samedi 1 juin 2024

L'Histoire des vainqueurs, le silence des vaincus

 

J'aime bien les bouquins d'Histoire. Ca fait rêver, ça surpasse souvent les plus incroyables romans d'aventures. L'effroyable et le merveilleux s'y succèdent sans cesse.


Et puis, l'Histoire m'apprend à être optimiste. C'est mon côté farouchement "Philosophie des Lumières" incarné par des penseurs comme Hegel ou Alexis de Tocqueville qui voient dans l'Histoire le mouvement du Progrès (celui de la démocratie et de l'égalité). "J'ai vu l'esprit du monde à cheval" disait Hegel de Napoléon. Quant à Tocqueville, il a adhéré aux idéaux démocratiques de la Révolution bien que certains membres de sa famille aient été guillotinés.


L'Histoire, ça me permet d'échapper à la sinistrose ambiante, à l'esprit décliniste et victimaire actuel. Les nostalgiques, les radoteurs du "c'était mieux avant", je les déteste. A peu près partout dans le monde, on vit mieux et plus libres qu'autrefois. Il suffit de voyager et de sortir un peu de son trou pour s'en rendre compte. On est aussi plus tolérants et plus éduqués. 


Même la Chine, même Poutine, même Trump, même l'Iran, ils vont, un jour, fatalement s'écrouler. L'Apocalypse, elle est devant eux et non pas devant l'Occident.


Je crois donc fermement en "la Raison dans l'Histoire", mais je ne suis pas non plus complétement godiche. Parce que les progrès de l'Histoire, on les constate sur le moyen-long terme et, surtout, ils s'accompagnent tout de même de beaucoup de fracas, crimes et exactions. Et au chaos et à la terreur générés, succèdent de grands silences et beaucoup de non-dits.


Une chappe de plomb s'abat sur les massacres perpétrés et les nouveaux maîtres s'empressent de réécrire l'Histoire. Quant aux principales victimes, elles se taisent comme si elles se sentaient coupables. C'est au point que l'Histoire n'est finalement écrite que par les vainqueurs.


C'est ainsi que chaque épisode glorieux de l'Histoire a son revers sombre et surtout mutique. Parce que les vaincus se taisent, n'osent s'exprimer. On passe à la trappe tous les souvenirs de l'humiliation.


Je m'étonnais ainsi récemment qu'on ne trouve à peu près aucun livre consacré à la vie quotidienne des Allemands au lendemain immédiat de la seconde guerre mondiale (c'est une lacune comblée depuis le récent "Temps des loups" d'Harald Jähner). Comment survivre, revivre, se forger une nouvelle identité après pareil cataclysme ? Pendant à peu près 10 ans, l'Allemagne a été rayée des préoccupations du monde.






















Plus près de nous, en France même, j'ai eu la surprise de découvrir que deux magazines (" Le Nouvel Observateur" et "Le Figaro") venaient de consacrer, chacun, un numéro spécial à "L'Indochine Française".  "L'Indochine", j'ai l'impression qu'en France, presque plus personne n'ose l'évoquer. On dirait même que ça n'a jamais existé. Pourtant, ce n'est pas si vieux que ça et ça a tout de même duré près d'un siècle. Personnellement, hormis à travers Marguerite Duras, je ne connais à peu près rien à cet épisode de l'Histoire française. Tout n'est peut-être pas à jeter mais ça semble systématiquement rangé dans la case d'une époque à oublier.


De même "la Guerre d'Algérie". On a tout de même envoyé là-bas plusieurs contingents de jeunes appelés. J'imagine que ça ne devait vraiment pas être rigolo pour eux. Mais leurs témoignages, ceux du militaire de base, sont peu nombreux et souvent insignifiants. Les souvenirs s'apparentent quelquefois à une espèce de colonie de vacances, ce qui est évidemment mensonger. Et quant à avoir une discussion dépassionnée, en France, sur l'Algérie, ça me semble encore impossible. L'Algérie, ça a aussi été Albert Camus et ses bouquins "Noces" et "L'été". Et aujourd'hui Maïwenn (que j'aime beaucoup), cinéaste et actrice, se réclame souvent de l'Algérie.


Mais, je me sens tellement étrangère sur ces questions de l'Indochine et de l'Algérie, tellement incapable d'avoir un avis sensé, que j'avoue m'en être toujours soigneusement tenue à l'écart. Je déplore simplement que ce passé, dit colonial, apparaisse complétement effacé comme s'il était absolument détestable et coupable. 


Le contraste est, pour moi, surtout immense avec la Russie: des Etats Baltes à l'Asie Centrale, elle a eu une foule de colonies mais elle ne les reconnaît évidemment pas comme telles et surtout n'éprouve aucune contrition. Et je ne parle même pas de son actuelle guerre coloniale contre l'Ukraine. Pire: elle continue, aujourd'hui, de se considérer comme une bienfaitrice à leur égard. Entre la repentance occidentale et l'autosatisfaction russe, il existe peut-être un juste milieu.



Un grand rideau est tiré sur le passé. Il en va également ainsi à propos de la conquête des Amériques pour laquelle on ne dispose que des témoignages des Espagnols. On ne connaîtra jamais la terreur éprouvée par les Aztèques, Mayas et Incas.


