samedi 29 décembre 2018

Du solstice d'hiver et de la Liberté

 
Noël et le solstice d'hiver, une période ultra sombre, ultra grise. La nuit envahit le monde: une espèce de purée de pois continuelle qui excite la mélancolie. Et puis, les corbeaux et les corneilles se font plus audacieux et envahissants dans les villes. Je les observe avec attention: comment nous perçoivent-ils, nous sont-ils hostiles ? J'adore ces moments mais ça me rend triste également :  c'est trop fugace, déjà les jours recommencent à croître.

Noël, c'est terminé aussi. C'est sans doute le seul jour de l'année où s'efface, pour tous, l'amertume de la vie. Le seul jour où s'abolissent les haines et les rancœurs, où on n'a plus envie de tuer son voisin. Noël, c'est la démonstration, à rebours, que la vie est un état de guerre permanent.



Noël, ce sont aussi les rites alimentaires propres à chaque communauté. C'est particulièrement important ce jour là.  A Noël, je ne mange normalement pas les mêmes choses que les Français (dinde, bûche, foie gras). Pour moi, c'est plutôt carpe, anguille fumée, écrevisses, harengs et gâteau au fromage (on ne mange normalement pas de viande). Mais c'est devenu quasi introuvable à Paris (ou alors, c'est très mauvais). L'Europe Centrale, ça n'intéresse vraiment pas beaucoup. Alors, je me suis rabattue sur les couteaux, les ormeaux, les bulots, les tourteaux et les huîtres.



Et puis on se fait des cadeaux. C'est là encore, paraît-il, un vrai rite propitiatoire, une espèce de rite primitif destiné à s'attirer, par médiation, la bienveillance des morts et des puissances maléfiques. Pour ma part, je me suis fait offrir une nouvelle montre (une de mes passions), une NOMOS de Glashütte.
















Mais en cette période, je dispose, surtout, d'un peu plus de temps libre. C'est propice à la détente. Alors, je me rends tous les matins, dès 7 heures, à la piscine Montherlant, boulevard Lannes. Le 16 ème, c'est un peu différent du 8 ème et puis c'est la piscine des Russes (en raison de la proximité immédiate de l'ambassade). Je ne suis pas sûre qu'ils goûtent beaucoup ma présence parce que je prends plaisir à me moquer d'eux (vous vous faites remarquer avec vos maillots kitsch) et à leur raconter des histoires affreuses (du genre les centaines de touristes russes agressés et molestés dans toute l'Europe parce qu'on ne les aime pas; ils sont tout à fait disposés à me croire). Ou alors, je m'amuse à rejouer les escarmouches de la Mer d'Azov en leur fonçant dessus comme un hors-bord.

















Ce moment de l'année, c'est aussi propice à la méditation. Je remarque comme ça que mon blog va entamer sa 12 ème année. Ça m'étonne moi-même. Je me demande quelquefois si je ne devrais pas arrêter: je radote, j'ennuie sûrement, je devrais changer de registre mais ça n'est pas facile.

Je poursuis tout de même d'abord parce que ce n'est pas très contraignant de tenir ce blog : juste un petit peu de temps durant le week-end et je ne suis jamais à sec d'inspiration.


Ensuite, la régularité, la systématicité de ce blog correspondent bien à ma personnalité. Si j'ai au moins une qualité, c'est celle de la persévérance: je ne lâche jamais, je ne dévie pas. J'aime bien me fixer des règles, des objectifs; ma vie est très organisée, très disciplinée. Ce n'est pas par amour de l'ordre mais j'ai tendance à penser que s'astreindre à certaines prescriptions permet, paradoxalement, de se sentir plus libre.

On n'est pas toujours écrasés par les obligations, elles vous transfigurent aussi.

Les lois, au fond, elles existent surtout pour être surmontées. Rien ne serait plus ennuyeux, en effet, qu'un monde sans interdit.

















On dit souvent ainsi que la liberté, ce serait de pouvoir faire tout ce qui nous plaît.

On peut aussi penser que la liberté, c'est d'être capable de faire ce qui ne nous plaît pas. Jusqu'à éventuellement en retirer une certaine satisfaction.

C'est ma dernière petite réflexion  pour 2018. Bonne année 2019 à vous tous ! Je vous aime.

