Le monde va-t-il de mieux en mieux ou de pire en pire ?
Tout le monde se plaint mais personne n'a envie de revenir en arrière.
On vit dans un continuel paradoxe, tiraillés entre la trouille de l'avenir et la nostalgie du passé. Ce qui nous réunit finalement, c'est qu'on adore tous détester notre époque. C'est peut-être d'ailleurs sur ce point que s'exprime, paradoxalement, la supériorité de ce que l'on appelle la civilisation occidentale: sa capacité à se détester elle-même. Son support véritable, c'est peut-être moins ses valeurs (que l'on proclame souvent judéo-chrétiennes) que, justement, sa capacité à critiquer, remettre en cause, ces valeurs que l'on dit originelles, comme les véritables racines qui nous auraient façonnés.
Et c'est vrai aussi qu'on a trop tendance à vivre sous anesthésiants et que le bonheur et la santé ne font pas le salut de l'homme. En faire une finalité absolue, c'est justement ce qui risque de nous rendre malades et malheureux. On devient "éduqués à mort", victimes d'une éducation mortifère. On crève alors d'un excès de bonheur mais on se tient, en réalité, complétement hors de la vie. C'est la leçon du percutant "Mars" de Fritz Zorn.
L'Internationale réactionnaire, de Trump à Poutine via Meloni, Orban et de multiples seconds couteaux, brandit aujourd'hui l'étendard des civilisations pour prévenir l'effondrement moral et matériel qui menacerait le monde occidental.
Les civilisations, je n'y crois pas. C'est une fiction dangereuse et totalitaire qui épouse, malheureusement, la tentation accrue "des masses" de s'en remettre à une autorité qui "pensera" pour nous. C'est la face sombre du Messianisme quand il est porté par des brutes.
Je ne crois, en fait, qu'en la démocratie. Et la démocratie, Tocqueville l'a bien montré, c'est un véritable moteur, c'est un système qui fabrique des individus capable de construire une société.
Mais le moteur s'est peut-être effectivement grippé. Est-ce qu'on a encore envie de créer, de travailler, d'apprendre ? On se sent souvent découragés par avance. On succombe au manichéisme du "Tout va bien, tout va mal".
La tentation, c'est, de plus en plus, de s'en remettre à une autorité qui pensera pour nous.
Et même nos indignations, elles sont rarement sincères. On voit maintenant partout des injustices (dont on est, bien sûr, la 1ère victime) et des très riches (dont on aimerait faire partie) mais à force de jouer à l'indigné, on prépare un totalitarisme féroce.
Et au total, on aime bien entretenir un sentiment de peur permanente. C'est celui que diffusent ainsi les actualités, les "informations" des médias. Si on aime bien avoir peur, c'est parce que ça nous rassure. Il y a plus mal loti que nous et c'est vrai, en ce sens, que c'est réconfortant d'entendre parler des fracas du monde depuis sa chambre douillette. Mais le problème, c'est qu'on a laissé le robinet trop grand ouvert et qu'on est maintenant totalement débordés par une peur générale qui nous envahit massivement.
On est, au final, paralysés, tétanisés. On ne sait plus que faire pour se sortir de cet état de frousse permanent. Et notre apathie actuelle, notre inertie, elles s'expliquent largement par le fait qu'on s'enferme dans une stratégie de repli et qu'on se met alors à crever de banalité, d'ennui et d'à quoi bonisme. A quoi bon apprendre, grandir et devenir adulte quand on peut continuer à ruminer son ressentiment dans l'attente d'un sauveur ?
Plutôt que d'anesthésiants, de calme et de tranquillité, on a besoin, sans doute de réinjecter un peu de tragique dans nos existences. Le tragique, c'est d'abord sa capacité personnelle à renverser son destin programmé et, de manière plus générale, c'est aussi le moteur du progrès et le carburant d'une société.
Les Ukrainiens en savent bien sûr plus que les autres sur la question mais même nous qui vivons dans un cocon protecteur, nous demeurons porteurs d'un esprit de résistance et nous n'avons pas complétement abandonné toute capacité au rêve. On étouffe vite sous trop de confort et de sécurité.
On est tous portés, en fait, par une capacité à évoluer et à déplacer les cadres de notre vie. On ne s'adapte jamais vraiment en fait. Il y a, heureusement, toujours un caillou dans nos souliers.
On dit un peu bêtement que, pour s'en sortir, il faut avoir de l'expérience. Mais avoir de l'expérience, ce n'est pas radoter son passé merveilleux, c'est savoir que toutes les choses, et notamment la petite histoire, ont une fin. Qu'on entrevoit, un jour, la fin du tunnel.
Avoir de l'expérience, ce n'est donc pas reproduire ce qu'on a vu ou fait, c'est, au contraire, être capable de faire face à ce qu'on n'a jamais vu ni fait, toutes les situations nouvelles ou exceptionnelles. Sortir de ses gonds ou aiguillages, en bref.
Ca permet aussi de mesurer l'ampleur de son ignorance. Et c'est peut-être cela le plus important. L'humilité, ça permet de sortir du manichéisme du Bien et du Mal.
Images de Pablo Picasso, Arno Ele, Gabriele Rul, Dora Maar, Julie Lagier, Roland Topor, Vladimir Nemukhin, Wolfgang Mattheuer, Yayoi Kusama,
J'appelle, en particulier, votre attention sur les images singulières de Wolfgang Mattheuer. Il est, avec Neo Rauch, l'un des peintres "à la mode" en Allemagne. Tous deux sont originaires de l'ancienne RDA. Ca a une signification.
Je recommande :
- Fritz Zorn: "Mars". Un livre choc qui nous a tous marqués. Une nouvelle et récente traduction est l'occasion de le relire.
- Vincent Kaufman: "Extinctions de voix". Pour moi, l'un des très bons bouquins de cet automne. Ca change des jérémiades et pleurnicheries françaises. Un Suisse (comme Fritz Zorn) porté par un humour ravageur et un esprit de dérision. Rien n'est grave, tout est grave. Du moins, on rit beaucoup.

























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