Mais le sommet de l'horreur, ce sont peut-être les deux grandes révolutions européennes: la française et la russe. En l'occurrence, les historiens s'intéressent infiniment plus aux vainqueurs qu'aux vaincus ("les ci-devant", la noblesse).



C'est ainsi que les livres sur les "héros" (les grands massacreurs) de la Révolution pullulent : Danton, Marat, Robespierre / Lénine, Trotsky, Staline.


Tandis que les bouquins sur les vaincus sont beaucoup plus rares: Louis XVI, Nicolas II, Kerensky. Etrangement, toutefois, on réhabilite, en ce moment, Marie-Antoinette en France. Mais il est vrai que l'ignominie à son égard avait été atroce.


Pourtant l'histoire des vaincus n'est pas moins intéressante que celle des vainqueurs. Les vaincus (les noblesses française et russe) n'étaient pas tous abominables et incultes. Du reste, on a oublié qu'ils ont été nombreux à se rallier, dans les premiers temps, à la Révolution. Beaucoup de nobles russes se rendaient bien compte, en effet, que le système social dont ils bénéficiaient était totalement archaïque et ne pouvait que s'écrouler. Mais mal leur en a pris et ça ne les a généralement pas sauvés.

Reconnaître que le 18ème a été une sorte d'apogée culturelle de la France, l'épanouissement d'un véritable Art de vivre, ne doit pas vous classer, automatiquement, dans la catégorie des réactionnaires et royalistes. De même, il faut bien reconnaître que la noblesse russe n'était pas simplement composée de quelques riches oisifs. Elle a aussi engendré plusieurs générations d'écrivains, d'artistes, de scientifiques, d'administrateurs, de chercheurs. Elle a donné Saint-Pétersbourg, Pouchkine, Tolstoï, Rachmaninov, les ballets russes.



Et on néglige trop le sort dramatique de la noblesse de ces deux pays. Ils l'avaient bien mérité, dit-on trop souvent.


Surtout en Russie où l'extermination de la noblesse (environ 2 millions de personnes) a été complète, radicale, sous le prétexte, affiché par Lénine, d'une nécessaire guerre de classe du prolétariat contre la bourgeoisie (terme vague, en russe, regroupant tous les riches). Staline a prolongé le boulot des massacreurs des campagnes des premières années de la Révolution. Et c'est allé tellement loin que, dans les années 40, la noblesse russe a été totalement anéantie. Les très rares nobles qui ont survécu se sont surtout efforcés de se cacher et de dissimuler leurs origines, en particulier à leurs enfants. L'amnésie était la condition de la survie, se souvenir était interdit.

Tout était permis à l'encontre de la noblesse avec l'approbation tacite des Bolcheviks. Les paysans pouvaient massacrer les nobles en toute impunité. Pour eux, la liberté, ce n'était pas de construire ensemble  un nouvel ordre politique, c'était de faire ce que l'on souhaite, la licence, la "volia" en russe. 

Par comparaison, la noblesse française a été relativement épargnée. Certes, pendant la Terreur, les nobles ont subi le même sort funeste: massacres, pillages, confiscation des biens, exil contraint, guillotine. Mais le nombre de morts est sans comparaison. Et puis, il n'y avait pas que les nobles qui étaient guillotinés mais aussi de simples citoyens: il faut en effet rappeler que la Révolution française a été conduite moins au nom de l'affrontement d'une classe contre une autre qu'au nom d'un idéal universaliste.

C'est vraiment complétement différent du bolchevisme et d'ailleurs la noblesse française a pu renaître, en partie, au lendemain de la chute de l'Empire.


Quoiqu'il en soit, ces deux grandes révolutions ont libéré les démons de la haine et donné lieu à la férocité des masses et à l'arbitraire le plus sauvage. Les massacres perpétrés annoncent, d'une certaine manière, les atrocités du 20ème siècle: l'Allemagne nazie, le Cambodge de Pol Pot, le Rwanda. Et aujourd'hui, on a le messianisme de Poutine.


Rien n'est plus redoutable qu'invoquer des catégories sociales, ethniques, raciales, religieuses. Ca permet de justifier tous les crimes de masse.


C'est pour cela que l'Histoire ne doit pas se contenter d'exprimer le point de vue des vainqueurs. Il faut aussi essayer de faire parler les vaincus.


Ca ne veut pas dire que les victimes étaient des anges et des agneaux. Mais cela veut dire que les coupables ou les innocents ne sont pas à chercher dans un seul camp. Il faut avoir la lucidité de reconnaître que personne n'est innocent et que tout le monde est coupable.


Tableaux notamment de : Ivan KRAMSKOÏ, Leon BAKST, Vassili SOURIKOV, Boris KUSTODIEV, Natalia GONTCHAROVA, Vitaly KOMAR, Zinaïda SEREBRIAKOVA.


Je recommande:

- Douglas SMITH: "Le monde d'avant - Les derniers jours de l'aristocratie russe". Ca vient tout juste de sortir. J'ai trouvé ça remarquable et tout à fait nouveau. La Révolution vue du côté des nobles. Sans prendre leur parti mais en relatant simplement les horreurs vécues par deux grandes familles.

