samedi 26 juin 2021

Renée Pélagie Marquise de Sade

 J'ai achevé mes vacances en consacrant une petite halte, sur le chemin du retour, à la ville d'Echauffour (Orne) où a longuement résidé, jusqu'à la fin de sa vie, la Marquise de Sade. Le divin Marquis, lui-même, a  fréquenté l'endroit durant quelques mois après son mariage (mai 1763).

J'ai en fait une grande admiration pour la Marquise de Sade, pourtant dépeinte avec une totale injustice dans les biographies consacrées à son célèbre époux (pourtant, ce n'est pas elle mais sa mère, la Présidente de Montreuil, à la quelle elle sera en opposition constante, qui a fait enfermer son gendre). La Marquise de Sade s'est, en fait, révélée d'une immense mansuétude et en complicité totale avec son époux. En témoignent leurs lettres échangées, "une révélation lyrique" selon Gilbert Lely.

De la part de son mari, la Marquise a, en fait, tout enduré: ses infidélités, on peut dire que ça n'était rien en regard de son égoïsme monstrueux, du dénuement matériel enduré, de la honte, de l'humiliation, des quolibets, des insultes. Le pire, ça a probablement été la passion dévorante, incestueuse et partagée, qu'a entretenue le Marquis pour sa jeune sœur, son "ange céleste", la chanoinesse Anne Prospère. Les deux amants se sont même enfuis, ensemble, en Italie.


 C'est d'ailleurs cette liaison scandaleuse qui provoquera la colère sans retour et la persécution de la belle-mère du marquis, la présidente de Montreuil. Cinq ans plus tard, elle le fait mettre en prison. Il y restera treize ans, y retournera treize ans, y mourant sous l'Empire. L'«ange céleste» ouvre ainsi au marquis les portes du paradis (liberté sensuelle et affective) et de l'enfer (cachot).

En fait, les deux sœurs sont consentantes et actives. Lettre de Renée Pélagie : "Ce qui la pique le plus [sa mère, Mme de Montreuil], c’est de voir que mes idées et propos viennent de moi et non de Mr de Sade qu’elle pensait qui me soufflait comme un perroquet."

 Comment l’appelle-t-il ? "Ma lolotte", "jouissance de Mahomet", "tourterelle chérie", "porc frais de mes pensées", "aiguillon de mes nerfs". Et elle qui, pourtant, a été témoin des orgies du château de La Coste : "Rien ne me fera changer que le bien de mon mari. C’est mon unique but, l’univers ne m’est rien sans cela." L'un des aspects les plus bouleversants de leur relation réside d'ailleurs dans leur complicité sexuelle, inaltérée en dépit des vicissitudes. Malgré les moqueries des commerçants et gardiens, elle osera lui fournir en prison, pour calmer ses frustrations, des "objets sexuels", godemichés, étuis et flacons.


"Je ne vis que pour toi, mon unique bonheur", lui écrit-elle. On est bien loin de l'image puritaine et confite en dévotions que l'on donne souvent d'elle. Par son mépris des convenances et bienséances, son indifférence aux rumeurs et qu'en dira-t-on, sa force extraordinaire dans l'adversité, elle m'émeut profondément. Peut-être serais-je même capable d'être une Marquise de Sade. 

 

Certes, les féministes d'aujourd'hui diront que Madame de Sade était une victime, une femme soumise. 

"Sous emprise" même, pour reprendre le terme à la mode dont on nous rebat les oreilles.

 


Mais nul doute que Madame de Sade était consentante. D'ailleurs, on connaît bien l'attirance de nombreuses femmes pour les criminels et les voyous, les types pas bien et les salopards.  

Madame de Sade interroge en fait le modèle de notre conjugalité éprise d'harmonie et de symétrie. Rien n'est pire, peut-être, que les passions tièdes et l'égalité des jouissances, la bonne entente et l'accord des esprits.


 La vérité de l'amour et du désir, c'est peut-être, au contraire, la discordance et la dissymétrie.

Mes petites images toutes consacrées (hormis les 6 dernières) à la ville d'Echauffour située dans le département de l'Orne. Si vous vous y rendez, ne vous attendez pas à y trouver un quelconque guide touristique. La plus grande discrétion y est entretenue sur Madame de Sade. La plupart des habitants que j'ai interrogés semblent même tout ignorer d'elle et de son château. C'est sidérant et le contraste est immense avec le célèbre château de La Coste devenu haut lieu touristique dans le Vaucluse (acquis et restauré par le couturier Pierre Cardin).

Je poste, en particulier, deux tristes photos de la tombe de la Marquise de Sade et de sa fille. Non seulement, elle a, pour arrière-plan, de sinistres éoliennes mais elle est en piteux état : on n'arrive même plus à déchiffrer les inscriptions. Mon petit post se veut donc un modeste appel à sa restauration. Quant à la messe censée honorer sa mémoire chaque année, je ne suis pas sûre que la disposition prescrite soit bien suivie.

