samedi 2 août 2025

De la Bêtise


La Bêtise, elle vient soudainement de refaire surface dans les grandes arènes politiques avec des personnages tels que Trump, Elon Musk, Vladimir Poutine mais aussi des seconds couteaux comme Javier Millei, Bolsonaro, Orban, Fico, Nawrocki. D'effrayants et indiscutables crétins dont on ne sait pas bien analyser le comportement.

Le plus troublant, c'est qu'il ne s'agit pas d'une bêtise brute. En chacun de ces personnages, coexiste tout de même une lueur d'intelligence, même si c'est sous une forme madrée et rusée. On ne peut donc pas les caractériser en blanc ou en noir. 

Mais le plus significatif, c'est peut-être qu'ils ne craignent pas d'afficher, en toute décontraction, leur bêtise. Et même, plus c'est gros, énorme, mieux c'est. On ne cherche plus à dissimuler ses insuffisances en se raccrochant aux opinions communes, c'est le temps de la bêtise décomplexée, exprimée avec ostentation.

 Pour comprendre cette bêtise des temps nouveaux, l'écrivain Gustave Flaubert se révèle, probablement, d'un grand secours. A la fin de sa vie, il a curieusement délaissé le roman classique pour rédiger, en s'attelant à de la sociologie, une énorme charge contre la Bêtise. Ca a donné lieu à cet étrange bouquin  "Bouvard et Pécuchet" et au "Dictionnaire des idées reçues" (tous deux inachevés).

"Bouvard et Pécuchet", c'est une grande farce sur la bêtise humaine qui met en scène deux vieux garçons (l'un veuf, l'autre célibataire). Deux compères qui se lancent dans une entreprise gargantuesque: accéder à un savoir encyclopédique, aborder tous les domaines de la connaissance (la science, l'agriculture, la religion, l'archéologie, l'éducation, la littérature etc...).

La bêtise, c'est d'abord, pense-t-on généralement, l'ignorance, l'inculture et les préjugés. 

Mais Flaubert formule une autre analyse. La bêtise moderne, c'est, plutôt, prétendre tout savoir sur tout.

Cela signifie que la bêtise relève moins d'une insuffisance intellectuelle et des âneries que l'on débite  que de la manière dont on exprime les choses. La bêtise relève, en fait, d'une attitude générale, d'une arrogance, d'une fatuité affichées. Une attitude toujours insultante qui est celle de celui qui croit avoir réponse à tout. C'est en quoi l'idiot est aussi un connard. 

Et cette bêtise arrogante, on en est tous porteurs à des degrés divers. Elle est générale et donc incurable. Et Flaubert va encore plus loin parce qu'il estime que cette grande bêtise, elle a donné naissance à la bourgeoisie. Mais une bourgeoisie qui ne se définit pas par une appartenance de classe (sa richesse économique) mais par une manière de penser, de "penser bassement". Et penser bassement, c'est être sûr de soi et de ses idées. 


Cette folle assurance, elle caractérise bien, en effet, nos contemporains et notamment trois de nos maîtres du monde. 

- c'est d'abord la bêtise puérile de Donald Trump. Son narcissisme infantile est sidérant. Il est bien un enfant-roi, un sale gosse qui adore être flatté, louangé. Un petit pervers polymorphe qui change sans cesse d'objet d'amour dans une indifférence absolue. D'où sa versatilité, son manque total de compassion, son incapacité à aimer les autres sauf ses flatteurs. Les femmes, ses collaborateurs, les autres dirigeants du monde, ne sont que des jouets qui concourent à sa distraction. Il s'en toque soudainement puis les délaisse. Il est incapable d'amour ou d'amitié. La souffrance des autres, il y est totalement indifférent.

Et puis, toujours dans son rôle de sale gosse, il aime bien semer sa merde un peu partout et il se délecte de l'embarras produit. Il est le "vilain" que l'on n'ose gronder. Il n'y a pas de refoulement, pas d'interdit chez lui. Mais c'est  probablement aussi pour cette raison qu'on l'aime et qu'il a été élu à 2 reprises: parce qu'il est "comme nous", qu'il exprime bien ce qui constitue notre inconscient, l'inavouable qui est en nous. Nous aussi, on est des salopards, mais des salopards maîtrisés (simplement parce que notre éducation réprime nos pulsions destructrices).

