samedi 26 février 2022

Melancholia

 

"Melancholia", le film de Lars Von Trier (sorti en 2011), j'y pense sans cesse, c'est l'exacte  métaphore de ce que je vis en ce moment. C'est une histoire simple, la collision redoutée et finalement fatale d'une énorme planète, "Melancholia", surgie brusquement des profondeurs de l'infini, avec la Terre.

C'est un peu ce qui se passe en ce moment en Europe. Ça avait pourtant démarré dans la gaieté d'une grande fête, celle des débuts d'une nouvelle année durant la quelle on devait enfin pouvoir vivre normalement. J'envisageais, pour ma part, voyages et rencontres. 


 Puis on signale l'approche incertaine d'un danger. D'abord, on n'y croit pas, c'est impossible, c'est de l'intox. Ensuite, les choses se font de plus en plus menaçantes mais avec des signaux encore contradictoires. On devrait y échapper cette fois encore se dit-on. Et soudain, la grande catastrophe se fait imminente, certaine. La seule interrogation, c'est quand précisément ?

C'est l'angoisse de l'incertitude, absolument lancinante. Je me réveille la nuit et je me précipite sur Internet en quête d'informations. Ça va mieux..., puis ça empire..., ça oscille sans cesse. On en vient à souhaiter le pire, que ça éclate enfin puis un dénouement. Rien de tel pour déstabiliser que de semer le trouble, l'inquiétude. On devient comme ces patients qui, après des semaines d'angoisse dans l'attente d'un diagnostic, sont presque soulagés quand on leur fait savoir qu'ils sont atteints d'une grave maladie. Au moins, ils savent.

Mais maintenant, ça y est pour nous Européens. On est à la merci d'un grand paranoïaque, obsessionnel, qui en veut à la terre entière. Un vieillard odieux, à l'esprit victimaire et vengeur. J'espérais qu'après le déclenchement de la catastrophe, j'allais trouver un certain calme et une nouvelle motivation. Mais non, je demeure complétement abattue. C'est toute une partie de mon passé qu'on m'arrache. 

Et puis, ce qui est terrifiant, c'est de découvrir qu'on est capables de haine envers l'Autre, envers nos agresseurs. Notre belle rationalité trouve, hélas, des limites. Les Russes, je me mets à les vomir, c'est sans états d'âme, sans scrupules moraux, qu'ils viennent nous casser la gueule. Je n'arrive pas à comprendre ça.  

Ce qui est enfin difficile, c'est que je ne peux guère trouver d'interlocuteurs, échanger ici, à Paris. L'Ukraine, ça ne dit d'abord rien en France, c'est le grand trou noir. Et puis, il y a un anti-américanisme et une russophilie généralisée dans la population française et sa classe politique qui me sidèrent. "C'est normal que la Russie soit préoccupée par sa sécurité et puis c'est sûr que l'Ukraine, comme la France, comme l'Europe, n'est qu'un pion des Américains. Ce sont les Américains qui veulent la guerre pour assurer le triomphe du l'impérialisme et du libéralisme. Et puis la Crimée, elle est bien russe et c'est sûr qu'après la chute du mur, on a méprisé, humilié la Russie et on n'a pas respecté les engagements pris de ne pas étendre l'Otan". 


 J'entends ça tous les jours, autour de moi, dans la rue, dans les médias. D'abord, les victimes, on s'en fiche et puis qu'est-ce qu'on peut répondre à cette propagande complotiste qui opère un fantastique retournement de l'agresseur et de l'agressé? Qu'est-ce que ça veut dire ces Russes qui se sont sentis humiliés après la chute du communisme alors qu'ils ont été libérés ? Je ne vais pas répéter que ce n'est pas l'Otan qui fait peur à Poutine mais le développement d'une société européenne et démocratique en Ukraine; et puis l'histoire de l'Ukraine n'a pas été intégralement russe mais elle a aussi été,  largement façonnée  par la République polono-lituanienne (de 1569 à 1795 tout de même) et par l'Autriche-Hongrie; enfin, il suffit de mettre les pieds en Crimée pour percevoir qu'elle n'a rien de Russe, qu'elle est encore largement ottomane. Mais ces histoires d'une terre russe ou autre, en bref d'un territoire national originel, c'est, de toutes manières, une absurdité.

Pourquoi à l'Ouest, tant de gens, de droite et de gauche, soutiennent-ils ce régime dégueulasse aux mains d'une kleptocratie qui tue, fait la guerre, assassine ses opposants, opprime les minorités ? Pourquoi presque personne ne s'offusque des propos ahurissants de Poutine à la télévision russe où il dénie à l'Ukraine un droit à l'existence (un Etat artificiel, créé par les Bolcheviks, un gouvernement fantoche, néo-nazi). Et ceux adressés à Emmanuel Macron quand il lui déclare qu'avec sa puissance nucléaire, il est capable de l'exterminer lui et toute l'Europe avant même qu'il ait le temps de réagir ?

