samedi 7 septembre 2024

Le réenchantement du monde


De prime abord, je n'apparais pas comme quelqu'un de difficile à vivre: je suis toujours calme, jamais en colère, plutôt paisible donc. 


Mais ceux qui me connaissent me jugent aussi déroutante, ailleurs, presque absente. Difficile de me cadrer. Et surtout, il est impossible d'avoir prise sur moi. Je m'obstine à suivre mon propre cap, plutôt en biais, sur des chemins de traverse. Je vis dans mon propre monde et personne ne m'en fera sortir. On me surnommait "cosmos" à l'école et ça n'était sans doute pas pour rien.

La vérité, c'est que le Réel ne m'intéresse  pas. Rien ne m'ennuie plus que les contraintes de la quotidienneté, les difficultés et problèmes matériels. Il y a plein de gens qui se sentent parfaitement à l'aise dans le monde concret, qui adorent les problèmes pratiques. Moi pas du tout, je veux entendre parler de ça le moins possible. Et pourquoi d'ailleurs ai-je choisi un métier dans "la Finance" ? Tout simplement pour être débarrassée des problèmes d'argent et n'avoir pas à scruter, chaque jour, mon compte en banque.

Les femmes entièrement absorbées par leurs tâches domestiques, la surveillance de leurs gosses, leur budget familial, leurs courses, ça me terrorise, ce n'est vraiment pas pour moi. Quelle part intime, quel fragment de rêve, arrivent elles à préserver dans cet Enfer ? Ca m'apparaît sinistre de chez sinistre.

Pourtant, je ne suis pas non plus manchote en matière technique. Je sais faire fonctionner tous les outils de la modernité (ordinateurs, appareils photos etc..), je sais même diagnostiquer une panne de ma bagnole et il m'arrive de bricoler, de réparer des trucs chez moi. Mais je ne peux pas dire que j'en retire une quelconque satisfaction. Les activités manuelles, je trouve ça abrutissant, d'un ennui désespérant.


C'est ce que je trouve effrayant dans le monde contemporain, ce triomphe absolu de la technique et de l'utilitarisme. On a tué Dieu et on est tous devenus laïcs et républicains. C'est un progrès certes mais on en mesure rarement les conséquences: un énorme appauvrissement du réel que l'on croit désormais simple, maîtrisable et transparent. 


On a tous maintenant une mentalité d'épiciers et on est chaussés de bottes de plomb. Tout est devenu lourd et pesant. Comme des mouches piégées par un papier collant, on est englués dans le Réel mais on s'y complait et on ne fait rien pour s'en extirper.


Il faut relire "Le gai savoir de Nietzsche et son aphorisme 125 ("L'insensé"): "Nous avons tué Dieu -vous et moi ! Nous tous sommes ses meurtriers ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment avons-nous pu vider la mer ? Qu'avons-nous fait de désenchaîner cette terre de son soleil ? Vers où roule-t-elle à présent ? Ne sommes-nous pas précipités dans une chute continue ? N'errons-nous pas comme à travers un néant infini ? Ne sentons-nous pas le souffle du vide ? Ne fait-il pas plus froid ? Ne fait-il pas nuit sans cesse et de plus en plus en plus nuit ? Ne faut-il pas allumer les lanternes dès le matin ?"


C'est ce que je vis profondément: les lumières s'éteignent progressivement en notre monde et, en dépit des apparences, il y fait de plus en plus froid et de plus en plus nuit. On est précipités dans l'insignifiance mais on ne le perçoit pas. On est tétanisés, béats de satisfaction parce qu'on peut se vautrer, s'étourdir, dans la société de consommation.


Je suis justement une insatisfaite permanente. La pesanteur du Réel, de la quotidienneté, c'est ce que j'abhorre. 

La vie, ma vie, ne se réduit pas au Réel et à mon identité sociale. Je revendique le droit d'avoir des passions, d'être contradictoire et changeante.