- aux côtés de Trump, il y a évidemment son ami/ennemi, Elon Musk. Musk est fascinant parce qu'en lui, la bêtise côtoie le génie. Mais sa bêtise est plutôt celle du connard. Musk est même, avant tout, un connard. Il est la démonstration vivante que l'intelligence n'a jamais empêché d'être con. "Il est provocateur, instable, amoureux de lui-même, incapable de filtrer ses pensées, dominateur avec ses employés". Bref, la connarditude banale, l'habituelle violence relationnelle, de celui qui a du pouvoir.

Mais il ne se limite quand même pas au "banal". Musk diffère profondément de Trump en ce sens qu'il a un côté "héros romantique". Il croit en son destin, il veut à tout prix sauver la Terre, y compris en transplantant sa population sur Mars. C'est peut-être délirant mais son souci premier est, tout de même bien, de créer, d'inventer, d'innover. Ce qui est complétement étranger à Trump qui ne pense qu'à déstabiliser, détruire et fiche la pagaille. Trump est un roi fou tandis que Musk est peut-être un "prophète-inventeur" ou un grand excentrique.

- et je terminerai avec un 3ème connard, Vladimir Poutine. Lui, il est relativement policé au point que Trump et Steve Vitkoff l'ont qualifié de quelqu'un de "très gentil". Il est bien différent de Trump et de Musk, en ce sens que sa grande bêtise, sa grande connerie, c'est son obstination butée. Voilà déjà 3 ans et demi qu'il conduit une guerre dévastatrice contre l'Ukraine avec des résultats insignifiants. "Tout ça, toutes ces centaines de milliers de morts, pour ça". Et personne n'a jamais perçu clairement quels étaient les objectifs et les motifs de cette guerre. Cette histoire de Nazis ukrainiens soutenus par l'Otan, même les Russes n'y croient pas tellement c'est énorme et grossier mais ils continuent de faire comme si... On est dans l'absurdité-cruauté totale.

Mais Poutine est incapable de faire machine arrière, ce serait laisser penser aux Russes qu'ils ont eu tort de faire confiance en ses compétences. Une fois qu'on a choisi un camp, un récit, c'est trop tard. On ne plus rien faire, le coût politique d'un revirement serait exorbitant. Alors, on essaie de croire soi-même à la connerie qu'on vient de faire.

Et puis, il est prisonnier d'un biais cognitif classique: celui de l'aversion à la perte. Le désagrément de perdre 100 euros est infiniment plus grand que la satisfaction de gagner la même somme. Alors, on s'obstine contre toute rationalité, on espère se récupérer, on se refuse à arrêter les frais malgré les signes de l'impasse militaire.

Et plus on refuse de perdre, plus on continue... et de plus en plus fort (c'est ce qui explique les énormes bombardements incessants). Même si on sait que ça ne sert pas à grand chose, on s'obstine dans une course folle en avant dans l'espoir insensé de récupérer l'investissement initial.

C'est cela la grande bêtise de Poutine. Trump était prêt à lui faire un cadeau insensé, inespéré il y a quelques mois: le déclarer vainqueur et réintégrer la Russie dans le concert des Nations. Mais Poutine est aujourd'hui incapable de calcul lucide. Il préfère s'empêtrer dans une mécanique désastreuse. On ne change pas une machine qui ne marche pas et, pire, on la pousse à fond. Mais souvent alors, on perd et on perd toujours plus.

Images de Jérôme Bosch, Roland Topor, Film "La planète sauvage", Miss Tic

Je recommande :

- Gustave Flaubert : "Bouvard et Pécuchet" et "Dictionnaire des idées reçues"

- "Sciences Humaines Août-Septembre 2025": "Psychologie de la connerie". La diffusion de cette excellente revue, lancée en 2018, est trop confidentielle. Je la recommande particulièrement et notamment ce hors-série qui m'a incitée à rédiger ce post.

- Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass R.Sunstein: "Pourquoi nous faisons des erreurs de jugement et comment les éviter"

- quant à l'analyse psychologique de Trump, son infantilisme grotesque, je renvoie à un article du psychanalyste Michel Schneider que l'on trouve facilement sur Internet.



samedi 26 juillet 2025

"Se changer les idées"


 Paris a commencé à se vider. Ce sont les vacances, c'est à dire une vacance de notre esprit à tout ce qui faisait notre attention au quotidien : le travail bien sûr mais aussi tout ce qui constituait notre trame médiatique et relationnelle (les événements du monde, les collègues, les amis, la famille).

