samedi 16 novembre 2024

Le Grand Blond et le Colin Froid


Du retour du Grand Blond, de l'impossible devenu grand coup de poing dans nos gueules bien pensantes, tout a déjà été dit.

Je ne vais donc pas en rajouter. Evidemment pour l'Ukraine, ça ressemble à un lourd marteau qui va se dépêcher d'écraser le petit insecte qui voulait à tout prix survivre mais dont le bourdonnement commençait à agacer tout le monde. Ca fait trop longtemps que ça dure cette affaire, il faut passer à autre chose. Laissons crucifier l'Ukraine, on oubliera bien vite ça.


On essaie de se rassurer, du côté ukrainien, en se disant que les choses ne sont heureusement pas si simples. Il en va quand même de la crédibilité des Etats-Unis et de leur prétention à exercer un leadership dans le monde. Nous laisser sinistrement couler, ça ferait tâche.

Il va donc falloir négocier. Et on se met donc déjà, du côté occidental, à échafauder de multiples compromis, à envisager des échanges ou des cessions de bouts de Donbass ou de Crimée.

C'est évidemment nécessaire parce que la reconnaissance des frontières, c'est la reconnaissance du Droit international, l'affirmation de la prééminence du Droit sur la Force.

Mais il ne faudrait pas que ces questions de territoire soient l'arbre qui cache la forêt. Qu'elles fassent oublier, finalement, pourquoi Poutine a lancé cette guerre, quel était son objectif initial.

On reprend trop facilement, à l'Ouest, le discours de Poutine et on se met à croire, naïvement, qu'il s'agit, simplement, pour lui de récupérer des "terres russes", notamment ce que l'on appelait la Malorossiya, la Mala Rus, la Petite Russie. Mais un simple coup d'œil à une planisphère montre à quel point cette vision est absurde. La Russie, ce n'est tout de même pas la Belgique et on ne peut vraiment pas dire qu'on y vive à l'étroit.

En réalité, Poutine s'en fiche à peu près des territoires. L'expansion géographique n'est pas sa première préoccupation. Surtout quand il s'agit de s'encombrer de territoires ravagés par la guerre qu'il faudra soutenir à grands coups de subventions. Une très mauvaise affaire économique en perspective. Si on se limite à la géographie, ça ne rime donc vraiment à rien cette guerre. L'historienne Hélène Carrère d'Encausse, avec la quelle je suis pourtant rarement d'accord, avait d'ailleurs bien vu cela, il y a 3 ans.

La vérité, c'est que l'objectif initial était simplement politique. Il s'agissait de prendre Kiev, de renverser Zelensky puis d'installer un gouvernement fantoche à la botte de Moscou. Et cet objectif premier, il est toujours dans la tête de Vladimir Poutine, le colin froid.

Il déteste l'Ukraine et les Ukrainiens, c'est évident. Mais c'est beaucoup moins parce qu'ils occupent des terres originellement russes, mais, plus simplement, parce qu'ils veulent rejoindre l'Europe et vivre sous un régime démocratique.

Et cela, c'est intolérable pour le colin froid. Il veut maintenir, à tout prix, une emprise de la Russie sur tous ses Etats voisins. D'où ses ingérences en Transnistrie-Moldavie, en Géorgie et dans tout le Caucase. Une manière de ressusciter l'ancienne U.R.S.S. et ses anciennes Républiques totalement inféodées au Kremlin.

Aux yeux de Poutine, ce qu'il ne faut surtout pas, c'est que, juste à côté de la Russie, émerge un Etat démocratique, une expérience sociale et économique réussie qui ferait de l'ombre au pouvoir russe. Par rapport à cet objectif prioritaire, la question des territoires est presque secondaire. Renverser le gouvernement Zelensky et le remplacer par d'obéissants pro Kremlin, c'est la préoccupation essentielle et première de Poutine. Le reste, la Crimée, le Donbass, ça ne vient qu'en second.

Ce qui m'inquiète, c'est que dans le camp occidental, on ne semble pas du tout comprendre cette stratégie de Poutine. On se met même à croire à sa fable de l'Occident agresseur initial et aux "garanties de sécurité" qu'il faudrait donner à la Russie. Et déjà, on laisse entendre que Trump s'engagerait à ce que l'Ukraine ne rejoigne pas l'OTAN avant 30 ans. Et quant à l'Union Européenne, on saura aussi faire traîner les choses quelques décennies.

