samedi 5 avril 2025

Etrangèr(e) à soi-même

 

Je ne sais pas si ça peut être compris mais, dans ma vie sociale, j'ai le sentiment continuel de vivre dans la superposition de plusieurs réalités. Et celles-ci ne communiquent pas vraiment.

Ce n'est pas qu'il y ait, en moi, une dualité, duplicité, de la personnalité, un peu comme celle du Docteur Jekyll et de M. Hyde. Ce sont plutôt les convenances et catégorisations sociales qui imposent ce cloisonnement souvent hermétique. 

Je vis d'abord ça dans mon boulot. Là, je n'y suis que la directrice financière et rien d'autre. Et je ne veux d'ailleurs pas moi-même qu'il en soit autrement. Je m'attache, en fait, à ce que rien ne transparaisse de ma vie personnelle. Il me faut être lisse, conforme, ne pas "donner prise" par une singularité, une originalité, qui permettraient de me décrédibiliser. Donc, je ne me dévoile surtout pas, je ne parle à peu près que boulot, chiffres, bilans et comptes de résultats. 

Des copains/copines de boulot, je n'en ai donc guère. Juste une fille un peu barjot folle de spéculation boursière. On s'amuse donc parfois, toutes les deux, à imaginer des "coups", des montages déments pour torpiller ou doper artificiellement le cours d'une boîte. Mais c'est une distraction limitée, ma seule fantaisie professionnelle. Et au total, même si je pense n'être jamais désagréable et toujours d'humeur égale, j'imagine bien que j'apparais sûrement lointaine et impénétrable. Cette solitude, c'est sûrement dommage mais je sais aussi que je ne peux pas avoir d'amis dans mon travail et que j'ai besoin de cette carapace. Sinon, on se fera un plaisir de me massacrer.

Ce décalage entre l'identité professionnelle et la réalité brute, je le constate aussi au cours de mes activités de loisirs. Ca concerne, pour moi, le jogging et la piscine. J'ai vite découvert que ce sont moins des activités sportives que des lieux et occasions de rencontres, du moins à Paris. Mais là, c'est l'inverse, c'est le grand retournement des rôles. Les petits s'y font grands en s'inventant des activités et professions prestigieuses. 

C'est le grand défilé des mythomanes et c'est fou le nombre de supposés chefs d'entreprise ou grands artistes qui viennent me draguer. Ca leur est d'autant plus facile que la contingence des rencontres fait que les propos sont invérifiables. Mais je laisse faire parce que cette grande exhibition m'amuse beaucoup finalement. C'est la grande comédie humaine, cocasse, hors sol. Je me contente donc d'écouter. Je me dis simplement que je dois vraiment passer pour une cruche, une grande naïve, pour qu'on me baratine avec autant d'assurance.

Et que je sois une cruche, on me l'a d'ailleurs souvent fait sentir lorsque j'ai incidemment côtoyé des milieux auto-proclamés "intellectuels" ou artistes. Compte tenu de ma profession, j'étais forcément butée, bornée. Même en économie et sur les grandes questions du monde, on s'opposait à moi. Et on s'étonnait même que j'aie lu un roman un peu compliqué. Je me dis souvent qu'il n'y a pas plus intolérants que les "cultureux" et les "modernes". 

Et j'ai retrouvé un peu ça avec les amants français que j'ai pu avoir. Ca n'a jamais marché parce qu'ils ont toujours cru me "cerner" très vite. Ils ont toujours pensé que mon passé, mes cultures d'origine, ça n'était pas très important. Ca les barbait même. Et moi, de mon côté, je trouvais que c'était leur culture franco-française qui était vraiment étriquée. La "communication" a donc été toujours été très limitée, on ne pouvait pas se comprendre. Il a, à chaque fois, heureusement suffi que me soit présentée la future belle-famille pour que je m'enfuie très vite. Compte tenu de mes fantaisies, je n'aurais sûrement pas convenu. 

Et je crois finalement que c'est ça le véritable problème. On est trop sérieux, trop prisonniers d'une identité: sociale, politique, culturelle, nationale. On veut trop s'y conformer parce qu'on a l'illusion de se connaître. Rien n'est plus faux. Il faut plutôt apprendre à se sentir étrangers à ces catégorisations qui nous compriment, nous abrutissent. 