S'agissant de l'inertie européenne, de la France notamment, je pense souvent au livre du polonais Andrzej Bobkowski : "Douce France". C'est un récit, au jour le jour, de la défaite française en 1940. L'invasion-occupation allemande y est décrite de manière particulièrement dérangeante, à mille lieux des épopées héroïques souvent développées. On célèbre avec joie, chants, danses et libations, l'armistice du 22 juin 1940. La débâcle n'est qu'une espèce de formalité administrative qui ne perturbe guère la vie quotidienne. On continue de prendre du bon temps, de bien manger et de bien boire. Quant à la Libération de Paris présentée comme un haut fait d'arme, faut-il rappeler qu'elle n'a fait qu'un peu plus de 1 000 morts tandis que le soulèvement de Varsovie faisait 200 000 victimes sous l’œil impassible des Russes. Paulina Dalmayer commente ce livre en parlant d'un Art français de la capitulation. Un Art français qui est devenu un Art européen. On n'a pas suffisamment été immunisés contre les virus autoritaires et on préfère l'épaisseur de son bifteck à ses rêves. 

Ce qui manque à l'Europe, c'est peut-être un supplément d'âme. Significativement peut-être, les Français ont  oublié, à peu près complétement (le Pont de l'Alma, Malakoff, ça ne dit plus rien à personne), qu'ils ont fait une longue guerre (1853-1856) en Crimée contre la Russie (avec le concours des Turcs et des Anglais). Le motif en était apparemment futile, une affaire de lieux saints et de leur contrôle en Palestine. Une histoire bien sûr inconcevable aujourd'hui. Faire la guerre pour des questions spirituelles, ça apparaît carrément absurde. 

Mais, à l'inverse, en nos temps bassement "réalistes" et calculateurs, on n'éprouve aujourd'hui aucune honte à marteler qu'on ne va surtout pas risquer la vie d'un seul soldat pour l'Ukraine. C'est le temps du cynisme. Résonnent ainsi en moi ces propos terribles du poète Iouri Tynianov (1894-1943) :

"Constaté qu'en temps de guerre, les gens à l'abri de tout danger militaire et éloignés du front en parlent beaucoup et éprouvent une joie proche de l'ivresse. Lucrèce : "Debout sur le rivage sûr, j'observai avec volupté les nageurs qui se noyaient au large". 

Images d'abord du film "Melancholia" puis de la Guerre de 30 ans"  (1618-1648). Une longue guerre civile européenne, faite de massacres, de famines et de maladies, sur fond de conflits religieux. Elle aurait provoqué plusieurs millions de morts. L'Europe en est sortie ravagée, ruinée.

Mes conseils de lecture :

- Astolphe de CUSTINE : "La Russie en 1839". Un journal de voyage qui a profondément déplu en Russie mais demeure pertinent. On vient d'en publier une version de poche en septembre 2021 (Edition Vera Milchina). Mais ça fait quand même 900 pages très tassées.

- Gustave DORE : "Histoire de la Sainte-Russie". Un ouvrage illustré, dramatique et caricatural, publié en 1853. Il fait l'objet de rééditions régulières.

- Pierre SAUTREUIL : "Les guerres perdues de Youri Beliaev". Un excellent livre sur la guerre du Donbass.

- Benoît VITKINE : "Donbass" et son tout récent "Les loups". Par le correspondant du "Monde" à Moscou. Un roman noir, une fiction, qui décrit bien les oligarques locaux et le marécage politique ukrainien.

- Andreï KOURKOV : "Les abeilles grises". Le tout dernier livre du grand écrivain ukrainien (auteur notamment du "Pingouin). C'est l'histoire de deux hommes qui vivent dans un petit village de la "zone grise", la bande-tampon entre l'Ukraine et les territoires séparatistes du Donbass. 

- Michel ELTCHANINOFF : "Dans la tête de Vladimir Poutine". Le meilleur bouquin sur Poutine même si je ne suis pas sûre que le dictateur dispose d'un bagage intellectuel aussi important (c'est plutôt une brute inculte). C'est à compléter par le tout dernier livre de Michel Eltchaninnoff : "Lénine a marché sur la lune". Très original et passionnant.

- Andrzej BOBKOWSKI : "Douce France". Le récit de la défaite-débandade française de 1940 par un jeune témoin polonais. Un livre qui peut faire grincer beaucoup de dents mais qui donne aussi à réfléchir. Il a été édité récemment en poche.

S'agissant enfin de mon blog, je m'interroge sur sa poursuite. Mes petites réflexions, dans le contexte actuel, deviennent dérisoires, voire ridicules. L'abandonner, le repenser, je ne sais pas encore.

samedi 19 février 2022

"L'Art, c'est bien fini"


Comme toute Parisienne, je fréquente les expositions. Tous ces événement artistiques aux quels il faut absolument avoir participé sous peine de passer pour inculte. Et puis, ça permet de trouver  un sujet de conversation dans les soirées entre amis. Montrer qu'on n'est pas une plouc ou une provinciale, s'afficher résolument moderne, à la page. C'est évident, je ne vais pas impressionner grand monde si je déclare que je suis une championne de la comptabilité (ce qui est d'ailleurs presque vrai) mais si je m'affiche éprise d'Art, j'apparais tout de suite plus intéressante.

L'amour de l'Art comme pratique distinctive, c'est sûr que ça fonctionne largement comme ça. Bourdieu a ressassé ça dans son style léger comme du plomb. Mais après ? Est-ce que ce n'est pas de l'analyse ultra-populo, du Jdanov relooké ? Même si on aime bien tous frimer, ça ne veut pas dire qu'on n'éprouve pas une réelle émotion quand on est confrontés à certaines œuvres.

