vendredi 23 novembre 2018

De la haine sociale

 
Ce qui m'insupporte, en France, c'est le climat d'envie et d'aigreur sociale continuellement entretenu.
Une lectrice m'a écrit, il y a quelque temps, que les propos libéraux de mon blog étaient insultants par rapport à ses grands-parents polonais qui avaient tellement souffert. Ouh la, la, rien que ça !
On dit que c'est la passion de l'égalité issue de la Révolution Française.
J'ai l'impression, toutefois, que c'est bien plus que ça.


On cultive d'abord le misérabilisme. On est très pauvres, on ne s'en sort pas, on n'arrive pas à joindre les deux bouts. Mais on n'y est pour rien, c'est parce qu'on est des victimes. Victimes des riches, des bourgeois, des patrons qui extorquent notre force de travail, nous privent de l'accès  aux biens matériels et culturels. La solution est simple: il faut appauvrir les riches pour enrichir les pauvres. 

Toute une littérature contemporaine a fleuri sur ce misérabilisme: Michel Onfray qui rappelle, à chaque fois, que son père était ouvrier agricole, Annie Ernaux qui a écrit des dizaines de bouquins ressassant qu'elle était fille d'épiciers dans un village de Normandie, Edouard Louis, la nouvelle star, qui rajoute à la violence économique la violence sexuelle, Emmanuelle Richard qui n'hésite à évoquer sa "haine pure" de la bourgeoisie. On peut également rappeler les visions apocalyptiques, larmoyantes et terrorisées de Viviane Forrester avec "L'horreur économique".  Et il y aussi les inénarrables sociologues Pinçon-Charlot: plus formaté, tu meurs. Tous ces bouquins, d'une qualité douteuse, font un carton et se vendent très bien: c'est symptomatique, comme on dit. 

Que dire ? La misère économique et culturelle en France, elle est bien sûr incontestable et il est indigne de s'en détourner. Mais elle n'est peut-être pas pire que dans d'autres pays où on passe beaucoup moins de temps à se plaindre (en Ukraine ou en Turquie par exemple).

Et puis les riches ne sont pas forcément responsables de la misère des pauvres. J'ai plutôt tendance à penser que c'est parce qu'il n'y a pas suffisamment de riches en France qu'il y a tant de pauvres .


Qu'on juge ce propos odieux, tant pis ! La revendication égalitariste n'est elle-même ni pure, ni intègre: le sombre plaisir victimaire du malheur, de la rumination de mille petites haines mille fois recuites. C'est paralysant, tétanisant pour toute une société.


La jalousie empoisonne, en France, les relations humaines et sociales. C'est vrai que, pour ce qui me concerne, je cumule les handicaps. J'apparais sans doute très arrogante: ma façon de parler, de m'habiller, mon attitude toujours distancée. Je n'apparais sûrement pas ouverte et sympa, la nana sensible à qui on peut se confier. Et puis mon boulot, la finance, l'entreprise, il n'y a que des gens durs, insensibles, qui peuvent travailler là-dedans.

C'est vrai que je ne suis sans doute pas très drôle: glaciale, toujours ailleurs, consciente de sa supériorité sans, bien sûr, jamais l'avouer. Bref, le genre de fille qu'on adore détester.

Bien sûr, tout ça, c'est changeant, mouvant, et c'est ce que je m'applique à corriger, compenser sans cesse. Mais c'est vrai que je perçois bien la jalousie, la haine, que beaucoup de gens sont susceptibles de me porter en France. Une fille pas trop moche qui réussit, c'est intolérable. Si au moins, elle était rigolote et bonne copine.

J'essaie donc de me tenir le plus possible à carreaux, de me faire tout petite. Il y a longtemps que je ne me vante plus de mes diplômes et de mon boulot. Je ne mentionne surtout pas le montant de mon salaire. J'évite également de préciser dans quel quartier de Paris j'habite et je préfère ne pas parler de mes loisirs et vacances. Ça me semble impossible en France, on vous catégorise tout de suite et le regard posé sur vous change et se fige.

Aux gens qui ne me connaissent pas, je précise plutôt, comme pour m'excuser, que je suis d'origine ukrainienne, ce qui me vaut tout de suite une compassion presque dérangeante: du coup, on me considère comme une pauvre fille.
 