C'est sans doute pourquoi j'aime tellement Proust. Il combattait le réalisme en Art qu'il jugeait profondément réducteur. Le Réel ne vient ainsi jamais à bout de la vie parce que la vie, elle grouille de passions et d'affects, de sensation multiples, d'images et de souvenirs flous, de cruauté et de bienveillance. On est faits de bric et de broc et c'est pour cela qu'on est largement impossibles à cerner. Qu'y a-t-il de plus juste que les Nymphéas de Monet ? D'apparence simple mais en fait insaisissable.


Qu'on veuille me coller une identité, j'ai toujours détesté ça. C'est un motif de rupture immédiate. Parfois, je me mets à plaindre les malheureux types qui ont cru pouvoir nouer une amourette avec moi parce qu'ils pensaient me cerner (la spécialiste des montages financiers). Qu'est-ce qu'ils ont dû en baver avec quelqu'un d'aussi compliqué et inflexible que moi, qui passait son temps à les renvoyer dans leurs cordes.


J'aime bien ainsi l'actrice Isabelle Adjani, une séduisante toquée, sûrement infernale avec les hommes. Elle n'hésite pas à proclamer que le Réel, la quotidienneté, elle n'en a rien à fiche (même si elle éprouve une continuelle culpabilité à cet égard). Le Réel ne l'intéresse en fait que dans le cadre de sa mise en scène ou de sa sublimation. C'est l'attitude artiste.


Pour rompre avec la banalité et le désenchantement du monde, il faudrait parvenir à vivre le Réel comme un mythe. Ca signifie alimenter son quotidien de la fiction, devenir presque un personnage de roman.


Ca peut sembler abstrait et mégalomane mais est-ce que dans la conduite de sa vie, on ne s'inspire pas toujours d'un livre ou d'un film qui nous ont marqués ? Est-ce qu'on n'en rejoue pas, plus ou moins, le scénario ? 


C'est très fort chez moi. Je me proclame ainsi une incarnation de Carmilla la vampire. Je comprends que ça fasse ricaner mais c'est à la fois complétement faux et complétement vrai.


Je vis largement, en effet, à travers les romans qui m'ont marquée. Pas seulement dans mes histoires d'amour dans les quelles je peux être une Emma Bovary ou une héroïne des Hauts de Hurlevent ou une diabolique de Barbey d'Aurevilly. C'est d'ailleurs au point que je me demande si je peux vivre une quelconque histoire d'amour en dehors de la fiction.


La littérature, ça me sert aussi à décrypter les gens à qui j'ai affaire (Balzac et Proust sont indépassables à ce sujet). Et puis, c'est une boussole de mes voyages. Dans une région, un pays que je visite, je cherche d'abord à retrouver les traces des écrivains que j'ai aimés.


Il y a bien une puissance de l'imaginaire qui guide et illumine nos vies. "Nous vivons d'histoires, elles vivent en nous, qu'elles soient réelles ou inventées".


Si le monde est devenu triste, monotone et sans saveur, c'est parce que nous avons cessé de nous raconter des histoires. Pour échapper à cette grande torpeur,  je n'ai donc qu'un message : Faire de sa vie un Roman, faire d'un roman sa Vie...


Images de Caspar David FRIEDRICH, Rafal OLBINSKI, Gustave COURBET, Heinrich FUSSLI, William BLAKE, Martial RAYSSE, Jean-Auguste-Dominique INGRES, Jean-Jacques HENNER, Deborah de TURBEVILLE.

Je recommande :

- Jennifer KERNER: "Le tissu de crin". Un très étrange roman gothique, porté par une belle écriture, qui raconte le viol d'un jeune homme par une femme, plutôt antipathique et repoussante, qui est sa "cheffe" dans une maison de couture. Il est vrai que les violences faites aux hommes adultes, c'est, aujourd'hui, un sujet absolument tabou. Mais est-ce que le féminisme n'aura pas atteint sa maturité quand on saura aborder un tel sujet, en toute franchise ? Il est significatif qu'on ait très peu parlé de ce beau livre absolument dérangeant.

