n’a pas un visage de femme, et, Derniers témoins, ou les civils souffrent la faim, bouffent de l’herbe, et mangent l’écorce des arbres, sans oublier les exécutions en masses, et les humiliations de toutes sortes. Et pendant toute cette lecture, j’avais mes propres images de ces souffrances et j’ai pensé à vous qui étiez dans ce pays, si proche de l’histoire. Cette auteure a fait un travail colossale afin surtout qu’on n’oublie jamais. La guerre n’a pas un visage de femme est un livre bouleversant. Il faut avoir le coeur bien accroché pour le lire, certes cela se passe en Russie; mais les Polonais eux aussi ont souffert. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire le rapprochement.
Lorsque je regarde vos photos, que je vois toute cette beauté, ces arbres, ces habitations, sans doute reconstruites après maintes destructions, que malgré tous leurs malheurs il y a toujours de l’espoir, si minime soit-il. C’est étrange, le printemps dernier vous étiez en Finlande…
Parlez-moi encore de la Pologne, parce que je sens que vous n’avez pas tout dit et qu’il reste beaucoup à dire.
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Richard;
RépondreSupprimerC'est justement parce que je connais bien l'Europe Centrale que je me suis fait surprendre par la météo. Généralement, le printemps est là le 15 avril. Il était même arrivé, cette année, dès le début du mois et la végétation était, comme vous l'avez remarqué, bien avancée. Et d'ailleurs, dès mon départ, il s'est remis à faire beau et chaud (plus qu'en France).
Parler davantage de la Pologne, c'est difficile dans le cadre de simples commentaires. Et puis, hormis vous, je ne sais pas si ça intéresse beaucoup de monde.
Je dirai brièvement que les mentalités en Europe Centrale (sur une ligne allant de Sofia au Sud à Tallin en Estonie) diffèrent beaucoup de celles de l'Europe de l'Ouest. Elles demeurent façonnées par deux grandes catastrophes: la seconde guerre mondiale puis la dictature et la misère soviétiques.
Polonais et Russes se détestent absolument mais les Polonais ont de bonnes raisons pour cela. Je crois que l'un des grands malheurs de l'Europe, ça a été la disparition, à la fin du 18 ème siècle, de la République des Deux Nations qui était un grand Etat, le plus démocratique d'Europe. Mais on a laissé s'implanter, aux lisières de l'Europe des Lumières, l'absolutisme russe.
Si vous vous promenez aujourd'hui dans une ville polonaise ou ukrainienne puis dans une ville russe, vous percevez tout de suite la différence. En Russie, vous rencontrez certes des gens charmants et ouverts mais vous rencontrez aussi plein de gens odieux et vous vous faites régulièrement agresser. Il y règne une étonnante violence de la rue. En Pologne et en Ukraine, la bienveillance est générale et on se dépêche de venir en aide à son interlocuteur. Et puis, il y a, dans ces deux pays, un esprit contestataire et anarchiste.
Quant aux Ukrainiens émigrés en Pologne (qui sont surtout des Ukrainiennes), ils (elles) sont vraiment très nombreux (ses) dans les grandes villes. La grande différence avec les autres pays où ils sont accueillis, c'est qu'en Pologne, à peu près tous travaillent.
Je n'ai entendu personne se plaindre. Il faut dire que l'adaptation est vraiment facile: la langue, la cuisine, les horaires, l'architecture des villes, les paysages, se ressemblent beaucoup. On n'évoque jamais ça dans les médias où on parle d'une Ukraine profondément russe. Mais on oublie que l'influence polonaise a été au moins aussi forte.
Quant à ce qui se passe, en ce moment, en Ukraine, j'avoue être trop tétanisée pour pouvoir en parler. C'est la terreur quotidienne.
Mais ça devrait faire réfléchir ceux qui pensent qu'une paix négociée est possible. Il suffirait, dit-on, que l'Ukraine fasse preuve d'un peu de bonne volonté, qu'elle fasse des concessions en vue d'un compromis.
