vendredi 25 décembre 2020

"Le convive des dernières fêtes"

 

Aujourd'hui, c'est Noël. L'occasion de récapituler 2020.

D'abord, et surtout, tout ce que je n'ai pas fait :

- Je n'ai pas du tout voyagé. Sûrement une première dans ma vie.

- Je ne suis quasiment pas allée au cinéma ou au musée.

 - Je n'ai presque pas pratiqué la natation.

- Nouvelles rencontres amicales, amoureuses, sexuelles, c'est juste un peu plus que zéro.

* Voilà pour les "moins". Vraiment pas brillant même si c'est largement la conséquence du Covid.

  Pour les "plus" et en compensation, voilà ce que j'ai fait :

- J'ai marché comme une folle, souvent deux heures, trois heures, quatre heures, dans les rues d'un Paris déserté. Ça m'a un peu calmée.


 - J'ai stressé comme une dingue avec deux petits problèmes de santé, dont une intervention chirurgicale. Mais il faut dire que je suis devenue une grande hypocondriaque.

 - J'ai perdu 4 à 5 kilos. Je me demande comment c'est encore possible. Je n'arrête pas de devenir aérienne. Comment font ceux qui grossissent ? Du coup, je deviens encore plus redoutable en course à pied mais je ne veux pas relancer ça. Je vais finir par impressionner avec mon apparence.

- J'ai alimenté mon blog imperturbablement : un post par semaine. Ça ne m'était encore jamais arrivé mais est-ce que ça ne devient pas un peu vain ? Je me pose de plus en plus la question.

-  J'ai découvert la littérature scandinave contemporaine. Kim Leine, Carsten Jensen (Danemark), Lina Wolff (Suède),  Laura Linstedt (Finlande), croyez-moi, ça vaut le détour. Ça change d'une littérature française totalement prévisible et bien pensante, qui se veut de plus en plus en phase avec les "grands problèmes de société". Au secours ! Deux exceptions toutefois : Mathias Enard et le tout récent prix Goncourt, Hervé Le Tellier ("Anomalie").

- La Bourse a fait de jolies montagnes russes. Il fallait prendre la vague au bon moment.


 A part ça, j'ai quand même organisé un Réveillon de Noël en comité ultra-limité. Avec un grand sapin (c'est mon côté gamine). Au menu, d'abord des trucs slaves avec des écrevisses et une carpe accompagnées d'un borchtch (que, pour une fois, j'ai très bien réussi). C'est sanglant, répugnant, sacrificiel, croyez-moi, quand vous devez assassiner, préalablement, une pauvre carpe frétillante et châtrer des écrevisses. Heureusement, je peux toujours compter sur des cœurs insensibles qui se chargent de la basse besogne. 

Et en accompagnement, des trucs français (mais pas de viande) avec des huîtres, des couteaux, des ormeaux, des bulots, des tourteaux, des bouquets, des oursins. Les fruits de mer, ça n'est pas du tout apprécié en Europe Centrale mais, sur ce point, je déroge complétement. Pour finir, le gâteau "Ispahan", tellement évocateur (un voyage à lui tout seul), de Pierre Hermé.

Surtout, je perpétue, à l'occasion du Réveillon de Noël, une coutume slave que je trouve merveilleuse. On réserve toujours un couvert pour un éventuel visiteur imprévu. Même un inconnu qui frappe à votre porte, on se doit de l'accueillir. Quel qu'il soit : connu ou inconnu, riche ou misérable, bandit ou saint.


Ça peut réserver de sacrées surprises. Qui peut-il être, en effet, ce convive imprévu ? L'ethnologie (Claude Lévi-Stauss) nous apprend que le repas de Noël, c'est une espèce de "Banquet des Morts". En offrant des cadeaux aux enfants, les parents (les survivants) leur demandent d'intercéder en leur faveur auprès des morts et des dieux pour qu'ils leur consentent encore un répit dans leur misérable existence, pour qu'ils en suspendent son amertume. 