- Curzio MALAPARTE: "Le bonhomme Lénine". Un livre étonnant publié en 1932. Avant presque tout le monde, Malaparte avait décrypté Lénine: ni un héros romantique, ni un grand intellectuel. Simplement un petit bourgeois, un petit bureaucrate, "un petit employé à la retraite", austère et puritain, qui n'a de cesse de se venger de la vie.

- "Mémoires de la Marquise de la Tour du Pin (1778-1815)". Je recommande absolument ce Journal que l'on trouve en poche au Mercure de France (ou bien en téléchargement gratuit sur le site de la Bibliothèque Nationale de France). On y trouve quantité d'informations et de portraits sur l'Ancien Régime, la Révolution, la Terreur, le Consulat, l'Empire. Et toujours, une plume étonnamment allègre et pleine d'humour.




16 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla
Sans oublier que nous avons notre propre histoire, qui n’est pas à dédaigner.
J’appréhendais cette lecture, de crainte de me retrouver dans le genre obscure de Spinoza. Vers la fin d’avril, je me suis décidé pour la grande traversée, et ce fut le début d’un voyage qui allait se poursuivre pendant un mois en compagnie de Gottfried Wilhelm Leibniz dans : Essais de théodicée, rien de moins, sur la bonté de dieu, la liberté de l’homme et l’origine du mal.
Dès les première pages, j’ai été surpris par son écriture agréable, accessible, claire, vraiment une belle plume, le genre, (esprit universel). Ce qui est intéressant chez Leibniz, c’est la manière dont il défend la foi, et surtout Dieu dans son œuvre, dans sa création, c’est limpide, ce penseur est un croyant avec toute sa raison. Moi, qui pensait me retrouver avec un mécréant, j’en ai été pour mes frais.
Il appert, que nous sommes partis très éloignés l’un de l’autre. Lui le croyant, qui affirmait que Dieu était le créateur de l’homme; et moi l’athée, qui affirme toujours que ce n’est pas dieu qui a créé l’homme; mais les hommes qui ont créé les dieux. Si on ne peux pas croire en dieu, il faut bien se rabattre sur l’humain et sur son évolution.
Bien sûr j’ai pris des notes, j’ai écris des commentaires, mais aussi, j’ai pris des poses. Je me suis même arrêté à deux ouvrages d’Amin Maalouf, Origines, qui raconte l’histoire de son grand-père paternel dans ce Liban qui a l’époque ne portait pas ce non, où il est très important de croire; où la religion qui croisait souvent la superstition, s’opposait aux vus et aux espérances de Botros le grand-père instituteur, qui rêvait d’une société évoluée et moderne. Et, présentement je suis dans l’histoire de Léon l’Africain, où Maalouf raconte les débuts des déboires des arabes qui seront chassés par les catholiques espagnols vers l’Afrique du Nord. Certes dans ce récits et ce roman, où la religion tient une place très importante. C’est une autre vision du monde entre celle de Leibniz et la mienne.
Et puis, il est aussi question du héros recalé comme victime, hier comme aujourd’hui, il faut tous être des victimes, la victime est adulée présentement, en ignorant qui est son bourreau. Un excellent essais de François Azouvi servi dans une très belle écriture. Et, pour poursuivre, dans ce monde des victimes : Je souffre donc je suis, par, Pascal Bruckner. On dirait que nous refusons de prendre nos responsabilités afin d’être accepté dans le clan des victimes! Je complète le tout avec : L’élite Cannibale. Comment les puissants se sont approprié les luttes identitaires (et tout le reste). Un ouvrage qui ne traite pas seulement des élites occidentales, mais de toutes les élites à travers le monde. C’est écrit par un type dont je ne sais rien : Olufémi O. Taiwo. Un africain peut être l’esclave d’un africain, tout comme un indien aux Indes peut dominer les pauvres qui travaillent sous ses ordres.
Je suis revenu facilement à Leibniz et à son époque, où pour penser il fallait se cacher, comme Descartes, Spinoza, Galilée, et ils ne sont pas les seules. On venait juste de sortir des guerres de religions, l’inquisition rôdait encore, la vie était courte mais pénible, et on ne manquait pas d’esprit pour s’interroger sur la bonté infini de dieu, ce qui a provoqué la Réforme.
Oui, Leibniz avait une écriture élégante; mais les sujets de ses écritures invitaient aux remises en questions déplaisantes.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Félicitations pour avoir eu le courage et la persévérance nécessaires pour lire la "Théodicée".

je ne suis pas sûre toutefois que Leibniz croyait bien en Dieu. Certainement pas, en tous cas, dans le Dieu du catholicisme et du protestantisme.

Comme Spinoza, il parlait beaucoup de Dieu "par précaution", pour se prémunir d'éventuelles attaques de l'Eglise. Etre athée au 18 ème siècle, c'était dangereux.

Mais l'un et l'autre avaient une vision très "matérialiste" du monde. Pour Spinoza, il s'agissait d'une substance infinie produisant toutes choses nécessairement. Pour Leibniz, il y avait certes un Dieu créateur mais simplement une espèce de grand mécanicien faisant passer, par sa volonté, le meilleur des mondes possibles.

Chez l'un et l'autre, il y a donc bien une "logique du monde". On n'est pas simplement livrés au hasard. Tout s'enchaîne suivant des Lois. A nous de savoir interpréter ce qui fait événement.

