samedi 11 janvier 2025

Sur les décombres du Panarabisme, la renaissance de l'Empire ottoman

 

Tout le monde se réjouit, aujourd'hui, de la chute de Bachar el Assad. On ne peut qu'être sensibles, en effet, à ces scènes de liesse dans toute la Syrie, à l'immense joie de ces familles qui retrouvent leurs parents, leur amis, après l'ouverture des prisons. A la détresse, également, de ceux qui apprennent qu'il n'y a plus d'espoir, que leur proche est mort, froidement exécuté sous la torture.

On peut s'interroger, évidemment, sur la personnalité de Bachar el Bassad. Comment celui qui était un jeune homme timide, éduqué (trilingue), qui ne s'intéressait initialement qu'à la médecine (l'ophtalmologie), a pu devenir un grand criminel de sang froid ? Sans doute parce qu'il prenait bien soin de s'abriter derrière la "machine institutionnelle", de ne surtout jamais rencontrer aucune de ses victimes afin qu'elles demeurent totalement abstraites.

On peut s'interroger aussi sur le nouveau pouvoir qui se met en place. On observe qu'il prend d'abord soin de se donner du temps, beaucoup de temps: 2 ans pour élaborer une nouvelle constitution, 4 ans pour organiser de nouvelles élections. D'ici là, beaucoup d'eau aura coulé sous les ponts et le régime aura eu toute latitude pour "remettre les choses en place". Dans quel sens, dans quel ordre, nul ne le sait aujourd'hui.

Mais pourquoi je joue à la journaliste, pourquoi je vous parle de la Syrie aujourd'hui alors que je n'y ai jamais mis les pieds ? C'est vrai que je n'y connais pas grand chose mais le Moyen-Orient, ça a toujours été une réalité proche pour moi qui suis originaire de l'Europe Centrale. 

Pour des Français, les Turcs, ça a toujours été un Empire très lointain, tellement lointain qu'il ne faisait pas très peur. Au point que, dès François 1er (alliance franco-turque de 1536 avec Soliman le Magnifique), on s'est montrés très accommodants avec lui. Au point, aussi, de lui avoir prêté main forte, au 19ème siècle, dans la guerre de Crimée contre la Russie. 

Quant à l'Iran, la Perse autrefois, c'était carrément Terra Incognita. Il a fallu attendre Napoléon 1er pour envisager de renouer des relations diplomatiques. Et surtout, de concevoir, à partir de là, un projet démentiel: envahir l'Inde, sous domination anglaise, par une coalition des armées françaises et russes qui auraient fait leur jonction en Perse. L'assassinat de Paul 1er, ce Tsar délirant, a mis fin à cette aventure qui aurait changé la face du monde (la France et la Russie maîtres des Indes).

Depuis la France donc, on ne se rend pas du tout compte que le Moyen-Orient, ça a toujours été une grande marmite bouillonnante, toujours prête à exploser et source de conflits et d'angoisses. Et au sein de cette grande marmite, les protagonistes principaux (la Turquie, la Perse, la Russie, l'Europe Centrale) n'ont quasiment jamais cessé de se redouter ou de se haïr et de se faire la guerre. Mais aujourd'hui encore, en Europe Centrale, les Turcs demeurent associés à des images d'effroi.

Et il est vrai qu'en Europe Centrale, jusqu'à la bataille de Vienne, en 1683, l'avancée turque semblait irrésistible. Elle est allée, effectivement, très loin vers l'Ouest et vers le Nord. je pense souvent à une plaisanterie de mon père: "aujourd'hui, on va se promener en Turquie" et il y avait, en effet, à quelques kilomètres de notre ville de Lviv, plusieurs anciens postes-frontières avec l'Empire ottoman. Les populations concernées vivaient dans l'angoisse, tremblaient de peur. On évoquait les supplices, les massacres perpétrés. Les mentalités en ont été durablement marquées, avec une association de l'horreur et du tragique. Et on a bien oublié, en Europe de l'Ouest, que ce n'est que récemment, que les territoires des actuelles Grèce, Serbie, Roumanie, Bulgarie ont été libérés de l'envahisseur turc.