 Le visiteur inconnu qui vient s'asseoir à votre table, ça peut alors être aussi bien un Bienfaiteur, qui va vous apporter Bonheur et Fortune, que la Mort elle-même qui vient vous signifier votre dernière fête.

 Photographies réalisées par moi-même, à Paris, en des lieux que je fréquente de manière habituelle.Vous remarquerez qu'on peut rencontrer des rennes même sur la Place Vendôme.

Les dernières images sont prises chez moi pour vous montrer mon sapin avec ses décorations russes. Vous pouvez constater que j'aime bien les miroirs mais, qu'en bonne vampire, je ne m'y reflète pas.

"Le convive des dernières fêtes", c'est une nouvelle de Villiers de l'Isle Adam extraite des "Contes cruels". C'est remarquable (célébré notamment par Borges qui l'a préfacée) mais ça n'a rien à voir avec le repas de Noël.

samedi 19 décembre 2020

Nos boucs émissaires : le Pédophile

 

On croit avoir atteint la grande civilisation, on vivrait dans des sociétés évoluées, démocratiques, respectant chaque citoyen et lui accordant une place.

A rebours, on peut aussi avoir l'impression que ressurgissent les mécanismes sociaux les plus primitifs et les plus cruels, celui en particulier du bouc émissaire. On se plaît aujourd'hui à fabriquer des monstres qui nous servent de repoussoirs et que l'on désigne à la vindicte populaire. 

On vit dans une hantise continuelle, celle de monstres, de grands pervers, qui rôderaient autour de nous et dont on ne se méfierait jamais assez. Ce sont des "tueurs-nés", des tueurs d'enfants d'abord (les pédophiles) et une nouvelle catégorie que l'on vient de découvrir, des tueurs de femmes (les féminicides). Pour se délivrer d'eux, aucune peine n'est assez lourde et d'ailleurs appartiennent-ils bien à la catégorie de l'humanité ? Même la peine de mort serait trop douce pour eux. On ne se demande pas, bêtise ou idéologie, si la machine judiciaire est bien adaptée à leurs cas.

Les pédophiles, inutile de rappeler à quel point ils cristallisent, depuis 2 ou 3 décennies, les angoisses et la réprobation sociales. Personne ne s'avise de ce que l'on se repaît, se délecte même, de toutes les histoires les concernant. On s'intéresse davantage à   la biographie de Marc Dutroux, Michel Fourniret, Josef Fritzl, Wolfgang Prikopil (le geôlier de Natascha Kampusch) qu'aux rebondissements du Brexit et la tragédie du Haut-Karabakh. Cette fascination pour le fait divers, sa qualification sordide, est évidemment parlante.

Et puis, on se plaît à tout mélanger. Le peintre Balthus, le roman "Lolita" de Nabokov, sont-ils encore concevables aujourd'hui ? Je n'ose même plus parler de Polanski et Matzneff tellement on est maintenant convaincus que l'Art devrait énoncer la Morale. Il y a pourtant plus que des nuances entre eux et Dutroux ou Fourniret. 

Quand à 13 ans, je me suis sentie, pour la première fois, reluquée par des hommes, je n'ai pas été forcément traumatisée mais ça m'a plutôt intéressée, interrogée. Même si au regard de la Loi, c'est pareil, une fille de 8 ans et une fille de 13 ans sont néanmoins bien différentes. Il y a même, aujourd'hui, une aspiration croissante, encouragée par les médias publicitaires, à être considérée comme un femme adulte, à sortir de l'enfance, le plus tôt possible.

On a pu mettre en parallèle la montée de l'angoisse pédophile avec l'effacement en cours des frontières familiales traditionnelles : confusion, complicité, des générations, affaiblissement de la Loi et de la fonction paternelles.

 Ce n'est sans doute pas faux mais peut-être aussi se rend-t-on compte de la troublante proximité que l'on entretient, malgré la révulsion affichée, avec le pédophile. Que cette idée plaise ou non, le pédophile est tout de même bien notre frère en humanité. Saurions-nous d'ailleurs échapper à un destin pédophile ?