Parce que l'Art, sa première qualité, c'est quand même bien de nous remuer. C'est sa capacité à nous troubler, nous déstabiliser. C'est le Grand Tremblement qui remet en cause nos perceptions, sensations, qui nous incite  à nous dépasser, à corriger nos jugements, à nous élever au-dessus de nous-mêmes. C'est peut-être cet arrachement à notre individualité limitée qui s'apparente au sentiment du Beau.

Il y a eu, à cet égard, une période extraordinaire dans l'Histoire de l'Art, courant de la fin du 18ème siècle à celle du 20ème. Le symbolisme, l'expressionnisme, les Fauves, les Formalistes, les Surréalistes, Dada, le Futurisme, le Bauhaus, l'Abstraction, le Pop-Art, le Land Art, les œuvres synesthésiques et multimédia, ça a tout de même initié des bouleversements majeurs de la sensibilité. Il ne s'agissait d'ailleurs pas de plaire mais de carrément changer le monde.

Mais tout ça, c'était jusqu'à la fin du 20ème siècle, jusqu'au post-modernisme. Aujourd'hui, vous pouvez baisser le rideau,... terminé, ...fini...

Auparavant, on adorait ou détestait l'Art Moderne mais on avait, du moins, avec lui une relation passionnelle. Mais ce qui est aujourd'hui remarquable, c'est la parfaite indifférence avec laquelle sont perçues les œuvres contemporaines et même l'Art en général. J'observe toujours avec étonnement ces visiteurs qui s'agglutinent dans les expositions. Ils consacrent presque tout leur temps à faire des photos ou des selfies avec leur smartphone. Une foule d'images qu'ils ne regarderont ensuite probablement jamais. 

Mais ça n'a pas d'importance. Les œuvres d'Art ne sont plus considérées pour elles-mêmes, mais comme des éléments d'une ambiance, d'une atmosphère plus générales. J'en veux pour preuve la nouvelle Fondation Pinault qui vient d'ouvrir ses portes dans l'ancienne Bourse du Commerce. Tout le monde s'extasie devant son architecture d'ensemble, mais des œuvres exposées (tableaux, sculptures, dispositifs divers), personne ne dit mot et, même, tout le monde s'en fiche.


 Et puis bientôt, avec le concours du numérique, on n'aura plus affaire qu'à des expositions immersives et interactives, pour employer des mots à la mode. Klimt à Paris, Van Gogh à New-York, ont lancé l'affaire. Le public, et non plus l'œuvre, est au cœur de la démarche.

 On n'est plus confrontés à un artiste, une œuvre, qui nous remettent en question mais on est immergés dans un ensemble, on vit une "expérience", enveloppés dans un espace, celui d'un monde "cool" et "fun", parfaitement lisse comme les objets de Jeff Koons. 

Et la tendance est générale. On créée d'abord un bel emballage, un beau paquetage : Frank Gehry avec le Guggenheim  de Bilbao et la Fondation LVMH dans le bois de Boulogne, Piano et Rogers pour Beaubourg, Hans Hollein à Francfort, Jean Nouvel à Doha et Abou Dhabi etc... De plus en plus, le contenant en vient à primer sur le contenu.

Et on peut aller encore plus loin en déclarant que l'Art ne se limite plus aujourd'hui aux Beaux-Arts, aux œuvres isolées (tableaux, sculptures) de quelques Grands Maîtres. L'Art déborde partout, il envahit l'ensemble de notre quotidien sans même qu'on s'en rende compte. On vit sous une étrange injonction qu'on n'oserait pas qualifier de dictature : celle de "l'esthétisation" générale de nos vies.  Il nous est demandé de dédier notre vie à la Beauté. Ça a un sens d'abord matériel : avoir soin de notre apparence physique et vestimentaire, vivre dans un bel environnement dont le "design" (locaux, meubles, objets même les plus anodins) est le maître-mot. Mais ça a aussi un sens moral, c'est à dire être de "belles personnes"; on devient tous beaux, bons et gentils, lisses et sympas. Fini les "affreux, sales et méchants". Finalement, on se déculpabilise, à bon compte, avec un peu de culture. On se sent quelqu'un de bien, d'éclairé.

Mais c'est sûr que je ne vais pas aller faire la Révolution après avoir contemplé une œuvre de Jeff Koons, Anish Kapoor, Maurizio Catelan, Banksy, Damien Hirst. C'est gentiment potache, provocateur, voire rigolo ou sympa, mais ça ne sollicite guère plus qu'une attention amusée. J'ai l'impression qu'ils rejouent le rôle de "fous du Roi". Quant à la recherche du Beau, de ce bouleversement intérieur, elle n'est absolument plus d'actualité.

Là encore, ça ne porterait pas à conséquence si les inconditionnels de l'Art Moderne ne prônaient, en même temps, un nouvel engagement moraliste digne des pires bondieuseries. L'engagement se fait au nom de l'écologie, du féminisme, des minorités sexuelles (trans, queer etc...), de l'action humanitaire. Rien qu'un ennuyeux radotage mais qui s'accompagne d'une dénonciation de ce qui est immoral.

