dimanche 27 novembre 2016

Brown-out



Le burn-out, tout le monde connaît. Ça a trait à la forme de domination traditionnelle en entreprise. "Ecraser" ses "collaborateurs", jusqu'à l'abrutissement, sous une masse de travail impossible. C'est "Stupeur et tremblements" d'Amélie Nothomb. C'est le Japon (mais pas seulement) où on se "shoote" au travail et à la défonce. C'est comme ça qu'on obtient la docilité de ses "cadres" et c'est, aussi, très pratiqué en France (il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire sur la durée de travail selon les catégories socio-professionnelles). C'est bien sûr affreux mais il y a, du moins, une part de défi symbolique dans lequel certains peuvent trouver une assomption.


Il y a, aussi, le bore-out qui est une conséquence inverse. On n'a rien à faire mais c'est l'ennui du temps vide que l'on ne sait à quoi occuper. C'est l'Administration (avec un grand A) ou la placardisation. C'est beaucoup moins dramatique (on rêve tous un peu, quelquefois, d'être placardés) mais c'est, probablement, pareillement déprimant. Corinne Maier ("Bonjour Paresse")  et Zoë Shepard ("Absolument débordée") ont écrit, là-dessus, des bouquins désopilants.


Mais il y a maintenant le "brown-out"."Brown-out", c'est la nouvelle pathologie à la mode mais elle est très significative et c'est celle que je comprends le mieux. Le "brown-out", c'est bien plus insidieux, beaucoup moins frontal. Le brown-out, c'est lié à l'évolution du management des entreprises. C'est le management évaluateur, le management à l'américaine: tout doit, désormais,être procéduré, traçabilisé. C'est l'ère de la certification: qualité, comptabilité. On doit être raccords avec tout. 


On passe, comme ça, la moitié de son temps à rédiger des procédures, à tout normaliser, à se fixer des objectifs idiots. Si vous croyez que l'entreprise, c'est la créativité, oubliez ça. L'évaluation, les objectifs, c'est bien mais c'est aussi très facile de ronronner avec ça. Ça n'est, finalement, pas très différent de la planification socialiste.


Mais c'est, aussi, affreusement anxiogène. On peut se sentir, tout à coup, déconnectés. A quoi ça rime toutes ces bêtises ?  Qu'est-ce que ça veut dire toutes ces réunions infinies, tard le soir, à occuper vainement son temps, à dormir sur a table, à essayer de légitimer son salaire ? 

Le "brown-out", c'est le sentiment brutal de l'absurdité de la vie professionnelle.

Plus rien n'a de sens, tout apparaît ridicule, absurde. Finalement, on ne travaille que pour expier une culpabilité !


On a l'impression, tout à coup, que quelque chose chose s'échappe de nous ! Et ce quelque chose, c'est la vie elle-même ! 

Le brown-out, c'est l'horreur soudaine éprouvée: On fuit !On se vide ! Au secours !

On n'est plus que des bêtes de somme ! Plus rien, plus aucun affect !

Le "brown-out", c'est l'horreur de la vie idiote, normalisée, formatée.


Tableaux d'Henry CUECO ( né en 1929). J'adore !

dimanche 20 novembre 2016

Le néant de l'amour


On croit que si on se met à aimer, tout d'un coup, quelqu'un c'est parce qu'il a des qualités objectives.


Mais non! D'abord, l'amour, le désir en nous, préexistent à leur objet.


Et puis, on ne tombe jamais amoureux que d'un homme, d'une femme, qui nous semblent inatteignables.

Les trop proches, ceux qui nous ressemblent, ils ne nous émeuvent pas ! Quelqu'un qu'on décrypte facilement, quelqu'un qui nous semble du même monde, on peut passer un temps agréable avec lui mais certainement pas en tomber amoureux. La plupart des mariages reposent, toutefois, là-dessus.


L'amour n'est, aucunement, une relation égalitaire. C'est la dissymétrie, la relation de pouvoir (réelle ou supposée), qui le fondent. L'amour, c'est malgré tout, la transgression ! L'idée de l'amour comme harmonie, concordance, quelle bêtise !


L'amour n'est jamais réciproque. Il condamne l'amoureux à la souffrance, au chagrin. L'amour, c'est l'angoisse absolue.