Et cette libération, il faut bien reconnaître qu'elle s'est largement faite avec le concours de la Russie. Parce que le plus grand ennemi de l'Empire ottoman, ça a été la Russie. Depuis le 16ème siècle, les deux Empires n'ont cessé de se faire la guerre (13 guerres russo-ottomanes au total). On peut ainsi rappeler que la fameuse Crimée était ottomane jusqu'à Catherine II. Il n'y avait certes aucune générosité, aucune compassion, de la part des Russes envers les peuples soumis. Outre une garantie de leur accès à des mers chaudes, leur motivation était essentiellement religieuse: restaurer la prééminence de l'orthodoxie, faire revivre Byzance. Ce sont ces innombrables guerres de religions qui ont forgé, dans les pays des Balkans, le mythe du "Tsar libérateur". Ca explique, en partie, leur attitude ambiguë, leur complaisance, envers la Russie aujourd'hui.

Et ces relations compliquées de la Turquie avec ses voisins, ça concerne, aussi, son principal rival à l'Est, l'Iran. Je connais assez bien l'un et l'autre, mais c'est étrange, en effet, à quel point ces deux pays musulmans sont si différents. Les paysages, les villes, les mœurs, rien n'est pareil. Il ne faut pas oublier que du 16ème au 19ème siècle, les deux Empires n'ont cessé de se bagarrer et il y a eu au moins 9 guerres ottomano-persanes. Quasiment, là encore, une guerre perpétuelle alimentée, elle aussi, par un conflit religieux (entre chiites et sunnites). On mentionne ça rarement mais sans cet état de guerre permanent qui a détourné une grande partie de ses forces armées, l'Europe toute entière aurait probablement été envahie par les Turcs. Quoi qu'il en soit, Turcs et Iraniens (sunnites et chiites) continuent de se combattre et se détester. Et Bachar El Assad s'est d'autant plus fait haïr qu'il appartenait à une minorité religieuse, celle des Alaouites apparentée aux Chiites (donc aux Iraniens).

Et ça ne va pas mieux en ce qui concerne les relations entre l'Iran et la Russie. Il y a eu 5 guerres entre la Russie et l'Iran au 18ème et au 19ème siècles à l'issue des quelles la Perse a perdu tous les territoires du Caucase (notamment ceux de la Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan). Et ça s'est terminé, en 1945-1946, avec une tentative sécessioniste, appuyée par l'URSS, de l'Azerbaïdjan iranien. Toutes ces guerres perdues restent, aujourd'hui encore, en travers de la gorge des Iraniens qui continuent d'éprouver rancœur envers les Russes. L'alliance récente irano-russe, dans le cadre de la guerre contre l'Ukraine, celle de deux parias internationaux, me laisse dubitative.

Tout ce beau monde (Russes, Turcs, Iraniens) se déteste donc cordialement. Ils n'ont qu'un seul point commun d'entente : la haine de l'Occident.

Leur terrain d'affrontement indirect a donc été la Syrie. Mais il n'en ressort, aujourd'hui, qu'un grand vainqueur: la Turquie. Les deux autres, dépités, honteux, se gardent bien de s'exprimer.

D'ores et déjà, le nouveau Gouvernement syrien a annoncé une collaboration accrue avec la Turquie. Et Erdogan sera le premier des grands dirigeants à se rendre à Damas. Il ira, notamment, y prier à la Grande Mosquée des Omeyades et visiter le tombeau de Saladin. 

On a déjà oublié, en Occident, qu'il a converti, en 2020, la Basilique chrétienne Sainte-Sophie en mosquée. Et on a oublié aussi qu'il a promis d'aller prier dans la mosquée de Jérusalem.