Au boulot, c'est  moche mais je ne noue aucune relation personnelle avec des collaborateurs qui me sont subordonnés. Je trouve parfois ça dommage mais j'ai l'impression que ça aussi, c'est impossible:  ça pourrait créer  autant de problèmes à eux qu'à moi-même.

De toute façon, il y a une barrière qui est automatiquement créée en entreprise. Je sens sur moi un mélange bizarre de suspicion hostile et de curiosité malsaine. On scrute ma vie, on l'espionne, on la commente à l'infini entre collègues. Il faut s'habituer à savoir que l'on est le sujet principal des conversations, ça n'est pas toujours agréable. C'est toujours ainsi troublant pour moi de lire les tracts syndicaux où l'on parle de moi: une dingue qui est arrivée par copinage, qui conduit maintenant la boîte à sa perte et qui ne pense qu'à se fringuer, se balader et se faire mousser dans des congrès.

Dans la vie intime, c'est à peu près pareil. Il n'y a pas beaucoup de types qui apprécient que leur copine gagne beaucoup plus de fric qu'eux.


J'essaie parfois de faire valoir que ma situation professionnelle n'est pas totalement imméritée. J'ai suivi la voie classique des concours et des grandes écoles. Les concours, c'était tout de même une innovation majeure de la Révolution Française avec la promotion de la méritocratie républicaine. Mais on a vite fait de me rétorquer que les concours, c'est biaisé, c'est totalement injuste, ça ne sert qu'à assurer la reproduction des classes sociales et des inégalités. Ce qu'il faudrait, ce serait assurer la promotion directe des classes défavorisées aux grandes écoles.

Je n'ose rien dire à cela. Ça ne peut être qu'un dialogue de sourds.
  

Ce qui semble évident, c'est que les antagonismes en France sont, surtout, de nature symbolique.

Le misérabilisme, le populisme, ont en fait un ressort principal : la haine mais la haine pas tellement de la bourgeoisie mais surtout des élites. 

Les bourgeois, on peut s'en accommoder, on sait bien qu'ils sont bêtes; ils sont en fait à peu près comme nous, les gens du peuple, ce n'est qu'une question de degré. Mais les intellos, les bobos, les élites, ça, ça ne peut absolument pas passer. On sent que ces gens là sont radicalement différents, qu'ils ont une façon de penser, de s'exprimer, de sentir, de jouir, d'être heureux à la quelle le peuple n'aura, de toute manière, jamais accès, à la quelle aucune Révolution, aucun Grand Soir, ne le fera parvenir. L'écart est impossible à combler, on n'aura jamais les codes, on ne sera jamais aussi distingués et, rien que pour ça, on ne peut que haïr les élites.

Les haines sociales en France ne sont, en fait, pas tellement économiques, elles sont surtout culturelles, symboliques. Et ça, c'est quasi-impossible à effacer. 


Images de Mariola JASKO, jeune artiste de Cracovie.

Ce post a bien sûr été rédigé dans le contexte des "gilets jaunes".

Je précise enfin que je suspends mon blog durant une ou deux semaines. Je quitte la France demain.

samedi 17 novembre 2018

De l'Histoire

L'Histoire, on a tendance à penser qu'elle est enseignée partout de la même manière et avec le même contenu.

Rien n'est plus faux, j'en sais quelque chose. C'est d'ailleurs un sujet que j'évite d'aborder avec des Français: on n'a jamais ni les mêmes repères ni les mêmes points de vue. L'histoire, c'est vraiment la matière la plus politique et la plus idéologique qui soit. On ne voit que midi à sa porte.

Par exemple, j'ai regardé avec intérêt, dimanche dernier, la cérémonie du centenaire de l'armistice du 11 novembre à Paris. Elle a réuni, paraît-il, 72 chefs d’État et de gouvernement. Mais qui a pu y "retrouver ses petits", hormis les Français ?

D'abord cette étrange conviction des Français que leur pays a le plus souffert et qu'il a été le principal théâtre des opérations militaires (ça vaut aussi, et même davantage, pour la seconde guerre mondiale). Verdun, la Marne, le chemin des Dames, quelle barbe ! Tout ce qui s'est passé en Europe Centrale et de l'Est, ça semble à peu près anecdotique (même s'il y a eu, en fait, davantage de morts). Les héros, c'est les Français, les Anglais et les Américains et tant pis pour les autres.


Par rapport à cette vision, les appels à dépasser le nationalisme apparaissent évidemment un peu incongrus.

