samedi 8 décembre 2018

Israël


Ces derniers jours, j'étais en Israël, à Tel-Aviv et Jérusalem plus précisément. C'était la première fois pour moi mais Israël, ça fait partie des destinations incontournables quand on est d'origine ukrainienne ou polonaise tant les destins de ces deux pays ont été mêlés, au cours des derniers siècles et jusqu'à la tragédie finale, avec celui du peuple juif.



Je sais bien que les Français, en raison sans doute de leur sentiment de culpabilité portant sur leur attitude peu glorieuse durant la guerre, considèrent les Polonais et les Ukrainiens comme d'effroyables antisémites. C'est d'une insultante bêtise et il est impossible d'argumenter. J'observe seulement que si les Français se plaisent à s'afficher comme de belles âmes, ils sont cependant d'une ignorance abyssale concernant la religion et la culture juives, ses rites, ses interdits, ses fêtes, ses tabous alimentaires. En revanche, un Polonais ou Ukrainien éprouve tout de suite des affinités et des points de contact avec le monde juif. Je ne me suis ainsi jamais sentie "perdue" en Israël, je m'y suis souvent reconnue, retrouvée.

Deux surprises à mon arrivée:

- la légèreté des contrôles de sécurité: alors qu'on m'avait décrit un véritable enfer avec une énorme présence policière et des fouilles incessantes, je n'ai rien vu de cela et suis allée partout sans être contrôlée ou très légèrement (bien moins, en tous cas, qu'à Paris ou Moscou). Mais ce n'est que mon expérience propre et peut-être que je n'ai pas la tête d'une terroriste.

- l'énorme proportion de Russes en Israël, à la fois des résidents (qui se sont déclarés juifs au moment de l'effondrement de l'URSS) et des touristes (chrétiens orthodoxes). Je savais qu'ils représentaient près de 20 % de la population mais le russe est vraiment devenu la seconde langue du pays. Ça interroge sur le bouleversement culturel d'Israël au cours de ces trois dernières décennies. Je ne peux pas dire que ça m'a fait plaisir (à quoi bon voyager si c'est pour retrouver des Russes ?) mais ça a largement facilité  mon voyage. Comme en plus, les anciens parlent souvent polonais et que tout le monde parle un excellent anglais, il n'y a vraiment aucun problème de communication en Israël.

Ensuite... difficile d'imaginer deux villes plus dissemblables que Jérusalem et Tel-Aviv :

- Jérusalem, l'une des plus anciennes villes du monde, point d'origine et de croisement des trois grandes religions monothéistes. Jérusalem labyrinthique, bordélique, orientale, spirituelle, patchwork de mille communautés religieuses (coptes, éthiopiens, arméniens, maronites, orthodoxes de toutes natures, baha'is, hassidims etc...) écrin de joyaux immémoriaux de l'architecture. Mais aussi, Jérusalem ville du conflit permanent: entre Juifs et Arabes; entre mur des Lamentations et Esplanade des mosquées; entre prêtres du Saint-Sépulcre; entre talibanes vestimentaires et jupes courtes, entre kippa orthodoxe ou moderniste.

- Tel-Aviv, ville laïque, hyper-moderne, avec des avenues rectilignes et une architecture audacieuse héritée du Bauhaus. Ville bobo-bourgeoise, branchée.


Mais c'est peut-être justement à Tel-Aviv, ville en apparence la plus pacifiée, que peut se comprendre le mieux l'interminable conflit entre Juifs et Palestiniens.


Je suis bien sûr très ignare en la matière et il peut apparaître très présomptueux de ma part de formuler un diagnostic mais voilà quand même ce que j'ai remarqué. Tant pis si c'est faux ou caricatural.


J'ai d'abord été surprise d'apprendre qu'Israël fait partie des pays où le "niveau de bonheur" exprimé par la population est l'un des plus élevés au monde. Loin devant les Etats-Unis, l'Allemagne et la France. Étonnant dans un pays dont la situation politique et militaire apparaît pour le moins anxiogène.


Ça s'expliquerait justement en partie par cette instabilité politique et militaire qui conduirait les Israéliens à davantage s'amuser, entretenir des relations sociales et profiter de la vie. La recette du bonheur, ce serait simplement la prise de conscience du caractère relatif et éphémère des choses.


Le bonheur en temps de guerre, c'est un paradoxe, presque scandaleux, qui a été souvent noté: la vie apparaît alors plus intense, plus chatoyante, plus savoureuse.