On revient plus d'un siècle en arrière lorsque l'Empire ottoman était encore tout puissant et s'étendait jusqu'en Egypte. Mais sa grande erreur a été de se ranger aux côtés des Empires Centraux (Allemagne et Autriche-Hongrie) au cours de la 1ère Guerre Mondiale. La France et la Grande-Bretagne se sont alors associées, en représailles, pour dépecer ce grand "homme malade" qu'était le Califat turc. Et ses diplomates (accords Sykes-Picot) ont alors "joué"  les Arabes contre les Turcs pour créer des Etats complétement artificiels: l'Irak, la Syrie, le Liban, la Palestine.

Comme on le sait, le résultat a été désastreux dans cette partie du Moyen-Orient que l'on a arabisé. Des guerres et attentats perpétuels, la catastrophe économique, la quasi disparition des importantes communautés juives et chrétiennes. Un beau succès de la diplomatie franco-anglaise que l'on n'évoque jamais.

Mais aujourd'hui, alors qu'on contemple cet effroyable chaos (celui du Panarabisme, des Frères musulmans et de Daech), on commence à se dire que le retour sinon de l'Empire ottoman, du moins du Grand Turc et du Grand Califat, se révèle une perspective plutôt rassurante pour l'Occident. Un islamisme plus soft, moins radical, plus pragmatique, plus en phase avec l'évolution des mœurs. Un emballage beaucoup plus aimable.

Peut-être, mais ça ne veut pas dire que l'Occident n'a pas de soucis à se faire et qu'il trouvera un véritable partenaire. La voie européenne qui s'offrait à la Turquie est désormais bien écartée et ce grand Califat turc qui est en train de se reconstituer ne renoncera probablement jamais à ses rêves de domination. Le Panturquisme renaît et, depuis la chute de l'URSS, il a repris, fermement, pied dans toute l'Asie Centrale (avec deux grosses têtes de pont: l'Ouzbékistan et le Kazakhstan). La priorité, c'est maintenant de retrouver son assise arabe au Moyen-Orient. Et ça peut constituer un nouveau Grand Pôle du monde, puissant et expansionniste.


Images d'Alep, Damas, du Krak des Chevaliers, des peintres Jan Matejko et Andreas Hüne, de Jérusalem, de la Mosquée bleue, de Sainte-Sophie.  La 1ère image est celle de la sculpture "Akdeniz" (Méditerranée) de l'artiste turc Ilhan Koman.

Un post sûrement trop long et sûrement pas très professionnel. C'est sans doute très subjectif mais j'écris à partir de mon histoire propre, celle de l'Europe Centrale. Je connais donc tout de même assez bien ces 3 Etats voyous que sont l'Iran, la Russie et la Turquie. Je les déteste et les aime à la fois.

 Je recommande:

- Mikhaïl LERMONTOV: "Un héros de notre temps"

- Youry TYNIANOV; "La mort du Vazir Moukhtar" 

Ces deux bouquins, qui ont pour cadre le Caucase et l'Iran, font partie pour moi des plus beaux livres de la littérature russe.

- Olivier GUEZ: "Mésopotamia". Un grand livre, déjà évoqué, mais dont on a trop peu parlé. Il montre bien à l'issue de quelles douteuses manœuvres, Français et Anglais se sont "amusés", durant la 1ère Guerre mondiale, à redécouper le Moyen-Orient. Avec toutes les fatales conséquences que l'on sait aujourd'hui. Mais je n'ai pas l'impression qu'on en ait tiré la moindre conséquence.

Enfin, je me rends, la semaine prochaine, dans celle qui fut "La Babylone de l'Europe". Je ne suis pas sûre de trouver le temps de poster.


samedi 4 janvier 2025

Ce Désir qui nous fait vivre


C'est une nouvelle année, un nouveau départ. 


On s'adresse, échange, des vœux. On prend aussi de bonnes résolutions pour ne plus se laisser aller. On se met à rêver d'autre chose. Comme s'il était possible de corriger le cours de nos vies.