Images de: Adolf BOHM, JR WITZEL, Hans CHRISTIANSEN, Henri GUERARD, Gustav Adolf MOSSA, Konon Bariei, Rudolph BACHER.

Au cinéma, je conseille "MAYA" de Mia Hansen-Love. Ça donne envie d'aller en Inde. 

samedi 22 décembre 2018

De la psychanalyse


Ces derniers mois, j'ai lu, relu, beaucoup de bouquins ayant trait à la psychanalyse.
La psychanalyse, ça m'accompagne depuis toujours, ça façonne, dirige, mes petites idées.

C'est vrai que je n'ai jamais suivi d'analyse, n'en ayant jamais éprouvé le besoin (mon boulot étant peut-être l'équivalent d'une véritable analyse en ce qu'il me confronte sans cesse à moi-même). Mais j'ai quand même étudié sérieusement la psychanalyse, notamment, et ça étonnera peut-être, à l'Université: la psychanalyse, ça peut aussi être un dérivatif à la finance.

D'abord, je considère Sigmund Freud comme un véritable modèle intellectuel et humain: sa maîtrise de lui-même, son attention aux autres, le courage et l'audace de sa pensée.

Tous les lieux de sa géographie personnelle me sont, en outre, familiers: son père Jakob est né et a vécu à Tysmienica et à Buczacz (Ukraine), sa mère, Amalia, est née à Brody (Ukraine) et a vécu à Odessa. Sigmund Freud, lui-même,est né et a vécu à Freiberg (Pribor) en République Tchèque puis à Vienne et enfin à Londres. Freud, c'est vraiment la culture de l'Autriche-Hongrie et il est vraiment intéressant de visiter ses domiciles : la maison de Pribor, celle de Maresfields Gardens à Londres et l'appartement du 19 Berggasse à Vienne. J'ai beaucoup rêvé dans tous ces endroits.



On a tendance à considérer, aujourd'hui, que la psychanalyse, c'est obsolète, c'est dépassé. C'est vrai qu'il y a sans doute de mauvais analystes et que les résultats thérapeutiques ne sont pas évidents. Et puis, il y a cette vulgate un peu bêtasse qui réduit la psychanalyse à une affaire de symboles sexuels, de névrose et de complexe d’œdipe.

On lui substitue aujourd'hui la psychologie positive et les thérapies du bonheur (le yoga, la méditation etc..., bref, tout ce qui fait du bien...). C'est nul de chez nul, c'est du niveau de la Méthode Coué ou de l'injonction "quand on veut, on peut", mais ça submerge tous les médias, pas seulement féminins, et toutes les librairies.

Toutes ces bêtises, ça a surtout pour but de nous anesthésier, chloroformer, de nous enfermer dans la béatitude des bonnes pensées et le contentement de soi. Il faudrait s'adapter au monde. C'est sûr qu'avec ces méthodes, on ne risque pas de bouger, de sortir de sa coquille, de faire sa révolution personnelle. 

La psychanalyse, au contraire, refuse cette tactique de l'évitement. Il s'agit, cette fois, d'affronter la vie dans sa dimension tragique, dans toute son horreur et sa cruauté. Il s'agit aussi de comprendre la logique de nos comportements. Pour cela, il faut repérer ce qui se répète, inexorablement, en nous: dans nos attitudes, nos choix, nos inclinations. Identifier cette grammaire de nos vies, c'est ouvrir la possibilité de s'affranchir de tout ce qui tord et contraint notre vouloir.


Surtout, la psychanalyse, quand on en vient à explorer les soubassements de sa conscience, est une extraordinaire leçon d'humilité.

Menteurs et criminels

On découvre d'abord qu'on n'est pas des gens si bien que ça. En général, on a tendance à considérer qu'on est exemplaires, vertueux, altruistes, sincères. Cette conviction rencontre d'ailleurs la grande idéologie contemporaine de transparence intégrale: ne rien avoir à cacher. La psychanalyse nous apprend, au contraire, qu'il y a une duplicité essentielle de la personnalité humaine: on s'affiche d'autant plus sympathiques qu'on est, en notre for intérieur, de sinistres crapules. Le Mal est en nous, sur ce point la psychanalyse rejoint le christianisme. La haine, la cruauté, le mensonge, la jalousie, l'hostilité à l'autre, nous habitent. C'est un constat terrible que l'on rejette le plus souvent avec force; on dégringole vraiment de notre piédestal. 