Mais ce constat ne rend pas optimiste pour l'avenir. On a vraiment l'impression, dans ce contexte, que jamais le conflit ne trouvera de solution. Veut-on vraiment la paix ? C'est une idée qui semble enterrée depuis le milieu des années 90. On a intégré la guerre, l'insécurité, dans son mode de vie. Du reste plus personne ne comprend rien à la situation. On en fait un problème de partage de territoires, on exhorte à des concessions communes mais on sait aussi que ça ne résoudra jamais rien. Les choses vont bien au delà de la question des territoires


Le vrai problème, en fait, c'est peut-être celui qu'Amin Maalouf avait qualifié d'"identités meurtrières".


L'un des ressorts profonds de la société israélienne, c'est en effet le sentiment identitaire, d'appartenance à une communauté de destin. Ça va de pair avec un sentiment de fierté. On est fier d'être Juif (peuple aujourd'hui fort, autrefois faible) comme on est fier d'être Arabe (peuple aujourd'hui faible, autrefois fort). Et je passe sur les autres communautés...

On bouffe, on consomme des surdoses d'identité, on est dopés à ça.


Ça a des aspects positifs, ça participe notamment de ce bonheur de vivre en Israël, du vivre ensemble dans sa communauté. On est solidaires, unis, immédiatement prêts à faire front ...


Mais ça conduit aussi à méconnaître les autres, voire à les ignorer ou les mépriser. L'ignorance, voilà ce qui alimente le conflit israélo-palestinien. Il est ainsi significatif que la quasi-totalité des Juifs d'Israël n'a jamais mis les pieds en territoires palestiniens, tout simplement parce qu'ils n'en ont pas le droit. Ils n'ont donc qu'une vague idée de ce qui s'y passe.


Et sur ce point, il faut bien souligner l'abîme qui sépare Israël des pays arabes voisins.


J'ai ainsi été enthousiasmée par la modernité de Tel-Aviv, sa sophistication, son audace et sa coolitude. On va d'étonnements en étonnements: les filles hyper-sexy, hyper-émancipées, les geeks et innombrables créateurs de start-up, les joggeurs, surfeurs, sportifs, les chiens omniprésents pour les quels on s'est pris d'une étonnante affection et à qui on voue tous les égards, les multiples cafés, restaurants,  les boutiques design, les galeries d'art, les musées splendides, les boîtes de nuit démentes, les salons de massage, les hôtels de prostitution...


Tout cela est très bien mais ça a aussi un côté Occident triomphant. Et on est au Moyen-Orient.

Un jour, les "humiliés et offensés" peuvent se réveiller. On en sait quelque chose en France.

















 







Photos de Carmilla le Golem à Tel-Aviv et Jérusalem

6 commentaires:

KOGAN a dit…

Bonjour Carmilla

"La recette du bonheur, ce serait simplement la prise de conscience du caractère relatif et éphémère des choses."

C'est exactement ce à quoi j'adhère minute après minute, ce qui suit le préconise fortement.

Une amie vient de m'annoncer qu'elle arrêtait son traitement contre son cancer irréversible et avait décidé de mourir, sans sanglots dans la voix, imperturbable...

Mon sang s'est glacé à cette annonce, et ce fût difficile de tenir la conversation téléphonique.Quel courage.

Pour ne pas faire trop noir, avec ma tête, je pourrais aller aussi en Israël sans problèmes, pays que je ne connais pas non plus, j'espère aller à Jérusalem un jour pour y faire pèlerinage...

On nous dit tout et n'importe quoi sur la vie de ce pays , le mieux est de s'y rendre et de se faire sa propre opinion.Merci pour votre avis.

Vous avez aussi et encore bien illustré votre post.

Bien vous
Jeff

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff,

Tout "honnête homme" se doit en effet, me semble-t-il, d'aller un jour à Jérusalem. C'est tout de même un haut lieu de l'histoire de l'humanité.

C'est vrai qu'il ne faut surtout pas se fier à ce que racontent les médias sur un pays. J'ai eu l'impression que la vie était agréable en Israël et que la population était accueillante. Il est très facile de faire des rencontres et connaissances.

Si vous vous décidez à aller là-bas, évitez toutefois les périodes de trop forte affluence touristique car les grands monuments deviennent difficilement accessibles. Le mieux est peut-être en hiver (il fait toujours beau).

Mais il ne faut pas manquer non plus Tel-Aviv, très jeune et très moderne.

Quant à la recette du bonheur, je pense effectivement que celle-ci est la bonne,

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Dame Carmilla !

Étonnante Ludmila Oulitskaïa.