On cherche tous à se mettre, durant quelque temps, en retrait, à se déprendre, à penser à autre chose, à "se changer les idées" comme on dit. On a besoin de ça comme d'une respiration régénératrice.

Je trouve ça positif. Ca montre qu'on a conscience d'être formatés, banalisés, comprimés, par les contraintes sociales et professionnelles. A l'inverse, ceux qui ne prennent pas de vacances, qui ne cherchent pas à simplement "s'aérer", sont probablement inquiétants. Comme s'ils n'étaient plus que les rouages de la grande mécanique sociale, comme s'ils avaient peur de s'en évader.

Et parmi les vacanciers, toutes ces personnes qui veulent "se changer les idées", il y a vraiment deux grandes catégories :

- d'une part, ceux qui veulent ne rien faire, simplement se reposer et rêver.

- d'autre part, ceux qui cherchent à bouger, se déplacer, voyager.

C'est un peu l'opposition des contemplatifs et des actifs.

Les rêveurs, on a évidemment tendance à les déprécier en regard des aventuriers et baroudeurs. Des gens un peu mous, un peu popotes, qui répugnent au changement. La meilleure illustration, c'est évidemment "Le voyage autour de ma chambre" de Xavier de Maistre qui a inspiré les Romantiques. 

Mais ça n'est pas, non plus, si simple. Etre capable de rêver, d'être sensible à l'immédiateté du monde et de ses sensations, est-ce que ça ne témoigne pas d'une force spirituelle plus grande que celle de se déplacer bêtement ?

En ce qui me concerne,  je crois certes faire partie de la seconde catégorie, ceux qui bougent, les voyageurs, baroudeurs, sportifs. Une journée passée le cul sur sa chaise, à ne rien faire, ça m'apparaît une journée perdue, ça me déprime.

Mais mon incapacité à rester en place, ça n'est sans doute, aussi, qu'une expression de mon mal-être perpétuel. Aussitôt arrivée quelque part, j'ai envie d'en partir dans l'espoir de trouver mieux ailleurs. Mon incapacité à rester en place pour me contenter d'y rêver, ça n'est qu'une expression de mon instabilité, de mon malaise perpétuels. Ca n'est qu'une manière de me détourner de "l'ici et du maintenant", de me refuser à affronter la réalité présente.

Mais c'est aussi plus compliqué que ça parce qu'il est vrai qu'au bout d'un certain temps, j'en ai tout simplement marre d'endosser toujours la même peau. Sans doute parce que je me sens à peu près partout "une étrangère" et que je dois sans cesse faire un effort d'adaptation. Jouer continuellement à être une Française, ça devient épuisant.

Alors, je finis par en avoir marre, tant pis si mes propos choquent, de la France, de sa langue, de ses codes sociaux, affectifs et sexuels, de son actualité médiatique, culturelle, politique, de sa cuisine etc... Je n'en peux plus et j'ai fortement besoin de tirer un trait dessus et de partir à l'étranger. Mais ailleurs, ça ne marche qu'un certain temps. Je ne me sens bien, plus libre, que pendant quelques semaines et ensuite, je me lasse. 

Je suis une perpétuelle insatisfaite ! La réalité est, pour moi, toujours déceptive. Et cela, c'est terrible aussi bien pour moi que pour ceux qui m'entourent.

Il faudrait que je puisse vivre dans un voyage perpétuel, sans cesse dans un nouveau cadre et avec de nouvelles personnes.

Etudiante, j'étais fascinée par la Route des Indes, l'expérience spirituelle qui la motivait. C'est devenu beaucoup plus compliqué de l'arpenter aujourd'hui mais j'ai eu la chance d'en faire un grand bout, jusqu'à la frontière irano-pakistanaise. Ca m'a évidemment beaucoup marquée et, surtout, j'en suis sortie imprégnée par les  grands écrivains voyageurs : Ella Maillart, Anne-Marie Schwarzenbach, William Darlymple. Ils sont au petit nombre de ceux que je relis régulièrement.

