Paris a commencé à se vider. Ce sont les vacances, c'est à dire une vacance de notre esprit à tout ce qui faisait notre attention au quotidien : le travail bien sûr mais aussi tout ce qui constituait notre trame médiatique et relationnelle (les événements du monde, les collègues, les amis, la famille).
On cherche tous à se mettre, durant quelque temps, en retrait, à se déprendre, à penser à autre chose, à "se changer les idées" comme on dit. On a besoin de ça comme d'une respiration régénératrice.
Je trouve ça positif. Ca montre qu'on a conscience d'être formatés, banalisés, comprimés, par les contraintes sociales et professionnelles. A l'inverse, ceux qui ne prennent pas de vacances, qui ne cherchent pas à simplement "s'aérer", sont probablement inquiétants. Comme s'ils n'étaient plus que les rouages de la grande mécanique sociale, comme s'ils avaient peur de s'en évader.
Et parmi les vacanciers, toutes ces personnes qui veulent "se changer les idées", il y a vraiment deux grandes catégories :
- d'une part, ceux qui veulent ne rien faire, simplement se reposer et rêver.
- d'autre part, ceux qui cherchent à bouger, se déplacer, voyager.
C'est un peu l'opposition des contemplatifs et des actifs.
Les rêveurs, on a évidemment tendance à les déprécier en regard des aventuriers et baroudeurs. Des gens un peu mous, un peu popotes, qui répugnent au changement. La meilleure illustration, c'est évidemment "Le voyage autour de ma chambre" de Xavier de Maistre qui a inspiré les Romantiques.
Mais ça n'est pas, non plus, si simple. Etre capable de rêver, d'être sensible à l'immédiateté du monde et de ses sensations, est-ce que ça ne témoigne pas d'une force spirituelle plus grande que celle de se déplacer bêtement ?
En ce qui me concerne, je crois certes faire partie de la seconde catégorie, ceux qui bougent, les voyageurs, baroudeurs, sportifs. Une journée passée le cul sur sa chaise, à ne rien faire, ça m'apparaît une journée perdue, ça me déprime.
Mais mon incapacité à rester en place, ça n'est sans doute, aussi, qu'une expression de mon mal-être perpétuel. Aussitôt arrivée quelque part, j'ai envie d'en partir dans l'espoir de trouver mieux ailleurs. Mon incapacité à rester en place pour me contenter d'y rêver, ça n'est qu'une expression de mon instabilité, de mon malaise perpétuels. Ca n'est qu'une manière de me détourner de "l'ici et du maintenant", de me refuser à affronter la réalité présente.
Mais c'est aussi plus compliqué que ça parce qu'il est vrai qu'au bout d'un certain temps, j'en ai tout simplement marre d'endosser toujours la même peau. Sans doute parce que je me sens à peu près partout "une étrangère" et que je dois sans cesse faire un effort d'adaptation. Jouer continuellement à être une Française, ça devient épuisant.
Alors, je finis par en avoir marre, tant pis si mes propos choquent, de la France, de sa langue, de ses codes sociaux, affectifs et sexuels, de son actualité médiatique, culturelle, politique, de sa cuisine etc... Je n'en peux plus et j'ai fortement besoin de tirer un trait dessus et de partir à l'étranger. Mais ailleurs, ça ne marche qu'un certain temps. Je ne me sens bien, plus libre, que pendant quelques semaines et ensuite, je me lasse.
Je suis une perpétuelle insatisfaite ! La réalité est, pour moi, toujours déceptive. Et cela, c'est terrible aussi bien pour moi que pour ceux qui m'entourent.
Il faudrait que je puisse vivre dans un voyage perpétuel, sans cesse dans un nouveau cadre et avec de nouvelles personnes.
Etudiante, j'étais fascinée par la Route des Indes, l'expérience spirituelle qui la motivait. C'est devenu beaucoup plus compliqué de l'arpenter aujourd'hui mais j'ai eu la chance d'en faire un grand bout, jusqu'à la frontière irano-pakistanaise. Ca m'a évidemment beaucoup marquée et, surtout, j'en suis sortie imprégnée par les grands écrivains voyageurs : Ella Maillart, Anne-Marie Schwarzenbach, William Darlymple. Ils sont au petit nombre de ceux que je relis régulièrement.
Et puis, il est une grande période de l'Histoire que j'aurais aimé vivre: celle des Croisades. Cette grande aventure européenne, elle a duré deux siècles (en gros de 1095 à 1270) et elle a précipité des foules entières sur les chemins de Jérusalem. Nul doute que j'aurais cherché à participer à cette immense aventure, à cette grande fièvre collective. Comment alors mieux dépasser son destin ?
Et ma fascination pour les Croisades, elle s'explique aussi par l'impression profonde que m'ont laissée les châteaux de mon enfance, ceux des Chevaliers Teutoniques. On l'a généralement oublié mais ces chevaliers étaient des croisés de la Baltique.
Images de Guy Bourdin, Luchino Visconti, affiches de la Belle Epoque, Nicolas Roerich, châteaux de Malbork et de Trakai
Le titre de mon post est repris du numéro de juin de la revue "Philosophie Magazine".
Je recommande :
- Nicolas Bouvier: "L'usage du monde"
- Ella Maillart: "La voie cruelle"
- Anne-Marie Schwarzenbach: "De monde en monde"
- William Darlymple: "Sur les pas de Marco Polo - Voyage à travers l'Asie Centrale"
- Sous la direction de Martin Aurell et Sylvain Gouguenheim: "Les croisades - Histoire et Idées reçues". Un bouquin très récent. Il y a une foule de livres sur les Croisades mais on s'est mis à tout mélanger (on parle même de la croisade de George W. Bush ou de celle des Djihadistes de Daesh). Ce livre débusque en particulier toutes les idées reçues sur la question.