Et puis, s'agissant du nationalisme, il faut tout de même rappeler que c'est la France elle-même qui a promu l'Europe des Nations au lendemain de la guerre. Il fallait à tout prix abolir les Empires (ottoman, d'Autriche-Hongrie, d'Allemagne), synonymes de despotisme et d'archaïsme, et faire droit aux revendications territoriales des communautés nationales.

Pourquoi pas mais on commence à se rendre compte que les Nations, ça peut être encore plus effrayant que les Empires. Il est par exemple de bon ton, aujourd'hui, de vilipender la Hongrie de Viktor Orban mais la France oublie que c'est elle-même qui a créé la Hongrie actuelle avec tout son potentiel identitaire explosif.


Surtout, les Français considèrent que l'armistice de 1918, ça a consacré la fin des hostilités et la paix universelle en Europe. C'est incroyablement réducteur ! Ça a sans doute été vrai en France mais partout ailleurs, dans les anciens Empires, on a assisté à une explosion des violences et des guerres civiles. Ça a duré au moins jusqu'en 1923 et ça a peut-être été encore plus épouvantable que la Grande Guerre.


Étrangement (scandaleusement ?), c'est complétement occulté en France. Je m'étonne ainsi qu'on y ignore presque totalement, sur cette période des années 1910-1920, des événements historiques qui m'apparaissent pourtant majeurs. Je citerai ainsi :

- l'effondrement austro-hongrois face à l'armée russe au début de la guerre au point que Vienne a été menacée;
- la bataille de Tannenberg;
- la création d'une République démocratique d'Ukraine occupée par l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie.
- la renaissance de la Pologne avec pour Président un grand pianiste et musicien Ignacy Paderewski. Puis la guerre entre la Pologne et la Russie allant d'une occupation de Kiev par l'armée polonaise au "miracle de la Vistule".
- la révolte spartakiste à Berlin avec Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg;
- la révolution communiste de Béla Kun en Hongrie suivie de l'occupation de Budapest par les Roumains;
- la guerre civile en Finlande;
- l'intervention de corps francs allemands dans les pays baltes. L'accession provisoire à l'indépendance de l'Estonie, Lettonie, Lituanie.
- les guerres civiles russes (plus de 3 millions de victimes) avec de multiples interventions extérieures, notamment française et britannique mais aussi les légions tchècoslovaques et des chefs contre-révolutionnaires fous et mystiques: Denikine, Koltchak, l'effrayant baron Ungern-Sternberg;
- la terrible guerre gréco-turque s'achevant avec la catastrophe de Smyrne (Izmir).

Bien sûr, cette énumération ne recouvre que mes propres références. Elle est donc tout aussi partielle et partiale. Et puis, je suis mal placée pour donner des leçons parce que je ne connais moi-même pas bien l'histoire de France ni non plus celle d'une infinité de pays.

Simplement, je veux souligner que l'Histoire, telle qu'on l'enseigne aujourd'hui, est toujours partisane et tronquée; elle est un véritable instrument de propagande, faux et réducteur.

Alors, il serait peut-être bon, à l'heure où l'on proclame l'urgence à lutter contre les nationalismes, d'enseigner non plus une histoire française ou allemande ou italienne mais une histoire européenne. Ce serait un grand pas vers plus de tolérance, de compréhension mutuelle et de sentiment d'unité.

Images de Jacques TARDI (né en 1946) illustrant, principalement, les aventures d'Adèle Blanc Sec. Des images saisissantes, un démenti radical à ceux qui doutent que la BD soit un art..

Si vous vous intéressez aux lendemains de la 1ère guerre mondiale en Europe, je vous recommande "Les vaincus" (Seuil-septembre 2017) de Robert GERWARTH.

samedi 10 novembre 2018

Eloge des frontières: transgenres, animaux et mourants

Nos sociétés semblent d'une compassion et d'une sollicitudes infinies. Jamais, sans doute, on ne s'est montrés autant "à l'écoute".

Il s'agit surtout de "faire droit" à des revendications qui semblent entièrement légitimes, il s'agit d'abolir tout ce qui sépare, tout ce qui divise.

Si j'en juge d'après les piles de livres de la FNAC au rayon "société", on se passionne, en ce moment, pour le droit inconditionnel au changement de genre, pour le droit des animaux, pour le droit à l'euthanasie. Si on ose exprimer des réserves sur ces questions, on est tout de suite qualifié de brontosaure ultra-réactionnaire, de cul-bénit catho, de défenseur des prédateurs sexuels, des bouchers et des chasseurs.