- Armel GUERNE: "Les romantiques allemands". C'est en poche chez Phébus; c'est une merveilleuse anthologie de tous ces écrivains allemands qui, confrontés au triomphe de la Raison, ont voulu réenchanter le monde.  Il existe aussi une anthologie en 2 volumes dans la Pléiade mais, pour ce qui me concerne, je n'arrive pas à lire dans la Pléiade.

- Andrea WULF: "Les rebelles magnifiques". Je rappelle, une nouvelle fois, ce très bel essai consacré aux Romantiques allemands. Ces romantiques qui, dès la fin du 18ème siècle, sont partis en guerre contre la banalisation du monde.

11 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Le réenchantement du monde?

Est-ce que ce monde est aussi triste et morne que certains humains le pensent? Jusqu’au point de faire abstraction de la réalité dans des univers confortables comme jamais l’humanité n’en n’a connu depuis des lustres? Nous pouvons nous enfuir dans notre imaginaire, mais la réalité parvient toujours à rejoindre l’imaginaire, et que serait cet imaginaire sans réalité? L’un ne peut pas exister sans l’autre. Nous pouvons comprendre que l’imaginaire nous ensorcelle et nous séduit, qu’il en devient irrésistiblement incontournable, qu’on peut y passer son existence entière, en s’organisant pour que cela se produise. Peut-être qu’il ne restera pas beaucoup de temps vers la fin de sa vie pour en jouir. Opter pour une seule option, c’est amputer une partie de sa vie.

La réalité finit toujours par nous rejoindre. Un jour un mécanicien m’avait dit : Je peux tout perdre, mais j’espère qu’il me restera mes outils. Avec mes outils je puis me débrouiller. C’était une bonne vision de la vie. C’est le cas de nombreux travailleurs manuels, leurs savoirs, leurs habilités, et leurs expériences qui ne s’achètent jamais. Ces personnes nous sont indispensables. Je le sais d’expérience, trouver la cause d’une défectuosité, et surtout de la réparer, nous offre de grandes satisfactions. Peut-être autant, que le peintre qui a terminé un tableau dont il est particulièrement fier, ou encore, l’écrivain qui vient d’écrire un texte dont il est pleinement satisfait. Tu réalises que tu l’as fait, et que tu peux le faire encore, et même améliorer une performance.

J’ai eu le privilège de voguer dans plusieurs domaines, plusieurs métiers, plusieurs univers, ce qui m’a amené à comprendre que le réalisme ne peut pas exister sans imaginaire, et que l’imaginaire à besoin du réalisme pour se réaliser. L’un ne va pas sans l’autre. La vie doit être aussi large que possible, aussi intense que toutes nos espérances, que nous pouvons aller très loin, et surtout en revenir afin de partager tes expériences.

Réenchanter le monde? Pourquoi faudrait-il le réenchanter? En tant qu’humain, n’est-ce pas à nous, de nous réenchanter? Pourquoi, soudain, le monde devrait nous apparaître froid, morne et triste? Pourquoi devrions-nous, nous satisfaire d’une vue de l’esprit, où peiner au coeur d’une réalité désolante? J’ose croire que nous valons plus que cela!

Bonne fin de journée Carmilla et merci pour votre texte où vous touchez à l’essentiel.

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Même s'il n'est pas encore nécessaire de solliciter une autorisation d'absence de mon blog, j'espère tout d'abord que vous n'avez pas eu d'ennuis divers ces dernières semaines.

La saveur de la vie, le monde moderne a largement cessé de l'éprouver. L'ennui prédomine souvent, on se contente de se distraire ou de tuer le temps. C'est paradoxal parce que jamais l'homme ne s'est vu offrir autant de possibilités matérielles et culturelles.