Mais c'est sûr que ça marche, qu'on devient tous des "esthètes". La première preuve, c'est la massification générale de la fréquentation artistique. Grands musées et expositions font  le plein et il faut désormais réserver préalablement, presque partout, son entrée. Il y a une "touristification" universelle de l'Art.

Si on se limite au seul musée du Louvre, le plus fréquenté au monde (devant Londres et New-York), le nombre de ses visiteurs était de 10,2 millions en 2019 (les touristes étrangers, Américains, puis Chinois, puis Japonais, puis Brésiliens, représentant 75 % des entrées). Ce chiffre a plus que doublé depuis les années 1980 et l'érection de la Grande Pyramide. 

Et puis, à ces 10,2 millions, il faut ajouter la fréquentation de Beaubourg (3,5 millions visiteurs), d'Orsay (3,6 millions), du Grand Palais (1,5 million), des Arts Premiers-Quai Branly (1,2 million), de l'Art Moderne-Trocadéro (0,8 million). On est obligés d'omettre une flopée de petits musées (Guimet, Carnavalet, Jacquemard-André, Cernuschi). Surtout que s'y ajoutent maintenant les nouveaux temples des généreux mécènes, des Médicis modernes : la Fondation Pinault dans l'ancienne Bourse du Commerce et la Fondation LVMH de Bernard Arnault.

Des chiffres qui, cumulés, deviennent absolument faramineux. Ca correspond peut-être à une élévation du niveau culturel global. Sans doute mais on peut aussi noter qu'au minimum 2 millions de visiteurs du Louvre ne viendraient que pour la Joconde, la Vénus de Milo et la victoire de Samothrace.

La réalité, c'est aussi que l'Art est devenu un grand marché global et florissant. Un marché appelé à une expansion croissante si l'on sait que les musées n'exposent que 10% de leurs collections et, en dépit du fait que, selon l'ancien directeur du Metropolitan Museum de New-York, 40% des biens des musées sont des faux. C'est évidemment absurde mais réel.

On assiste, en réalité, à une rencontre inédite des institutions culturelles et des grandes entreprises, notamment celles du secteur du luxe. L'Art devient un investissement intéressant. Le grand public s'effraie du prix de certaines œuvres  (le "douteux" Salvator Mundi de Vinci pour 450 M€, les tableaux de Basquiat, de Kooning, Bacon, Pollock pour plus de 100 M€) mais quelques calculs de flux financiers à venir démontrent que la rentabilité est vite assurée. On peut même envisager de vendre des droits de propriété d'une œuvre avec ces NFT (Non Fongible Tokens) tellement tendance. Et puis, au delà de l'aspect économique, c'est un marché de prestige, d'influence.

Est-ce qu'on doit célébrer l'aube de temps nouveaux, d'un monde consacré à l'Art et à la culture ? Le problème, c'est qu'aujourd'hui, comme le dit si bien Yves Michaud, "tout le monde se fout éperdument des qualités esthétiques ou artistiques de cet Art" et que "les seules choses qui comptent sont : combien ça vaut ? Combien ça excite ? Combien ça rassure ?". Le seul critère, c'est devenu ce qui est "bankable".

Aujourd'hui, "l'Art, c'est un bouquet de tulipes de Koons qui vaut cher et qui déverse du sucre d'orge compassionnel sur des victimes d'attentats à la vie ravagée. L'Art, c'est la banane scotchée de Cattelan qui vaut 120 000 à 150 000 fois le prix d'une banane. L'Art, c'est le lit de Tracy Emin qui vaut un peu plus cher qu'un lit Ikea (2 millions d'euros chez Christie's en 2014) qui nous enseigne que ce n'est pas bien de trop baiser en buvant trop, en fumant trop et sans changer les draps".


Finalement, le nouveau monde de l'Art, c'est devenu "la richesse, le divertissement, la bien-pensance".

Images de la période Land Art (années 70/80) avec des réalisations de Robert Smithson, Walter De Maria, Michael Heizer. Et aussi James Turrell, Robert Irvin et Takis. C'est peu connu, je crois, en France et puis c'est déjà ancien. Rien à voir, donc, avec les nouvelles "stars". Mais j'aime bien l'approche de ces artistes qui nous conduisent à réfléchir sur notre environnement naturel et architectural.

- Yves MICHAUD : "L'art, c'est bien fini-Essai sur l'hyper esthétique et les atmosphères". Un très bon livre, tout récent (automne 2021). L'Art s'est "évaporé", il est devenu "atmosphère", i.e. plaisant, lisse. Il ne nous bouleverse surtout plus, il se borne à nous divertir.

- Stéphane DISTINGUIN : "Et si on vendait la Joconde ?" Ca vient juste de sortir et je recommande vivement. L'auteur est aussi passionné d'Art que de Finance, soit un assemblage rare en France. C'est plein d'idées novatrices.

- Harry BELLET : "Faussaires illustres".  Notamment l'histoire extraordinaire de Han Meegeren, le peintre de faux Vermeer qui a trompé tout le monde mais a du, finalement, s'auto-dénoncer, rattrapé par son passé de collaborateur avec les nazis.