C'est vrai qu'aujourd'hui, ce n'est plus la figure du héros qui est glorifiée mais celle de la victime. Le héros est même disqualifié. C'est inquiétant car n'émergent plus que des figures identitaires. Et les identités, ça devient vite le support des intolérances.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Merci pour vos félicitations!

J’ai trouvé ceci au cours de cette lecture, Essais de théodicée :

« Or, puisque par nature même des choses, et antérieurement aux lois divines, les vérités de morale imposent à l’homme certains devoirs, il est manifeste que Thomas d’Aquin et Grotius ont pu dire que s’il n’y avait point de Dieu nous ne laisserions pas d’être obligés à nous conformer au droit naturel. »
Gottfried Wilhelm Leibniz
Essais de théodicée
Page 401

En citant d’Aquin et Grotius, Leibniz évite de se mettre en cause, ce qui est d’une grande prudence connaissant les dangers de cette époque.

D’autre part, par la bande, il émet l’hypothèse, que s’il n’y avait pas de dieu, les humains auraient,(…) je dirais ont, le devoir d’obéir aux lois de la nature.
Je n’allais pas rater une si belle citation.

Si un humain plonge à l’eau, et qu’il continue de respirer comme à l’air libre, il va mourir noyé, parce qu’il n’a pas obéi aux lois de la natures. C’est peut-être une comparaison grossière, mais exacte.

Nous connaissons tous d’Aquin, un grand théologien, mais avant tout un grand penseur.

Pour Grotius, il est moins connu, mais tout aussi important, parce que c’est un juriste.

Hugo Grotius, (1583 – 1645), va jeter les bases du droit international entre le XVI et le XVII siècle.

Michel de Montaigne dans ses Essais, ne manque pas d’évoquer, qu’avant de se soumettre à une religion, une croyance, une politique; nous devons vivre en accord avec les lois de la nature.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

J'avoue que je n'ai jamais été vraiment passionnée par le Droit et que faire des études ou exercer dans le domaine juridique m'aurait sans doute profondément ennuyée.

Néanmoins, j'ai pu connaître des pays où le Droit, au sens moderne du terme, n'existait pas: tout l'ancien bloc communiste et l'Iran. Et aujourd'hui encore, la charia continue d'imprégner les mentalités dans les pays musulmans.

Je suis donc bien placée pour vous assurer qu'un véritable système juridique, ça change vraiment tout.

Même si on juge souvent cela effroyablement compliqué et procédurier, voire incompréhensible, c'est bien le socle et la garantie d'une société démocratique.

La naissance du Droit, ça a ainsi été très long à se dessiner et il a fallu plusieurs siècles avant qu'il ne s'affranchisse du Droit canonique et de la simple morale chrétienne.

C'est Kant qui a finalement défini le Droit comme un grand système abstrait et universel, débarrassé de toute considération affective. Il n'y a plus de Bien ou de Mal dans le Droit, il n'y a plus que du permis ou du proscrit. Et ce qui définit l'interdit est indépendant de la morale. C'est un véritable bouleversement des mentalités.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Qu’est-ce qui nous motive à lire un livre, et surtout un essais?

Qu’est-ce qui m’a motivé à lire : Essais de théodicée de Leibniz?

C’est cette expression : le meilleur des mondes possibles.

Voyez-vous cela? Le meilleur des mondes possibles m’a intrigué parce que j’ai trouvé cette expression intrigante et dérangeante.

Dans cette expression, il faut momentanément délaisser les mondes possibles, pour s’intéresser à cet adjectif : (meilleur).

L’adjectif meilleur n’a rien de banal. Qui regarde aujourd’hui, s’intéresse à ce qui nous semble une évidence, consulte dictionnaires, s’interroge sur son sens?

Cet adjectif, ne fonctionne que d’une manière : c’est le comparatif de supériorité de bon, ou encore, superlatif de bon. En général les dictionnaires semblent d’accord sur cette notion de comparatif.

On dit que c’est le meilleur, mais le meilleur comparé à quoi?

J’ai douze pommes dans un panier, je vous en offre une, en vous disant que c’est la meilleure, mais la meilleur comparer à quoi? Au onze qui restent dans le panier.

Mais, si je n’ai qu’une seule pomme, que je vous la donne en vous disant : «  Cette pomme est la meilleure au monde. » Je veux bien y croire, mais comparé à quoi, à qui, comment être le meilleur lorsque vous êtes unique? Si tu n’as rien à comparer tu n’es pas meilleur, tu es unique.

Donc, il ne peut pas y avoir : le meilleur des mondes possibles, parce qu’il faut bien conclure avec nos machineries qui se promènent dans ce système solaire, qu’il n’y a pas d’autre monde comparable. Même, pour Voyageur, qui poursuit son voyage dans l’espace, après toutes ces années, il n’a pas découvert la moindre trace de vie et encore moins un autre monde.

Nous pouvons rêver d’un autre monde, mais la réalité est toute autre, la constatation nous amène à conclure que nous sommes seuls, uniques, et étrangement solitaires dans cet espace, n’en déplaise aux observateurs d’Ovnis.

Alors, pourquoi le créateur n’a créé qu’un seul monde vivant malgré toute sa puissance?