Une chose me frappe en effet : il n'y a rien de flamboyant, de scintillant dans la vie des pédophiles. Ce ne sont vraiment pas des "criminels de grand style".  Rien que des pauvres types, misérables, lamentables. Des plutôt vieux, moches, repoussants, des minables torturés, rongés, exerçant souvent un petit pouvoir (ecclésiastiques, éducateurs), qui vivent d'expédients économiques et de combines. Des types honteux, cachés, dissimulés. On se doute bien que des jolies filles, ils n'en ont jamais connu, ils ont d'emblée été placés en marge de la compétition sexuelle. 

 La misère affective et matérielle, c'est peut-être cela qui caractérise initialement le pédophile et c'est sans doute  cela qui nous le rend proche.

Et cette misère, on sait bien qu'elle est intolérable. On vit en effet dans des sociétés où il est impératif de "s'éclater", de "prendre son pied", de "jouir sans entraves". Ceux que l'on méprise profondément (sans l'avouer bien sûr), ce sont les vierges, les puceaux, les moches, les coincés, les "pas drôles", les mal habillés, les ridicules.

Mais on ne s'avise pas non plus de ce que la "jouissance sexuelle", ça n'est finalement réservé qu'à quelques uns et qu'une grande majorité des gens est laissée sur les bas-côtés, priée de se partager les "restes". L'injonction sexuelle continuelle génère en fait une immense frustration.


 On peut peut-être à partir de là essayer de comprendre le pédophile. Vers qui se tourner quand on sait que les femmes désirables se feront un plaisir de vous humilier ? L'enfant offre une alternative : il est étranger à la sexualité, ne la comprend pas; il ne rejettera donc pas l'adulte, n'opposera pas de résistance, ne l'accablera pas de sarcasmes.

Mais quoi qu'en pensent certains, l'enfant n'est pas non plus séducteur. Il vit en effet une étrange et courte période (la période de latence) de la vie humaine : un bref intervalle, rarement étudié, d'environ 8 ans (entre 5 et 13 ans approximativement), durant lequel le petit homme est affranchi de la tyrannie de la sexualité.  Mais cette absence de libido n'est-elle pas l'expression d'une forme de bonheur ? Un monde calme et paisible, sans passions ni conflits, un monde épargné par la guerre des sexes, expurgé de ces femmes hystériques et dominatrices qui effraient tant les hommes. Les enfants sont bouddhistes sans le savoir.

C'est probablement de cela dont rêve le pédophile : retrouver le vert Paradis de l'enfance, un monde fusionnel et sans conflit où il sera traité avec considération, comme un égal, et non plus rejeté comme un malpropre. 

Une véritable Utopie passionnelle, un grand partage démocratique des corps. Presque une harmonie socialisante à la Charles Fourier. Mais est-ce qu'on ne rêve pas tous un peu de ça ? Est-ce qu'on n'en a pas souvent marre de la rivalité et des conflits amoureux ? Est-ce qu'on n'est pas régulièrement submergés par la colère, l'humiliation, la jalousie ? Est-ce qu'on n'a pas parfois envie qu'il soit mis fin à cette logique mortifère de la compétition sexuelle ?

Le pédophile a trouvé une solution : avec les enfants, il  a un accès simple, immédiat, non sélectif, à l'autre. Finis les affres de la passion et surtout finies ces viragos qui l'humilient. C'est sa forme de vengeance : dans ce nouveau monde, il est enfin quelqu'un.

Mais au total, le pédophile est un bien un pur produit du "système", celui de la compétition sexuelle et de l'injonction universelle à jouir. 

Un système qui produit une masse énorme d'"Humiliés et Offensés", de "frustrés" en bref. On vit plus dans une société de frustration et d"envie que dans une société de libération sexuelle.

C'est cette immense frustration, cette rage impuissante, que nous partageons, à des degrés divers, avec le pédophile. C'est en cela qu'il est notre frère. Simplement, il a, lui, l'audace de chercher à la résoudre, d'assouvir, quoi qu'il en coûte, ses pulsions. La répression des instincts imposée par la civilisation, quand elle ne débouche pas sur la sublimation, se traduit, un jour, par une explosion de la pulsion de mort (Sigmund Freud).