Cependant, je suis convaincue qu'il faut avoir la lucidité de l'admettre. Ça a transformé ma propre vie quand j'ai réussi à effectuer ce pas. Du reste, j'éprouve une très grande méfiance envers tous ceux qui se présentent comme de petits saints, parés de toutes les qualités. Je préfère mille fois ceux qui se savent faillibles.


Mon moi, c'est l'autre

On apprend aussi, avec la psychanalyse, que notre personnalité, c'est bidon et qu'on n'est que des esclaves, ce qui n'est, bien sûr, pas très réjouissant. On a tendance, là encore, à penser qu'on est uniques, exceptionnels et qu'on se construit par nous-mêmes. Mais, là encore, il faut déchanter: la psychanalyse nous dit qu'il n'y a rien en fait qui nous soit propre, qui nous appartienne absolument, qui signe notre incontestable individualité. Le moi humain, il ne se constitue pas de lui-même mais il se construit dans un rapport de dépendance et d'aliénation originaires. On est d'emblée asservis à l'autre et à son image, on est d'emblée son esclave et c'est tellement prégnant que l'on peut dire que le moi humain, ce n'est pas notre brillante petite individualité, mais c'est l'autre, l'image que l'on en a et qui nous façonne en cherchant à nous y conformer. L'autre, c'est d'abord notre mère dont on guette éperdument un signe d'amour mais que l'on cherche aussi à séduire et sur laquelle on projette notre hostilité. Et ça devient le vecteur de notre existence: on va vivre continuellement sous le regard des autres, en être les esclaves, on va sans cesse chercher à les séduire ou à les détruire.


Mes désirs, c'est aussi l'autre

C'est à tel point qu'on ne désire rien par nous mêmes. On est tellement aliénés que notre désir n'est que désir de l'autre, c'est à dire que nos objets de désir ne sont que ceux qui nous sont désignés comme tels: on ne désire que par conformisme, mimétisme. Et c'est ce rapport de dépendance qui explique que l'objet de désir,  une fois conquis, ne donne jamais satisfaction. Jamais le réel ne se conforme, ne s'emboîte, à notre désir, jamais les amants ne se rencontrent. La plénitude, on ne connaît pas, on est pris dans une fuite, une recherche éperdues.


















La vie comme théâtre de l'entre-déchirement des êtres

Ce sont ces idées là qui me fascinent dans la psychanalyse. Je m'y reconnais entièrement: je sais bien que je suis une séductrice effrénée, que je guette l'approbation des autres et que je fonctionne à l'amour-haine. Et puis la volonté de puissance, c'est très fort chez moi. Ça n'est sans doute pas très beau mais j'ai du moins l'honnêteté de le reconnaître. Et puis, je répugne à rendre les autres responsables de mes malheurs: si je rencontre quelqu'un d'odieux, un sale type, c'est peut-être que je fais aussi partie du jeu. Les relations entre individus ne sont jamais à sens unique, il n'y a jamais simplement un salaud confronté à un cœur pur. Le plus souvent, en fait, ce sont deux salauds qui se déchirent.

Mais je vais cesser de vous embêter avec mes élucubrations théoriques. Si j'ai tout de même réussi à vous convaincre de l'intérêt de la psychanalyse, voilà les bouquins ou les sites que je vous conseille de lire ou de consulter en initiation :

- Sarah CHICHE: "Une histoire érotique de la psychanalyse - De la nourrice de Freud aux amants d'aujourd'hui". Ça vient de sortir, c'est plein d'histoires extraordinaires, c'est passionnant de bout en bout et c'est facile à lire.

- Lydia FLEM: "La vie quotidienne de Freud et de ses patients". Lydia Flem est également un grand écrivain belge et ce livre a aussi de grandes qualités littéraires.

- Elisabeth ROUDINESCO: il faut lire tous ses bouquins (notamment son dernier: "Dictionnaire amoureux de la psychanalyse"), tous des modèles de clarté et de précision. 

- Elsa CAYAT: "Un homme + Une femme = Quoi ?" et "Noël, ça fait vraiment chier". Elsa Cayat était la psy de Charlie Hebdo.

- Anne DUFOURMANTELLE: "Eloge du risque", "Se trouver", "Défense du secret". Des livres pleins d'humanité. Anne Dufourmantelle est décédée tragiquement (noyade) l'an dernier.