J'ai été très marquée par le livre de Huizinga, "L'automne du Moyen-Age". Il montre bien qu'en dépit de conditions matérielles épouvantable, la vie au Moyen-Age avait une splendeur et une intensité incomparables.

C'est vrai qu'en comparaison, le monde moderne, c'est la banalité absolue. Rien que des objets fonctionnels qui ne renvoient qu'à eux-mêmes et à leur utilité. Rien qui fasse signe vers autre chose. On est englués dans la réalité brute, dans le concret de chez concret.

Mais ça ne veut pas dire non plus qu'il faut opérer un retour au monde de la religion. C'est tout de même un asservissement.

Il est sans doute préférable de briser sa coquille, d'explorer, comme vous l'avez fait, plusieurs mondes, plusieurs métiers. Ca vous contraint, évidemment, à sortir de vous-même, à élargir l'horizon de votre pensée.

La difficulté, c'est que peu de gens ont envie de sortir d'eux-mêmes et de se remettre en question. Pourtant, en effet, si le monde nous apparaît froid et morne, c'est bien de notre responsabilité.

Bien à vous,

Carmilla

Anonyme a dit…

Bonjour Carmilla

Non, je n’ai pas eu d’ennui, au contraire, j’ai vécu à fond de train, avec la passion totale, pour traverser un superbe été, parce que j’éprouvais le besoin de me réfugier dans mes autres dimensions. Ma vieille pierre et mon vieil arbre tordu, toujours le regard au loin, toujours plus d’espace, renifler l’air du temps, occuper cet espace, et puis rentrer à la tanière pour me replonger dans ma dernière lecture, ou bien m’enfuir dans mes écritures, un peu comme Montaigne, discuter avec moi-même, redessiner le monde. Je pourrais le résumer ainsi : Le jour j’écrivais, le soir je lisais, et la nuit je rêvais. Et soudain, avec étonnement, j’émerge en septembre. Je suis en train de me préparer pour le bûchage et la chasse. Et puis, j’ai constaté que je vous avait inondé de textes en juin dernier. Je me suis dit que je me devais de lever le pied un peu, afin de ne pas provoquer une certaine lassitude. Quoi que lever le pied, personnellement c’est difficile. Je sais, j’en mène large, et je prends beaucoup de place, j’en impose, alors des fois j’essaie de me faire tout petit, ce qui n’est pas une mince tâche, alors il me reste une solution, partir, disparaître, me faire oublier. C’est aussi simple que cela, j’ai toujours vécu ainsi, et je trouve que cela me va très bien.

Mais, tout cela, ne m’a pas empêché d’explorer d’autres univers comme celui de Gérald Bronner, avec son ouvrage : Les origines, où il pose une question toute simple comme je les aime : Pourquoi devient-on qui l’on est? Bronner en voilà un qui est sorti de sa condition, de sa pauvreté, de son milieu violent, pour devenir ce qu’il est. C’est plus qu’une histoire, c’est une évolution, et j’ai de l’admiration pour ces genres d’humains, qui traverses toutes sortes d’épreuves y compris celle d’être un transclasse et même de te faire traiter de traître par ta classe d’origine.

Jean-Philippe Pleau en est un autre de ces transfuges, dont le père était analphabète et la mère avait peu de formation, qui a finit par émerger comme celui qu’on n’attendait plus d’une famille violente. Il a fait des études, et est devenu sociologue. Il a animé une émission de radio, à Radio-Canada avec nulle autre que l’anthropologue Serge Bouchard. Ce qui est étrange que se soit pour le français Bronner, ou pour le québécois Pleau, leurs cheminements se ressemblent.

Je ne suis pas en reste, moi aussi, il m’arrive de me demander : Pourquoi je suis devenu qui je suis? Alors des ouvrages comme ceux de Bronner et Pleau, une fois que j’ai lu la première page, c’est plus fort que moi, il faut que je les lise jusqu’à la dernière page. Plus rien d’autres ne compte.