C'est justement cela qui est devenu impossible. L'horreur et la cruauté sont allées beaucoup trop loin. Il n'y aura pas de paix tant qu'il n'y aura pas de punition et de réparation de la Russie. Même si l'armée ukrainienne est provisoirement battue, la guerre ne s'arrêtera pas. Elle risque donc de durer encore longtemps.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
RépondreSupprimerVous savez je suis un insatiable curieux, je m’intéresse à tout, merci pour votre développement, c’est très apprécié.
Aujourd’hui, je vous offre deux citations, qui nous offrent un profond sentiment humain, à deux époque différentes, mais qui finissent par se rejoindre.
« Et peut-on seulement raconter tout cela? Si oui, que raconte-t-on? Sinon, pourquoi? Qu’est-ce qui est accessible aux paroles et à nos sentiments?
Parfois, je rentre chez moi après une série d’entretiens avec l’idée que la souffrance, c’est la solitude. L’isolement absolu. D’autres fois il me semble que la souffrance est une forme particulière de connaissance. Une sorte d’information essentiel. Mais pour nous, il y a dans la souffrance quelque chose de religieux, de presque artistique. Nous sommes une civilisation à part. Un civilisation de larmes. Pourtant, là, ce n’est pas seulement l’abject qui se dévoile à nos yeux, mais aussi le sublime. En dépit de tout, l’homme tient tête. Il s’élève. Et garde sa beauté. »
Svetlana Alexievitch
La guerre n’a pas un visage de femme
Page 219
« Je l’écris une fois pour toute : dans cette guerre qui a débuté le 24 février 2022, la Russie est l’agresseur. Elle a envahi son voisin, violé sa souveraineté, nié son identité, causé d’ignobles pertes humaines et plongé le monde dans la stupeur et l’effroi.
Si après avoir refermé ce livre, ceux qui auront eu le plaisir, ou le courage de le lire se disent qu’ils ne savent pas où me placer, côté russe ou côté ukrainien, je serai satisfaite. N’appartenir à aucun camp, n’écouter les injonctions ni des uns ni des autres, voguer, libre, sans rien devoir à personne, au service de l’information, est exactement ce que je souhaites. Militer n’est pas ma préoccupation. Documenter ce conflit des deux côtés l’est.
À mes débuts dans le métier de reporter de guerre, l’absence de prise de parti était un atout, mieux, une obligation. Aujourd’hui, c’est l’inverse : on s’arracherait peut-être davantage cet ouvrage s’il défendait une cause.
Aussi complexes qu’ils soient, je resterai fidèle aux fais observés, et que chacun se forge sa propre idée! Non que je sois dépourvue d’opinions ou d’émotions, mais je refuse de les laisser dicter ma pensée, mes actes et encore moins mes écrits. Je me limite ici à ce que je sais faire : du reportage, alternant les chapitres (en Ukraine) et (en Russie) pour emmener mon lecteur au plus près, comme s’il franchissait lui-même la ligne de front. »
Anne Nivat
La Haine et le Déni
Page 17 et 18
Voilà deux manières de voir et de peser la misère, la souffrance, et les larmes. Deux manières certes, mais c’est toujours la même souffrance. J’ai alterné la lecture de ces deux ouvrages.
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Richard,
RépondreSupprimerJ'ai feuilleté le bouquin d'Anne Nivat mais ne l'ai pas acheté.
J'ai de l'estime pour elle (elle connaît parfaitement la Russie) mais sa neutralité revendiquée m'apparaît vraiment boiteuse. Imagine-t-on un reporter, durant la 2nde guerre mondiale, afficher la même position ?
Il ne faut tout de même pas oublier qu'il y a, dans la population russe, une adhésion générale à la guerre. Les bombardements incessants, les souffrances infligées à la population civile, ça n'empêche pas les Russes de dormir.
