samedi 20 septembre 2025

"Familles, je vous hais"

 

En France, en ce moment, c'est la rentrée littéraire.

C'est l'un des aspects les plus sympathiques et singuliers du pays.

En quelques semaines, se déversent ainsi près de 400 nouveaux titres. De ce tombereau, n'émergeront, bien sûr, que quelques heureux élus et l'immense majorité peinera à dépasser la barre des 1 000 lecteurs et sera recyclée ou pilonnée.

Mais qu'importe  L'essentiel, c'est que cette rentrée continue d'alimenter les conversations. Evidemment, ça ne concerne que "les élites" mais, foin du populisme montant et des enragés du smartphone, la France demeure un "pays de littérature". Peut-on imaginer qu'on cesse, bientôt, de s'y intéresser à la rentrée littéraire ? Ce serait un signal vraiment sinistre, une Orwellisation du pays.


Certes, la qualité n'est pas toujours au rendez-vous dans ce déluge automnal et il n'est même pas sûr qu'un seul titre, un seul auteur, survive à l'actualité.


Cette année, c'est étonnant, sidérant: on est submergés de bouquins familiaux ou plutôt familialistes, évoquant Papa et Maman: Catherine Millet, Anne Berest, Raphaël Enthoven, Régis Jauffret etc... 


En apparence, ça n'est pas nouveau parce que la famille, ça a été un thème privilégié de la littérature du 20ème siècle. Mais c'était généralement pour la vomir, l'abominer. C'était le "famille, je vous hais" d'André Gide, "Vipère au poing" d'Hervé Bazin, ou le "Poil de carotte" de Jules Renard. Et que dire des horreurs de Jouhandeau ? L'éducation, elle était le support de l'affranchissement familial. 


Aujourd'hui, on est très loin de ça. On s'inscrit plutôt dans le prolongement de ses parents et on fait souvent leur éloge. Dans le nouveau roman familial, on s'interroge plutôt sur la transmission et on va jusqu'à évoquer le transgénérationnel avec les grands-parents et au-delà. C'est un véritable bouleversement des mentalités. On s'inscrirait, à quelques déclinaisons près, dans une lignée. C'est quasiment une vision d'Ancien Régime.


Personnellement, ça me trouble beaucoup et, même, ça me gêne. D'abord parce que j'ai quand même la prétention de croire que je me suis construite largement toute seule et d'abord en opposition à tout ce que je détestais. Durant mon enfance, adolescence, ce qui me mettait presque en rage, c'était qu'on me dise que je ressemblais, physiquement ou mentalement, à tel ou telle parent(e). C'était comme si on prenait plaisir à m'effacer, me néantiser.


Ca ne veut pas dire que j'ai haï mes parents ou que j'ai été en révolte continuelle contre eux. Absolument pas, d'autant qu'ils étaient vraiment très libéraux. Mais de leur vie personnelle et intime, je me sentirais absolument incapable de parler, tout simplement parce que je n'en ai jamais rien su.

 
Qui étaient-ils, quels ont été leurs aventures personnelles, leurs passions, leurs malheurs ? Je n'en sais rien et, surtout, je n'ai jamais cherché à le savoir. C'est peut-être sur ce point précis que j'ai le plus l'impression de ne vraiment pas être française. Parce que mon éducation, elle a reposé sur une stricte barrière entre les générations. On n'échangeait surtout pas entre parents et enfants sur sa vie privée. C'est sans doute un manque de transparence mais, pour moi, ça s'est aussi révélé un gage de liberté, l'ouverture possible à autre chose, décidée de ma propre initiative.


Et je trouve donc carrément obscènes ces bouquins modernes qui traitent des aventures sentimentales de ses parents. C'est sûr que je serais bien incapable de traiter de ce sujet à propos des miens. Mais d'abord, je ne voulais, moi-même, surtout ne rien savoir de la vie personnelle de mes parents.


Et puis, y-a-t-il une once d'objectivité dans ces récits modernes ? Peut-il même y en avoir une ? Le vécu réel, on ne cesse de l'habiller, l'embellir ou le noircir, de nos projections affectives, il n'est qu'une de nos constructions parmi d'autres. Chaque récit est à la fois complétement faux et complétement vrai. Et aujourd'hui, on fabule, on s'invente une généalogie édifiante. On se plaît à se présenter comme fils/fille de...


L'éducation, elle pose forcément des interdits. On les intègre ou on les rejette. Mais c'est finalement la force de notre résistance à ce qu'on nous inculque qui forge ce que l'on appelle notre caractère. On devient fort ou faible suivant que l'on se rebelle ou accepte passivement son destin.


Beaucoup de gens se piquent de généalogie aujourd'hui. Ils adorent se reconnaître dans leurs ancêtres. Je ne me suis jamais penchée sur mes origines, sur l'histoire de mes ancêtres. C'est d'ailleurs quasi impossible mais j'ai d'emblée eu cette démarche en horreur: Paix aux morts !


Que veut-on démontrer par là, à recenser les fais et gestes de ses ancêtres ? Ca correspond, selon Freud, au roman familial des névrosés, à celui de tous ceux qui s'imaginent que leurs parents ne sont pas leurs vrais parents et qu'ils sont, en fat, les enfants de princes et princesses. C'est à la fois une démarche élitaire et une manière de compenser les blessures et humiliations subies.


Mais finalement, c'est une manière de se déprécier soi-même, de néantiser celle/celui que l'on est. Comme si on devait s'excuser de simplement exister. C'est finalement très triste.


Et c'est pourquoi tous ces romans familiaux qui viennent de sortir cet automne sont complétement hors sol, à côté de la plaque. S'enfermer dans la nostalgie, ça peut consoler mais ça ne permet pas de comprendre et d'affronter les grands bouleversements en cours.


Images de Gabriele Münter, Edward Hopper, Jose Miguel Amandil, Brigitte Aubignac, Claude Monet, John Philip Falker

Dans la masse de ces publications automnales, je recommande toutefois vivement :

- Emmanuel CARRERE : "Kolkhoze". La force de ce bouquin, ce qui le démarque vraiment, c'est que l'histoire individuelle rencontre, sans cesse, la Grande Histoire.

- Cécile GUILBERT : "Feux sacrés". Cécile Guillbert, je l'adore. Elle est surtout connue comme critique littéraire (Saint-Simon, Sacher Masoch, le 19ème siècle, Andy Warhol etc..). Dans ce récit intime, elle raconte d'abord son intérêt surprenant pour la spiritualité hindoue. Mais aussi et surtout, le scandale de la mort de ses proches et sa rencontre de l'amour. La leçon, c'est finalement: "savoir mourir, s'éveiller, apprendre et renaître pour mieux vivre".


2 commentaires:

Julie a dit…

Bonjour Carmilla,
Que dire de Louane et sa "Maman" à l'Eurovision...
C'est triste, la France culturelle manque d'imagination.
Article intéressant, comme d'habitude.
Bien à vous,
Julie

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Julie,

Je connais bien sûr Louane et j'ai appris que son père et sa mère étaient morts précocement de maladie.

Mais j'avoue que je ne connais pas bien quel impact ces décès ont eu sur la personnalité de Louane. Je vais donc étudier cela. Ca m'intéresse bien sûr.

Bien à vous,

Carmilla