J’aime lorsque une lecture m’emporte au loin, entrer dans un autre univers, éprouver la différence, imaginer les décors, sentir les odeurs, lire les discussions, où s’amorce la vie, dans la réussite comme dans l’échec.

Comme je le dis souvent lorsque je rencontre une personne :  « Allez...allez...racontez-moi une histoire...racontez-moi votre histoire. Je vous écoute…. »

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je préfère qu'il en soit ainsi: la vie est tellement imprévisible et propice aux accidents.

Quant au nombre de commentaires, ça fait partie, pour moi, de la tenue d'un blog. C'est aussi important que le post lui-même.

Etrangement, j'ai croisé Gérald Bronner au cinéma, samedi dernier.

Il se fait pas mal d'ennemis à combattre cette idée de destins figés et de victimes permanentes. C'est tellement plus confortable de reporter sur les autres la cause de son inertie.

Bien sûr que le milieu social est important mais pas non plus absolument déterminant. Il y a aussi cette capacité en l'homme à "s'arracher" à son environnement, à ce qui semble le constituer, à lui-même.

J.-J. Rousseau parlait de la perfectibilité humaine. Je dirais simplement qu'on a tous besoin d'autre chose, d'ailleurs, d'expériences nouvelles. Mais on est plus ou moins disposés à sortir de sa coquille.

Pour ma part, j'aime bien aller à la piscine et au marché. Pas seulement pour faire du sport et m'alimenter mais parce que ce sont des lieux de rencontre extraordinaires. J'y croise plein de gens que je ne pourrais jamais rencontrer dans mon milieu professionnel (où on est tous un peu les mêmes).

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Oui la vie est imprévisible et hasardeuse, elle est ainsi, et pas autrement. Est-ce qu’il faudrait s’en plaindre? Échapper au pire, des fois, c’est très gratifiant.

Ce qui me rappelle les paroles d’un politicien canadien qui disait : « Heureusement qu’on a des ennemis en politique. » Nos ennemis nous forment plus que nos amis. Ils vous construisent en voulant vous démolir. Ces ennemis sont des semeurs de notoriétés.

Je ne suis pas surpris que Bronner a des ennemis, surtout lorsqu’il évoque qu’il a quitté son milieu pour aboutir dans un autre milieu, et qu’il a pris conscience qu’il était assis entre deux chaises. Qu’il n’était plus du milieu de ses origines, mais qu’il n’avait pas le code de l’univers qui suivrait. Cette période d’incertitude, c’est le bon moment pour prendre la clé des champs, afin de construire son propre univers. Comme vous le dites Carmilla, suivre son cap.

Ce qui me rappelle une autre lecture, celle de Raphaël Enthoven, intitulé : L‘esprit artificiel. Nous en serions rendu à craindre que les robots que nous construisons pourraient avoir des sentiments, par eux-mêmes! C’est une idée que Enthoven démolit, parce que pour avoir des sentiments, il faut s’arrêter, et surtout douter, hésiter; mais on robot dans ses tâches n’hésite jamais!

J’ai lu l’ouvrage de Enthoven après avoir lu le dernier Pascal Quignard : Compléments à la théorie sexuelle et sur l’amour. Un livre tout en finesse, hors des sentiers, enivrant, souvent déstabilisant, écrit par un humain qui ne cesse de m’étonner. Et, on voudrait m’imposer cette idée qu’un jour les robots auront des sentiments?

Passage obligé par les : Effinger. La journaliste Gabrielle Tergit est vraiment impressionnante, pas seulement sur l’univers qu’elle décrit avant la Première Guerre mondiale, mais ces milieux juifs qui sentent que les choses changent, que leur réalité leur échappe. C’est étrange, ce livre m’a ramené à une autre lecture celle de Harald Jähner : Le temps des loups. J’y ai découvert comme une boucle. Présentement, sommes-nous en train de vivre, ou revivre, une situation qui ressemble à nos événements d’hier?