Mais on sait bien qu'on se dépêchera d'oublier tout ça et que ça partira, dès demain, en fumée. 


Parce que personne ne maîtrise son Destin et que nul ne sait vraiment ce qu'il souhaite et désire.


On dit, en effet, qu'on est des êtres de Désir. Pourquoi pas ? Mais si le Désir, c'est cet objet qui nous fait vivre, il faut bien reconnaître qu'on est absolument infichus de le décrire et de dire à quoi il correspond précisément pour nous. 


On croit savoir, on a une idée de ce qu'il est, mais quand quelque chose nous arrive, ça ne correspond jamais entièrement, ça n'est jamais tout à fait ça. Il y a toujours un truc qui manque ou qui fait tâche.


Ce serait vraiment trop simple si le Désir pouvait s'incarner dans quelque chose ou quelqu'un de bien identifié: un homme, une femme, des sensations, voire un simple objet concret et précieux.


"Cet obscur objet du Désir", c'est le titre bien choisi d'un film du grand cinéaste Luis Bunuel.


On vit, en effet, dans un état de méconnaissance complète de l'objet du Désir mais ça ne nous décourage nullement. Ca nous incite, au contraire, à nous agiter, à nous démener sans cesse, dans l'espoir de donner, un jour, incarnation à cette pulsion qui nous anime. 


Ca explique qu'on soit de perpétuels insatisfaits et qu'on vive dans une intranquillité permanente. On se sent toujours en état de manque, on est des alcooliques de la vie. Mais ce manque, c'est aussi un moteur qui nous entraîne à la poursuite des signes de notre Désir et essaie de les organiser dans des actions, des projets, des créations, une manière de vivre...


Et on arrive, finalement, à force de persévérance, à donner une forme à notre Désir, même si ça n'est qu'en  partie et jamais exactement ça.


Mais c'est cette errance constructive qui fait aussi la beauté de notre condition.


Je terminerai en précisant que les deux meilleurs films que j'ai vus l'an dernier étaient, peut-être, "Morsures" de Romain de Saint-Blanquat et "Miséricorde" d'Alain Guiraudie.


Tout un programme. Des Morsures, on a besoin d'en prendre et d'en donner. La vie, ça n'est jamais cool. Quant à la Miséricorde, le mot est en voie de disparition mais c'est plus grand et plus fort que le Pardon. 


A méditer pour cette nouvelle année. A défaut de Désirs forcément irréalisables, qu'elle soit, du moins, pour vous, exempte de chagrins.


Mes petites photos avec mon cadeau de Noël, un nouvel appareil que je commence à tester (à Paris puis en Normandie). Et je précise que si tout est sombre, c'est qu'il a fait un temps de cochon.

Je recommande:

- "Le Désir, l'objet qui nous fait vivre". Un petit bouquin issu de la contribution de plusieurs psychanalystes (Paul-Laurent Assoun, Gérard Bonnet, Denise Bouchet-Kervella, Marjolaine Hatzfeld, Monique Schneider). Ca n'est pas jargonnant et c'est stimulant.

- Grégoire Bouiller : "Le syndrome de l'orangerie". L'un des bouquins les plus singuliers de cet automne. Un gros pavé consacré aux fameux nymphéas de Claude Monet. 450 pages là-dessus et pourtant, ça tient, à peu près, la route (mais on peut aussi détester). Disons simplement que ce n'est pas nous qui regardons une œuvre d'Art mais c'est elle qui nous regarde. Au point de, presque, nous pétrifier. Parce qu'elle énonce quelque chose de la vérité de notre Désir en la quelle nous nous reconnaissons immédiatement. Et s'agissant des Nymphéas, ce Désir a trait à la Mort.


samedi 28 décembre 2024

Le péché de la Dette


Depuis quelques mois, on ne cesse de se faire peur et de se lamenter à propos de l'endettement de l'Etat français. Surtout à droite à vrai dire, parce qu'à gauche, on continue de s'en fiche (la croissance sera tellement forte avec notre belle politique économique que les emprunts se rembourseront tout seuls).