Échauffour se situe à proximité immédiate de L'Aigle et, un peu plus loin, de Mortagne-au-Perche. Cette dernière ville possède une architecture remarquable. J'y ai séjourné dans un magnifique hôtel du 18 ème siècle (l'Hôtel des Tailles dont je remercie vivement les propriétaires), bien en accord avec le "monde" de Madame de Sade et dont je me permets de publier quelques images. Un véritable enchantement.


On peut trouver : "50 lettres du Marquis de Sade à sa femme" présentées par Cécile Guilbert et Pierre Leroy (Flammarion 2009). On peut également lire quelques lettres d'Anne-Prospère de Launay, "L'amour de Sade", éditées d'une part par Pierre Leroy (avec un avant-propos de Philippe Sollers) puis par Maurice Lever : "Je jure au Marquis de Sade, mon amant, de n'être jamais qu'à lui". 

Déclarer qu'on s'intéresse au Marquis de Sade, ça ne passe toujours pas aujourd'hui. Qui a pourtant mieux exploré que lui les soubassements de la culture humaine ? A titre personnel, j'ai été éblouie par "Juliette ou les prospérités du vice". S'il fallait ne retenir qu'un livre, ce serait celui-là.

Quant aux commentateurs du Marquis, à peu près tous les grands penseurs, écrivains et artistes de la fin du 20 ème s'y sont risqués : Bataille, Lacan, Klossowski, Barthes. Le plus éclairant est peut-être Philippe Sollers : "Sade contre l'Être suprême précédé de Sade dans le Temps". Depuis, c'est le grand silence, Sade semble être sorti des préoccupations actuelles... on s'excite plutôt sur les "illusions" du genre.

Je signale, néanmoins, le récent ouvrage de Michel Delon : "La 121 ème journée - L'incroyable histoire du manuscrit de Sade" qui m'a appris beaucoup.

samedi 19 juin 2021

Barbey d'Aurevilly, Alexis de Tocqueville et... Chistian Dior

 

Voilà, j'ai enfin pu m'échapper, durant quelques jours, après si longtemps...Je me suis ruée vers l'Ouest, telle mon ancêtre Carmilla au 19 ème siècle, au volant de mon incorrect bolide. 

Certes, contraintes obligent, je n'ai pas pu développer de grandes ambitions. Je me suis rendue dans le Cotentin, en Basse-Normandie, une région que l'on m'avait recommandée pour son caractère sauvage et mélancolique, préservée du tourisme de masse, et dont les côtes maritimes évoquent fortement (ça n'est sans doute pas faux) l'Irlande. 

 

Mais la nature, les paysages, ça ne me suffit pas. Les arbres, les fleurs, les animaux et même la mer, ça me lasse rapidement. Je m'ennuie de les contempler bêtement, je ne sais trop que faire. Je ne peux pas rester assise sur une plage; quant à la marche, je trouve ça lancinant tellement c'est lent.

La contemplation, la Nature, ce n'est vraiment pas mon truc, je suis quand même une indécrottable citadine. Un paysage, c'est trop simple, trop évident, ça ne me touche guère. J'ai besoin d'éléments humains, culturels, de l'énigme et de l'opacité d'un ressenti, d'une atmosphère, de tout cela qui est prodigué par une ville.

 
De ce point de vue, j'ai été servie avec le département de la Manche, encore pénétré de la longue histoire des Ducs de Normandie (près de six siècles tout de même) avec son cosmopolitisme et ses liens privilégiés avec les pays scandinaves, l'Angleterre et même la Sicile. On y trouve donc de sombres châteaux médiévaux, des manoirs retirés, des couvents, des abbayes, des villages austères et mystérieux. Et puis, on peut manger matin, midi et soir et tous les jours de la semaine, du poisson et des fruits de mer, ce qui me convient tout à fait.

 

J'ai ainsi souvent éprouvé l'ambiance d'un roman noir anglais du 19 ème siècle : celle des sœurs Brontë, de Thomas Hardy, de Sheridan le Fanu, de Mary Shelley. 

 Mais ce qui m'attirait surtout, c'était la découverte des lieux fréquentés par deux grandes personnalités locales : Barbey d'Aurevilly et Alexis de Tocqueville. Le pèlerinage littéraire, c'est un peu une passion chez moi : j'aime connaître ce qui a été le cadre de vie, d'un écrivain, d'un penseur, même si je sais que ça n'explique à peu près en rien son œuvre.


 Tocqueville et Barbey, on peut difficilement imaginer personnages plus dissemblables même s'ils étaient d'exacts contemporains (naissance en 1805 pour Tocqueville et 1808 pour Barbey) et qu'ils vivaient à quelques kilomètres de distance (le premier tout simplement à "Tocqueville" près de Barfleur, le second à Valognes et Saint-Sauveur-le-Vicomte). Ils ont sans doute entendu parler l'un de l'autre mais ne se sont jamais fréquentés.


