samedi 12 décembre 2020

Pop/Rock féminisme

 

Quand je suis arrivée, adolescente, en France, j'étais, il faut bien le dire, une véritable "oie blanche".

L'ancienne Union Soviétique et l'Iran, il y avait mieux pour faire son éducation sexuelle. La pornographie, pour moi, c'était, au pire, quelques baisers entraperçus au cinéma. Heureusement, il y avait les musées et les livres d'Art qui avaient éveillé, en moi, le trouble de la nudité.

 Et puis, j'avais réussi à lire quelques romans français "audacieux". "Madame Bovary", "Nana", "les Courtisanes", leur vie consacrée au désir m'apparaissait totalement enviable. J'avais aussi entendu parler d'un certain Marquis de Sade. Surtout, j'avais dévoré des romans gothiques du 19 ème siècle, pleins d'une sombre fièvre : "Le moine", "Melmoth", "Les élixirs du diable", "Dracula", quels chefs d’œuvre ! 

Je commençais à bouillonner. Quand on quitte une vie grise, le dévergondage apparaît fascinant.

L'adolescence, c'est en effet, pour une jeune fille, ce moment crucial où elle découvre qu'elle exerce un pouvoir sur les autres et, singulièrement, sur les hommes. Que faire alors de ce pouvoir ? L'exercer, y renoncer ?

Le piège, c'est de basculer dans la faiblesse, de se percevoir comme une proie sans défense, de se vivre en victime. Il est en effet plus facile de se soumettre que de dominer. C'est aussi le ressort de l'asservissement des masses, de la rumination infinie du malheur et du ressentiment.

Mais on peut aussi comprendre que ce désir porté sur vous, ce désir des hommes, c'est ce qui vous fait exister plus fort, qui illumine, tout à coup, votre vie.

Alors oui ! Je n'ai pas eu d'hésitation, ce pouvoir, le pouvoir de la séduction, je devais bien l'exercer.

Dans cette voie, j'ai trouvé mes propres modèles. Mais certainement pas chez les féministes alors à la mode. J'ai bien essayé de lire "Le deuxième sexe" de Simone de Beauvoir mais ça m'est vite tombé des mains. Quel ennui, que de morale ! Et puis, ça ne vaut pas tripette comparé à quelques lignes de Freud.

Et surtout, il faut bien le dire, l'abord revêche et austère de Simone de Beauvoir ne donnait vraiment pas envie d'être comme elle. Ou alors toutes ces féministes première vague, telle Monique Wittig, ces lesbiennes sinistres avec du poil aux pattes, c'était plutôt répulsif.

 Moi je n'avais de compte à régler avec personne, je ne portais pas le fardeau de la misère féminine, j'étais carrément superficielle. J'ai trouvé d'autres références beaucoup plus populaires, celles de la musique pop et rock. Celle qui m'a d'abord fait vibrer, quand j'étais gamine, c'est Madonna. Et puis, il y a eu Beyoncé et aujourd'hui Lady Gaga, Angèle, Chilla, Cardi B. J'aimais bien aussi Catherine Ringer (Rita Mitsouko) et Amy Winehouse. Je ne parle bien sûr ni de leur musique, ni de leur plastique mais de leur personnalité, leur manière de s'affirmer sans se plaindre.

Voilà enfin des filles qui n'avaient pas honte de leur féminité, qui ne se vivaient pas comme des victimes. Qui ne craignaient pas d'affirmer leur pouvoir, leur puissance, qui annonçaient l'avènement d'un "Girl Power". Enfin des propos sans haine, affirmatifs, constructifs. Elles m'ont aidé à prendre confiance en moi-même.

C'est d'abord le droit à la flamboyance, celle de l'apparence, du vêtement. Me fondre dans la grisaille, ça n'a jamais été mon truc. Moi et ma sœur, on a d'abord fait le désespoir de notre mère qui souhaitait que l'on passe les plus inaperçues possible. Ça n'a vraiment pas été le cas. J'ai eu une longue période "gothique", toute en noir, teint pâle, faux cils, yeux charbonneux, bottines, dentelle, lingerie sexy et bijoux en argent (mais ni tatouages, ni piercings). Et puis j'ai toujours eu, dans toutes les langues, une voix étrange, très posée, précieuse. De cette époque subsiste bien sûr le prénom que je me suis choisi: Carmilla. J'ai arrêté brusquement quand quelqu'un m'a dit : "Faut vraiment être une Russe pour s'habiller comme toi". J'ai compris que ma révolte était en peau de lapin.

C'était sans doute puéril, j'étais peut-être même joliment frappée, mais je me dis maintenant que ça correspondait bien à mon apparence physique (grande et décharnée) et je regrette finalement de ne plus pouvoir m'habiller en gothique aujourd'hui. L'un de mes plus beaux souvenirs, c'est un voyage, au début des années 2000, à Vilnius en Lituanie.Très nombreuses étaient alors les jeunes filles qui arpentaient, toutes de noir vêtues, les ruelles tortueuses de la ville. J'écoutais alors, à pleins tubes, "Joy Division", "The Cure", "Siouxsie and the Banshees", "Bauhaus" avecBela Lugosi's dead, "The cult", "Sisters of mercy", "Virgin prunes", les "Cranes", "Theater of hate". C'est évidemment un peu passé de mode mais ça continue de m'émouvoir.

Mon apparence n'était sûrement pas du goût ni de mes professeurs, ni de mes camarades (qui avaient plutôt soif de normalité et préféraient déjà les jeans, baskets). Mais j'ai toujours bénéficié d'une grande tolérance, sans doute parce que j'étais bonne élève. On me traitait également toutefois avec un peu de distance, probablement parce qu'on me considérait comme étrangère. Au total, des copains, copines, je ne m'en suis fait pas beaucoup mais il faut reconnaître que j'ai toujours été un peu hautaine, voire condescendante. Je n'aime pas les gens qui s'affichent "sympathiques". Je les trouve poisseux, gluants.

Avec les garçons, ce n'était pas toujours bien terrible. Ma taille, mon look, mon côté "précieux", pas du tout "bonne copine", ça faisait sûrement fuir. Depuis que je me suis banalisée, c'est beaucoup plus facile. Mais j'ai toujours visé des hommes de pouvoir, surtout pour éviter les pièges de la sentimentalité. Il est plus facile, avec eux, d'éviter les méandres de l'affectivité, la dépendance que crée la pitié. Il faut parvenir à délivrer l'amour du cœur et du sentiment. Il faut que tu sois froide et cruelle, c'est la condition de ta liberté, me suis-je souvent dit en paraphrasant mon compatriote Masoch. Mais je n'y suis jamais en fait complétement parvenue.

Les deux dernières photos sont de moi-même aux abords de la cinémathèque à Paris.

Que le rock gothique ne vous branche pas, je le comprends bien. Essayez au moins d'écouter "Atmosphere" de Joy Division.

Un bouquin susceptible de prolonger ce post (de la littérature américaine, c'est rare de ma part) : Lisa Halliday : "Asymétrie". Ça vient de sortir en poche.

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