 

On ne tombe amoureux que de gens qui nous semblent inatteignables mais dès qu'on a commencé à se fixer sur l'un d'eux, on se met à élaborer une infinité de scénarios le concernant: on entame des dialogues imaginaires avec lui, on s'efforce de pénétrer son monde, d'intégrer ses codes. 

C'est ce qui fait la beauté de l'amour, c'est ce qui permet de transfigurer le monde: de percevoir la rue triste et grise dans la quelle je vis (me traîne), comme l'équivalent de la "Nevsky Prospekt"; ou alors mon déplacement dans un train de banlieue comme un voyage enchanteur, ou un objet kitsch comme une pierre magique !.


Mais ce ne sont, bien sûr, que des affabulations, c'est une illusion. Tous ces "délires", comme on dit aujourd'hui, ça n'a pas grand rapport avec son objet. C'est un remplissage visant à combler une angoisse et, aussi, une humiliation. Quand on a compris ça, on a compris le néant, l'inanité, de l'amour. On cesse alors de souffrir.

Tableaux de Janis ROZENTALS (1866-1916) le plus célèbre peintre letton



samedi 12 novembre 2016

Mes ailes allemandes


Retour d'un séjour allemand où j'ai pu faire un peu de tourisme :

- à Bamberg (la ville de Hoffmann et aussi, un peu, de Hegel),
- à Heidelberg et Speyer.


L'Allemagne, je connais bien et même mieux que la France, d'un seul point de vue touristique. Ça fonctionne, pour moi, un peu sur le mode de l'attraction-répulsion.



Attraction: 

La culture (Kultur), d'abord, bien sûr. Pas besoin de développer : sa gravité, son abstraction. 

Je suis plus réceptive à la littérature allemande qu'à l'anglo-saxonne, tellement prisée en France. Ce qui m'impressionne, c'est que tous les Allemands, même les plus modestes, ont une connaissance, même limitée, de leurs grands philosophes. Tout le monde peut dire quelques mots de Kant, Hegel, Nietzsche, Heidegger. Je ne crois pas que ce soit le cas en France.


Il y a, aussi, une architecture (des villes organisées autour d'une grande place centrale avec des maisons de brique rouge) et des paysages (largement ceux de l'Europe Centrale) qui m'inspirent et me font rêver. Le "romantisme" allemand, c'est bien sûr un cliché mais ça recouvre quand même aussi une ambiance, une esthétique, très concrètes. A Bamberg, j'ai eu l'impression de mieux "ressentir" Hoffmann.


La cuisine également. Passé le Rhin et jusqu'à Vladivostok, on mange à peu près la même chose. Je trouve curieux qu'on n'ait jamais relevé ça. Les cuisines allemande, russe, polonaise, ukrainienne, tchèque, ce sont, surtout, des variations autour de quelques ingrédients de base: des patates (cuites à l'eau), du chou, des saucisses, de la viande archi-cuite, des soupes. On y ajoute le bigos et les pierogis  polonais, les pelmenis russes et les varenikis ukrainiens, plus quelques gâteaux (notamment au pavot) et on a fait le tour de la cuisine d'Europe Centrale.On imagine, en France, que ce sont des cuisines raffinées mais pas du tout : c'est fruste, basique, vraiment pas classe, mais c'est, du moins, roboratif. Comme ça, en Allemagne, on peut se nourrir, pour rien, d'une platée de cochonnailles. Je ne dirais pas que j'adore ça mais ça ravive plein de souvenirs en moi et ça n'est vraiment pas ruineux.


Mais ce qui me plaît, c'est qu'en Allemagne, comme dans toute l'Europe Centrale, je peux aller manger n'importe quoi, à n'importe quelle heure: une patate, une soupe, ou, simplement, bouquiner, rêvasser. Goûter l'ambiance débridée d'une taverne devant une bière, échanger avec mes voisins. Rien à voir avec le restaurant français, où chacun joue au petit marquis. En Allemagne, c'est le fameux "zusammen sein" ("être ensemble"). Bien sûr, ce n'est pas raffiné mais c'est égalitaire, accessible à tous, hommes et femmes. Tout le monde peut aller délirer, un soir, dans une brasserie, se sentir un roi, une reine, durant quelques heures, pour quelques euros. J'adore ! ..., même si ça a, aussi, permis Hitler.