Et puis, il est une grande période de l'Histoire que j'aurais aimé vivre: celle des Croisades. Cette grande aventure européenne, elle a duré deux siècles (en gros de 1095 à 1270) et elle a précipité des foules entières sur les chemins de Jérusalem. Nul doute que j'aurais cherché à participer à cette immense aventure, à cette grande fièvre collective. Comment alors mieux dépasser son destin ?

Et ma fascination pour les Croisades, elle s'explique aussi par l'impression profonde que m'ont laissée les châteaux de mon enfance, ceux des Chevaliers Teutoniques. On l'a généralement oublié mais ces chevaliers étaient des croisés de la Baltique.


 Images de Guy Bourdin, Luchino Visconti, affiches de la Belle Epoque, Nicolas Roerich, châteaux de Malbork et de Trakai

Le titre de mon post est repris du numéro de juin de la revue "Philosophie Magazine". 

Je recommande :

- Nicolas Bouvier: "L'usage du monde"

- Ella Maillart: "La voie cruelle"

- Anne-Marie Schwarzenbach: "De monde en monde"

- William Darlymple: "Sur les pas de Marco Polo - Voyage à travers l'Asie Centrale"

- Sous la direction de Martin Aurell et Sylvain Gouguenheim: "Les croisades - Histoire et Idées reçues". Un bouquin très récent. Il y a une foule de livres sur les Croisades mais on s'est mis à tout mélanger (on parle même de la croisade de George W. Bush ou de celle des Djihadistes de Daesh). Ce livre débusque en particulier toutes les idées reçues sur la question.


 

samedi 19 juillet 2025

L'abandon de nos vies

 

J'aime bien prendre le métro. J'y trouve plaisir à simplement observer mes voisins. A essayer d'imaginer, à partir de leur habillement et de leur attitude, à quoi ressemble leur vie. J'élabore ainsi, chaque jour, une multitude de romans.

Evidemment, depuis une quinzaine d'années, le spectacle a bien changé. Absolument tout le monde est maintenant rivé à son smartphone et rédige frénétiquement une multitude de messages. On a l'impression de gens suroccupés, débordés, vivant dans l'urgence. Plus personne ne lit évidemment, un livre ou un journal.

C'est le nouveau monde, celui d'Internet et des réseaux sociaux. C'est tout récent, en fait, mais on a l'impression qu'avant, c'était vraiment la préhistoire, les temps primitifs de l'humanité. Revenir en arrière, c'est inconcevable.

Ca me perturbe parce que je crois être encore jeune mais je me sens complétement étrangère à ça. Ce n'est pas que je n'aime pas les nouvelles technologies, c'est que je ne veux pas en être dépendante parce qu'elles ont vite fait de vous infantiliser. J'ai toujours préféré calculer dans ma tête, lire moi-même une carte routière et à peu près tout mémoriser. C'est ma dinguerie propre qui relève sans doute de mon fantasme de toute puissance, voire de mon orgueil extrême. Revers de la médaille, je suis, sans doute, un peu bizarre. 

Peut-être... mais je me rassure en me disant que ma propre dinguerie, elle n'est vraiment rien du tout en regard de celle qui affecte les "dingues" actuels des réseaux sociaux. On a franchi récemment un stade supérieur en  acceptant que toute notre vie soit désormais absorbée par les réseaux sociaux dans une continuelle exhibition de soi-même et de sa petite vie. 

Un chiffre ahurissant en témoigne: les Français consacreraient 14 heures par semaine (en moyenne et hors activité professionnelle) à leur  smartphone. C'est tout de même l'équivalent de 2 journées de travail et, surtout, cette moyenne est largement outrepassée dans les catégories les plus jeunes de la population.

On commence évidemment à se demander si on n'est pas en train de fabriquer des générations de crétins. Mais ça, on ne le saura que lorsque la nouvelle génération accèdera au marché du travail. Et puis la crétinisation n'est peut-être pas le dégât le plus important.

Le smartphone est en train de remodeler complétement le cadre de notre vie sociale. D'abord, le smartphone est devenu un véritable "doudou", un "objet transitionnel", sur lequel on projette toutes nos émotions et affects. Le smartphone est à la fois notre mère et le bébé que l'on était. Il nous ramène aux premières expériences de notre enfance et c'est pourquoi sa perte est vécue comme un drame. On se sent désemparés, comme si on avait perdu un être cher (sa mère ou un compagnon indispensable). 