Mon identité sociale, je m'en fiche à peu près. Je me suis quand même bagarrée pour en acquérir une mais c'était pour survivre économiquement. Et aussi pour qu'on me fiche la paix, qu'on me laisse m'adonner à mes lubies, qu'on n'entrave pas mes rêves. Et ça m'ennuie profondément qu'on me confonde, presque tout le temps, avec ma carte de visite.

Alors qu'on ne devrait avoir qu'un objectif: devenir étranger à soi-même pour s'ouvrir à d'autres approches, d'autres sensibilités, du monde et de la vie.


Tableaux de Max ERNST (sauf un René Magritte)

Je recommande:

- Catherine CUSSET: "Ma vie avec Proust". Il ne s'agit pas d'un livre "savant". Catherine Cusset (qui est une écrivaine pleine d'ironie sur elle-même) tire plutôt des leçons de vie de Proust. On en retire un autre regard sur la vie sociale, sur ceux qui nous entourent et sur nous même. La duplicité est générale mais tout est signe. A nous de savoir interpréter. 

- Patrick ROEGIERS: "Satie". Un portrait fascinant du grand musicien Erik Satie. Un asocial complet, un dissident absolu, refusant tout compromis. Un moderne qui refuse la modernité et toutes les convenances.


Je signale enfin que je pars me changer les idées (oublier Trump et Poutine) avec une petite escapade dans le Caucase. Pour y trouver, peut-être, un peu de hauteur, d'altitude par rapport à toute cette Grande Bêtise, ce grand Cynisme, qui agitent aujourd'hui le monde. Donc pas de post la semaine prochaine. Mais on peut toujours me contacter (du moins je pense).


 



samedi 29 mars 2025

La Peur surmontée

 

Dans tous les reportages consacrés à l'Ukraine, il est une chose qu'on n'évoque presque jamais. Celle du retour de la population, au début du conflit, à un état primaire, quasi animal. Le sinistre retour de la Vie comme grande Peur.

Et cette Peur, elle n'est pas tellement celle du danger immédiat, de la Mort imminente, du missile qui va vous tomber soudainement sur la tête.

Elle naît surtout du sentiment d'être continuellement traqué, pourchassé, méthodiquement suivi, avant d'être froidement exécuté. C'est l'angoisse des grands gibiers poursuivis par une meute.

C'est cet acharnement tactique, cette froideur assassine, qui sont effrayants. Parce qu'on ne parvient pas à les comprendre. 

Qu'est-ce qu'on a fait pour mériter cela ? La froide réalité, c'est que les Russes veulent nous tuer simplement parce qu'on est Ukrainiens. Les motifs de leur agression, n'ont rien à voir, quoi qu'on en dise, avec les menaces de l'Otan ou l'existence de Nazis ukrainiens. C'est simplement notre Droit à l'Existence qui est nié et c'est simplement comme cela qu'est perçue l'agression russe. 

Il y a bien sûr d'infâmes crétins à la Luc Ferry ou Olivier Todd qui proclament qu'on l'a bien cherché. Il y a aussi des reportages qui montrent que dans les grandes villes, la vie semble à peu près normale avec des cafés, des restaurants, des discothèques bondés. On s'y fait, on s'y habitue, semble-t-on dire.

C'est vrai qu'on se blinde un peu, qu'on relativise le danger. A force d'entendre des sirènes d'alarme avertissant d'une attaque aérienne, on ne prend même plus la peine de courir se mettre à l'abri. Et puis, on voit bien que les cimetières ne cessent de déborder. On parle de 1 000 morts chaque jour, on se résigne donc un peu. Si c'est demain notre tour, on sait bien qu'à peu près personne ne nous consacrera de temps pour pleurer. On ne sera, dans une longue liste, qu'un numéro de plus vite oublié.

On vit donc dans une espèce d'insensibilité de cauchemar. On n'a plus de disponibilité mentale pour s'apitoyer. Et c'est ça qui est terrible: la guerre nous dépouille progressivement de toute sensibilité/compassion.  