- Pierre LAMALATTIE : "L'art des interstices". Un ingénieur-agronome (promo Houellebecq avec lequel il partage un même regard désabusé) reconverti peintre-écrivain.  Injustement méconnu.. Des réflexions originales et décapantes sur l'Art contemporain.


Je vous invite aussi à voir, revoir, l'excellent film "The square" du Suédois Ruben Östlund, Palme d'Or 2017 à Cannes.


samedi 12 février 2022

Des Nomades

 

Être nomade, se déplacer sans cesse, ne jamais avoir de domicile définitif, errer à l'aventure, de découverte en découverte, c'est un mode de vie qui nous séduit et nous fascine tous, nous pauvres sédentaires. On en a tellement marre, parfois, de retrouver sans cesse les mêmes lieux, les mêmes gens, d'avoir des habitudes, de tourner en rond. De l'air, du changement, de la nouveauté !

J'aime bien comme ça, même si je reconnais que c'est un peu stupide, faire de grands périples automobiles à travers l'Europe en changeant, le plus possible, de ville, de pays, de langue, en évitant surtout de me poser, de m'installer quelque part. Rien de plus déprimant pour moi que des vacances passées à se reposer le cul sur une plage, en un même lieu.

C'est peut-être lié à mon insatisfaction permanente mais je crois aussi que ça remonte à mon passé en Europe Centrale. Là-bas, on croise beaucoup de "gens du voyage". Ils sont infiniment plus nombreux qu'à l'Ouest, surtout dans certaines régions. Curieusement, ils ont même prospéré dans les temps communistes durant les quels ils avaient conservé une liberté de circulation, ce qui leur permettait de vivre avantageusement de multiples petits trafics. 

Les Roms, parce qu'il s'agit principalement d'eux, seraient encore plus de 600 000 en Roumanie et plus de 300 000 en Hongrie, Bulgarie, Slovaquie. Je connais bien ainsi la zone frontière Slovaquie/Ukraine, sûrement l'un des endroits les plus fascinants d'Europe. On dira que c'est archi-glauque. Sans doute mais on sent aussi frémir, là-bas, un étrange sentiment de rébellion face à l'ordre civil. Une révolte de survivants, celles d'hommes antiques qui se sentent en guerre contre une société qu'ils perçoivent comme une caserne.

Mais il est vrai aussi que notre fascination pour les nomades a des racines ancestrales. Ce sont celles de la lutte séculaire entre les nomades des steppes eurasiatiques et les sociétés sédentaires. J'ai remarqué toutefois qu'en Europe de l'Ouest, on ignore à peu près totalement l'histoire de ce conflit et on n'a pas conscience que les nomades ont longtemps dominé le monde. 

Il est vrai que l'Europe de l'Ouest a été peu touchée puisque les Huns d'Attila n'y ont fait qu'une brève incursion et se sont arrêtés dans les Champs Catalauniques (près de Troyes, tout de même) en 451; quant aux Mongols, après après avoir conquis, à toute allure, Russie, Ukraine, Bulgarie, Roumanie, Hongrie puis essayé de soumettre Pologne et Allemagne en s'aventurant jusqu'à Cracovie, Legnica et aux abords de Vienne, ils se sont brusquement retirés,  en 1241, pour ne plus jamais revenir. 


Mais ça n'a tenu qu'à un fil, on a oublié que le retrait tant des Huns que des  Mongols a relevé du miracle : les décès brusques d'Attila puis d'Ogodei, fils de Gengis Khan (ce qui imposait une réunion générale pour l'élection d'un nouveau chef). Mais ça n'a pas empêché les Mongols de poursuivre, par ailleurs, leur course folle, d'essayer de conquérir l'univers entier et d'édifier  le plus grand Empire de l'histoire du monde. Un Empire qui s'étendait depuis la Chine et la Péninsule coréenne, jusqu'au Nord de l'Inde, via le Tibet et le Pakistan, et une grande partie du Moyen-Orient. Des conquêtes prodigieuses, stupéfiantes, dont la violence et la brutalité glaçaient d'effroi les populations. Qui pouvait douter de l'Enfer à l'évocation des Mongols ? 


Et l'exploit (si on peut employer ce terme) a été, un peu plus tard, renouvelé par Tamerlan (ou Timur), un turcophone, qui, au 14ème siècle, reprit le flambeau mongol depuis l'Asie Mineure jusqu'à l'Himalaya. Il a commis d'invraisemblables destructions mais il a aussi laissé au monde des trésors culturels : Samarcande, Boukhara.

On a toujours tendance à voir midi à sa porte et à ignorer ce qui se passe ailleurs. Mais en réalité, à l'échelle de l'Histoire du monde, toute la période qu'on qualifie de Moyen-Age a largement été celle du triomphe des nomades. L'Europe chrétienne, ça n'était pas grand chose et le moine franciscain Guillaume de Rubrouck a pu l'éprouver lorsqu'il a rendu visite à la Cour des Mongols en 1255. Et puis si la domination mongole a sans doute été épouvantable, ils ont quand même laissé au monde les recettes de leur succès : tolérance religieuse, habileté politique, domination militaire au profit de la paix et de la sécurité. Ça n'est pas rien.

