samedi 1 février 2025

Le chapeau de Vermeer

 

Après Anvers, un petit saut en Hollande, dans les villes voisines de La Haye et de Delft.


La Hollande, c'est, en France, à peine plus connu que la Belgique. C'est tout juste associé aux excursions d'un week-end à Amsterdam dont on rapporte quelques anecdotes sur les coffee shops, les prostituées exposées dans des vitrines rougeoyantes et les restaurants indonésiens.

Je n'y connais moi-même pas grand chose mais pour moi, les Pays-Bas, c'est aussi le 17ème siècle, ce siècle d'Or qui a vu la Révolution Orange et l'essor de la mondialisation. 

Disons que les Pays-Bas ont prolongé et amplifié, au 17ème siècle, le bouleversement social et économique qu'avait initié Anvers au 16ème siècle.

La Hollande a inauguré une ouverture généralisée au vaste monde grâce à de multiples échanges entre l'Est et l'Ouest. C'est elle qui a initié le commerce avec la Chine, ce pays aux richesses fabuleuses, dont on connaît tous évidemment la fameuse porcelaine bleu et blanc. Elle a ensuite étendu ses activités à toute l'Indonésie. Les Néerlandais créèrent, à cette fin, la fameuse V.O.C., la Compagnie des Indes Orientales, l'une des premières et des plus puissantes sociétés par actions.

Au 17ème siècle, on rêvait alors beaucoup en Europe, on rêvait d'un Eldorado qui assurerait la prospérité générale. En France même, Samuel Champlain, en abordant le Canada, espérait surtout trouver une autre voie d'accès vers la Chine et commença à soutirer des fourrures de castor à se alliés hurons. Ca apparaît évidemment insensé aujourd'hui mais, à l'époque, on n'avait pas peur de l'aventure. On apparaît incroyablement frileux, repliés sur nous-mêmes, en comparaison.

Et c'est dans cette République des Provinces-Unies, au 17ème siècle, que l'esprit d'entreprise était le plus fort. Et depuis cette date, les Néerlandais ont toujours fait preuve d'un extraordinaire esprit d'ouverture et d'indépendance. Il est vrai que c'était la condition de survie de ce pays au territoire limité.

Ca s'est d'abord traduit par l'accueil de nombreux penseurs et savants qui craignaient d'être persécutés. Les noms les plus célèbres sont évidemment ceux de Spinoza et de Descartes mais on peut aussi mentionner que des hommes de lettres de toute l'Europe (Hobbes, Corneille, Molière, La Rochefoucauld) faisaient imprimer leurs livres dans la République. Ce n'était peut-être pas la liberté totale mais, du moins, la liberté de conscience était garantie.

Et puis, il y a eu un élan culturel généralisé. La bourgeoisie d'affaires, celle qui s'était enrichie en commerçant avec le monde entier, s'est éprise de culture et s'est mise à financer, pour décorer son intérieur, cette admirable peinture hollandaise que nous connaissons tous aujourd'hui (Vermeer, Rembrandt, Frans Hals, Jean Steen). 

Certes, ça s'est traduit, aussi, par la constitution d'un vaste Empire colonial mais ça n'a pas entamé l'esprit profondément libéral du peuple batave. Et ça perdure aujourd'hui.

Dans le domaine des mœurs, le simple spectacle de la rue, aujourd'hui, montre que la Hollande a encore un temps d'avance sur les autres pays d'Europe. Une foule bigarrée, décontractée, "nature", dépourvue d'agressivité, très polyglotte. Quand je voyais tous ces pelotons de grandes filles qui naviguaient nonchalamment sur leurs bicyclettes, je me disais que j'étais presque ringarde en comparaison.

Et puis, un souci de totale transparence. Ca se concrétise très banalement, en ces nuits d'hiver, par l'absence de volets et rideaux aux fenêtres des logements. On expose même, ostensiblement et avec soin, son salon illuminé et on choisit, avec soin, les objets placés sur l'appui intérieur. Comme si on invitait chez soi chaque passant.