Tableaux principalement d'Odilon Redon (1840-1916), mais aussi de Jérôme Bosch, Balthus, Muriel Platero, Gustave Doré, Max Ernst.

Quelle légitimité ai-je à parler de la pédophilie ? A peu près aucune bien sûr si ce n'est ma fréquentation régulière des textes de Freud. Mais Freud lui-même n'a pas écrit un mot sur la question. C'est comme les pervers narcissiques et les bipolaires : ce sont des catégorisations mentales que l'on a créées récemment sans s'interroger sur leur adéquation à une réalité psychique infiniment complexe. 

Seul un pédophile peut donc parler de son vécu mais on sait bien que c'est impossible. C'est presque pire que le crime de sodomie, puni du bûcher, jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. On ne dispose donc d'aucun texte, d'aucun écrit. Je recommande toutefois une excellente enquête (parue dans l'Obs du 26 novembre 2020) réalisée par Lucas Burel : "Joël Le Scouarnec - Itinéraire d'un prédateur". Le livre de Régis Jauffret, "Claustria", consacré à Josef Fritzl, est complétement à côté, sans intérêt : il invente et ne respecte pas les faits.

Du côté de la victime, le livre de Natascha Kampusch : "3096 jours" est terrifiant, impressionnant.

samedi 12 décembre 2020

Pop/Rock féminisme

 

Quand je suis arrivée, adolescente, en France, j'étais, il faut bien le dire, une véritable "oie blanche".

L'ancienne Union Soviétique et l'Iran, il y avait mieux pour faire son éducation sexuelle. La pornographie, pour moi, c'était, au pire, quelques baisers entraperçus au cinéma. Heureusement, il y avait les musées et les livres d'Art qui avaient éveillé, en moi, le trouble de la nudité.

 Et puis, j'avais réussi à lire quelques romans français "audacieux". "Madame Bovary", "Nana", "les Courtisanes", leur vie consacrée au désir m'apparaissait totalement enviable. J'avais aussi entendu parler d'un certain Marquis de Sade. Surtout, j'avais dévoré des romans gothiques du 19 ème siècle, pleins d'une sombre fièvre : "Le moine", "Melmoth", "Les élixirs du diable", "Dracula", quels chefs d’œuvre ! 

Je commençais à bouillonner. Quand on quitte une vie grise, le dévergondage apparaît fascinant.

L'adolescence, c'est en effet, pour une jeune fille, ce moment crucial où elle découvre qu'elle exerce un pouvoir sur les autres et, singulièrement, sur les hommes. Que faire alors de ce pouvoir ? L'exercer, y renoncer ?

Le piège, c'est de basculer dans la faiblesse, de se percevoir comme une proie sans défense, de se vivre en victime. Il est en effet plus facile de se soumettre que de dominer. C'est aussi le ressort de l'asservissement des masses, de la rumination infinie du malheur et du ressentiment.

Mais on peut aussi comprendre que ce désir porté sur vous, ce désir des hommes, c'est ce qui vous fait exister plus fort, qui illumine, tout à coup, votre vie.

Alors oui ! Je n'ai pas eu d'hésitation, ce pouvoir, le pouvoir de la séduction, je devais bien l'exercer.

Dans cette voie, j'ai trouvé mes propres modèles. Mais certainement pas chez les féministes alors à la mode. J'ai bien essayé de lire "Le deuxième sexe" de Simone de Beauvoir mais ça m'est vite tombé des mains. Quel ennui, que de morale ! Et puis, ça ne vaut pas tripette comparé à quelques lignes de Freud.

Et surtout, il faut bien le dire, l'abord revêche et austère de Simone de Beauvoir ne donnait vraiment pas envie d'être comme elle. Ou alors toutes ces féministes première vague, telle Monique Wittig, ces lesbiennes sinistres avec du poil aux pattes, c'était plutôt répulsif.