Mais pour les Russes, ça n'a pas été pareil et les souvenirs demeurent cuisants. On dit, souvent, que les Russes  ne se seraient jamais remis, en fait, du joug mongol de la Horde d'Or auquel ils ont été soumis jusqu'au tout début du 16ème siècle. Ça continuerait de façonner leur mentalité plutôt soumise. Je n'y crois pas trop mais ça les a peut-être rendus quand même un peu paranos et victimaires. Mais c'est vrai que c'est l'expansion continue de la Russie, sa contre-offensive au début du 16ème siècle, qui a sonné l'heure de la revanche des sédentaires sur les nomades.

Et c'est ainsi que, depuis le début du 16ème siècle, depuis la Renaissance en fait, la domination des nomades semble entièrement révolue. Définitivement peut-être même ! Parce que, des populations nomades, il n'y en a plus guère (la Mongolie, l'Europe Centrale ?). Et puis, les nomades, ça n'est plus, aujourd'hui, qu'un thème littéraire ou philosophique (Gilles Deleuze). J'aurais aimé, si ça avait été mon époque, être hippie pour arpenter le monde mais, aujourd'hui, l'idéal des jeunes, ça semble plutôt d'aller s'enterrer dans une ferme de la Lozère pour y produire des fromages "bio".

Mais il est vrai que les voyages, l'errance, ça comporte aussi beaucoup de désillusions. "Je hais les voyages" écrivait, avec provocation, Claude Lévi-Strauss. Consternante se révèle, paraît-il, la visite du site de Karakorum, la première capitale de l'Empire mongol : juste quelques sculptures en pierre représentant des tortues (?) ! Comment imaginer que ce peuple a autrefois dominé le monde alors qu'il n'en subsiste aujourd'hui à peu près aucune trace matérielle ?

Et puis, est-ce que la vie des nomades est vraiment plus intéressante que celle des sédentaires ? A la fin de son remarquable bouquin, "L'Empire du vent", le travel-writer irlandais, Stanley Stewart aboutit à cette étonnante conclusion : "Rien ne bouge ici". "L'ironie des nomades, ces gens dont la vie est indissociable du mouvement, c'est qu'ils vivent dans un univers incroyablement statique. Ils forment une société dépourvue de diversité et de ferment, à croire que cette vie de transhumance épuise entièrement leur quota de bougeotte. Les nomades se cramponnent à un mode de vie que le reste du monde a abandonné quelques milliers d'années auparavant".

Les nomades sont tout sauf des révolutionnaires... Plus conservateurs,  il n'y a pas... Ces propos sont corroborés par ceux du célèbre écrivain polonais Andrzej Stasiuk à propos des Roms de l'Est de la Slovaquie. Ces Roms qui viennent tout de même d'aussi loin que l'Inde. Mais que leur apporte leur voyage sans fin ? Alors que l'Europe n'a d'yeux que pour le développement, l'expansion et le progrès, comment comprendre leur prétention à vivre en dehors du temps, en dehors de l'Histoire ? Comment comprendre leur absence d'ambition, leur indifférence insouciante aux réalisations des sociétés sédentaires et leur absence de besoin de marquer leur territoire, leur passage, de laisser une trace ?

Peut-être que "la conscience nomade, libre de toute attache, que n'emprisonnent ni les murs, ni les exigences inéluctables du sol à cultiver, est aussi peu substantielle que le vent".

Peut-être que les voyages, en effet, sont stériles et ne créent rien par eux-mêmes.


Le premier tableau est du Douanier Rousseau (1844-1910) : "La bohémienne endormie".

Le troisième est de Vincent Van Gogh.

Je recommande :

- Guillaume de RUBROUCK : "Voyage dans l'Empire Mongol 1253-1255". Un livre majeur, incompréhensiblement trop peu connu. C'est beaucoup mieux que Marco Polo. C'est un véritable livre d'ethnologie, géographie, histoire. Il est aujourd'hui en poche. Je signale également, à l'attention des gens du Nord, qu'il existe un charmant petit village, Rubrouck, où est né ce grand homme. C'est à proximité de Dunkerque et un petit musée lui est consacré.

- Peter FRANKOPAN : "Les routes de la soie - L'Histoire au cœur du monde". Le cœur du monde, il s'est situé, et il recommence à se situer, en Asie Centrale. Un bouquin qui renverse nos perspectives occidentales.

Stanley STEWART : "L'Empire du vent". Très beau ! Un grand écrivain malheureusement peu connu en France.

- Andrzej STASIUK : "Sur la route de Babadag", "Taksim". Tous les bouquins de Stasiuk sont consacrés à l'errance, au nomadisme, mais avec un regard très critique, en des lieux indécis, qu'aucun touriste ne fréquente.

- Rory Mac LEAN : "Magic Bus". Sur la route des Indes avant la fermeture de l'Afghanistan.

- Michel JAN :"Le réveil des Tartares".

samedi 5 février 2022

Le Bouddhiste allemand qui s'est réincarné en Michel Houellebecq

L'événement de cette rentrée littéraire d'hiver, ça a, bien sûr, été la parution du dernier roman de Michel Houellebecq. Je n'ai rien à en dire d'abord parce que je ne l'ai pas encore lu et surtout parce que je n'aurai pas la prétention d'ajouter ma petite prose convenue aux torrents d'analyse en tous sens déjà déversés.