C'est exactement le contraire qu'il faudrait faire: on devrait plutôt dire qu'on va hâter les adhésions. La population ukrainienne accepterait alors moins mal d'éventuelles pertes de territoires (alors qu'elle en fait toujours, aujourd'hui, une exigence très forte).


Mais à différer ces adhésions à l'OTAN et à l'U.E. aux calendes grecques, on fait exactement le jeu de Poutine. Même s'il fait des concessions territoriales, il pourra dormir tranquille, il aura tout son temps et toutes marges de manœuvre pour déstabiliser et croquer l'Ukraine.

Images de Stefan ZECHOWSKI (1912-1984), Francesca WOODMAN, Zdzislaw BEKSINSKI, Alfred KUBIN. Je précise que je suis une fan du peintre Zechowski. Il est absolument inconnu, je crois, en Europe de l'Ouest. Mais je crois aussi que sa peinture y heurterait trop: qu'est-ce que c'est que ces horreurs ?

Je recommande:

- Julian SEMENOV: "A l'Ouest, le vent tourne". Le tout dernier bouquin traduit du célébrissime (en Russie) auteur (1931-1993) de romans policiers sophistiqués. Il faut savoir que Poutine s'identifiait à son héros (Von STIERLITZ). Pour comprendre un peu la Russie d'aujourd'hui, il faut lire Semenov. C'est effectivement très fort et pas du tout manichéen. Ce dernier livre se passe au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il permet aussi de considérer l'Ouest différemment.



samedi 2 novembre 2024

Ma mort qui rêve

 
C'est aujourd'hui le Jour des morts, celui où l'on commémore ses défunts. Et hier, 1er novembre, c'était la Fête de tous les Saints. Bizarrement, on ignore souvent cette distinction et on entretient une complète confusion à ce sujet.

Mais qu'importe ! Ce sont des dates importantes pour moi. Ca se rapporte d'abord à des souvenirs d'enfance: les premiers froids, les premières neiges. Et puis le spectacle impressionnant des cimetières qui, dans la nuit glaciale, se transformaient en fleuves de feu bouillonnants et crépitants.

J'ai maintes fois souligné que la Mort disparaissait de l'horizon de nos sociétés "modernes". Il n'y a plus d'échange symbolique avec nos défunts. Même plus de rite funéraire ou de spectacularisation cérémonielle. Plus c'est sobre, dépouillé, discret, mieux c'est. Aussitôt constaté le décès d'un proche, on se dépêche donc d'effacer toute trace de son existence physique: on pratique  une crémation et on disperse ensuite les cendres dans la Nature.

On considère que c'est plus "hygiénique" et plus moderne. Les cimetières et leur décorum, ça fait partie de ces "vieilleries" appelées à disparaître. On a complétement oublié  que ce qui avait signé la naissance des sociétés humaines et consacré leur séparation d'avec le monde animal, c'était l'édification de nécropoles accompagnée de cérémonies mortuaires. La conscience de la Mort arrachait tout à coup l'homme à la nuit animale. Ce que Hegel résumait en une phrase: "L'homme est un être pour la Mort".

Sans trop s'en rendre compte, on assiste aujourd'hui à un bouleversement majeur de la conscience occidentale. On devient, dans toute l'Histoire humaine, la première "civilisation" qui cesse d'honorer ses morts.

Peut-être parce qu'on est devenus incapables d'affronter l'altérité radicale de la mort, son caractère irréductible. Alors, on emprunte des tours et contours, on fait comme si de rien n'était et on essaie de s'enfermer soi-même dans le déni, dans une grande cuirasse protectrice. On vit maintenant dans un chantage continuel à la sécurité qui va de l'hygiène de vie à l'écologie.

Il n'y a plus qu'une seule mort autorisée, la mort programmée, industrialisée, c'est à dire non accidentelle, prise en charge médicalement. Le caractère tragique, imprévu, de la Mort, c'est ce que l'on veut à tout prix éviter.

La Mort est devenue "obscène" et c'est pourquoi, on la met "hors scène".

Mais à force d'être pétochards et de se barder de "précautions", à force de se recouvrir de bandelettes protectrices, de s'enfermer dans des cages protectrices, on se "momifie" soi-même. Que dire, par exemple, de l'architecture urbaine contemporaine, de ses "grands ensembles", de ses immeubles en verre dont la monotonie est conçue pour nous glacer le cœur et extirper toute émotion ?