 Et le smartphone comme "doudou" ne nous ouvre pas au vaste monde. Il nous cantonne plutôt à un univers limité auquel nous renvoient d'ailleurs sans cesse les algorithmes. On se met à vivre davantage dans un groupe, dans une tribu, que dans une famille. Les parents d'un ado ne font plus que secondairement son éducation. Sa meute, sa bande, deviennent bien plus déterminants. Mais la meute et la bande, c'est bien pire que la famille. Ce n'est pas là que l'on apprend à composer, à devenir tolérants.

On ne l'a pas encore bien compris mais on renoue peut-être avec l'esprit "préhistorique". On retrouve aujourd'hui les hordes primitives conduites par un grand mâle dominant décrites par Freud. On ressuscite le temps des Loups qui errent, en petits groupes fortement soudés, aux hasards de la rencontre d'une victime et des renversements du  grand chef ou de la grande Louve.

Ca absorbe entièrement notre existence parce qu'on se met à guetter, tout au long de la journée, un signe, un message, une approbation, de son groupe. On a sans cesse besoin d'éprouver la chaleur et la solidarité de sa meute. Que pensent de moi les autres et surtout le Grand Chef ?

Pourquoi abandonne-t-on ainsi l'essentiel de sa vie aux réseaux sociaux, accepte-t-on qu'elle y soit captée volée, violée ? Leur formidable pouvoir d'attraction, j'ai l'impression qu'il résulte surtout de leur capacité à offrir à chacun et à tout le monde la possibilité de s'exhiber aux yeux de tous et d'y devenir célèbre indépendamment de toute qualité particulière.

Les réseaux sociaux, ils offrent d'abord à chacun son 1/4 d'heure de célébrité en ligne théorisé par Andy Warhol. Mais surtout, ils permettent d'assouvir cette pulsion profonde en chaque homme: le Désir de Désir  qui commande (selon le philosophe Hegel) la dialectique des relations humaines. On a tous viscéralement besoin de se sentir désirés, de capter l'attention des autres. Rien n'est pire que l'indifférence.

Et l'énorme avantage des réseaux sociaux, c'est qu'ils ne réclament aucun talent, aucune action extraordinaire et même aucune beauté, pour que l'on parvienne à être reconnus. Ils consacrent même l'abolition des privilèges: ceux de la naissance, de la fortune, des diplômes, de l'apparence. La bêtise, monstruosité, le côté méchant, repoussant, violent, peut même s'y révéler un atout.

On peut même dire qu'il y a une force disruptive, révolutionnaire, d'Internet et des réseaux sociaux. Ils vont jusqu'à consacrer  le crépuscule de la Beauté et du Talent. Ce qui est en effet mis systématiquement en avant dans les algorithmes, c'est l'excessif et le pulsionnel, "tout ce qui touche les affects profonds de violence, de dégoût, d'attraction sexuelle. Cela joue sur la fascination-répulsion".

Bien sûr, cela fait partie de la Nature humaine, de sa monstruosité propre que l'on se dépêche généralement de dissimuler sous le tapis. Mais ce qui est problématique, c'est qu'avec Internet, on ne voit plus que ce dessous du tapis.

Il subsiste encore quelques idéalistes qui croient que l'Art va sauver la Vie. On peut en douter parce qu'on assiste plutôt aujourd'hui au déploiement de la grande connerie et de la grande méchanceté humaines.


Images de Raoul Dufy, Pawel Kuczynski, Francisco Goya, Daniel Horowitz, Jean-Marie Appriou, Max Ernst, Leonora Carrington, Delacroix, Luis Bunuel, Alénor De Cellès, Charles Le Brun

Je recommande :

- Nathalie HEINICH: "De la visibilité - Excellence et singularité en régime médiatique". Comment la photo, le cinéma, la télévision et maintenant les réseaux sociaux permettent à des gens "sans qualités" d'accéder à la célébrité.

Et de la même Nathalie Heinich, je recommande sont tout récent bouquin : "Penser contre son camp". Elle est vraiment quelqu'un qui n'a pas peur des foudres des bien pensants.

Et il faut signaler enfin le film de Quentin Dupieux: "L'accident de piano". C'est irritant, déplaisant, mais ça montre bien la monstruosité des réseaux sociaux.