C'est ce cynisme et cette indifférence qu'il faut interroger et c'est pourquoi on ne peut pas considérer de la même manière les deux camps. Dans la Wehrmacht aussi, il y avait sans doute plein de gens bien. Mais de là à les considérer comme des victimes...Etre reporter, ce n'est pas simplement rapporter ce que l'on voit et ce que l'on a entendu.
Quant au sublime qui, d'après Svetlana Alexievitch, émergerait de l'abject dans la guerre, ça m'apparaît vraiment une vision d'écrivain. Totalement déconnectée, "out". Allez donc évoquer ce sublime à des soldats ukrainiens qui, depuis deux ans, pataugent dans la boue des tranchées, dans une terreur perpétuelle.
La guerre, c'est brutalité, bestialité, pures et chercher à en extraire une quelconque beauté, humanité, ça ne revient qu'à glorifier l'agresseur. On ne peut pas renvoyer dos à dos les deux combattants. Il y a tout de même bien un responsable de cette horreur et une population qui y adhère et la soutient. Les deux côtés de la ligne de front ne se valent pas.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
RépondreSupprimerLe choix de ces deux citations illustrent la manière de dire, d’une façon habile, en utilisant l’outil de l’ambiguïté. Dire, sans le dire, être au-dessus de la mêlée, laissez voir pour suggérer pour aussitôt refermer la porte. J’avoue que lorsque j’ai lu les premières phrases du livre de Nivat, je me suis posé la question : Est-ce que j’ai bien lu ce que je viens de lire? Ce n’est plus du reportage, c’est un morceau d’anthologie, comme une mise en garde, où la littéraire chasse la journaliste. À chaque fois que je l’écoutais depuis le début de la guerre en Ukraine, je trouvais qu’elle avait des propos souvent justes, mais avec cette espèce d’ambiguïté dérangeante, comme si elle voulait provoquer. Alors, je me suis dit : si jamais elle écrit un livre sur cette guerre, je veux le lire. C’est ce que je viens de faire. D’autre part, elle le dit très bien, et nous le savons tous, qui est l’agresseur. Elle le reconnaît explicitement. Qu’elle ne désire ne pas prendre position, c’est une autre chose. Elle doit être habituée de vivre avec sa conscience, après 30 années comme reporter de guerre. Son livre est dédié en mémoire d’Oleg, soldat du renseignement ukrainien, tué par un tir de mortier. Elle voulait cacher ses émotions, mais ses émotions sont remontées à la surface. Difficile d’échapper à ses émotions. De les masquer, et cela transpire dans plusieurs de ses pages. Elle n’a pas résisté aux paroles de Volodymyr Zelenski , lorsqu’il s’est adressé à la nation en ce 24 février 2022 : (C’est peut-être la dernière fois que vous me voyez vivant). Tout ce qu’elle voulait c’était de partir en l’Ukraine. Elle était très consciente de cette situation qui n’avait rien d’ordinaire, surtout lorsqu’elle parle de la haine, qui inciterait presque à arborer une position jusqu’au-boutiste, quasi suicidaire comme elle le mentionne. Haine, que vous avez souvent évoqué Carmilla. D’autre part, c’est l’une des rares journalistes à évoquer que cette guerre ne serait pas courte. Que ce conflit dépassait simplement l’envahissement. Lire Nivat, c’est la sentir, dans toutes ses remises en questions. Nous, nous avons choisi notre camp dès le début, et personnellement je ne pouvais appuyer l’agresseur; mais cela ne doit pas nous empêcher de regarder ailleurs, comme de lire des livres qui ne vont pas dans notre direction. Même dans la plus grande absurdité, nous devons essayer de comprendre les causes de ce conflits, qui ne se résume pas seulement à la guerre en Ukraine. Ce qui m’a amené dans l’univers de Svetlana Alexievitch surtout lorsqu’elle écrit : « Mais pour nous il y a dans la souffrance quelque chose de religieux, de presque artistique. Nous sommes une civilisations à part. Une civilisation de larmes.» Ce qui donne à réfléchir, sur les événements que nous vivons présentement. Est-ce que se serait quelque chose comme la prolongation de la souffrance afin de soigner sa nature profonde à coups de souffrances? Alors la religion serait la négation de la vie, au prix de tout réduire en cendre et d’abattre des civiles les mains attachées dans le dos! Ici, l’oublie n’est pas de mise. Je n’ai pu résister à la tentation de me lancer dans la lecture de : Essais de théodicée de Leibniz, qui traite d’une autre manière de ces notions de bien et de mal. Mais j’y reviendrai, parce que c’est passionnant!