 Qui peut avoir l'idée de donner un rendez-vous sentimental au pied d'une Tour de la Défense ou, pire, de la  "Trump Tower" ? Mais, dans un avenir proche, ce sera probablement le cadre de nos amours. Il ne doit plus y avoir que de basses intensités dans un monde indifférent. On vit soi-même dans des sarcophages urbains et sentimentaux. Et on pourrait disserter aussi sur la passion que l'on porte aux "sarcophages automobiles".

Mais, allez-vous me dire, la mort, elle est omniprésente dans les médias et au cinéma. On est abreuvés d'images d'attentats, de crimes, de catastrophes. Certes, mais il s'agit d'une mort distanciée, aseptisée, esthétisée. Et d'ailleurs, les morts individuelles, on ne les montre pas. Rien n'est authentique, tout est irréel: celui qui tue ne souffre pas, celui qui est tué ne ressent aucune angoisse. Tout est au second degré, tout se fait sans émotion. La finalité, c'est qu'à force d'évoquer la mort à grands coups d'images choc, on parvienne à tuer simplement la mort. C'est ce qui fait l'économie du cinéma et des "actualités": exhiber sans cesse la mort, la voir partout, pour l'invisibiliser et ne plus avoir à l'affronter.

On méprise le corps, sa souffrance et ses émotions. Et ce mépris, on le retrouve dans les fantasmes d'immortalité du transhumanisme. On se rend bien compte que l'espérance de vie du corps a, tout de même, certaines limites et qu'on ne pourra pas les repousser à l'infini. Alors, on se concentre surtout sur la possibilité d'atteindre l'immortalité en téléchargeant les données de son esprit. Et on pourra même booster les choses avec l'intelligence artificielle.

Tout est envisagé comme si on n'avait jamais été que de purs esprits et que notre beauté physique et toute notre matérialité et sensibilité, ça comptait pour rien. C'est vraiment l'expression d'une vieille rancœur puritaine.

On ne s'interroge même pas sur le résultat de l'opération. Qu'est-ce que ce sera ce nouvel homme sans corps et donc sans désirs, ni besoins ? Sachant peut-être parler et raisonner mais incapable de joies et de passions, d'amours et de haines. En bref, de tout ce qui fait l'humanité. Peut-être capable de raisonnements mesurés et impeccables mais n'éprouvant rien dans sa chair et son émotion. Les transhumains pourront s'exterminer les uns les autres en toute indifférence.

On n'est plus que des vivants séparés de leurs morts et de leur Mort (nos proches et la nôtre propre). On ne vit plus que sur le mode de la survie, celle des 5 fruits et légumes chaque jour, du jogging et de la tempérance. On a dédramatisé le monde et c'est pourquoi on est devenus incapables d'affronter notre Destin.

Redonner une dimension tragique à nos vies, retrouver notre destin "d'êtres pour la Mort", c'est cela qui peut nous aider à sortir de notre Grande Dépression. Se débarrasser de ce sentiment que tout se vaut, que tout est indifférent, que tout est réglé par l'échange monétaire: la mercantilisation généralisée du bonheur et des biens.

A cet égard, le 19ème siècle est plein d'enseignements. Le 19ème siècle, ça a été la naissance de la modernité, d'un monde laïcisé, sans Dieu. Et cet effacement de Dieu a provoqué un grand vide émotionnel. Pour pallier ce vide, l'Europe a inventé l'Art du Roman. Et le roman a d'abord illustré la conscience tragique: celle du Romantisme, en particulier le Romantisme allemand, et celle du Roman Noir et Gothique. Ca n'a duré qu'un temps puisqu'ensuite le Roman s'est vite attaché à rendre simplement compte du Réel.

On est désormais prisonniers de "la Banalité" et quelque chose nous manque aujourd'hui. Plus que jamais, on a besoin d'être confrontés à nos "gouffres intérieurs", nos peurs, nos angoisses, nos "craintes et tremblements" face à la Mort.

Images de Hugo SIMBERG, Zdzislaw BEKSINSKI, Francisco de GOYA, Pieter BRUEGHEL l'Ancien, Jacques MONORY, Alfred KUBIN, Ingmar BERGMAN, Arnold BÖCKLIN, Jean-Michel BASQUIAT. Les 3 photos sont de moi-même au cimetière de Passy.