Au travers de toutes mes lectures, je suis parvenu à l’un de mes buts et j’ai terminé tout ce qui a été publié en français par Main Maalouf en terminant par Samarcande et Les jardins de lumières. Je me suis payé un grand tour du Moyen-Orient, mais surtout cela m’a permis de comprendre mieux l’esprit du Levant. C’est vraiment un univers fabuleux, tout comme cet auteur, dans ses fictions comme dans ses essais.

Tout cela, pour arriver où? J’en suis présentement à Jean Jaurès, qui a écrit : L’armée nouvelle. Celle de la France juste avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale et de l'assassinat assassinat de cet auteur fabuleux.
Et, j’ai commencé la lecture de : L’origine des espèces par Charles Darwin, ouvrage que je désirais lire depuis longtemps.

Vous avez raison Carmilla, la vie est pleine de hasards…

Bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Gerald Bronner a certes des critiques virulents mais il n'empêche que ses livres se vendent bien. Ce qui est absolument exceptionnel pour des livres de sociologie.

Raphaël Enthoven provoque aussi beaucoup de réactions épidermiques (un peu comme Bernard-Henri Lévy). Peut-être, en effet, en fait-il trop et se répand trop dans les médias. Son bouquin sur Proust était néanmoins très bon. Quant à son début d'autobiographie, c'était d'une étonnante férocité. Je partage aussi son analyse sur l'intelligence artificielle: ça ne peut produire que des choses forcément stéréotypées, sans véritable créativité.

"Les Effinger", c'est vraiment l'un des meilleurs bouquins que j'ai lus cette année. Ce qui est étonnant, c'est qu'en 1951, pour sa première édition, le livre n'a trouvé à peu près aucune audience. Il a fallu attendre plusieurs décennies pour qu'il soit redécouvert en Allemagne.

Pascal Quignard, c'est très fort. Mais son oeuvre est tellement singulière que le cercle de ses admirateurs est réduit.

Félicitations pour avoir lu tout Maalouf. Ca en apprend beaucoup, en effet, sur le Moyen-Orient. A ce sujet, je vous conseille aussi, vivement, le tout nouveau "Mesopotamia" d'Olivier GUEZ.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Je ne manquerai pas de lire Mesopotamia d’Olivier Guez, car vous avec piqué ma curiosité, époque qui suit celle de Lawrence, je pense que ça va être passionnant. Se sera encore une belle découverte pour moi. J’aime les personnages hors cadre, qui n’hésitent pas à se lancer sur les routes de l’aventure, tout comme Charles Darwin qui s’est embarqué pour une période de cinq ans sur le navire Beagle. Ce voyage fut pour cet homme une révélation. Sans ce voyage il n’y aurait pas eu : L’origine des espèces. Ce voyage a transformé son existence. J’en suis rendu au chapitre trois qui traite de la lutte pour l’existence. Sujet toujours d’actualité. Ce qui met en perspective des espèces qui sont nées, se sont multipliées, puis sont disparues. Comment ne pas penser que l’espèce humaine pourrait, elle aussi, disparaître un jour? Darwin demeure clair, net, et précis dans ces propos. Une écriture comme si j’étais chez moi. Voilà un homme qui a consacré sa vie à sa passion du savoir et qui a secouer nos certitudes. Il a passé son existence à découvrir, répertorier, classer, comparer, des plantes, des ossements, des animaux, un véritable travail de moine. Tous ces travaux pour parvenir à ses réflexions.