Moi, j'aime bien les animaux, je trouve "sympas" les fêtes LGBT et je suis bien sûr sensible à la souffrance des mourants. Mais je ne suis pas sûre que cette étrange et soudaine passion pour l'abolition des différences (entre l'homme et la femme, entre l'homme et les animaux, entre la vie et la mort) n'ait un sinistre revers: celui de l'effacement de l'homme autonome, responsable (tel que l'avait défini la philosophie des Lumières), capable d'affronter son destin.


La proposition qui suscite le plus d'enthousiasme, c'est celle relative à la légalisation de l'euthanasie. Comment, en effet, ne pas souhaiter une mort apaisée, une mort "digne" (?), aux malades en phase terminale? Et d'ailleurs, n'y-aurait-il pas des vies qui ne valent plus d'être vécues ?

Peut-être ! Mais quel est aussi ce besoin irrépressible de confier à d'autres, à des "experts médicaux", le soin de fixer la date et les modalités de notre mort ? J'ai toujours considéré avec suspicion ces lobbies et groupes de pression, évidemment constitués de gens bien portants, qui font campagne pour abréger la vie des malades (qui, eux, n'ont évidemment pas été consultés).

Une bureaucratisation de notre mort, voilà à quoi l'on aspire aujourd'hui. Une mort administrée par un État tout puissant, une mort sans souffrance et sans angoisse. L'idéal, ce serait de mourir de manière totalement imprévue (une simple injection létale) et durant son sommeil.



L'attitude générale, c'est maintenant celle d'une certaine lâcheté avec le refus d'affronter la dimension la plus personnelle du tragique de notre existence. Il y a déjà longtemps que la vie a été désacralisée, maintenant c'est la mort que l'on veut désacraliser: en faire un événement banal, anodin, aussi insignifiant, aussi médiocre, que l'a été notre passage sur terre. La mort en continuité parfaite, sans rupture, avec la vie. Et d'ailleurs, les morts, on se dépêche de les évacuer, on ne leur offre même plus de sépulture, on disperse leurs cendres dans la nature.

L'expropriation de notre mort, c'est la face ignominieuse de notre rage à légiférer. A ceux qui invoquent une mort digne, on peut rétorquer qu'existe, de toute manière, cette possibilité; librement choisie, elle est, certes, en dehors de toute réglementation: c'est celle du suicide.

En réalité, face à la mort, la conduite à tenir ne s'énonce pas en réglementations et en propositions abstraites mais en attitudes concrètes, tant du côté du malade que du médecin.



Notre passion à légiférer concerne aussi, aujourd'hui, les animaux.

Comment être insensible à la souffrance animale ? Comment ne pas être révulsé par les conditions faites aux animaux d'élevage, leur tuerie atroce dans les abattoirs. Ça ne m'est jamais arrivé mais c'est sûr que j'aurais du mal à fréquenter un boucher, un charcutier ou volailler.

On a donc tous applaudi quand un amendement au Code Civil a reconnu, en 2015, que "les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité" et non plus, comme auparavant, "des biens meubles".


 C'est très bien mais on cherche ensuite à aller bien au-delà. Il y a maintenant une forte pression pour que soient reconnus "des droits" aux animaux.

Des droits ? Même si personne ne sait comment les animaux pourront être amenés à faire valoir ces droits. Et si ces droits concerneront tous les animaux ou les seuls animaux domestiques et d'élevage. Quid des moustiques, des mollusques, des bêtes sauvages ou des prédateurs qui n'ont qu'une vision très confuse du Code Pénal ? Et sur quoi vont porter ces droits ? Le droit à la protection ? Le droit d'occupation d'un territoire ? C'est compliqué, compliqué.



Mais les problèmes ne sont peut-être pas là. L'impression est en effet que l'affichage exacerbé d'un amour inconditionnel pour les animaux, la revendications de "droits" en leur faveur, vont de pair avec une haine et une dépréciation de l'homme.

On croule en effet, aujourd'hui, sous les études, les publications, les bouquins, vantant les capacités extraordinaires des animaux: pas seulement leur intelligence (qui serait supérieure, dans la plupart des cas, à celle des enfants ou des personnes âgées), mais leur sociabilité, leur esprit de famille, leur solidarité, leurs capacités de communication etc....