Et c'est vrai que, moi-même, je m'en fiche bien des morts russes. Ce n'est pas que je sois devenue odieuse ou cynique. Mais je m'élève aussi contre toute cette pleurnicherie pacifiste qui se répand aujourd'hui. C'est le grand "lamento" que jouent Trump et ses sbires. Il faut arrêter tous ces affreux massacres. On joue les "Belles Ames" humanistes et éplorées. On fait comme si les responsabilités étaient partagées entre deux entêtés qu'il faudrait calmer.

A cette attitude, je répondrai brutalement. A-t-on jamais comparé le nombre des soldats allemands morts au combat à celui de tous ceux qu'ils ont exterminés ?  A tous les hypocrites, je le dis tout net: il n'y a pas d'équivalence entre les morts russes et les morts ukrainiens. 

A se prétendre humaniste en mettant à égalité morts russes et ukrainiens, on cherche simplement à évacuer le fond du problème: celui d'une agression génocidaire, celui de la négation du simple Droit à Vivre de tout un peuple. Et cette négation, elle a été exprimée, par écrit et sans détour, par Vladimir Poutine lui-même, à l'été 2021.

Mais les choses ont bien changé depuis. Les Ukrainiens ont, certes, d'abord vécu dans la Peur, cette Peur primaire du plus petit face à un ogre. Mais cette Peur, ils l'ont largement surmontée en faisant face et en repoussant l'armée russe. 

C'est au point que les Ukrainiens ont tous, aujourd'hui, le sentiment d'avoir gagné la guerre. Et ça n'est pas faux parce que toutes les conquêtes russes n'ont été effectuées que, par surprise, durant les premières semaines de l'invasion. Et depuis cette date, celle qui se prétend la 2nde Armée du monde mais qui n'est, en fait, que la 2nde armée en Ukraine, n'a quasiment pas avancé. Et bien des experts pensent qu'une victoire ukrainienne est encore possible si on lui en donne les moyens techniques.

On parle de négociations aujourd'hui. Mais il faut préalablement déjouer le triomphalisme russe qui n'est que de propagande. Ce n'est certainement pas la Russie qui est le vainqueur. Il n'y a que Poutine et Trump pour penser cela. Il faut donc installer d'abord l'Ukraine en position de force dans ces négociations.

Images de Maria Yakunchikova (1870-1902). Elle est une peintre symboliste russe. Russe, ça m'embête évidemment mais elle a surtout vécu en Europe de l'Ouest et elle est décédée prématurément de la tuberculose. Surtout, j'ai été marquée profondément, dès mon plus jeune âge, par son tableau "La Peur" (1ère image). Tellement simple et tellement évocateur.


Je recommande:

- Alissa GANIEVA: "Sentiments offensés". Dans une ville de province, la société russe actuelle dévorée par le goût du Pouvoir et la corruption. Une comédie cruelle d'un réalisme sinistre.

- André MARKOWICZ: "Dictionnaire amoureux de Pouchkine". Si on s'intéresse à la Russie, on ne peut pas ne pas connaître à fond Pouchkine. Il fait l'objet d'un culte absolu et chaque Russe a appris à lire avec lui. André MARKOWICZ est le plus grand traducteur français de la littérature russe qu'il a complétement dépoussiérée. En outre, il est très lucide politiquement et est un fervent soutien de l'Ukraine. Ce livre sur Pouchkine est très intelligent, très éclairant. Il traverse l'histoire et ses débats politiques et philosophiques.

Je signale enfin que, le 4 avril prochain, paraît, en poche Folio, une nouvelle traduction du "Docteur Jivago" de Pasternak. Ca a beaucoup vieilli mais ça demeure un grand livre d'histoire.



samedi 22 mars 2025

Le Coup d'Etat des oligarques américains

 


On feint de s'étonner du rapprochement des U.S.A. et de la Russie.

Mais on ne s'est pas rendu compte que, depuis près d'une décennie, les Etats-Unis essayaient de mettre en place un Capitalisme de la puissance très proche du Capitalisme oligarchique russe. 