 Moi je n'avais de compte à régler avec personne, je ne portais pas le fardeau de la misère féminine, j'étais carrément superficielle. J'ai trouvé d'autres références beaucoup plus populaires, celles de la musique pop et rock. Celle qui m'a d'abord fait vibrer, quand j'étais gamine, c'est Madonna. Et puis, il y a eu Beyoncé et aujourd'hui Lady Gaga, Angèle, Chilla, Cardi B. J'aimais bien aussi Catherine Ringer (Rita Mitsouko) et Amy Winehouse. Je ne parle bien sûr ni de leur musique, ni de leur plastique mais de leur personnalité, leur manière de s'affirmer sans se plaindre.

Voilà enfin des filles qui n'avaient pas honte de leur féminité, qui ne se vivaient pas comme des victimes. Qui ne craignaient pas d'affirmer leur pouvoir, leur puissance, qui annonçaient l'avènement d'un "Girl Power". Enfin des propos sans haine, affirmatifs, constructifs. Elles m'ont aidé à prendre confiance en moi-même.

C'est d'abord le droit à la flamboyance, celle de l'apparence, du vêtement. Me fondre dans la grisaille, ça n'a jamais été mon truc. Moi et ma sœur, on a d'abord fait le désespoir de notre mère qui souhaitait que l'on passe les plus inaperçues possible. Ça n'a vraiment pas été le cas. J'ai eu une longue période "gothique", toute en noir, teint pâle, faux cils, yeux charbonneux, bottines, dentelle, lingerie sexy et bijoux en argent (mais ni tatouages, ni piercings). Et puis j'ai toujours eu, dans toutes les langues, une voix étrange, très posée, précieuse. De cette époque subsiste bien sûr le prénom que je me suis choisi: Carmilla. J'ai arrêté brusquement quand quelqu'un m'a dit : "Faut vraiment être une Russe pour s'habiller comme toi". J'ai compris que ma révolte était en peau de lapin.

C'était sans doute puéril, j'étais peut-être même joliment frappée, mais je me dis maintenant que ça correspondait bien à mon apparence physique (grande et décharnée) et je regrette finalement de ne plus pouvoir m'habiller en gothique aujourd'hui. L'un de mes plus beaux souvenirs, c'est un voyage, au début des années 2000, à Vilnius en Lituanie.Très nombreuses étaient alors les jeunes filles qui arpentaient, toutes de noir vêtues, les ruelles tortueuses de la ville. J'écoutais alors, à pleins tubes, "Joy Division", "The Cure", "Siouxsie and the Banshees", "Bauhaus" avecBela Lugosi's dead, "The cult", "Sisters of mercy", "Virgin prunes", les "Cranes", "Theater of hate". C'est évidemment un peu passé de mode mais ça continue de m'émouvoir.

Mon apparence n'était sûrement pas du goût ni de mes professeurs, ni de mes camarades (qui avaient plutôt soif de normalité et préféraient déjà les jeans, baskets). Mais j'ai toujours bénéficié d'une grande tolérance, sans doute parce que j'étais bonne élève. On me traitait également toutefois avec un peu de distance, probablement parce qu'on me considérait comme étrangère. Au total, des copains, copines, je ne m'en suis fait pas beaucoup mais il faut reconnaître que j'ai toujours été un peu hautaine, voire condescendante. Je n'aime pas les gens qui s'affichent "sympathiques". Je les trouve poisseux, gluants.

Avec les garçons, ce n'était pas toujours bien terrible. Ma taille, mon look, mon côté "précieux", pas du tout "bonne copine", ça faisait sûrement fuir. Depuis que je me suis banalisée, c'est beaucoup plus facile. Mais j'ai toujours visé des hommes de pouvoir, surtout pour éviter les pièges de la sentimentalité. Il est plus facile, avec eux, d'éviter les méandres de l'affectivité, la dépendance que crée la pitié. Il faut parvenir à délivrer l'amour du cœur et du sentiment. Il faut que tu sois froide et cruelle, c'est la condition de ta liberté, me suis-je souvent dit en paraphrasant mon compatriote Masoch. Mais je n'y suis jamais en fait complétement parvenue.

