C’est une évidence : en Europe Centrale, le traumatisme de la seconde guerre mondiale (qu’on appelle la grande guerre patriotique en Russie) est encore très fort. Même si presque plus personne n’a connu cette guerre, elle continue de façonner les mentalités. Il est vrai que ça a été une période d’épouvante et de souffrance inouïes et que toutes les villes, de Poznan jusqu’aux contreforts du Caucase, sont hantées par la grande catastrophe, la solution finale.
C’est notre conscience tragique, la grande différence avec l’Europe de l’Ouest où l’on a choisi la solution de l’oubli, sans doute du fait du poids trop lourd de la honte et de la culpabilité.
L’une des manières les plus courantes d’évacuer le nazisme et le risque totalitaire, c’est de le considérer comme un accident, une aberration de l’histoire, le coup de folie d’un homme et d’un peuple. C’est d’ailleurs comme ça qu’on vient de déclarer irresponsable Anders Breivik, alors que cette crapule avait minutieusement préparé son attentat en Norvège et qu’il le revendiquait et le justifiait. L’art de détourner le regard, d’escamoter le mal, de le cacher sous le tapis. Anders Breivik est bien un criminel politique et j’aurais aimé que quelques voix s’élèvent pour le rappeler.
C’est pour ça aussi qu’il y a profusion d’analyses psychologiques sur Hitler : monstre pervers, sadique insensible, mégalomane délirant.
La vérité est qu’Hitler était un personnage très médiocre et sinistrement banal. Il n’était ni fou ni pervers et s’il était bien délirant, c’était un délire entièrement rationnel.
Un trait de la personnalité de Hitler m’a personnellement toujours intriguée. C’est Frédéric Pajak qui a attiré mon attention sur ce point. Il s’agit du caractère velléitaire et de l’extrême paresse de celui qui se prétendait leader du parti allemand des travailleurs.
Les historiens du nazisme l’attestent : l’image d’un Hitler, travailleur infatigable entièrement consacré au service de son pays, doté d’une volonté d’acier, est totalement erronée. Hitler était d’abord un effroyable paresseux.
Jeune homme, il était extrêmement apathique et nonchalant, incapable de concentration et d’effort soutenu, incapable même de séduire une jeune fille. Il gaspillait ses journées en mornes rêvasseries, errant infiniment dans les rues et les brasseries.
Il était de plus très médiocre. Il est inouï de penser qu’il était le contemporain de Klimt, Kokoschka, Malher, Musil, Freud etc.. et qu’il a réussi à passer totalement à côté de l’extraordinaire explosion intellectuelle de la Sécession puis de l’expressionisme alors qu’il avait la chance de vivre à Vienne et qu’il avait des ambitions artistiques. Il est vrai qu’il n’avait absolument talent.
Hitler a toujours entretenu une profonde aversion pour le travail et a toujours manqué du minimum de persévérance nécessaire pour faire des études, progresser intellectuellement ou conduire lui-même sa propre existence.
Lui qui réclamait un engagement sans faille de ses compatriotes, qui exaltait la volonté de puissance et le travail et en faisait un mot d’ordre, inscrit même à l’entrée des camps de concentration, n’a jamais exercé aucune activité professionnelle et a toujours préféré végéter dans l’oisiveté plutôt que d’être soumis aux contraintes d’un emploi.
Après son accession au pouvoir, il répugnait à traiter le moindre dossier et en était d’ailleurs incapable. Il a ainsi laissé se développer une pagaille et un chaos administratifs considérables laissant aux initiatives individuelles le soin de régler les problèmes concrets. L’Allemagne nazie, contrairement à ce qu’on imagine généralement, était un effrayant foutoir où ne régnait que la terreur de l’arbitraire.
Hitler n’avait aucune discipline personnelle. Jusqu’à la fin de son existence, il a eu des horaires extravagants. Levé au plus tôt vers midi, il consacrait ensuite sa journée et la nuit à mettre au supplice ses interlocuteurs en les assommant de ses bavasseries et monologues ininterrompus. Il n’y avait de toute manière chez lui aucun souci d’apprendre. Dans toutes ses activités, il ne cherchait que la confirmation de ses certitudes.
Pourquoi je vous parle de ça ? Evidemment parce que j’ai très peur du populisme et que c’est aujourd’hui une tentation forte qui ne recouvre pas seulement l’extrême droite. Dans ce contexte, le cas de Hitler est exemplaire : il faut démythifier les sombres figures de l’histoire.
Il n’y a pas de génie du mal. Le Mal est un potentiel inscrit en chacun de nous; nous qui sommes si souvent dociles et médiocres, nous qui choisissons si souvent la banalité et l’indolence, nous qui nous laissons emporter par l’aigreur et le ressentiment
Ne pas l’oublier : « le sommeil de la raison engendre les monstres ».
Tableaux de Josef Fenneker et de Christian Schad (1894-1982).
Christian Schad est l’un de mes peintres allemands préférés
2 commentaires:
Sur le populisme, qui est souvent loin de l'extrême droite, je conseille vivement la lecture de "Populismes : la pente fatale", du politologue Dominique Reynié, chez Plon.
Merci Nuages,
En effet, j'ai récemment feuilleté ce bouquin à la Fnac et ça m'a semblé intéressant.
Sinon, c'est sûr que le populisme est largement partagé, à gauche et à droite.
Carmilla
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