- Catherine MILLOT: "La vie avec Lacan". C'est d'une formidable liberté.


Je vous conseille également sur YouTube: "Mardi Noir" d'Emmanuelle Laurent. C'est trash et hilarant (des leçons couplées de maquillage et de psychanalyse) mais cette jeune psychologue parvient à initier brillamment à la psychanalyse. C'est très pédagogique et jamais ennuyeux.

Vous pouvez aussi écouter, via Internet, "Transfert" le podcast de Charlotte Pudlowski. Plein d'histoires singulières à connotation psychanalytique. Ça devient vite addictif. 

Enfin, il y a en ce moment (jusqu'au 10 février) une très bonne exposition consacrée à Freud au musée d'art et d'histoire du judaïsme (71, rue du Temple).


Et puis, il y a aussi les romans même si leurs auteurs ne se réclament pas de la psychanalyse, voire la dédaignent :

- Vladimir NABOKOV: "Lolita". C'est le bouquin qu'on connaît tous, qu'on a souvent dans sa bibliothèque mais qu'on ne lit pas. C'est pourtant renversant, fulgurant, d'une audace incroyable, surtout aujourd'hui.

- Yukio MISHIMA: "Le pavillon d'or". Portrait d'un jeune bonze en pervers.

- Anaïs NIN: son journal absolument indicible et scandaleux. 

- Camilla GREBE: "Un cri sous la glace". Un polar suédois récemment édité en poche. Ça parle magistralement de l'érotomanie. C'est à rapprocher du bouquin de Ian Mc Ewan: "Délire d'amour".


Images du mouvement surréaliste: Wolfgang PAALEN, Félix LABISSE, Max ERNST, Valentine HUGO, Giorgio de CHIRICO, Victor, BRAUNER, Horace ARMISTEAD, Judit REIGL, Jacques HEROLD, Max Valter SVANBERG.

Ce post est sans doute infiniment trop long mais j'ai quelquefois envie de me convertir en enseignante.

samedi 15 décembre 2018

Du populisme et de la protestation mâle


On a rarement mis en parallèle la montée des populismes et l'affaiblissement des valeurs viriles.

Les "gilets jaunes" comme contrecoup de Me Too, ça n'est peut-être pas si stupide que ça.

Le fait est que l'angoisse masculine ne cesse de monter. Passe encore que les femmes ne cessent de s'affirmer et de revendiquer leur autonomie. Certaines demeurent sympas mais beaucoup font franchement peur: vous vous voyez passer une soirée avec Lady Gaga ou Virginie Despentes ? De vraies hystériques, comme on dit.



Le problème, c'est que les hommes ne peuvent plus s'affirmer comme des chefs. C'est la grande "débandade". Non seulement, les hommes réussissent moins bien dans leurs études mais ils sont souvent "déclassés" socialement et économiquement. Ils ne peuvent plus prétendre être les soutiens et le pilier de la famille. C'est le grand effacement de la "fonction du père".



Comment surmonter cette énorme dépression masculine, enrayer cette spirale négative ?

Quand j'étais étudiante, je me suis rendue compte que l'extrémisme politique pouvait fournir une compensation à la frustration sexuelle. Les gauchistes pullulaient et j'ai eu bien sûr quelques amants dans la bande. Ça a été une horreur ! Des types sinistres, ignares, crasseux, intolérants. Mais surtout d'effroyables puritains. La grande rigolade, c'est que je leur faisais honte, qu'ils ne supportaient pas la manière dont je me fringuais: jupe, jolis dessous, maquillage, grands bijoux, talons hauts. De vrais ayatollahs en charge du Ministère de la vertu et de l'éradication des vices.


Cet autoritarisme viril, on le retrouve aujourd'hui chez les gilets jaunes.

C'est vrai que je ne les aime pas trop. D'abord, je déteste la couleur jaune et je ne me suis jamais habillée en jaune.

Et puis ils font penser, comme l'analysait drôlement l'écrivain Philippe Lançon dans "Charlie Hebdo", à de gros serins, au bec rouge et ébouriffés de colère, enfermés dans la cage de leur bagnole.


Mais il est évident que le conflit actuel leur offre une heureuse parenthèse qui leur permet de reconquérir leur virilité perdue.

On peut à nouveau, en toute impunité, brailler, casser, fumer et se soûler, retrouver la grande camaraderie virile. Celle des potes de bistrot, des chambrées de la caserne ou des colonies de vacances.