Les deux dernières photos sont de moi-même aux abords de la cinémathèque à Paris.

Que le rock gothique ne vous branche pas, je le comprends bien. Essayez au moins d'écouter "Atmosphere" de Joy Division.

Un bouquin susceptible de prolonger ce post (de la littérature américaine, c'est rare de ma part) : Lisa Halliday : "Asymétrie". Ça vient de sortir en poche.

samedi 5 décembre 2020

De la Liberté des Moeurs

 

En France, on s'excite beaucoup, en ce moment, sur les libertés publiques, les libertés politiques. C'est positif, c'est l'exercice normal de la démocratie.

 Ce qui m'étonne en revanche, c'est que cette passion pour la chose politique s'accompagne (mais pas seulement en France) d'un désintérêt à peu près total pour la législation relative à nos mœurs. Une seule exception, les  polémiques vite étouffées à propos du mariage pour tous. Mais même l'importante réforme des dispositions relatives à la prostitution n'a guère soulevé d'objections (et pourtant...).

Nos mœurs, elles sont régies  par le Code Civil et le Code Pénal. C'est donc notre liberté la plus intime qui se trouve largement façonnée par le Droit. On pourrait donc s'attendre à ce que chaque citoyen soit parfaitement au courant de tous ses articles et en débatte passionnément. Curieusement, c'est presque l'exact contraire. A peu près personne ne sait précisément à quoi il est est autorisé en matière de comportement, de mœurs, ni quelle peine il peut éventuellement encourir. Cette méconnaissance de la Loi en matière de mœurs est vraiment troublante.

Je ne prendrai que quelques exemples. En me limitant à la France, sait-on ainsi que :

- Un père et sa fille, une mère et son fils, un frère et une sœur peuvent vivre en couple et avoir des enfants. Ce n'est pas interdit, puni par la Loi, dès lors que la relation concerne deux adultes consentants. La législation française, sur ce point, diffère de celle de nombreux pays européens (Allemagne, Suisse). Du reste, l'inceste n'y est pas visé en tant que tel dans le Code Pénal. Le premier critère, c'est finalement celui de l'amour que deux adultes se portent. Bien sûr, un mariage est inenvisageable mais c'est tout de même incroyablement moderne ou incroyablement permissif (selon les points de vue)..

- On peut se marier entre cousins, même germains. Mais on ne peut pas épouser son oncle ou sa tante, son beau-père ou sa belle-mère. Le mariage entre beau-frère et belle-sœur suppose une dispense (c'est la considération de l'alliance dans la parenté qui prime, c'est une grande différence avec les cultures musulmane et juive).

- Il existe une majorité civile (18 ans) et une majorité sexuelle (15 ans). Ça signifie qu'un adulte (>18 ans) s'expose à de graves ennuis s'il a des relations sexuelles avec un mineur (<15 ans). Mais il n'y a pas d'interdiction de relations sexuelles entre individus de moins de 18 ans. Toutes les éventuelles conséquences pénales d'une relation sexuelle, quel que soit l'âge en fait, dépendent finalement de la notion de "consentement". Une notion qui est une véritable bouteille à encre, impossible à définir en termes juridiques, qui ouvre la porte à des procès sans fin.

- On peut adopter des enfants (adoption plénière) bien sûr mais on peut aussi adopter des adultes (adoption simple). Il faut pour cela avoir au moins 28 ans et 15 ans de plus que l'adulte adopté.

- On peut avorter (depuis 1974) dans un délai qui vient d'être porté à 14 semaines pour l'IVG chirurgicale et 9 semaines pour l'IVG médicamenteuse. Ça suscite, de ma part, une simple réflexion (bien éloignée, évidemment, de celle des militants anti-IVG) : il y a tout de même près de 230 000 IVG pratiqués en France; un chiffre qui ne décroît guère et que l'on ne peut pas ne pas rapporter au nombre annuel de naissances: 750 000. Ça prouve surtout, me semble-t-il, que les femmes continuent d'entretenir un rapport trouble à la sexualité et à la maternité : désirées, redoutées. De la sexualité, il faut encore se punir. A cette fin, on renonce à utiliser la contraception.