Comme convenu je vais vous faire part de mes réflexions sur cette personne que je viens de découvrir. Cette lecture est tombée pile avec cette fin d'automne, qui pour nous au Québec ressemble à l'hiver, propice aux longues soirées sous la lampe dans le silence de ma tanière où j'ai redécouvert cette espèce de parenté entre les Québécois et les Russes. Nous partageons le froid, la neige, et bien que nous avons été souvent dans la misère, nous avons fini par émerger dans ce monde moderne dans un confort relatif qui n'est jamais une assurance. L'autre trait, c'est l'incertitude et cela se sent dans ce roman : L'échelle de Jacob. Habituellement, lorsqu'on évoque le mot échelle, l'image qui nous vient à l'esprit c'est la montée, on se sert de cet outil, pour grimper, pour s'élever, pour atteindre ; mais dans ce roman, l'échelle sert à descendre, c'est comme une chute, un plongeon, vers une fin. L'histoire de ces nombreux personnages, suit la trame de beaucoup de récits Russe, la fin des Tsars, la Première Guerre Mondiale, bien sûr la révolution, puis la dictature et tout ce qui s'en suit, c'est la trame de fond ; mais ce n'est ni plaintif, ni misérabiliste, parce que les gens continuent de vivre, manger, dormir, s'aimer, se trahir, subir les régimes politiques. C'est ce qu'il y a de plus intéressant dans ce roman. Il y a longtemps que je n'avais pas lu un roman Russe contemporain qui explique comment les gens sont arrivés jusqu'à l'effondrement d'une nation au travers des faillites économiques et politiques. Le tout débute par la mort, bien sûr on est en Russie, comment ne pas parler de la mort ? Nora petite fille de Maroussia, découvre un paquet de lettres dans le fond d'un coffre et nous a voilà lancé. Des lettres d'amour entre ses grands-parents Maroussia et Jacob qui forment plusieurs chapitres de ce roman. Ce qui est particulièrement intéressant, c'est que Oulitskaïa donne sa pleine mesure, par son écriture, elle traduit cette atmosphère de jadis, puis lorsqu'elle revient à son histoire centrale, elle change de style, au début c'est peut-être déroutant, mais de cette façon elle souligne l'empreinte du temps. Lorsqu'elle raconte la vie de Nora, elle est tout à fait moderne autant par sa langue que par ses idées. J'aime aimé cette subtilité qui exige un travail soigné et une immense culture. Elle touche à une foule de sujets, autant en musique qu'en médecine. Elle nous promène de Saint Saint-Pétersbourg à Moscou, en passant par la Sibérie et New-York. Le destin de Yourik le fils de Nora est vraiment déroutant.
Merci Carmilla pour cette découverte
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Toujours dans l'étonnante Oulitskaïa
Comment ne pas passer à côté de ce bout de texte ?

« Mais qui serait le personnage principal ? Jacob ? Maroussia ? Heinrich ? Moi ? Yourik ? Non non ! De façon générale, pas un seul de ces êtres qui ont conscience de leur existence individuelle, de leur naissance et de leur mort, présumée et inexorable.
On aurait pu dire non un être, mais une substance, avec une composition chimique bien définie. Mais pouvait-on qualifier de substance ce qui étant immortel, possède la propriété de se transformer dans certaines de ses courbures, de ses volutes, dans ses radicaux... C'est plutôt une essence qui ne relève ni de l'être ni du non-être. Ce qui erre à travers les générations, d'individu en individu, et qui donne l'illusion de l'individualité. Une essence immortelle notée au moyen d'un code qui organise les corps mortels de Pythagore et D’Aristote, de Parménide et de Platon, mais aussi ceux des passants que l'on croise dans le tramway, dans le métro, ou qui sont assis sur le siège à côté de nous dans l'avion. Mon personnage principal, c'est celui qui surgit soudain quand on reconnaît quelque chose, qu'on a la vague impression d'avoir déjà vu ce trait, ce geste, cette ressemblance... Peut-être chez un arrière-grand-père, chez quelqu'un de son village, ou chez un parfait étranger. Donc, mon personnage principal, c'est l'essence. Porteuse de tout ce don l'homme dispose – la grandeur et la bassesse, le courage et la lâcheté, la cruauté et la tendresse, et la soif d'apprendre.
Cent mille essences agencées selon un certain ordre forment un être humain, le refuge provisoire de toutes les individualités. La voilà, l'immortalité. Et toi, l'être humain, l'homme blanc ou la femme noire, le crétin, le génie, le pirate du Nigeria, le boulanger parisien, le transsexuel de Rio de Janeiro, le vieux rabbin Bnei-Brak, vous n'être qu'une demeure provisoire...
Jacob, Jacob ! C'est ce livre-là que tu voulais écrire et que tu n'as pas écrit ?
Ludmila Oulitskaïa
L'échelle de Jacob
Page -612-613-