Mon petit grain de sel, aujourd'hui, ça consistera simplement à rappeler l'étroite filiation qui unit Michel Houellebecq à un philosophe allemand dont il s'est maintes fois réclamé : Arthur Schopenhauer (1788-1860). On peut même dire que l'un éclaire l'autre, le premier ayant d'abord élaboré la théorie, le second l'illustrant ensuite. Aux étudiants en philo ou lettres modernes en mal de sujet de thèse, je conseille vraiment de creuser le sujet.

 Arthur Schopenhauer, je n'en suis pas "fan" (le Bouddhisme, même revisité, ça n'est pas ma tasse de thé) mais je le connais quand même un peu. Je le rangerais dans la catégorie de ces "toqués" qui m'intéressent. Je l'ai vraiment découvert après avoir visité, à plusieurs reprises, la ville de Gdansk (Pologne). C'est vraiment une ville à la beauté déchirante, propice à la mélancolie:  un rêve gothique implanté à proximité de magnifiques plages de sable blanc. Je crois qu'en fait, on peut mourir pour Gdansk (Dantzig). C'est là qu'est né Schopenhauer, à l'époque où elle était encore ville libre de la Hanse avant d'être annexée par la Prusse.

Schopenhauer, en voilà un qui ne faisait pas beaucoup d'efforts pour se rendre sympathique et n'avait pas peur d'irriter, d'être déplaisant. Un personnage irascible, véhément; grincheux, grinçant; misanthrope, misogyne; dont le père, Floris, était un riche négociant maritime qui s'est probablement suicidé, en se jetant dans un canal, alors qu'Arthur avait 18 ans. 

Quant à la mère, Johanna, elle était une femme ultra moderne, ultra libérée, écrivain à succès. Son mari commerçant, elle s'en fichait bien et, après sa mort, elle est devenue une veuve joyeuse. Schopenhauer n'a écrit que des horreurs sur sa mère, plus "brillante" et plus célèbre que lui (elle fréquentait Goethe assidûment). Les conflits incessants avec sa mère, qu'il jugeait totalement frivole, ont façonné sa féroce misogynie qu'il a exprimée dans son "Essai sur les femmes".

Vers la fin de sa vie, Schopenhauer a, tout à coup, connu la gloire et la célébrité. Pour couper court aux sollicitations trop nombreuses, il s'est alors retiré à Francfort où il a mené une vie de vieux célibataire, grognon et asocial, bourré de manies, indifférent à son apparence extérieure. Son ultime provocation : il a légué sa fortune à son caniche, caniche auquel il ressemblait étrangement, disaient ses voisins.

Le chien, la mère libérée et fofolle, la forclusion du père, le refus obstiné de plaire, l'apparence négligée,  je crois que c'est une biographie qui rappelle bien des choses aux Houellebecquiens.

Quoiqu'il en soit, peu de philosophes on eu, sur leur époque, une influence aussi marquante que celle de Schopenhauer. En France, il a nourri  Maupassant, Mirbeau, Zola, Huysmans, Flaubert et même Proust (sur sa conception de la musique). En Allemagne, il a fortement inspiré Nietzsche et même Freud.


Aujourd'hui, il redevient à la mode. C'est en accord avec l'esprit du temps, cette période, ce maintenant, où on a cessé de croire à l'Histoire et aux lendemains qui chantent. D'ailleurs, on devient tous dépressifs et nihilistes. On est aussi déclinistes et on ne croit plus trop en la Science et, même, on en a peur. 

L'Histoire, il faut bien le dire, Schopenhauer la passe carrément par dessus bord avec toutes ses idées de progrès, de rationalité, de liberté et d'émancipation. Sa vision de l'humanité, c'est plutôt celle de ces misérables galériens qu'il a contemplés, avec effroi, au bagne Toulon, à l'occasion du Tour d'Europe de sa jeunesse.

C'est l'homme enchaîné à un implacable Destin, un Destin même pas individuel mais collectif.

Une intuition majeure traverse, en effet, l'œuvre de Schopenhauer : même si c'est obscur pour nous, même si ça relève d'un inconscient profond du monde (du monde dans son ensemble), on est tous emportés ( hommes, bêtes, plantes, minéraux etc..) par un Grand Vouloir qui est une force aveugle, un vouloir vivre. Et non seulement tout est Vouloir mais il n'y a qu'un seul et Grand Vouloir. Ça veut dire que tous les éléments du monde sont solidaires et qu'en fait le sentiment de notre individualité n'est qu'une illusion. On a partie liée non seulement avec les autres humains mais aussi avec les pierres, les fleurs, les animaux...

 
Nous ne sommes tous que des manifestations provisoires, des expressions partielles, de ce Grand Vouloir auquel nous sommes inexorablement attachés. Même quand on se croit unique, totalement singulier, quand on tombe amoureux par exemple, on ne fait que s'abandonner à une mécanique de perpétuation (de l'espèce humaine en l'occurrence) qui n'est autre que celle du Grand Vouloir qui n'a d'autre but que sa répétition. 


Parce que c'est ça le châtiment de la condition humaine: être totalement assujettis à ce Grand Vouloir qui remet en cause notre prétention à être libres et à jouir d'une pensée indépendante. Nous ne sommes que les acteurs contraints d'un grand théâtre d'ombres et d'illusions.