Je parle certes ici de moi-même mais de façon paradoxale parce que des plus disciplinés, des plus obsessionnels, que moi en matière d'hygiène de vie, il n'y en a pas beaucoup.

Je recommande:

- Jean BAUDRILLARD: "L'échange symbolique et la Mort". C'est vieux (1976) mais c'est prophétique et admirablement écrit. Son meilleur bouquin à mes yeux.

- Joseph Sheridan LE FANU: "L'Oncle Silas". Une réédition, en mai dernier et chez José Corti, de ce chef d'œuvre de la littérature noire du 19ème siècle. Un savant mélange, inspiré de Svedenborg, du monde des vivants, du monde des esprits et de l'Enfer.

- Mariana ENRIQUEZ: "Les dangers de fumer au lit". Douze nouvelles, magnifiques et horribles, de la grande écrivaine argentine (autrice de "Notre part de nuit").

- Joyce Carol OATES: "Terres amères". Elle est, depuis longtemps, nobélisable mais il faut bien dire que ses bouquins sont souvent d'une longueur décourageante. Voilà au moins un recueil abordable de 16 nouvelles brutales et décapantes, souvent cruelles.

- Benoît GALLOT: "La vie secrète d'un cimetière". C'est le jeune Conservateur du fameux Père Lachaise qui raconte le quotidien de la vie et de la gestion de cet extraordinaire endroit. Un boulot absolument passionnant  qui me conviendrait tout à fait (mais je n'ai pas le physique de l'emploi). Des tombes illustres, plein d'animaux, toute une flore, une foule de petites histoires... Un livre épatant, très original, qui apprend plein de choses sur ce mythique lieu parisien.

Enfin, je serai très occupée la semaine prochaine. Pas de post donc... Mais on peut, bien sûr, toujours m'écrire.



samedi 26 octobre 2024

Bureaucrates du Mal

 

Parmi les questions à propos des quelles je me sens le plus en décalage avec la société française, il y a celle des horreurs de l'Histoire: la seconde guerre mondiale, le nazisme, le stalinisme. Ca ne cesse de me hanter: je compulse les biographies des dirigeants nazis et de leurs exécutants, j'essaie de comprendre comment on a pu arriver à ça en toute bonne conscience. Il en va de même pour l'URSS et ses camps.

Inutile de dire qu'en France, avec mes collègues et interlocuteurs, je passe pour complétement timbrée. C'est entièrement passé à la trappe. Combien d'amants m'ont déclaré que je n'étais vraiment pas drôle, sinistre même, et que je devais être carrément morbide pour m'intéresser à ces vieilleries ! C'est peut-être mon origine Europe Centrale (là-bas, on continue de parler de ça) mais c'est vrai que je ne suis pas une rigolote et que mon côté sombre exerce, insidieusement, une pression sur les autres.

Cette tendance à effacer, mettre hors champ, ce qui dérange, ça se manifeste aussi aujourd'hui avec la guerre en Ukraine. J'ai bien compris que ça lassait sérieusement l'opinion occidentale. Quel casse-pieds ce Zelensky, toujours à mendier une aide; y'en a marre, il nous coûte la peau des fesses, on est obligés de se restreindre. Pour éviter de plomber les ambiances, de passer moi-même pour une raseuse ou une pleurnicheuse, j'ai depuis longtemps baissé le rideau et je préfère me taire.

Et c'est une attitude étrangement commune à toutes les victimes. Les victimes ne parlent pas. C'est de toute manière incommunicable. Qui peut comprendre la terreur de bombardements continus ou d'une agression physique s'il ne l'a pas lui-même vécue ? Alors, on se comporte comme si de rien n'était, comme si on s'accommodait de la situation, comme si la vie continuait de suivre son cours normal. 

Les victimes ne parlent pas mais les bourreaux et les bien-pensants, eux ils ne cessent de parler. C'est la grande différence. On connaît la formidable logorrhée d'Hitler et de ses sbires. Ou bien les longues nuits de soûleries-confessions collectives de Staline. Toujours à assommer les autres d'interminables ratiocinations leur permettant de s'auto-justifier.

Et c'est vrai que c'est efficace. Toutes les biographies des grands criminels politiques regorgent de détails montrant leur humanité: la courtoisie et la politesse d'Hitler, la prostration de Staline après le suicide de son épouse Nadejda et l'amour absolu qu'il portera ensuite à sa fille Svetlana. Et d'une manière générale, les dignitaires nazis auraient été de bons époux et, surtout, des pères aimants.