- On peut changer de sexe mais ça ne peut pas être simplement déclaratif comme dans certains pays (Argentine, Espagne). Ça suppose encore en France une réassignation chirurgicale préalable, soit le recours à des procédures longues, lourdes et complexes. On peut penser que les choses vont bientôt évoluer sur ce point. Car il faut bien le dire : le transsexuel (ou plutôt la négation de la différence des sexes, ce qui n'est pas la même chose) est devenu le grand fantasme de nos sociétés.

- La procréation médicalement assistée (PMA) va bientôt être étendue à tous: les couples de femmes d'abord et, peut être bientôt, les couples d'hommes. Les "progressistes" et les "réactionnaires" n'ont pas fini de disserter sur ce bouleversement de la filiation: qu'est-ce que ça induit de ne plus avoir de parents des deux sexes ? Personnellement, j'y vois aussi la réalisation d'un autre grand fantasme : celui de procréer sans passer par le détour d'un rapport sexuel. Avoir des enfants sans s'encombrer des tourments du désir et d'une relation amoureuse, voilà ce à quoi l'on semble aujourd'hui aspirer..

- Être voyeur, c'est devenu dangereux. Il faut éviter de trop reluquer les filles, de regarder sous leurs jupes et, pire, d'en prendre une photo avec son smartphone ("upskirting"). C'est le délit de "captation d'images impudiques"dans un texte du Code Pénal visant à réprimer le voyeurisme. Inutile de dire que ce texte, inspiré par des féministes, ouvre la voie à une foule de dérives. Le voyeur s'expose tout de même jusqu'à deux ans de prison et 30 000 euros d'amende.

- Puisant à la même géniale source d'inspiration,  on a décidé de pénaliser, en 2018, le harcèlement de rue. Désormais sifflements, propos grivois et même compliments déplacés peuvent valoir à leur auteur une amende de 90 euros en paiement immédiat à 750 euros, et même jusqu’à 3 000 euros en cas de récidive. On ne dispose, bien sûr, d'aucun bilan concernant cette mesure et son efficacité. Il faudrait aussi parler du harcèlement moral mais ça nous entraînerait trop loin. Nul doute, en tous cas, que le harceleur omniprésent est, aux côtés du pervers, une des grandes figures de ce monde anxiogène que nous avons créé.

- Il y a une véritable tolérance en France concernant la consultation de sites pornographiques. Mais attention tout de même : le Code Pénal  punit de 2 ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende "le fait de consulter habituellement ou en contrepartie d'un paiement un service de communication au public" ou même simplement de "détenir" une image pornographique d'enfant mineur. Dépêchez-vous donc de balancer les photos que vous avez enregistrées de David Hamilton ou Irina Ionesco.

- C'est depuis la Révolution Française qu'ont été dépénalisés simultanément (en 1791) l'homosexualité et la zoophilie. C'était à l'époque d'une audace incroyable et la France était alors très en avance sur le reste du monde. 

Sur l'abolition du crime de sodomie, je n'ai bien sûr aucune objection si ce n'est qu'une jeune femme est aujourd'hui tenue de l'apprécier si elle veut passer pour un "bon coup". C'est une question qui n'est jamais évoquée tant est grande la peur de ne pas apparaître moderne et libérée. 

- S'agissant des animaux, il faut préciser que, jusqu'à une époque récente, vous ne risquiez à peu près rien si vous assassiniez sauvagement le chien ou le chat de votre voisin. Vous pouviez même avoir des relations sexuelles, en toute impunité, avec un animal. Depuis 2004, toutefois, cette liberté est restreinte : on peut porter plainte contre vous pour cruauté exercée envers des animaux (reconnus, dès lors, comme "êtres sensibles"). C'est alors puni de 2 ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende (c'est simplement ce que risquent les mystérieux tueurs de chevaux qui effraient tant, aujourd'hui, en France). Mais ça ne concerne que les animaux domestiques. Si vous voulez continuer de donner satisfaction à vos instincts, il faut donc vous reporter sur les animaux sauvages mais ça risque d'être plus compliqué.