Je ne peux pas souscrire à ce : Meilleur des mondes possibles, parce qu’il n’y a qu’un seul monde, qui est unique et incomparable.

Voilà ce qui m’a incité à lire Leibniz, parce qu’il n’y a pas d’autre monde, et oubliez les possibilités.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

D'après ce que j'en ai compris, le monde de Leibniz n'est pas absolument bon mais, du moins, le moins mauvais possible.

Il a su montrer, contre la pensée chrétienne, que l'histoire du monde n'était pas simplement faite de mystère et de hasard. Il y a une logique du monde, un véritable déterminisme que la pensée rationnelle peut appréhender. C'est cela qui est révolutionnaire dans sa pensée qui se situe loin de toute perspective religieuse. Et Leibniz n'entrevoit pas d'autre monde que celui dans lequel nous nous situons.

Mais par rapport à cette belle architecture du monde, un problème se pose. S'il est si bien que ça, si bien organisé, pourquoi est-il néanmoins habité par le Mal ?

Pour Leibniz, sans le Mal et la souffrance, le monde serait immobile. Sans imperfection, pas d'Histoire. Le Mal est facteur de dynamisme, voire de progrès, car il stimule la pensée.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

À l’occasion, des fois, Leibniz laisse percer son idéalisme surtout lorsqu’il en réfère au mal, qui était une grande question philosophique à son époque, au point d’accuser le créateur d’avoir manqué à sa perfection et, à sa vocation du meilleur monde possible ce qui a fait dire à Leibniz :

« Peut-être que dans le fond tous les hommes sont également mauvais. »
Leibniz

Pourquoi le créateur a-t-il créé des êtres franchement mauvais, pour les sauver?

Ce qui a fait dire à Pierre Bayle :

« C’est une cruelle miséricorde que de vouloir le malheur de quelqu’un pour pouvoir le prendre en pitié. »

Est-ce cela la beauté et la bonté du (mal)? L’esprit de progression par la mal?

Mais les penseurs de l’époque de Leibniz, ne se sont pas arrêtés en si bon chemin. Alors, ils ont posé cette question : « Est-ce qu’il y a plus de mal sur terre que de bien? »

Leibniz a retourné cela en une belle petite phrase :

« nos vices dépassent sans doute nos vertus et c’est l’effet du péché originel. »
Gottfried Wilhelm Leibniz
Essais de théodicée
Page 465

Donc, il y aurait plus de vices dans le monde que de biens! Le mal serait une notion de progrès, ce qui reviendrait à dire, que plus nous faisons souffrir, plus nous progressons.

J’avoue que j’ai été surpris par la restant de la phrase : le fameux effet du péché originel. C’est une notion que j’ai toujours détesté, ce qui revient à punir avant d’avoir commis la faute, tu es déjà condamné avant de naître. Jamais, je n’ai songé, que Leibniz évoquerait le (péché originel) pour étayer ses propos. C’est l’un des piliers du christianisme, et lorsque la raison fait défaut, on en revient à cette notion de péché originel. Je vois d’ici, Voltaire assis dans un coin en train de rire!

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Dieu est, en quelque sorte, le Grand Logiciel du monde, selon Leibniz. C'est une idée révolutionnaire qui demeure d'actualité à une époque où on va jusqu'à envisager de télécharger son cerveau, c'est à dire les processus de sa pensée.

Mais un logiciel, ça "se plante" quelquefois ou bien ça nous emporte vers des territoires inconnus. Mais ce n'est pas forcément un inconvénient parce qu'un logiciel parfait nous condamnerait à la répétition et la stagnation. Un logiciel, ça se répare et ça évolue.

L'imperfection et le Mal sont, en ce sens, des facteurs de Progrès. Le Mal est même essentiel à la marche du monde.