 Tocqueville d'abord, c'est vraiment le penseur de la modernité politique, de son avènement et de ses risques. Avec le recul, il se révèle finalement plus pertinent que Marx. Pour Marx, le moteur de l'Histoire, ce sont les infrastructures économiques et la lutte des classes. Pour Tocqueville, ce qui fait avancer le monde, c'est le mouvement démocratique et la passion égalitaire. Mais il pointe d'emblée un risque, une dérive majeure : que cette passion égalitaire ne se métamorphose en haine et ressentiment. C'est peut-être à cette mutation que nous assistons aujourd'hui.

Tocqueville était un républicain convaincu même s'il était d'ascendance noble. Grand cosmopolite, il n'évoque jamais, du moins à ma connaissance, la terre de ses ancêtres et son magnifique château. 

 Barbey est beaucoup moins sympathique. Un bourgeois acariâtre, ruminant sans cesse la chute de la monarchie et l'effondrement spirituel qui l'a accompagnée : le nivellement général, l'ignorance de la beauté, la disparition du sacré, le culte de l'utilitarisme, de la Science et du Progrès. Et puis, dans chacun de ses livres, Barbey évoque avec détails et précision, son "pays", les lieux de sa vie, Valognes et Saint-Sauveur. 

 Barbey, c'est donc un prophète de malheur, celui du déclinisme et de la décadence, ces deux grandes hantises contemporaines. A ce titre, Barbey pourrait ne pas du tout m'intéresser. Mais il est un peu comme Baudelaire (qu'il a longuement fréquenté) : à la fois réactionnaire et profondément subversif. Barbey, c'est un peu Freud avant l'heure : le monde moderne a des dessous ténébreux. La société civile a des revers criminels, loin de réprimer le Mal, elle en encourage, au contraire, la prolifération. 

Barbey, c'est ainsi d'abord le peintre de l'effrayante duplicité humaine, de ses abysses et de ses aberrations psychologiques. Le monde moderne, c'est la "horde primitive" freudienne, celle des individus insatisfaits qui cherchent à rompre, à tout prix, les cadres de la société. Ces individus sauvages, aucune société ne saura les agréger. Le bonheur social ne sera jamais au rendez-vous car l'Enfer ne nous est pas extérieur, il est en nous-mêmes. Barbey, c'est ainsi vraiment "de l'alcool fort", ça vaut vraiment mieux "qu'une histoire molle, des passions tièdes et des contemporains itou".

 Je terminerai avec l'un des derniers motifs de mon petit voyage: la maison-musée de Granville qui a vu grandir le grand couturier Christian Dior (1905-1957). Ça a été pour moi un enchantement. Quel rapport avec Tocqueville et Barbey, allez-vous me dire ? Ça ouvre, à mes yeux, les mêmes questions du réactionnaire et du progressiste. La mode, le luxe, est-ce que ce ne sont que des trucs de "bourges" réservés à quelques "connasses" qui ne savent pas à quoi employer leur fric ? Est-ce que ça n'est pas plutôt le support d'une évolution des mœurs, d'une éclosion de nouvelles sensibilités et finalement d'une émancipation, notamment féminine ?

Quelques-unes de mes petites photos dans la Manche. La 7 ème est la maison-musée de Barbey d'Aurevilly à Saint-Sauveur, la 6 ème, celle d'un café tout proche. Les huitième et neuvième sont le parc et le château de Tocqueville. Par malchance, je n'ai pu visiter ni l'un ni l'autre qui ont affiché portes closes. J'ai cependant été particulièrement impressionnée par le château de Tocqueville, vraiment magnifique et imposant. Il semble cependant possible de le visiter sur réservation, voire de louer tout une aile pour quelques nuitées (c'est parfaitement rentable si l'on est un petit groupe). Les dernières images sont consacrées à la villa de Christian Dior à Granville.

On semble redécouvrir aujourd'hui Barbey d'Aurevilly. Son écriture est, il est vrai, aussi vertigineuse que les abîmes qu'il explore. Son œuvre ne se limité d'ailleurs pas aux " Diaboliques"; pendant mes vacances, j'ai ainsi lu "Une histoire sans nom", un petit roman que j'ai trouvé vraiment très fort. Sur la description du Cotentin par Barbey, je renvoie à l'article de Cécile Guilbert : "Sur les traces vivantes de Barbey d'Aurevilly" dans son tout récent et excellent livre : "Roue libre". Je renvoie également au très beau film (sorti en 2007) de Catherine Breillat : "Une vieille maîtresse" avec Asia Argento comme actrice principale.

Quant à Tocqueville, il est bien sûr, plus que jamais, d'actualité. Si l'on n'a pas le courage de s'attaquer à "De la démocratie en Amérique", je recommande vivement le livre (récompensé d'un prix littéraire) de Jean-Louis Benoît : "Alexis de Tocqueville - Anthologie critique".

Il est enfin un cadeau indispensable et essentiel à ramener du Cotentin : un parapluie de Cherbourg. Ça n'est pas vraiment donné (premiers prix aux alentours de 140 euros) mais on ne sait pas ce qu'est un parapluie tant qu'on n'a pas utilisé un "Cherbourg". Et puis, il y a un choix de couleurs magnifiques (j'en ai évidemment choisi un tout rouge).