C'est évidemment déroutant et on aimerait bien que les choses soient plus simples. Que les monstres soient, incontestablement, des sadiques. Mais ça n'est pas du tout ça. Avec les monstres politiques, on se retrouve en fait en zone grise, rien de tout à fait blanc, ni de tout à fait noir. Et c'est dans cette zone grise qu'évoluent les grands criminels de l'humanité.

Hitler ou Staline n'ont jamais assisté à une exécution ni visité un camp de concentration ou un camp de travail. Contrairement à une opinion répandue, ils n'étaient pas de grands malades ou de grands pervers: c'est une fausse image qui a notamment été diffusée par le cinéma (Liliana Cavani, Luchino Visconti, Pier Paolo Pasolini, Louis Malle). 

C'est même l'exact contraire: ils étaient tout sauf des fous; leurs mentalités, leurs goûts, leurs modes de vie étaient ceux de sinistres petits bourgeois, puritains, engoncés et étriqués.

Et c'est cette absolue normalité qui est justement effrayante. Parce qu'on est tous un peu comme ça. On est tous un peu rigides. On aime bien, tous, ce qui est simple et clair, on est tous en quête d'une vie bien cadrée, réglementée, qui permettra de s'auto-absoudre sans états d'âme. Et c'est pourquoi, on fait plutôt confiance à des gens et des personnalités politiques "comme nous". Des gens normaux, pas trop compliqués, faciles à cerner. Surtout pas imprévisibles et  surprenants.

On a tous l'âme un peu bureaucrate, un peu fonctionnaire, on a tous besoin de s'appuyer sur des certitudes. Et c'est ce qui nous prédispose justement à commettre, au nom de la Loi et de l'ordre, les pires crimes et exactions. Et cela en toute bonne conscience et sans aucun remords.

C'est le thème de la banalité du Mal, aujourd'hui largement développé. Cette banalité éminemment contagieuse.

Certes, on se rassure aujourd'hui en se racontant que ça ne touche que les pays totalitaires. Mais est-ce qu'on ne vit pas, non plus, dans une complète autofiction, dans une duplicité totale ? En bref, dans le mensonge permanent. 

L'Occident se fissure, constate-t-on aujourd'hui. C'est la fin de son hégémonie, la montée des BRICS et du Sud global. Mais la menace ne vient pas seulement de l'extérieur car, en interne, l'idéal démocratique est de plus en plus contesté. 

On est maintenant atteints par une haine générale de soi et des autres. Et on se montre d'autant plus égalitariste que cette belle revendication recouvre une hostilité générale. On s'en rend compte tous les jours en ouvrant journaux et réseaux sociaux: "Fake news, complots, interprétation des faits, guerre des récits, sublimation du pire, apitoiement sur soi-même, glamour de la colère, déstabilisation du sens".

On ne sait plus qui écrit l'Histoire et qui l'emporte, de la Réalité ou de la Fiction. Chacun construit son auto-fiction, un habile tissu de mensonges. On ne cesse d'évoquer la transparence mais on est rentrés dans l'ère généralisée du Faux.

Images de Zdzislaw BEKSINSKI, Otto DIX, Piotr MLECZKO, Bronislaw LINKE

Innombrables sont les bouquins consacrés au Nazisme et au Stalinisme. Je n'évoquerai donc que les plus récents:

- Jean-Noël ORENGO: "Vous êtes l'amour malheureux du Fürher". Un livre remarquable un peu trop passé inaperçu au cours de cette rentrée littéraire d'automne. Il évoque Albert Speer l'architecte d'Hitler avec qui il a noué une relation quasi affective. En dépit de ce lien très fort, il a toujours proclamé n'avoir jamais rien su de la solution finale. "Responsable mais pas coupable" a-t-il proclamé à Nürnberg. Et ça a marché puisqu'il a échappé à la pendaison.

- Gerald L.POSNER: "Les enfants d'Hitler". Les fils et les filles des dignitaires du IIIème Reich parlent de leurs parents.

- Robert SERVICE: "Staline". C'est le bouquin de référence. Il montre surtout un Staline très complexe. D'un côté, une brute et un tyran sanguinaire. De l'autre, un érudit, grand lecteur, amateur d'Art et bon père de famille.