Le Mal est même d'emblée en nous. La doctrine chrétienne du péché originel m'apparaît ainsi juste et féconde. Elle est d'ailleurs confortée par la psychanalyse: on sait bien que les enfants sont eux-mêmes particulièrement cruels et sadiques, de véritables petits monstres. C'est une idée fausse de prétendre que l'homme est bon par nature et que c'est la société qui le corrompt (J.-J. Rousseau). La société s'efforce simplement de canaliser les impulsions agressives et criminelles de l'homme; elle permet d'éviter la guerre de tous contre tous.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Nous serions les créatures d’un créateur parfait sorti tout droit d’une fiction. Peu importe l’imaginaire des humains, nos besoins exigent des explications, surtout en ce qui concerne le mal. Ce qui ne se réduit pas seulement aux religions monothéistes, mais de diverses spiritualités au niveau universelle, des plus tordues aux plus simples, entre les légendes et les révélations, entre le bien et le mal, entre la perfection et l’éternité, entre la paix et la guerre, sans oublier de mélanger la haine et l’amour. Aucun logiciel ne pourrait nous en donner autant. Compressé entre nos scénarios et nos imaginaires débridés afin de fuir nos tyrannies, le besoin de justifications nous hantent depuis la nuit des temps, car le mal provoque la souffrance. Alors comment justifier la souffrance, surtout lorsque cette souffrance s’attaque à des innocents? Manque de perfection de notre créature. Ne reste plus, en bien comme en mal, la fameuse justification. Il faut trouver encore mieux, pourquoi ne pas chausser les bottes de notre création? Devenir des espèces de dieux devient irrésistible. Comment résister à cet appel de l’usurpation afin de nourrir notre vanité? Un héros imaginaire ne sauve jamais personne. Cette époque entre Thomas d’Aquin et Leibniz fut consacré à ce genre d’interrogation étourdissante, en plein milieux des conflits religieux et des épidémies, entre autre la peste noire, qui a fauché bien des vies et provoqué des grandes souffrances. Ce qui ne pouvait pas être l’oeuvre d’un certain créateur nimbé d’une perfection infinie. Que dire, notre propre invention! Le christianisme en sorti ébranlé. Notre dieu demeurait sourd à nos prières. Leibniz le souligna a plusieurs reprises. Malgré les tumultes, cette époque de la Renaissance demeure passionnante. Faut-il souscrire à tout cela les yeux fermés au coeur de nos plaintes? En cette époque troublée, il me semble qu’une somme de déjà vu revient nous hanter. Nous tournons en rond dans ce genre tâtonnement. Même que de glisser, la raison, au coeur de nos malaises de vivre ne parvient pas à nous rassurer. Il faudra trouver en nous-mêmes notre propre réconfort. L’attente à ce chapitre demeure une perte de temps. Le réconfort ne descendra pas du ciel. Encore moins la recherche d’un sauveur, ce qui tient de la passivité. Je persiste à croire que nous pouvons beaucoup plus que cet état de passivité qu’il faudra parvenir à dépasser. L’imaginaire ne se résume pas seulement à inventer des personnages fabuleux. Il nous invite aux dépassements. Le temps et les événements nous incitent à larguer le messianisme. S’attacher à des idéologies nous paralyse, limite nos actions et surtout nous prive de prendre des décisions souvent déplaisantes mais incontournables. Pour se faire, faut-il déplaire? Ou bien, faudra-t-il déplaire? Pourquoi craindre le futur, alors que l’incertitude hanté par nos craintes occupe toute la scène? Les paradis artificiels demeurent de fausses pistes, et je ne parle pas ici seulement de substances, parce que ces genres de paradis trompeurs comme des mirages peuvent prendre une multitude d’apparences. Peut-être que nous ne voulons pas voir ce que nous voyons? Le meilleur des mondes possibles ne peut pas être l’évitement. Nous les hommes, nous avons créé les dieux, pour parvenir à nous prendre pour des dieux. J’évoquais hier qu’il y avait plus de mal que de bien ne ce monde, par le fait même, plus de souffrance que de bonheur, pendant que nous peinons pour créer : le meilleur des mondes possibles!

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Nous commémorons aujourd’hui, le débarquement en Normandie, 125,000 hommes qui sont descendus sur les plages du nord de la France, pour libérer l’Europe et pour faire reculer le mal. Et, il a reculé, mais n’a pas disparu. Est-ce que nous nous sommes améliorés? Modestement, nous devrions regarder autour de nous? Étais-ce cela le meilleur des mondes possibles? Il faudrait le demander à tous ces anciens combattants? Pour ma part, ceux que j’ai eu le privilège de rencontrer, et ce fut de grandes rencontres, étaient fiers du travail accompli; mais lorsque je leur parlais du présent, ils se montraient sous un jour plus que circonspects, certains avaient même des critiques brutales. Eux, ils avaient une histoire, et ceux qu’ils avaient vaincu étaient condamnés au silence. Comme de quoi Carmilla, que votre texte se rapproche de Leibniz. Cette question du mal est loin d’être banale, et c’est ce que souligne François Azouvi, Du Héros à la victime, victime que vous évoquez souvent et devant laquelle vous êtes très critique. Azouvi pose la question : Comment un héros reconnu, se transforme en victime, ou bien, comment nous le transformons en victime? Comment pouvons-nous tous devenir des victimes? Je me suis lancé dans la lecture de cet ouvrage, immédiatement après la fin de ma lecture de : Essais de théodicée. Et comme si ce n’était pas suffisant, je viens de terminer la lecture de : Je souffre donc je suis, par Pascal Bruckner , qui vient critiquer notre immobilisme devant ce qui se déroule sous nos yeux. Je n’ai jamais connu Bruckner aussi vindicatif critiquant nos sociétés de l’indifférence et du plaisir bas de gamme, afin de ne pas être transformé en victime. Parce que c’est ce que nous sommes en train de faire, c’est comme une répétition d’orchestre, du déjà vu, où la procrastination domine outrageusement. Vous avez sans doute raison, la vrai question, ce n’est pas qui a créé le monde, mais cette question beaucoup plus dérangeante : pourquoi le mal? Ce qui nous amène à pourquoi la souffrance? Parce cette souffrance que nous craignons, c’est la conclusion du mal, qui semble pour nous indépassable. Je dirais même, qu’elle nous envoûte. Dans une discussion cela fait bien de se dire victime. Jusqu’à affirmer qu’être victime découle de la faute originel, qui encore une fois n’est pas l’invention des dieux, mais celle des hommes. Lorsqu’on érige une charpente branlante, il faut bien boucher les trous de nos raisonnements bancals. Ce qui produit des héros, qui n’auraient pas existé, si on avait pris les mesures pour tuer le conflit dans l’œuf. Mais nous aimons bien les héros, et souvent, tout en détestant les victimes. Nous ne donnons pas la parole aux vaincus, pour la simple raison que nous les instrumentons. Il nous en coûte rien de faire passer une victime innocente à criminel parce que ça nous arrange. Pour piper les dés nous sommes des véritables virtuoses. Une fois que nous avons trouvé un coupable, ne reste plus qu’à le livrer à la vindicte des foules, prête pour la décapitation, le tout en virtuel comme en réalité, de quoi tenir jusqu’au prochain événement traumatisant. Selon la Monadologie, le mal comme le bien, serait dans la première cellule, mais pour avoir une première cellule, il fallait un commencement; et dire que ce monde n’a ni commencement, ni fin, ce qui dérange l’humain qui lui a un commencement et une fin. Non seulement, il est éduqué dans la crainte de la vie, mais aussi dans la peur de la mort, jusqu’à craindre la fin de son espèce. Pour le dire autrement, la disparition de l’humanité laisserait le cosmos insensible.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Voilà quelques citations qui provoquent la réflexion :