Avec cette idée aberrante que la concurrence internationale affaiblissait les U.S.A. et constituait une véritable spoliation. 

Le très démocrate Joe Biden, lui-même, n'hésitait pas à privilégier les produits américains dans les marchés publics et accorder de généreuses subventions aux entreprises.

Avec Trump, les subventions disparaissent. L'idée est, chez lui, que le commerce international est organisé pour voler l'Amérique. Les pays étrangers, ce ne sont que des sangsues. A preuve, les formidables déficits commerciaux des U.S.A. envers à peu près tout le monde. On aurait été trop bêtes, on se serait fait rouler par incompétence, générosité et naïveté, ne cesse de marteler Trump. Ca doit cesser, il faut taper du poing sur la table, montrer qui est le plus fort. D'où l'utilisation du marteau des droits de douane.

Et ça passe très bien auprès de l'opinion publique. Ca semble une mesure de bon sens et, surtout, ça permet de reporter sur l'autre, l'étranger, la responsabilité de ses difficultés. Le Peuple vient au secours des grandes entreprises et des oligarques.

Le problème, c'est que ce diagnostic est complétement faux. 

D'abord le commerce extérieur ne fait pas, à lui seul, la prospérité économique d'un pays. Et d'ailleurs, comparativement à sa richesse nationale, les USA ne sont pas un grand pays d'échange de biens avec l'extérieur. 

Et puis, ce n'est pas simplement la compétitivité de ses produits qui détermine l'excédent ou le déficit de la balance commerciale et des paiements courants d'un pays.

Ce ne sont pas non plus les autres, les étrangers, qui sont responsables de ce déficit mais le Gouvernement du pays concerné lui-même en raison de sa gestion calamiteuse de ses Finances Publiques.

La situation des USA est limpide, en effet : le pays consomme plus qu'il ne produit et son épargne est très insuffisante pour couvrir ses investissements. C'est de l'analyse économique de base mais que les conseillers de Trump semblent totalement ignorer. Ca interroge sur ce que l'on enseigne en économie dans les Universités américaines.

Personne ne vole les Etats-Unis mais le pays carbure simplement au forçage de la consommation et à l'endettement sans limites. Tout s'explique en économie, il n'y a pas de victimes ou plutôt les victimes sont les premiers artisans de leurs malheurs. Il existe simplement un système de liaisons très fortes entre le déficit des budgets de l'Etat et le déficit des transactions avec l'extérieur. 

Le système américain ne tient, en fait, que grâce à la complaisance des investisseurs étrangers qui continuent d'acheter massivement, sans trop se poser de questions, des titres de la Dette américaine.

Et les investisseurs étrangers, c'est vous, c'est moi. Un pays comme la France est, à cet égard, exemplaire. Certes, comme les Etats-Unis, elle consomme plus qu'elle ne produit (d'où le déficit de son commerce extérieur), mais elle regorge, en revanche, d'épargne (2 fois le montant de sa Dette publique). 

Mais combien d'épargnants français (ou Allemands ou Canadiens) savent que leurs petites économies ne sont pas employées pour financer des investissements dans leur pays mais plutôt pour soutenir le niveau de vie américain ? Un détournement trop occulté mais il est vrai que peu de gens prennent la peine de regarder dans quoi leur banque place leur argent. 

Pourtant, la recette pour calmer Trump, elle est en fait très simple. Il ne suffit pas de boycotter les produits américains (voitures Tesla ou whisky). Le plus efficace, ce serait de cesser d'acheter des obligations américaines.

Trump veut restaurer un Capitalisme des premiers temps, un Capitalisme prédateur reposant sur "l'accumulation primitive"; C'est le règne de la force et de la protection des privilèges par le grand banditisme. C'est ce qui passe depuis plus de 30 ans en Russie. Et c'est aussi la vision simpliste qu'a Trump de l'économie. Il veut emboîter le pas à la Russie : la richesse des uns se construirait au détriment des autres, par la rapine et l'extorsion.