- La prostitution est devenue légale en France. C'est une évolution majeure mais qui fait l'objet de peu de débats. L'exercice de la prostitution et le racolage sont désormais permis mais c'est l'achat de services sexuels qui est devenu illégal et réprimé. En d'autres termes, le système repose maintenant, comme en Suède, sur la "pénalisation du client": amende de 1 500 euros et même de 3 750 euros en cas de récidive. Cela semble, de prime abord, une mesure positive puisque les personnes prostituées ne sont désormais plus inquiétées par la police. Mais la France se refuse à mettre en œuvre la seule réforme indispensable: dépénaliser également le client  et réglementer et encadrer (comme en Allemagne ou en Belgique) la prostitution : établissements dédiés et contrôlés. Avec le système français, la prostitution se fait, en effet, de moins en moins "visible". De peur d'être arrêtés et verbalisés, les clients exigent en effet  des rencontres dans des lieux secrets et dissimulés. La pénalisation du client a finalement pour conséquence d'aggraver l'isolement et la clandestinité des prostituées, les exposant ainsi à des risques accrus de violence de la part de leur client.  La violence et la criminalité exercées contre elles auraient effectivement beaucoup augmenté mais on se garde bien d'en parler tellement on se juge progressistes parce qu'on pénalise désormais le client. Preuve encore une fois que les bonnes intentions se retournent souvent contre elles-mêmes.

 - On peut, à volonté, fumer, boire, s'abrutir de somnifères. Mais en matière de drogues, leur simple usage, même à titre récréatif et en privé, est interdit par la loi. Il s'agit d'un délit puni d'un an d'emprisonnement. Et puis, on a vite fait de rentrer dans la catégorie de "trafic de stupéfiants" (10 ans de prison). Il suffit de cultiver quelques pots de cannabis, d'avoir des réserves un peu trop importantes, d'échanger quelques joints avec des amis, de franchir une frontière avec quelques produits. D'une manière générale, les peines sont extrêmement lourdes, voire disproportionnées. Cette extrême sévérité conduit paradoxalement à entretenir une grande délinquance: plus les risques sont grands, plus les gains financiers potentiels sont en effet élevés. On peut s'interroger aussi sur l'embolisation des forces de police obligées de se concentrer sur la répression de la drogue pour des délits souvent mineurs et détournées, de ce fait, de la lutte contre la véritable criminalité.

Je m'arrête là même si je pourrais évoquer de multiples autres sujets. J'apparais sans doute excessivement bavarde mais il est vrai que ces histoires de mœurs me passionnent. Ce qui m'étonne, c'est que cet intérêt ne soit nullement partagé et que la plupart des gens vivent dans une bienheureuse ignorance de la réglementation relative aux mœurs. Ça engage pourtant notre vie intime et ça m'apparaît donc aussi important que toutes les questions, mille fois rebattues, concernant l'organisation politique et administrative de la France. A quand, un "Grand Débat" sur les mœurs en France ?

Œuvres du peintre dublinois Francis BACON (1909-1992) qui a fait l'objet, il y a un an, d'une belle exposition au Centre Georges Pompidou.

Je ne suis pas juriste. J'espère donc que des "spécialistes" sauront corriger mes possibles erreurs. La difficulté est que la réglementation est mouvante, évolutive et qu'on n'est pas toujours au courant des derniers textes. 

J'ai déjà écrit des textes plus développés sur ces différentes questions (mars-avril 2019). On peut donc éventuellement s'y reporter.

Sur les relations entre le Droit et la sexualité, je recommande les livres de la controversée Marcela Iacub que je juge, personnellement, très pertinente.

Je recommande également l'"Histoire des mœurs" éditée, dans les années 90, en 3 volumes dans la collection La Pléiade (Gallimard).