Pascal Bruckner n’y va pas avec le dos de la cuillère en réfléchissant sur le défaitisme.

« Le défaitisme est la résidence secondaire des peuples privilégiés, le soupir du gros chat ronronnant dans le confort. Élevé, bercés, cajolé dans le monde prospère de l’après-guerre, sommes-nous capables d’affronter les défis du dérèglement climatique, le retour de la guerre, de la barbarie terroriste? »
Pascal Bruckner
Je souffre donc je suis
Page 289

Ce qui est tout le contraire de :

« Permettez-moi d’affirmer ma ferme conviction que la seule chose dont nous devons avoir peur est la peur elle-même – l’indéfinissable, la déraisonnable, l’injustifiable terreur qui paralyse les efforts nécessaires pour convertir la déroute en marche en avant. »
Franklin D. Roosevelt 1933

« Quand le coupable est gras, bien nourri, prospère, enrichi par le miracle économique, le pardon est une sinistre plaisanterie. Non, le pardon n’est pas fait pour cela : le pardon n’est pas fait pour les porcs et pour leurs truies. »
Vladimir Jankélévitch
Le pardon, 1967,

Je ne connaissais pas ce côté arrogant de Jankélévitch, mais ce n’est pas surprenant, lui qui avait passé la guerre à fuir d’une cachette à l’autre pour échapper à la captivité des camps de concentrations.

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Il y a un côté "archaïque" des grandes religions: Dieu est conçu comme un interlocuteur, sur le modèle d'un surhomme capable de nous récompenser en réglant nos petits problèmes mais aussi de nous punir si on se conduit mal. On n'a pas abandonné la pensée magique.

Il n'y a rien de cela chez Spinoza et Leibniz. Dieu, c'est le monde, ici et maintenant; il lui est immanent et il n'y a pas d'autre horizon. Inutile de cogiter sur un au-delà, ce qui est important, c'est de comprendre ce monde, sa logique de fonctionnement.

Avoir un destin, ça suppose justement une "intelligence" du monde, une compréhension des forces négatives ou affirmatives qui le meuvent.

A ce titre, la figure du héros est, en effet, en train de disparaître. On lui substitue la figure de la victime et c'est probablement inquiétant. Tout le monde a en effet vocation à être considéré comme une victime et la tentation est alors de s'abandonner au ressentiment et d'en vouloir à la terre entière. C'est toujours sur l'autre que l'on reporte maintenant le poids de ses erreurs et errements.

Quant à Jankélévitch, ce qu'il écrit est effectivement choquant mais je le comprends. Qu'imaginent en effet Poutine et une bonne partie de la population russe ? Qu'ils pourront gagner la guerre et qu'ensuite la vie redeviendra normale, comme avant... Que les Ukrainiens leur serreront la main et fraterniseront avec eux comme à la suite d'une défaite en football ? Croient-ils vraiment que les Ukrainiens vont leur dire: "C'est dommage qu'on ait perdu mais ça a été un beau match". Bien sûr que non. Les Russes feraient donc bien de réfléchir à quelles conditions ils peuvent espérer être, un jour, pardonnés. Sinon, ils seront définitivement considérés comme des porcs et des truies.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Ce côté archaïque des grandes religions pèse lourd dans notre présent, certains voudraient y retourner comme si c’était une obligation. À leur époque Leibniz et Spinoza tentaient de dépasser ce conservatisme religieux. À ce niveau lire Leibniz c’est vraiment inspirant.

« Une des choses qui pourrait avoir contribué le plus à faire croire à M. Bayle qu’on ne serait satisfaire aux difficultés de la raison contre la foi, c’est qu’il semble demander que Dieu soit justifié d’une manière pareil à celle d’un homme accusé devant son juge. »
Gottfried Wilhelm Leibniz
Essais de théodicée
Page 169,