Inutile de dire qu'avec Trump, on revient plus de deux siècles en arrière. Il croit que la richesse d'un pays repose sur la puissance et la force partagées entre quelques grands pôles géographiques et monopoles industriels. C'est faire fi de toute l'histoire économique: c'est en fait l'ouverture d'une société, la mise en place d'un Etat de Droit, la volonté de permettre la "destruction créatrice" des monopoles qui sont les facteurs clés de la richesse et du développement d'un pays. Et dans cette compétition généralisée, les petits pays, ceux qui sont sans atouts naturels, sont souvent plus performants que les grands et ceux qui se reposent sur leurs matières premières.


Images de Jennifer LAWRENCE, Henri-Georges CLOUZOT, René MAGRITTE, Jacques MONORY, Félix LABISSE, Yves KLEIN, Van TUERENHOUT, Henri MATISSE. Les 2 dernières photos sont de moi-même : l'une de mes stations de bus (Monceau) et de métro (Malesherbes).

Toutes ces images illustrent le thème très contemporain de la Femme bleue. Le bleu est en effet devenu la couleur dominante de la modernité capitaliste.

Un post qui ennuiera peut-être tout le monde. Pour ma défense, je dirai que j'y évoque, tout de même, une bonne partie de ce ce qui fait ma vie quotidienne.

Je recommande: 

- Pierre-Henri de MENTHON et Bruna BASINI: "Tout et son contraire - Comprendre les grandes controverses économiques d'aujourd'hui". L'objectif du bouquin semble éminemment prétentieux. Et pourtant les deux auteurs se révèlent remarquablement pédagogues et expliquent bien tous les grands débats économiques actuels. Un grand panorama de la pensée économique avec l'opposition absolue entre Keynes et Schumpeter. Si vous voulez comprendre le monde dans lequel nous vivons (Dette, Pouvoir d'achat, inégalités, mondialisation), lisez ce bouquin accessible à tous.

- Joseph SCHUMPETER: "Théorie de la destruction créatrice". C'est un petit bouquin traduit en France en 1951 (facilement disponible aujourd'hui en poche Payot). Il démontre que le Capitalisme est un bouleversement incessant et que le développement économique repose sur le renversement continuel des situations établies. Le Capitalisme est en fait révolutionnaire et s'oppose à tous les monopoles. Rassurons nous donc: Elon Musk, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg, même s'ils croient pouvoir se maintenir en faisant alliance avec le pouvoir politique, vont tomber, tôt ou tard, de leur piédestal.

- Jacques RUEFF. Il faut relire ce grand économiste français qui a été conseiller du Général de Gaulle. Il n'a malheureusement guère été écouté. C'est lui qui a parfaitement théorisé les problèmes de monnaie, de commerce extérieur et de balance des paiements.

- François REYNAERT; "La grande histoire de la Russie de son Empire et de ses ennemis". L'histoire de la Russie, ça vaut tous les romans d'aventure et tous les contes cruels. Ca m'a passionnée, ça m'a formée émotionnellement, dès mon enfance. Mais il y a trop de bouquins qui se perdent dans les anecdotes. Au sein de cette masse indigeste, je recommande absolument celui-ci, synthétique et lumineux, expliquant bien les enjeux et stratégies. De plus, le livre vient de paraître en poche.






samedi 15 mars 2025

"Le Président est-il devenu fou ?"


 "Le Président est-il devenu fou ?", c'est évidemment la question que presque tout le monde se pose depuis que le Grand Blond est revenu au Pouvoir. Et il est vrai qu'il se révèle encore bien pire qu'avant. En à peine 2 mois, il a réussi à semer un chaos général reposant sur l'intimidation et le chantage, l'agressivité conquérante et l'absurdité économique.

On se sent "agressés" mais il faut bien reconnaître aussi qu'on n'a pas forcément une réaction appropriée. On se met, en effet, à développer une tendance générale à "psychologiser" à peu près tout le monde depuis notre entourage proche jusqu'aux personnalités politiques. "Ces malades qui nous gouvernent", c'est une idée absolument banale mais qu'on se plaît à ressasser sans doute parce qu'elle nous rassure à mauvais compte. 

Ca nous séduit peut-être parce que c'est prétexte à ne rien faire, à se détourner des problèmes, à refuser de les affronter. Une façon de se dire qu'on n'y peut rien de toute manière et qu'il n'y a qu'à attendre en supportant les choses. 