Il s'agit, en bref, de nous faire comprendre et de nous persuader que les animaux ont autant de capacités que nous, qu'ils sont, en fait, des humains comme nous ou plutôt que "les humains sont des animaux comme les autres".

Il y a une sombre délectation à affirmer cela. C'est le credo du mouvement anti-spéciste (incarné en France par le suffisant et insuffisant Aymeric Caron). On voudrait faire croire que l'homme est totalement immergé dans la Nature, qu'il ne s'en différencie pas, qu'il lui est soumis. Il y aurait donc une continuité, et non une rupture, entre l'homme et l'animal.

Au final, compte tenu de cette identité de nature, les droits à accorder aux animaux devraient être les mêmes que ceux accordés aux hommes, ce qui revient à dire que les droits accordés aux hommes devraient être réduits à ceux des animaux.


Après les mourants et les animaux, on est, enfin, pleins de compassion, pour les transgenres. Certes, les réticences sont un peu plus marquées mais ce n'est qu'une question d'accoutumance. Bientôt, les couples modernes s'interdiront de préciser le sexe de leur enfant qui vient de naître. Il faut savoir respecter et ne pas forcer le choix qu'il sera amené, plus tard, à faire.

J'en ai déjà parlé la semaine dernière et, en ce moment, est projeté, sur les écrans parisiens, un film "Girl" de Lukas Dhont. C'est d'une totale nunucherie mais personne n'ose le dire et il n'y a que des éloges. L'idéologie transgenre, ce n'est en fait que le refus du corps et de la sexualité.

On préfère vivre dans le rêve, dans le déni du réel, on préfère croire que tout est possible. Pourtant, il faut le dire tout net: la revendication transsexuelle est exorbitante, elle n'est qu'un fantasme. Et un fantasme, comme l'a souligné Jacques Lacan, c'est l'impossible.

Jamais donc, un homme ne sera une femme et inversement. Le transgenre, dût-il subir de multiples interventions chirurgicales, est condamné à un éternel inassouvissement. On s'empresse cependant aujourd'hui d'offrir une réassignation sexuelle à toute personne qui éprouve une dysharmonie entre son corps et son psychisme.


Au total, le sentiment prévaut que l'humanité se sent à bout de souffle et qu'elle est rongée par l'inquiétude de sa disparition avec le catastrophisme écologiste.

L'homme refuse aujourd'hui d'affronter la mort, il se détourne de la sexualité et il rêve de faire l'animal. C'est pourquoi, il abolit aujourd'hui, avec rage, toutes les frontières, il quitte son piédestal, il rêve de sombrer dans l'indistinction. Il organise ainsi sa disparition programmée.

Rappelons pourtant que c'est en luttant contre la mort, en affrontant son destin, en s'arrachant à la Nature que l'humanité s'est constituée.

Images de: Amadeo de Souza Cardoso (Portugal), Kwon Kyung Yup (Corée du Sud), Leonor Fini (Argentine, France), Ernst Haeckel (lithographie de sciences naturelles), Ferdinand Bauer (1760-1826), Hashimo Kansetsu (Japon), Okusaï (Japon), Paul Klee (Suisse), Deborah Van Auten (USA).

Ce post m'a été inspiré par l'excellent livre de Jean-François Braunstein: "La philosophie devenue folle".
Je conseille également le livre d'Etienne Bimbenet: "Le complexe des trois singes: essai sur l'animalité humaine".

Enfin, dans le prolongement troublant de ce post, je recommande vivement le film de Claire Denis: "High Life". Le sombre pressentiment de la fin de l'humanité.

A un autre niveau, je recommande également "Un amour  impossible" de Catherine Corsini adapté d'un roman de Christine Angot.

Et enfin, un très beau film du Kazakh Samal Esljamova: "La tendre indifférence du monde".

samedi 3 novembre 2018

La civilisation du mépris des corps

Hier, c'était le jour des morts.

Mais on n'y prête guère attention en Europe de l'Ouest. Et d'ailleurs, on confond généralement le jour des morts (le 2 novembre) avec la Toussaint (le 1er novembre).

Les morts, on veut les oublier et les effacer bien vite, les réduire à  de simples images, des albums souvenir.


Dire que la société de consommation se construit sur le déni de la mort, c'est une banalité.

 
En fait, ça va bien au-delà: le déni de la mort, le rêve d'immortalité, est aussi un mépris des corps. Les corps, on n'y attache plus guère d'importance, on peut les manipuler, les triturer, voire les faire disparaître. On dit qu'ils ne fonderaient plus notre identité personnelle et sexuelle.