Dans le même esprit, je vous suggère : Une histoire des Vikings par l’archéologue Neil Price, que j’ai trouvé dans une librairie de Sherbrooke alors que je cherchais autre chose. Des fois, le hasard fait bien les choses. Le titre au complet : Une histoire des Vikings. Les enfants du frêne et de l’orme. J’ai un faible pour ce peuple, pour son histoire, ses manières de vivre, ses mouvances, ses déplacements, qui sont beaucoup plus que seulement les pillages. Ils auront été des commerçants, des voyageurs, des navigateurs exceptionnels, des constructeurs de bateaux, des explorateurs. Ils ont colonisé l’Islande et le Groenland et sont même venus en Amérique pour s’établir à L’Anse au Meadows à Terre-Neuve, que j’ai eu le plaisir de visiter. Il fallait le faire, se lancer sur l’Atlantique Nord, au coeur de l’incertitude des tempêtes. J’ai eu beaucoup de plaisir à lire cet ouvrage volumineux qui touche aussi le domaine de l’archéologie, ce qui m’a permis de remettre mes connaissances à jour dans ce domaine. Cet ouvrage est publié chez aux Éditions du Seuil, collections Points.

Et qui sait, sachant que ces gens ont voyagé de l’Anse aux Meadows jusqu’à Kiev et Istanbul, vous êtes en quelque sorte, peut-être : L’enfant du frêne et de l’orme, oui qui sait…?

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je ne doute pas que "Mesopotamia" vous plaira. Ca permet de comprendre, pour partie, les embrasements actuels du Moyen-Orient.

Il faut en effet rappeler que les Britanniques et les Français ont créé et se sont partagé des Etats complétement artificiels à l'issue de la 1ère guerre mondiale (accords Sykes-Picot): l'Irak, la Syrie, le Liban, la Palestine sous mandat britannique.

Ce découpage était destiné à mettre par terre l'Empire ottoman (la Turquie). Pourquoi ? Parce que les Turcs étaient inféodés à l'Allemagne; l'Allemagne qui était en train de conquérir économiquement le Moyen-Orient.

Et pour contrer l'Empire ottoman, la Grande-Bretagne s'est appuyée sur les populations arabes. Ca a tellement bien marché que le Moyen-Orient, autrefois largement turc, est devenu arabe. On a remplacé une domination par une autre.

Difficile de juger mais c'est sûr que Français et Anglais ont fait une drôle de cuisine au lendemain de la 1ère guerre mondiale. La question de leur responsabilité dans les malheurs actuels du Moyen-Orient mérite d'être posée. Leurs découpages absurdes étaient forcément explosifs.

Du même Olivier Guez, il faut aussi lire: "La disparition de Joseph Mengele".

Quant aux Vikings, il est établi aujourd'hui que des populations scandinaves ont descendu les fleuves jusqu'à la Mer Noire pour y faire du commerce avec toute l'Asie Centrale. Le mot "Rus" est d'ailleurs curieusement le nom qui désignait cet envahisseur venu du Nord. Et on peut ajouter que les Ukrainiens sont généralement blonds aux yeux bleus, pas tellement différents physiquement des scandinaves.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Votre analyse sur l’état politique et historique du Moyen-Orient est juste, elle s’apparente à la mienne. Les accords de (Sykes-Picot), allaient réduire en miettes tout le travail de terrain de Lawrence qui avait réussi à unir différentes tributs pour combattre les Turcs. En plus de faire la guerre, il allait passer plus de temps à éteindre des feux entre les différences factions arabes. C’était un véritable et admirable tour de force diplomatique qui n’a jamais été reconnu. Qui plus est, il n’avait pas la faveur de ses patrons au Caire, et encore moins à Londres, où il était méprisé. C’était en quelque sorte un exclu, un petit officier sans avenir, qui par son travail et ses réussites sur le terrain attirait l’envie des officiers supérieurs. Incontestablement, il possédait des qualités qu’il avait cultivées de ses voyages au Moyen-Orient avant la Première Guerre mondiale, il avait appris l’arabe, et quelques autres dialectes, il s’était imprégné de différentes cultures, savait monter à dos de chameau, s’était fondu dans la psychologie des hommes du désert, partageait leurs souffrances et leurs déceptions, mais aussi leurs plus grandes espérances, celle d’une grande nation arabe, s’ils gagnaient la guerre contre les Turcs. Certains affirment qu’il s’est trop avancé lorsqu’il a fait cette promesse aux différents clans du désert. Effectivement, il a réussi sur le terrain; mais le tout s’est gâté dans les méandres institutionnels des tergiversations du traité de Versailles. Malgré ses représentations habiles, les affaires sous l’égide des grands avaient pris une toute autre direction. J’ose émettre l’hypothèse, que si ont avait suivit les idées de Lawrence, peut-être qu’on nous n’en serions pas où nous en sommes actuellement dans cette partie du mode. Comment, ne pas penser que le traité de Versailles et les accords de (Sykes-Picot) ont été des torchons, alors qu’on avait commencé à instrumentaliser les arabes? Gagner une guerre c’est une chose, gagner une paix durable c’est beaucoup plus difficile. Comment se fait-il que les grands cerveaux diplomatiques n’arrivent pas à comprendre ce fait? Alors qu’un petit officier avait saisie l’affaire. J’ai bien hâte de lire le livre de Guez. D’autre part, dans toutes les histoires que raconte Maalouf, on se retrouve devant cette même violence? Certains disent que ce n’est que des fictions, mais des fictions qui trouvent leurs fondements sur des faits historiques. Maalouf cherche une chose, celle de nous éclairer pour nous faire comprendre cet univers particulier. Présentement personne n’ose affirmer que ce qui se déroule en Ukraine affecte ce qui s’est déchaîné le 7 octobre dernier à Gaza, que ces deux conflits, sur le fond, sont interreliés par adversaires interposés. Se pourrait-il que : Les Terres de Sang, soient plus vastes qu’on ne l’avait imaginer pour paraphraser Timothy Snyder?