Nous pouvons juger des hommes à nos manières, mais comment juger de déités que nous avons voulu parfaites, au point de dépasser l’entendement? Comment avons-nous pu amalgamer nos spiritualités à la remorque de nos réalités toujours en évolution? Autant Leibniz que Spinoza force le passage en nous provoquant pour nous pousser à la réflexion déstabilisante. Ils ne veulent pas nous en imposer, parce qu’ils désirent que nous pensions par nous-mêmes. En ce sens, ils apparaissent en libres-penseurs. Ce qui était intolérables pour les autorités religieuses de leur époque. C’est reconnu, nous sommes des êtres de routine, parce que c’est confortable, que ça nous réconforte. Mais, dès que nous sortons de notre univers, celui de la terre et que nous voguons vers d’autres planètes, que se soit en présentiel ou en automatique, nos notions de physiques et de chimies sont remises en question. Il nous faut non seulement revoir nos notions, mais souvent en imaginer d’autres, voir aller jusqu’à l’impensable. Pour reprendre cette petite phrase que j’aime bien : Nous ne l’avions pas pensé ainsi! Dans les faits, nous ne sommes pas condamnés au ciel ou à l’enfer; nous sommes condamnés à l’évolution qui nous donne beaucoup de mal. Ce qui serait un bout d’explication de ce triste retour au conservatisme, qu’il faut voir comme un refus d’avancer. Comme l’exprimait Roosevelt : nous avons peur d’avoir peur. Alors nous appelons de nos vœux des dirigeants autoritaires. Il faut entendre les discussions de comptoir présentement, à les entendre, il serait dangereux de leur mettre une carabine entre les mains. Ils sont inconscients qu’ils vivent en démocratie, qu’ils sont des privilégiés, mais ils rêvent de se jeter dans les bras d’un dictateur. Pourquoi sommes-nous ainsi? Comment la recherche du mal devient incontournable? J’ai bien hâte de connaître les résultats des élections européennes en fin de semaine, cette fois-ci, les électeurs ont intérêt à se déplacer car c’est une élection importante. Possibilité que les concitoyens de Leibniz et Spinoza n’avaient pas, tout comme les arabes, car je suis en train de lire : Les croisades vues par les arabes, d’Amin Maalouf. Lecture qui n’est pas sans nous rappeler ce qui se déroule présentement à Gaza, ou encore : Les Sept Piliers de la Sagesse de Thomas Edward Lawrence en 1917. On dirait que les époques n’ont rien changé à leur manière de faire, pas besoin de voter, on réglait tous dans le sang.

Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Les résultats des élections européennes seront probablement catastrophiques.

Il s'agira certes, en grande partie, d'un "vote d'humeur" avec cette illusion que les élections européennes n'ont pas vraiment d'incidence politique.

Il n'empêche ! Il faut bien reconnaître qu'en France, l'idée européenne demeure, dans les mentalités, très accessoire. Peu de Français connaissent, par exemple, la géographie et l'histoire de l'Europe. A la radio, à la télévision, on parle certes des grands voisins (Allemagne, Italie, Espagne) mais jamais de pays comme la Bulgarie, la Roumanie, la Lituanie, le Danemark...

Et puis, on se met à détester le libre-échange et la mondialisation. On raconte que l'Europe a ruiné les agriculteurs français mais on se garde bien de dire que la France exporte beaucoup plus de produits agricoles qu'elle n'en importe.

Il y a aussi cette idée d'une insécurité générale liée à l'immigration. C'est très compliqué parce que l'on nous inonde de faits divers et que ça se combine, en France, avec une peur de l'Islam.

Mais l'ambiance devient franchement désagréable. Ce qui me déplaît le plus, c'est qu'on se met à détester les "élites", les gens diplômés, les Parisiens. C'est le grand populisme.

Il faut bien le reconnaître: il vient un moment (Tocqueville l'avait prédit) où les peuples n'aiment plus la démocratie. C'est lié à l'exacerbation des jalousies.

J'en viens à penser que l'Europe devra malheureusement traverser une période autoritaire.

Bien à vous,

Carmilla

Nuages a dit…

A propos des révolutions, et de la révolution russe en particulier, je viens de lire une version condensée de l'autobiographie de la militante anarchiste Emma Goldman : "De l'amour et des bombes. Epopée d'une anarchiste"

https://www.babelio.com/livres/Goldman-De-lamour-et-des-bombes--Epopee-dune-anarchiste/267705

C'était une lecture absolument passionnante, et la personnalité d'Emma Goldman est très attachante. Un bon quart du livre est consacré à son séjour en Russie soviétique, peu de temps après la révolution d'octobre, et ses analyses sont implacables sur la dictature des Bolcheviks.

Voici par exemple un long article qu'elle a écrit sur la dictature bolchevique :
https://www.infokiosques.net/lire.php?id_article=1452

Par ailleurs, c'était une femme libre, qui a eu de nombreuses amours, amatrice d'art, de littérature, de musique.

Je m'étonne qu'il n'y ait pas eu encore un bon "biopic" sur ce personnage historique.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Je connais la vie tumultueuse d'Emma Goldman mais avoue n'avoir rien lu d'elle.

Ce qui est fascinant, c'est qu'il y avait effectivement en Russie, à la fin du 19ème siècle, un mouvement anarchiste très actif qui regroupait de nombreux jeunes, surtout des étudiants. Ils n'hésitaient pas à recourir à la violence et aux assassinats. Même s'ils étaient peu nombreux à l'échelle de la Russie, ils entretenaient une ambiance d'instabilité dans les classes dirigeantes. C'était exaltant et effrayant à la fois.

Je prends bonne note de vos références,

Bien à vous,

Carmilla