Faire de la psychologie, "essentialiser" l'autre, c'est finalement renoncer à comprendre l'autre, à analyser sa logique de fonctionnement. Parce qu'en réalité, qu'on soit malade ou bien portant, on obéit tous à une logique de comportement et de pensée. Qu'on relève du normal ou du pathologique, il n'y a rien d'erratique dans notre vie sociale et nos décisions. Le grand N'importe Quoi, ça n'est pas notre fonctionnement régulier.

Même Hitler n'était probablement pas fou. Sa personnalité était très structurée à sa manière. Il n'était pas victime de délires ou d'hallucinations qui l'entraînaient à raconter n'importe quoi. C'était même un hyper-rigide qui a simplement déroulé son programme avec une implacable logique et obstination. On aurait dû lire "Mein Kampf".

On aurait dû aussi prêter attention au discours de Poutine, publié le 12 juillet 2021(dans lequel il remet en question l'existence de l'Ukraine en tant que nation distincte), plutôt que de décréter que c'était absurde et sans intérêt. Tout y était déjà exposé.

En fait, on ne sait pas suffisamment prendre au sérieux les dictateurs. On se dit qu'avec le Temps, ça va leur passer et on fait donc le dos rond. Le problème, c'est que ça ne leur passe jamais et qu'ils poursuivent, imperturbablement, leur chemin.

Et avec le Grand Blond, on continue d'adopter cette attitude pusillanime: on le laisse faire, on n'ose pas le contrarier, s'opposer à lui. 

On se dit qu'on a affaire à un dingue et que, bientôt, il va se fracasser sur le Mur du Réel. Les fous, il faut d'abord les laisser dérouler et après, ça se tassera.

Le problème, c'est qu'on se trompe complètement dans nos positionnements respectifs. On croit avoir le dessus parce que l'on décrète que l'autre, le Dictateur ou le Président, est fou. Mais on ne se rend pas compte que le véritable Maître du Jeu, c'est Lui en fait. Parce que c'est Lui qui parvient finalement à nous déstabiliser, nous faire douter de tous nos repères. Et finalement, le Fou fait bien ce qu'il a annoncé.

Et Donald Trump est vraiment expert en la matière. Je ne crois pas qu'il soit Fou (plutôt un simple crétin moyen) mais il a bien compris que, pour l'emporter sur l'autre, il fallait d'abord cesser de jouer sur son terrain et sortir du cadre de ses certitudes.

Etre disruptif, imprévisible, c'est cela la recette et elle nous tétanise. L'inattendu, la surprise, c'est ça qui marche. Et c'est encore mieux quand on change sans cesse d'avis, d'opinion, qu'on passe d'un camp à un autre. On ne sait plus sur quel pied danser, à qui ou à quoi se fier. Et finalement, c'est nous qui devenons fous, nous égarons et errons à l'aveugle. "L'effort pour rendre l'autre Fou", c'est le magnifique titre d'un bouquin de Harold Searles. Donald Trump ne l'a probablement pas lu mais il en a bien une intelligence innée de la tactique. 


Images de Karel THOLE, Edgar ENDE, Igor OLEINIKOFF, Alfred KUBIN, Tito SALOMONI.

Je recommande:

- Patrick WEIL : "Le Président est-il devenu fou ?" J'ai déjà évoqué ce livre aujourd'hui paru en poche. Il relate la collaboration de Sigmund Freud et du diplomate William Bullit pour dresser le portrait psychologique du Président américain Woodrow Wilson qui, en 1920, a délibérément saboté la ratification du Traité de Versailles qu'il avait lui-même négocié, enterrant ainsi les espoirs d'une paix durable en Europe. Une pareille inconséquence se retrouve évidemment chez Trump. Comment la comprendre ?

- Andrzej STASIUK: "Le passage". Un livre différent du grand écrivain polonais. Ca se passe  dans un petit village polonais juste à la frontière entre la Pologne occupée et l'URSS, en juin 1941, c'est-à-dire à l'époque du déclenchement de Barbarossa.