Ceci n'est pas une conclusion, c'est une essence. Voilà comment j'aime la littérature dans sa manière de dire, mais aussi dans sa manière de penser pour élaborer une réflexion. Il y a de quoi grimper une montagne pour voir loin, transpercé de quelques frissons. Une douzaine de titres publiés chez Gallimard du même auteur ; je pense que j'ai un vaste projet de lecture pour 2019 !
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Pendant votre voyage en Israël, je suis passé de Ludmila Oulitskaïa à Olga Tokarczuk, là c'est autre chose, c'est un roman d'atmosphère, ce qui a tout pour me plaire.
En parallèle, je relis sans doute pour une septième fois : Les Bienveillante de Jonathan Littell. Tant qu'à se faire plaisir...
Le peuple juif me fascine. J'ai un immense respect pour eux surtout lorsqu'on se souvient de tout ce qu'ils ont traversé comme épreuves, mais aussi pour leur immense culture qui forme un tout, de la religion à la politique, de la philosophie à l'histoire. Il suffit des fois de rencontrer un rabbin pour vivre un échange intéressant, ce qui m'est arrivé à quelques reprises dans mon existence. Comment ne pas saluer bien humblement le destin ? J'ai toujours été bien accueilli dans les synagogues. Ce qui me rappelle cette femme rabbin : Delphine Horvilleur qui a écrit un petit ouvrage intitulé : En tenue d'Ève. Ouvrage toujours d'actualité dans cette époque où l'on dit n'importe quoi.
Je ne suis pas perdu dans : Les livres de Jakob de Olga Tokarczuk, où il est question de Pologne et de Galicie, mais aussi de livres, de religions, de commerces, et surtout d'odeurs, de lumières, de sensations. C'est un livre qui se savoure. Déjà lorsque vous ouvrez ce livre, vous remarquez que cela commence à la page 1000 pour s'en aller vers la première page, faut le faire, revenu de ma surprise cela m'a bien fait rire, par contre les chapitres sont dans l'ordre croissant. Vous pouvez être sûr Carmilla que je vais revenir sur cette lecture, d'autant plus, que c'est la première fois que je lis un auteur polonais. Je pense qu'il y aura des discussions très intéressantes au sujet de ce livre.
Si vous faites des découvertes en ce qui concerne le Doukhobors en Russie, j'aimerais, s'il vous plaît, que vous m'en fassiez part.
Je suis très heureux pour vous qui avez fait ce voyage en Israël, vous avez raison c'est l'une des meilleures époques pour faire ce genre de voyage, les températures ne sont pas trop chaudes ; ce qui me rappelle mon voyage en Crête que j'avais fait en novembre ; ce qui n'est pas très éloigné d'Israël. C'est une région du monde qui est fascinante. Comme vous le dites, c'est le centre du monde, du moins de notre civilisation.
J'espère que vous n'aurez pas de problème si vous vous pointez en Iran après avoir fait ce voyage en Israël ?
Merci pour toutes ces découvertes.
Toujours avec grand plaisir
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard pour ce compte-rendu exhaustif du dernier livre de Ludmila Oulitskaïa.

J'essaierai de m'y attaquer quand j'aurai un peu de disponibilité.

Elle est sans doute le plus grand écrivain russe contemporain.

Je vous conseille d'elle, également: "A conserver précieusement" qui est une espèce d'autobiographie et "Les sujets de notre tsar" qui est un recueil de nouvelles. C'est sûrement beaucoup plus facile que "L'échelle de Jacob".

Je vous félicite d'avoir entamé Olga Tokarczuk. Mais j'avoue que, même pour moi qui connais bien tous les lieux évoqués, c'est difficile. On est submergés par l'érudition du livre. Je vous conseille d'elle "Les pérégrins" plus accessible et pareillement fort.

Quant à l'évocation du monde juif en Europe Centrale, rien n'est plus puissant et passionnant que les livres d'Isaac Bashevis SINGER ("Le manoir", "Le domaine", "Keïla la rouge", "Ombres sur l'Hudson" etc...). On n'arrive pas à décoller de la lecture.

Je suis d'accord avec vous: "Les bienveillantes" est un des grands livres de ces dernières décennies. Il faut le lire en complément avec "Vie et destin" de Vassili Grossman.

Je vais effectivement bientôt me rendre en Iran mais il n'y a pas de problème. Les autorités israéliennes ne tamponnent jamais votre passeport et vous délivrent simplement un visa sur fiche volante à l'arrivée.

Ce qui est maintenant embêtant, paraît-il, c'est d'avoir un visa iranien dans son passeport quand on se rend aux Etats-Unis. Mais on ne va quand même pas me refouler.

Bien à vous,

Carmilla