Mais, à droite comme à gauche, tout le monde fait de la Morale à ce sujet. L'argument le plus ressassé, c'est qu'on va léguer un terrible fardeau à nos chers enfants. On serait d'effroyables égoïstes parce qu'on continue de consommer et de se baffrer à grands coups d'emprunts sans considérer que les générations à venir devront payer la facture de nos bombances. De vrais propos de Pères Jésuites au 19ème siècle.

On se croit un grand économiste quand on énonce cette "idée reçue". Saut qu'elle est une ânerie. D'abord parce que l'Etat ne cesse de "rouler" sa Dette en remboursant par de nouveaux emprunts ceux qui arrivent à échéance.

Et puis dans tout contrat d'emprunt,  il y a un débiteur (l'Etat) et un créancier. Et le créancier, c'est majoritairement vous et moi, toutes les personnes qui "placent" leurs petites économies. Les malheurs de l'Etat font en quelque sorte le bonheur des épargnants et ce bonheur, il est sans doute bien réel puisque l'épargne française représente deux fois le montant de sa Dette.

Les chers enfants, on leur prépare donc plutôt un avenir de rentiers (la France est d'ailleurs déjà un pays de rentiers) puisqu'on va leur léguer des créances sur l'Etat. Mais ça n'est pas non plus complétement vrai parce que la maturité moyenne des emprunts d'Etat est inférieure à 10 ans, ce qui ne correspond qu'à une demi génération.

Est-ce que ça veut dire qu'il n'y a pour l'Etat aucun risque à emprunter ? Non bien sûr, parce que les financiers internationaux peuvent être saisis de défiance et réclamer une prime de risque pour continuer à acheter de la Dette française. Et ça peut se traduire par des surcoûts énormes en frais financiers.

Mais ça n'est pas l'objet de ce post. Ce qui m'apparaît important, c'est que dans le grand concert moralisateur d'aujourd'hui, j'entends surtout le retour de la vieille haine chrétienne envers l'usure, le prêt rémunéré. Cette haine qui a marqué tout le Moyen-Age et empêché son développement économique. Cette haine qui est aussi l'une des origines de l'antisémitisme puisque les Juifs n'étaient pas soumis à cet interdit et que l'une de leurs seules activités possibles était celle de prêteur.

Prêter de l'argent, ça revient à rémunérer le Temps dans la perspective chrétienne (puis musulmane). Mais le Temps, ça ne peut pas s'acheter parce que le Destin vers lequel on doit tendre, c'est celui du "rachat" de nos fautes prélude à la vie éternelle. Et l'éternité, ça ne peut pas s'acheter.

C'est pour cette raison que la Dette a d'emblée été assimilée, dans la pensée chrétienne et occidentale, au péché.

D'ailleurs en allemand, le mot Schuld, ça veut dire à la fois la Dette et la faute.

En fait, on est tous obsédés par la Dette. On se sent tous psychologiquement débiteurs et coupables. 

Pour les Chrétiens, on l'est d'emblée avec le Péché originel. Et il faut attendre la venue du Christ pour "racheter" nos fautes. 

Mais pour les Juifs, c'est terrible également parce qu'être désigné comme le peuple élu, ça crée une exigence morale terrible, une dette exorbitante. Comment se monter à la hauteur d'une pareille distinction ?

Et que dire du protestantisme dans le quel l'activité la plus quotidienne, ses moments les plus prosaïques, doivent être consacrés à son salut personnel. 

Et il en va de même, peut-être en plus exigeant, dans l'Islam. C'est chaque geste (pur ou impur), chaque attitude, qu'il faut interroger.

Et aujourd'hui, avec la crise écologique, on ne cesse de nous culpabiliser et de nous dire qu'on est débiteurs envers les générations futures et même la planète toute entière.