Pour compléter le tout, je reprends les paroles de Dwight Macdonald : « C’est une grande chose que d’arriver à voir ce qu’on a sous le nez. Et d’avoir la simple honnêteté de dire les choses telles qu’elles sont. »

Merci Carmilla et bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Lu hier soir dans l’Origine des espèces :


« Les désirs et les efforts de l’homme sont si changeants! Sa vie si courte! Aussi, combien doivent être imparfaits les résultats qu’il obtient, quand on les compare à ceux que peut accumuler la nature pendant de longues périodes géologiques! Pouvons-nous donc nous étonner que les caractéristiques des productions de la nature soient beaucoup plus pures que ceux des races domestiques de l’homme? Quoi d’étonnant à ce que ces productions naturelles soient infiniment mieux adaptées aux conditions les plus complexes de l’existence, et qu’elles portent en tout le cachet d’une œuvre bien plus complète? »
Charles Darwin
Les Origines des espèces
Chapitre IV
La sélection naturelle
Page 136

Voilà des propos qui m’ont laissé songeurs.

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

On peut quand même se poser des questions sur l'intervention des Britanniques et de Lawrence au Moyen-Orient. On peut en juger les résultats aujourd'hui: ils sont catastrophiques. D'une vaste zone géographique qui était relativement paisible, on a fait une poudrière.

Cohabitaient tant bien que mal, autrefois, sur ce vaste territoire, de nombreuses communautés: des Juifs, des chrétiens, des kurdes, des Arméniens etc...

Il faut tout de même rappeler qu'il n'y avait pas, autrefois, de revendication indépendantiste des Arabes vis-à-vis de l'Empire ottoman. Mais c'est Lawrence, sentimentalement fou des Arabes, qui les a entraînés dans une conflictualité avec les Turcs. Et les Arabes ont été bien embêtés quand il leur a fallu assumer un pouvoir politique même si c'était sous la supervision des Français et des Britanniques.

On a dressé les peuples les uns contre les autres et Lawrence en porte une part de responsabilité.

Je schématise et je simplifie bien sûr mais on a répandu le poison des nationalismes étriqués dans une zone géographique qui était appelée à connaître un grand développement économique. Je ne dis pas, bien sûr, que l'Empire ottoman, c'était bien mais ça n'était sans doute pas pire.

Bien à vous,

Carmilla