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Richard,
RépondreSupprimerEntendons-nous bien. J'apprécie Anne Nivat. Son père l'a baignée, dès son enfance, dans la culture russe. Et puis, il faut du courage pour être reporter de guerre.
C'est sa neutralité revendiquée qui me pose problème. Peut-on traiter pareillement les témoignages de Russes et d'Ukrainiens ? Et pourquoi pas ceux de Chinois et d'Ouïgours, d'Azerbaïdjanais et d'Arméniens ?
Je pense que les peuples sont quand même complices de leurs dirigeants quand ceux-ci déclenchent une guerre. Les Russes ne sont pas des agneaux vis à vis des Ukrainiens. Ils entretiennent, depuis longue date, un mépris et un sentiment de supériorité envers eux. Les Ukrainiens ne sont, dans leur représentation, que des paysans incultes et les exterminer ne suscite guère d'états d'âme chez eux. L'armée allemande avait le même sentiment de supériorité et la même indifférence.
Il y a donc bien une dissymétrie qui fait qu'on ne peut pas être neutres.
Quant à Svetlana Alexievitch, il faudrait peut-être cesser de s'extasier sur le messianisme russe et cette idée d'une rédemption du pêcheur. C'est un cliché, du sous-Dostoïevsky qui donnerait le droit d'être un criminel parce que plus on commettrait le Mal, plus on serait proches de Dieu.
Mais non ! La Russie n'est pas une civilisation à part. Si elle prétend être une civilisation de la souffrance rédemptrice, c'est simplement qu'elle a deux siècles de retard et qu'elle n'a pas été effleurée par l'Esprit des Lumières.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
RépondreSupprimerÀ quel point peut-on rendre complice les russes face à leur dirigeant? Dans une société où un dirigeant est élu à plus de 80% des voies, visiblement il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, face à ces résultats on se doit d’être méfiant. Déjà que dans nos démocraties lorsque tu es élus avec plus de 50%, c’est déjà un exploit. Si ça dépasse 60%, il faut se poser des questions. Je l’ai déjà exprimé que je ne crois pas à appuis massif des russes envers leur maître, parce que s’il en avait été ainsi, ils seraient déjà rendus aux frontières de la Pologne. Au contraire, ce prolongement de conflit souligne leur vulnérabilité, un manque de confiance en eux-mêmes, j’irais même jusqu’à dire qu’il faut être masochistes pour étirer cette guerre. Pendant qu’on s’occupe de la guerre, on pousse sous le tapis les problèmes intérieurs. Cependant, il ne faut jamais les prendre à la légère, ils demeurent dangereux. Souvenons-nous, en plein coeur de la guerre froide, que les occidentaux croyaient que le pouvoir soviétique se prolongerait dans le temps, si bien qu’il semblait éternel, et qu’il était vain d’espérer un changement. Et puis, soudain en quelques années tout s’est effondré, et cela on ne l’a pas vu venir, il faut reconnaître que l’occident a été surpris par cet effondrement. Comme d’habitude en bonasses, nous avons cru à cette fable, qu’en les impliquant dans le libre marché, la démocratie s’imposerait d’elle-même, qu’on n’avait même pas à faire d’effort. C’est ainsi que nous nous sommes fourvoyés. Ce qui nous a amené à cette dangereuse situation que nous vivons présentement. Dans un pays, où tu peux être élu avec plus de 80% des votes, où la liberté de parole est proscrite, où toute critique peut vous envoyer en prison, voir à la mort, par l’empoisonnement, la défenestration, ou encore à l’accident d’avion, il y a de quoi se poser des questions sur l’état d’esprit des