Tous coupables..., on n'arrive pas à sortir de la sujétion du péché religieux. On nous fait sans cesse honte et reproche.

Etre débiteur et coupable, c'est devenu la condition même de l'homme occidental. Et c'est affreux parce qu'on est bien incapables de faire face à ça et qu'on est donc de plus en plus angoissés.

C'est le philosophe Nietzsche qui a le mieux décrit cet avènement du monde moderne dans "La Généalogie de la Morale". Il y montre que le grand bouleversement politique et social du monde, il est intervenu quand on s'est mis à établir des relations de créancier à débiteur entre tous les hommes. Et cela s'est effectué de manière cruelle, en utilisant la contrainte physique, au besoin par le châtiment et la torture. C'est, par exemple, la terrifiante machine de la colonie pénitentiaire de Kafka.


Pour "faire société", il a fallu "dresser" les gens à faire des promesses et à tenir leurs engagements. Et on sait bien que ça n'est pas facile et même angoissant.

Mais c'est à partir de là, aux alentours de la fin du 15ème siècle, qu'est née la Dette, puis le Capitalisme. L'avènement de celui-ci n'a d'ailleurs, contrairement à l'opinion commune, pas grand chose à voir avec "L'éthique protestante" de Max Weber". Bien plus décisives sont la naissance des banques, de la comptabilité en partie double, des émissions obligataires, des sociétés par actions.

Et avec le Capitalisme, c'est vraiment terrible. Tant qu'on était encore religieux, on pouvait encore nourrir un petit espoir. On pouvait espérer qu'avec le Jugement dernier, toutes nos dettes et toutes nos fautes seraient effacées, même nos escroqueries financières, même nos crimes et délits les plus affreux.

Mais c'est fini tout cela ! Le capitalisme est d'une impitoyable cruauté: ni les dettes, ni les fautes ne seront jamais rachetées. Il faut impérativement payer, sans détours ni contours possibles.

On pourra juger que c'est un insupportable asservissement  et réclamer, en conséquence, l'annulation de toutes les dettes (David Graeber). Ca revient à oublier que la Dette, c'est ce qui a permis à l'humanité de sortir de la misère économique. 

Je recommande:

- Friedrich Nietzsche: "La Généalogie de la Morale". Avec le Zarathoustra, c'est le bouquin de Nietzsche à lire absolument. Une grande histoire de l'humanité soumise à un processus cruel de domptage/domestication. Cette vision d'une société disciplinaire a influencé, de manière décisive, Michel Foucault et toute "la pensée 68".

- David Graeber: "Dette 5 000 ans d'histoire". David Graeber est aujourd'hui porté au pinacle mais j'ai vraiment du mal à adhérer à ses bouquins bavards et confus. On sent qu'il part toujours d'une idée préconçue et qu'il "déroule" ensuite à partir de là (un peu comme Piketty et son présupposé d'inégalités qui s'accroissent sans cesse). Ici, l'histoire de la Dette serait inséparable de la construction du pouvoir et les débiteurs en seraient évidemment les assujettis. Conclusion: il est légitime d'effacer les dettes. C'est un peu simple parce qu'on oublie que les créanciers sont souvent aussi les perdants de l'affaire.

A ces élucubrations, je préfère de véritables économistes:

- Michel Bourgeois : "Si l'argent nous était conté - Grandes Histoires et petites anecdotes de la monnaie physique". Par un économiste belge: c'est donc souvent drôle et amusant.

- Jacob Goldstein : "La véritable histoire de la monnaie - De l'âge de bronze à l'ère numérique". Un panorama très complet. L'histoire de "la fiction" la plus remarquable de l'humanité.

- Jean-Marc Daniel: "Nouvelles leçons d'histoire économique - Dette, inflation, transition énergétique, travail". Le tout dernier bouquin de ce véritable économiste. Pour ne plus s'endetter, il faut cesser de privilégier la consommation au détriment de l'investissement.