Déjà, les cimetières sont appelés à disparaître. Presque tout le monde se fait maintenant incinérer. Il est facile d'invoquer des problèmes de place disponible ou d'hygiène. Il n'y a que les Juifs et les Musulmans qui refusent encore cette pratique.


Et puis on exhibe de moins en moins son corps, on cherche à le dissimuler. Pour une femme, il y a longtemps que l'ère des jupes, des high-heels, du maquillage, est révolue. On préfère les vêtements informes, passe-partout, on cherche à être des petites souris grises. Ne pas se faire remarquer, c'est la préoccupation première même si on la justifie par un souci de tranquillité. Le puritanisme n'a pas seulement envahi nos cœurs, il a aussi envahi nos apparences.


D'ailleurs, on n'aime pas nos corps. On les juge imparfaits, mal fichus, plein de défauts, presque obscènes.

D'où le recours croissant à la chirurgie esthétique.

D'où l'intérêt accru, aussi, pour les "pensées" spiritualistes: le bouddhisme, le yoga, le développement personnel, la psychologie positive mais aussi les Cathares, la Gnose et les Bogomiles.
 

On voudrait maîtriser intégralement son corps, se libérer de sa cage, on voudrait devenir de purs esprits.

C'est d'ailleurs l'avenir qui nous est promis avec le transhumanisme. Il suffira bientôt de télécharger les processus de sa conscience pour accéder à une immortalité débarrassée des  aléas du corps.

Le transhumanisme, ce sera un monde sans sexe.


Mais on a, à vrai dire, déjà atteint ce stade avec la théorie du genre, importée des Etats-Unis avec Judith Butler et ses nombreux comparses, en passe de devenir l'idéologie officielle. Il faudrait surtout bien comprendre que notre identité personnelle et sexuelle n'a rien à voir avec notre sexe anatomique. Et d'ailleurs, parler encore aujourd'hui de transsexuels plutôt que de transgenres est non seulement ringard mais profondément réactionnaire. Il n'y aurait, en effet, pas seulement deux sexes, le masculin et le féminin, mais une éventuelle multiplicité. L'homme, la femme, ce ne sont que des constructions sociales, des effets de discours. Il y aurait plutôt une fluidité dans le genre qui permet de passer, avec aisance, d'un sexe à l'autre. C'est le genre qui fonde le sexe et non l'inverse. C'est la conviction personnelle, l'esprit, qui l'emporte sur le corps.

















Ces élucubrations me laissent un peu sceptique. Que le modèle hétérosexuel soit obsolète, je veux bien le reconnaître. Mais est-ce que ça peut faire rêver l'autre modèle proposé par le mouvement LGBT, celui du transgenre ? L'abolition de la dualité homme-femme, ça m'apparaît sinistre: se construire uniquement par rapport à soi-même, dans la seule réalisation de ses fantasmes, ça ne débouche que sur l'exaltation narcissique et ça a vite fait de sombrer dans un kitsch à la Conchita Wurst. C'est peut-être même totalitaire parce que refuser l'altérité, c'est aussi refuser la rencontre, l'incertitude, tout ce qui peut vous bouleverser, déstabiliser, remettre en cause; bref, c'est refuser l'amour.


Délivrez-nous de nos corps et de nos sexes, c'est cela le rêve des écoles transhumanistes et transgenres.

Et c'est en bonne voie puis qu'avec la P.M.A. (procréation médicalement assistée), la reproduction est désormais dissociée de la sexualité. Bientôt, on pourra totalement s'en passer et se dupliquer tous selon notre bon vouloir.


Les corps disparaissent donc, ils s'effacent de nos consciences.

Mais on assiste peut-être à une petite rébellion. J'en veux pour preuve l'extraordinaire mode du tatouage qui commence à toucher toutes les classes et tous les âges. On a rarement noté que c'était concomitant avec l'effondrement des religions promettant la résurrection des corps. Est-ce que le tatouage n'a alors pas pour fonction de sortir le corps de son insignifiance, de lui redonner sens, de lui permettre de recouvrer son statut de corps glorieux ?


Images de Franciszek STAROWIEYSKI (1930-2009), célèbre affichiste polonais.

Comme je recense, dans ce post, beaucoup de mes préoccupations vampiriques, j'ai placé, en exergue, une image iconique de moi-même, confondante je vous l'assure.