C'est la France des grandes gueules, des vrais mecs, celle de Johnny Halliday et des supporters de football. Une France complotiste, putchiste (qui verrait bien un général à sa tête), haineuse (dans la quelle on se menace de mort les uns les autres), xénophobe (on livre à la police des clandestins).
 

 Il est vrai, toutefois, que les gilets jaunes ont raison de mettre l'accent sur la question du niveau de vie et du pouvoir d'achat en France.

Mais le problème, c'est que le niveau de vie en France est artificiellement élevé en regard de ce que le pays produit réellement. L'économie française, c'est un peu l'économie grecque et ce n'est sûrement pas en accentuant les mesures de redistribution et en s'endettant davantage qu'on va renverser la vapeur.


La "gangrène" populiste envahit, hélas aujourd'hui, la France.

Pour la combattre, il faut d'abord s'affranchir de toute complaisance à son égard. Dénoncer d'abord cette escroquerie intellectuelle des gilets jaunes qui prétendent être le peuple.

Le peuple, ils n'en ont pas le monopole de la représentation. Le peuple, c'est moi, c'est vous et même  Emmanuel Macron. C'est l'ensemble des gens qui vivent sur le territoire français.


Images de Natalie SHAU, jeune artiste lituanienne.

Au cinéma, je recommande vivement: "Leto" de Kiril Serebrennikov et "Une affaire de famille" de Hirozaku KORE-EDA.

samedi 8 décembre 2018

Israël


Ces derniers jours, j'étais en Israël, à Tel-Aviv et Jérusalem plus précisément. C'était la première fois pour moi mais Israël, ça fait partie des destinations incontournables quand on est d'origine ukrainienne ou polonaise tant les destins de ces deux pays ont été mêlés, au cours des derniers siècles et jusqu'à la tragédie finale, avec celui du peuple juif.



Je sais bien que les Français, en raison sans doute de leur sentiment de culpabilité portant sur leur attitude peu glorieuse durant la guerre, considèrent les Polonais et les Ukrainiens comme d'effroyables antisémites. C'est d'une insultante bêtise et il est impossible d'argumenter. J'observe seulement que si les Français se plaisent à s'afficher comme de belles âmes, ils sont cependant d'une ignorance abyssale concernant la religion et la culture juives, ses rites, ses interdits, ses fêtes, ses tabous alimentaires. En revanche, un Polonais ou Ukrainien éprouve tout de suite des affinités et des points de contact avec le monde juif. Je ne me suis ainsi jamais sentie "perdue" en Israël, je m'y suis souvent reconnue, retrouvée.

Deux surprises à mon arrivée:

- la légèreté des contrôles de sécurité: alors qu'on m'avait décrit un véritable enfer avec une énorme présence policière et des fouilles incessantes, je n'ai rien vu de cela et suis allée partout sans être contrôlée ou très légèrement (bien moins, en tous cas, qu'à Paris ou Moscou). Mais ce n'est que mon expérience propre et peut-être que je n'ai pas la tête d'une terroriste.

- l'énorme proportion de Russes en Israël, à la fois des résidents (qui se sont déclarés juifs au moment de l'effondrement de l'URSS) et des touristes (chrétiens orthodoxes). Je savais qu'ils représentaient près de 20 % de la population mais le russe est vraiment devenu la seconde langue du pays. Ça interroge sur le bouleversement culturel d'Israël au cours de ces trois dernières décennies. Je ne peux pas dire que ça m'a fait plaisir (à quoi bon voyager si c'est pour retrouver des Russes ?) mais ça a largement facilité  mon voyage. Comme en plus, les anciens parlent souvent polonais et que tout le monde parle un excellent anglais, il n'y a vraiment aucun problème de communication en Israël.

Ensuite... difficile d'imaginer deux villes plus dissemblables que Jérusalem et Tel-Aviv :

- Jérusalem, l'une des plus anciennes villes du monde, point d'origine et de croisement des trois grandes religions monothéistes. Jérusalem labyrinthique, bordélique, orientale, spirituelle, patchwork de mille communautés religieuses (coptes, éthiopiens, arméniens, maronites, orthodoxes de toutes natures, baha'is, hassidims etc...) écrin de joyaux immémoriaux de l'architecture. Mais aussi, Jérusalem ville du conflit permanent: entre Juifs et Arabes; entre mur des Lamentations et Esplanade des mosquées; entre prêtres du Saint-Sépulcre; entre talibanes vestimentaires et jupes courtes, entre kippa orthodoxe ou moderniste.