Ou alors, je peux essayer de calmer mes nerfs en allant me taper une "pointe" sur autoroute : à fond la caisse, au volant de ma BM. Les courses-poursuites, c'est exaltant,  un grand plaisir. On y joue vraiment quelque chose (sa vie, notamment)  et ça réclame une grande concentration. J'essaie de me confronter aux Porsche mais je n'y arrive pas. Consolation : j'ai, quand même, beaucoup de succès avec mes plaques françaises et mon modèle BM très rare. Je deviens une star ! Les belles bagnoles, la vitesse, c'est proscrit en France, surtout pour une femme. C'est débile, bien sûr, mais ça relève, aussi, de sentiments troubles ayant trait au rapport à la mort.


L'un de mes hôtels en Allemagne. Ça convient bien à une vampire, n'est-ce pas ?








Il ne faut pas oublier, non plus, pour les hommes, les nombreuses petites maisons de prostitution, confortables et sympathiques. Les bordels, ça remplit, aussi, une fonction sociale importante. Ils participent à la lutte contre les exclusions. C'est en partie, grâce à eux, que les immigrés se sentent mieux intégrés en Allemagne.


Répulsion :

Les Allemands, du moins la population dans son ensemble (même si je sais que c'est une abstraction), n'ont vraiment pas une vision esthétique de la vie. Je catégorise bien sûr et c'est détestable mais, mais ...Les Allemands ont une vision hygiéniste de la vie que je déteste : le pratique, le simple, le solide, le confortable, c'est ça qui est valorisé. Baiser, c'est aussi pour l'hygiène ! 


Rien de superflu, rien d'excessif. Ça explique aussi qu'on soit effroyablement avares. Et gare à vous si vous ne vous conformez pas aux règles universelles de l'ordre et de la propreté. On est volontiers intrusifs et on vous rappelle tout de suite à l'ordre. On adore faire des remontrances, embêter les autres.


Les relations entre les sexes sont aussi complètement différentes. Ça me gêne beaucoup moi qui, même  pour sortir une poubelle, suis toujours habillée, maquillée. Mais, être une femme en Allemagne, ça n'a, vraiment, rien à voir avec la France ou les pays slaves. Il suffit de confronter Ségolène Royal et Angela Markel pour comprendre ça. La culture de la séduction est absente en Allemagne et, d'ailleurs, personne ne vous drague. De plus, tout le monde, hommes et femmes, est très mal habillé. 



Le spectacle de la rue en Allemagne est, comme ça, consternant : on a l'impression de ne rencontrer que des gens laids. Les filles ou les mecs sur qui poser son regard, ça n'existe quasiment pas: plein de monstres ! Une belle fille, un beau mec, c'est absolument exceptionnel.


Un chauffeur de taxi, à Prague, me disait, récemment, qu'il venait de quitter l'Allemagne parce que, pour y survivre, il fallait être homosexuel, indifférent aux sexes. C'est, peut-être, odieux de dire ça mais c'est, également, porteur de vérité. La dictature de la beauté, on ne connaît effectivement pas en Allemagne. Bizarre dans un pays qui a longtemps vécu, et qui continue de vivre, dans la conscience de sa supériorité. L'apparence n'est vraiment pas une préoccupation première. Seule compensation: être une fille moche, en Allemagne, est, paraît-il, moins problématique, moins douloureux, qu'ailleurs.


Dernier point: l'histoire. J'ai l'impression, quoi qu'on en dise, que l'on a tout effacé, occulté. Difficile, voire impossible, d'en parler et, surtout, plus personne ne veut, aujourd'hui, se reconnaître coupable. Il y a pourtant bien, me semble-t-il, une culpabilité collective, pas seulement allemande d'ailleurs, qui perdure.


Photographies de Carmilla Le Golem à Heidelberg, Bamberg et Speyer.

A défaut de vous rendre à Bamberg, je vous invite à lire, relire, HOFFMANN, notamment "Les élixirs du diable", "Le chat Murr". Hoffmann, c'est l'un des écrivains dans lesquels je me retrouve absolument.

Je recommande, également,: "Un roman d'Allemagne" de Régine ROBIN (qui vient de sortir) et Brigitte Sauzay: "Retour à Berlin".

Enfin, si vous recherchez un film, voilà mes conseils: "L'histoire de l'amour" de Radu Mihaileanu, d'après le roman de Nicole Krauss, et, aussi,  "Le client" d'Asghar Farhadi.