La modernité, elle s'exprime donc, à chaque instant, en Hollande. Et elle est le fruit de l'esprit cosmopolite et tolérant qu'ont forgé plusieurs siècles d'histoire. C'est important de rappeler cela à un moment où on assiste, au contraire, à un repli général sur soi et à une exaltation des valeurs nationalistes.

Le libre-échange et la mondialisation sont devenus des épouvantails absolus. Et l'argument nationaliste se trouve renforcé par l'argument écologique. Il faudrait maintenant, à tout prix, produire local, passer par des circuits courts.

On hurle ainsi parce que la Hollande est le premier exportateur mondial de fleurs. Il est vrai qu'elle en est aussi le premier importateur mondial. Simplement, elle fait venir chaque jour, par avions-cargos en provenance d'Amérique Latine et d'Afrique, des millions de fleurs qu'elle redispatche, ensuite, dans tous les pays d'Europe. Les roses qui m'ont été offertes, aujourd'hui, à Paris ont été cueillies hier au Kenya et ont fait un petit tour, de bonne heure ce matin, à Amsterdam avant d'arriver chez moi.

Est-ce aberrant ? Personnellement, je ne le pense pas mais je sais que je n'arriverai pas à convaincre grand monde. J'y vois surtout la persistance, à travers les siècles, de cet extraordinaire esprit d'initiative hollandais. Cette capacité à mobiliser des financements importants pour des entreprises aventureuses et risquées. Et cela pour acquérir des objets de luxe ou superflus : autrefois de la porcelaine chinoise, de la soierie, des épices, du thé etc... Aujourd'hui des fleurs et pas seulement...

C'est oublier que le luxe, le superflu et le désir qui s'y attache sont également de puissants moteurs de l'économie.


Mes photos à Delft et La Haye (Den Haag). J'ai l'excuse d'une ambiance continuellement crépusculaire.

Delft est une petite ville de rêve, de conte de fées. Elle a notamment servi de cadre au très beau film de Werner Herzog: "Nosferatu, fantôme de la nuit" avec Isabelle Adjani et Klaus Kinski. Rien de plus facile que de s'y rendre depuis Paris. Vous prenez l'Eurostar pour Amsterdam, vous changez à Rotterdam et 20 minutes plus tard, vous y êtes. Tout ça ne prend qu'un peu plus de 2 heures et je vous garantis que vous y serez émerveillés.

Il n'y a aucun tableau de Vermeer à Delft, la ville où il a vécu toute sa vie. Il était tombé dans l'oubli et on ne l'a redécouvert qu'à la fin du 19ème siècle. Il a alors enchanté Marcel Proust avec sa "petite bande de mur jaune". Il faut se rendre à La Haye (toute proche) pour voir 3 de ses œuvres. Dont la fameuse "Jeune fille à la Perle" aujourd'hui aussi célèbre que la Joconde. Mais il n'y a heureusement pas, autour d'elle, la même affluence qu'au Louvre.

Je recommande:

- Timothy BROOK: "Le chapeau de Vermeer". Un merveilleux livre d'histoire. Il ne fait pas une analyse de la technique picturale de Vermeer mais il montre ce que ses tableaux révèlent de la formidable mutation du 17ème siècle hollandais. De l'ampleur des échanges culturels et commerciaux entre Est et Ouest qui amorcèrent notre mondialisation.

- Simone Van der VLUGT : "Bleu de Delft", "La route des Indes".  C'est du roman historique, ça n'est donc pas très littéraire mais on apprend plein de choses.

Il existe, par ailleurs, quelques très bons écrivains néerlandais contemporains. J'aime bien Anna ENQUIST ("Le chef d'œuvre"), Cees NOOTEBOOM ("Le jour des morts"), Herman KOCH ("Le dîner", "Jours de Finlande").


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