 
Et ce théâtre n'est même pas  drôle puisqu'il ne nous dispense que souffrance, ennui et affliction. Vivre, c'est souffrir et c'est souffrir sans cause véritable tout simplement parce que le Réel est sans cesse déceptif, qu'il ne nous donne jamais satisfaction. Pour rêver, on n'a plus, aujourd'hui, à disposition que nos "machines désirantes" mais désirer, c'est une mécanique folle sans cesse relancée parce qu'elle ne peut jamais trouver d'assouvissement. La sexualité, la consommation, ça ne fait de nous que des marionnettes.

 
Et puis, entre nous, sur notre petit théâtre, entre acteurs petits et mesquins, on ne cesse de donner libre cours à notre méchanceté, cruauté, on ne cesse de s'entredéchirer. Le progrès moral de l'humanité est, lui aussi, un leurre et notre vie quotidienne est un cauchemar. Et d'ailleurs, on s'abrutit, se perd, dans la réalité virtuelle des réseaux sociaux, on se drogue, on se suicide, on s'ennuie de plus en plus. 


Parce que ce qui nous rend, finalement, complétement fous, c'est que ce Grand Vouloir ne cesse de nous enfermer dans la Répétition, une Répétition éternelle, morne, lancinante, dépourvue de toute finalité. 


Schopenhauer, c'est le philosophe absolu du mal de vivre et de l'Absurde. Plus noir, plus pessimiste que lui, il n'y a pas. C'est sans doute ce qui a d'abord séduit Michel Houellebecq.

 
Cette vision du monde comme souffrance a été confortée, chez Schopenhauer, par sa découverte du Bouddhisme. C'est sa grande contribution : l'introduction de l'Orient dans la pensée européenne. Il a été initié au Bouddhisme à la fois par Goethe et par Maier qui fréquentaient les salons de sa mère. 
 
 
Le Bouddhisme, c'est ce qui permet à la pensée de Schopenhauer d'évoluer. A quoi peut-il servir, en effet de ruminer sans cesse sur notre infortune et notre malheur ? C'est vraiment redoubler d'ennui. Mais le Bouddhisme fournit justement une méthode, un Art d'échapper à la souffrance, de se déprendre d'un monde voué à la souffrance et au Mal.


Schopenhauer propose, dans ce cadre, un véritable guide du détachement, une démarche morale permettant d'échapper à la tyrannie du Grand Vouloir, des souffrances qu'il occasionne. Il faut en quelque sorte devenir mystique en comprenant d'abord la solidarité et l'identité de notre être propre avec l'ensemble du monde et de ses objets animés et inanimés. 

 
A partir de là, l'une des premières démarches est celle de la Pitié. La Pitié ? Elle n'a pas bonne presse aujourd'hui; on lui préfère la Charité synonyme d'engagement personnel et collectif. Pourtant, seule la Pitié instaure une véritable relation d'égalité/identité avec l'autre. 
On peut ensuite envisager de renoncer à son individualité propre et à toute volonté propre (désirs, puissance). L'Art et l'ascèse constituent alors des voies privilégiés pour atteindre un état de quiétude, le stade ultime du renoncement, l'extinction complète du vouloir-vivre. Bref, la libération majeure, celle du Nirvana qui nous permet de prendre conscience de notre immortalité.
 


Tableaux, principalement, de Carl Friedrich SCHINKEL, Caspar David FRIEDRICH et Francisco GOYA. La 4ème image, de Caroline Bardua, représente la mère et la sœur d'Arthur Schopenhauer.
 
Mes conseils de lecture :
 
- Arthur SCHOPENHAUER : Si vous n'avez jamais lu de Schopenhauer, n'attaquez pas tout de suite son œuvre maîtresse : "Le monde comme Volonté et Représentation". Ça risque de vite vous décourager. Il y a d'autres textes de lui infiniment plus accessibles. Je vous conseille ainsi "Douleurs du monde - Pensées et Fragments" et "Aphorismes et insultes" (tous deux en poche).  Si ça vous a plu, lisez "Parerga et Paralipomena" (chez Bouquins). C'est très pratique, très réaliste, traitant de plein de petits sujets (y compris les tables tournantes et les apparitions).
 
Je recommande également vivement son "Journal de voyage" (récemment réédité en poche). C'est le récit de son grand Tour d'Europe effectué alors qu'il avait 15 ans.

- Rüdiger SAFRANSKI : "Schopenhauer et les années folles de la Philosophie". Comme pour le Nietzsche du même auteur, c'est la biographie de référence. C'est plein d'anecdotes scintillantes et ça dresse bien le paysage de l'Allemagne du début du 19ème siècle.

- Clément ROSSET : "Schopenhauer, philosophe de l'absurde"

- Didier RAYMOND : "Schopenhauer"

- Michel HOUELLEBECQ : "En présence de Schopenhauer". Un petit texte méconnu rédigé peu avant "La carte et le territoire". Mais Houellebecq affirmera s'être éloigné de Schopenhauer après avoir découvert la pensée d'Auguste Comte.

On trouve enfin en replay ou en streaming, sur l'A2, une adaptation des "Particules élémentaires" par Antoine Garceau. J'ai trouvé ça très bon et très juste.