russes : Est-ce qu’ils sont si solides et déterminés comme on tente de nous le faire croire? Si le pouvoir en place agit ainsi, c’est qu’il n’est pas sûr de sa base, de son appuie inconditionnel. C’est leur principale faiblesse, et je ne vous surprendrai pas que c’était le même état d’esprit qui prévalait sous les Tsars, les Soviets, et maintenant sous le pouvoir d’une pègre qu’on fait passer pour un gouvernement légitime. Soit dit en passant qu’il aurait fallu plus qu’un effleurement des Lumières afin de provoquer un changement drastique. C’est une nation qui se ment à elle-même. Alors, comment peut-on croire que le peuple qui la compose appuie ce régime? Certes, il y a les irréductibles du régime, mais après, il y a quoi? Ceux qui prendront la relève dans ce vaste pays, seront-ils plus dangereux que le pouvoir actuel? C’est peut-être une question qui a été abordée cette semaine, entre votre président et le dirigeant de La Chine? Si non, ils seront passés à côté de la vraie question. Il n’y a pas grand-chose qui a transpiré de leurs discussions. En véritables commerçants les chinois n’aiment pas être dans le clan des perdants. Ils n’ont pas véritablement le choix, il faut qu’ils produisent et qu’ils trouvent des marchés pour vendre. À ce chapitre l’Europe est plus intéressante au niveau commercial que la Russie. Ce qui ne fait pas de La Russie et de La Chine des amis; mais des alliés de circonstances. Et, comment les russes réagiront-ils lorsque les circonstances changeront?
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Richard,
RépondreSupprimerOn ne dispose en effet d'aucune expression publique "fiable" (vote ou sondage) pour affirmer le soutien de la population russe à Poutine.
Mais c'est ce qui ressort de tous les échanges concrets, de toutes les conversations, que l'on peut avoir avec des Russes. S'il y avait un vote libre et transparent, il y aurait quand même bien 60 % de la population à s'exprimer en sa faveur.
Ne croyez pas que les Russes doutent d'eux-mêmes. Ils sont convaincus de leur grandeur et de leur supériorité. Les autres (Polonais, Ukrainiens, Baltes, Kazakhs etc..) ne sont que populations négligeables.
Et les Russes se sentent tellement grands qu'ils sont convaincus de leur victoire sur l'Ukraine. Ils croient que l'histoire va se répéter et se réfèrent à Napoléon et Stalingrad. Cette conviction est peut-être d'ailleurs leur point faible. Un grain de sable peut les perturber.
Mais le doute n'est vraiment pas dans les mentalités russes. Ils demeurent aujourd'hui très solides grâce à l'appui de la Chine, de l'Iran, de la Corée du Nord et des cours élevés du pétrole.
Quant à l'effondrement du système soviétique, ce n'est vraiment pas eux qui en sont à l'origine (ils ne cessent d'ailleurs de pleurnicher sur sa disparition). Il est venu des pays satellites et d'abord de la Pologne, de la Hongrie et des Etats Baltes. Et dans ces pays, on voyait bien que l'écroulement était proche.
Il faut en outre souligner qu'il a été favorisé par les cours bas du pétrole dans les années 80-90. L'URSS ne pouvait plus tenir économiquement.
Et la grande chance de Poutine, c'est que ces cours du pétrole ont beaucoup remonté dès sa première élection. Il a pu alors donner l'impression d'être un bon gestionnaire en distribuant cette manne pétrolière.
C'est tout le problème de la guerre actuelle et des sanctions économiques dont l'efficacité n'est que relative. L'espoir, c'est de mettre à genoux l'économie de la Russie.
Bien à vous,
Carmilla