- Tel-Aviv, ville laïque, hyper-moderne, avec des avenues rectilignes et une architecture audacieuse héritée du Bauhaus. Ville bobo-bourgeoise, branchée.


Mais c'est peut-être justement à Tel-Aviv, ville en apparence la plus pacifiée, que peut se comprendre le mieux l'interminable conflit entre Juifs et Palestiniens.


Je suis bien sûr très ignare en la matière et il peut apparaître très présomptueux de ma part de formuler un diagnostic mais voilà quand même ce que j'ai remarqué. Tant pis si c'est faux ou caricatural.


J'ai d'abord été surprise d'apprendre qu'Israël fait partie des pays où le "niveau de bonheur" exprimé par la population est l'un des plus élevés au monde. Loin devant les Etats-Unis, l'Allemagne et la France. Étonnant dans un pays dont la situation politique et militaire apparaît pour le moins anxiogène.


Ça s'expliquerait justement en partie par cette instabilité politique et militaire qui conduirait les Israéliens à davantage s'amuser, entretenir des relations sociales et profiter de la vie. La recette du bonheur, ce serait simplement la prise de conscience du caractère relatif et éphémère des choses.


Le bonheur en temps de guerre, c'est un paradoxe, presque scandaleux, qui a été souvent noté: la vie apparaît alors plus intense, plus chatoyante, plus savoureuse.


Mais ce constat ne rend pas optimiste pour l'avenir. On a vraiment l'impression, dans ce contexte, que jamais le conflit ne trouvera de solution. Veut-on vraiment la paix ? C'est une idée qui semble enterrée depuis le milieu des années 90. On a intégré la guerre, l'insécurité, dans son mode de vie. Du reste plus personne ne comprend rien à la situation. On en fait un problème de partage de territoires, on exhorte à des concessions communes mais on sait aussi que ça ne résoudra jamais rien. Les choses vont bien au delà de la question des territoires


Le vrai problème, en fait, c'est peut-être celui qu'Amin Maalouf avait qualifié d'"identités meurtrières".


L'un des ressorts profonds de la société israélienne, c'est en effet le sentiment identitaire, d'appartenance à une communauté de destin. Ça va de pair avec un sentiment de fierté. On est fier d'être Juif (peuple aujourd'hui fort, autrefois faible) comme on est fier d'être Arabe (peuple aujourd'hui faible, autrefois fort). Et je passe sur les autres communautés...

On bouffe, on consomme des surdoses d'identité, on est dopés à ça.


Ça a des aspects positifs, ça participe notamment de ce bonheur de vivre en Israël, du vivre ensemble dans sa communauté. On est solidaires, unis, immédiatement prêts à faire front ...


Mais ça conduit aussi à méconnaître les autres, voire à les ignorer ou les mépriser. L'ignorance, voilà ce qui alimente le conflit israélo-palestinien. Il est ainsi significatif que la quasi-totalité des Juifs d'Israël n'a jamais mis les pieds en territoires palestiniens, tout simplement parce qu'ils n'en ont pas le droit. Ils n'ont donc qu'une vague idée de ce qui s'y passe.


Et sur ce point, il faut bien souligner l'abîme qui sépare Israël des pays arabes voisins.


J'ai ainsi été enthousiasmée par la modernité de Tel-Aviv, sa sophistication, son audace et sa coolitude. On va d'étonnements en étonnements: les filles hyper-sexy, hyper-émancipées, les geeks et innombrables créateurs de start-up, les joggeurs, surfeurs, sportifs, les chiens omniprésents pour les quels on s'est pris d'une étonnante affection et à qui on voue tous les égards, les multiples cafés, restaurants,  les boutiques design, les galeries d'art, les musées splendides, les boîtes de nuit démentes, les salons de massage, les hôtels de prostitution...


Tout cela est très bien mais ça a aussi un côté Occident triomphant. Et on est au Moyen-Orient.

Un jour, les "humiliés et offensés" peuvent se réveiller. On en sait quelque chose en France.

















 







Photos de Carmilla le Golem à Tel-Aviv et Jérusalem